Mais, j’en suis conscient, la plupart de ces gens, ou bien sont dotés d’un esprit obnubilé par la mauvaise foi, ce qui les empêche de percevoir le mystère de Dieu, ou bien montrent un acharnement qui les pousse à s’opposer à Dieu sous des dehors de piété, dominés qu’ils sont par l’esprit du mal. Aussi aiment-ils à raconter aux oreilles des simples : puisque nous prétendons, nous, que le Fils a toujours été, et qu’il n’y a jamais eu de jour où il n’était pas, il faut le dire sans naissance, du fait qu’il a toujours été. Car n’importe qui vous le dira : on ne saurait admettre que naisse quelqu’un qui a toujours été ; si l’on naît, c’est bien en effet, que l’on n’était pas ; que vienne à l’existence ce qui n’était pas, voilà pour le simple bon sens ce qui s’appelle naître, et uniquement cela.
Ils ajoutent encore ces paroles, assez insidieuses, et propres à convaincre ceux qui les écoutent : « Si le Christ est né, c’est qu’il a commencé, et s’il a commencé, c’est qu’il n’était pas. Et puisqu’il n’était pas, il est clair qu’auparavant il n’existait pas. » Ainsi, telle est, selon eux, la conclusion que doit tirer quelqu’un dont l’intelligence est éclairée : « Il n’était pas avant de naître »[10] : puisque naît à l’existence ce qui n’était pas et non ce qui existe déjà[11], et puisque quelqu’un qui aurait déjà existé n’aurait eu nul besoin de naître, c’est donc que le Fils est né pour exister, et parce qu’il n’existait pas.
[10] Citation de la lettre d’Arius, cf. livre VI, ch. 6.
[11] P.L. met un point, alors que C.C. n’a qu’une virgule.
Il aurait tout d’abord fallu que ces gens qui affichent une si haute estime de la sainte science des réalités divines, affichent aussi l’estime de la vérité annoncée par l’Evangile et les Apôtres ! Ils auraient dû rejeter les problèmes compliqués d’une philosophie rusée, et suivre plutôt la foi que l’on trouve en Dieu. Car le sophisme d’une question résolue par un syllogisme, dépouille facilement une pensée peu éclairée de l’aide que lui apporterait sa foi, puisqu’une thèse insidieuse, par une question qui pousse la pensée en ses derniers retranchements, ne permet pas une réponse simple, allant de soi, en raison de l’interrogation que l’on nous pose.
En effet, lorsqu’on nous demande : « Quelqu’un existe-t-il avant sa naissance ? » que reste-t-il à répondre à une question aussi élémentaire, si ce n’est d’affirmer nous aussi : Non, personne n’existe avant de naître ? En effet, aussi bien sous l’angle de la nature que celui d’une nécessité logique, ce qui existe ne naît pas ; c’est évident, si l’on naît, c’est pour exister, et non parce que l’on était. Nous admettons cette conclusion, car elle nous paraît juste ; dépouillés de la conviction qui soutient notre foi, déjà vaincus, nous donnons notre accord à des thèses impies et hétérodoxes !
Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises, le bienheureux Apôtre Paul prévoit ce danger et nous avertit de nous tenir sur nos gardes : « Prenez garde, nous dit-il, que personne ne vous dépouille[12] par la philosophie et la creuse duperie qui découle de la tradition des hommes, des éléments du monde, et non du Christ. Car en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Colossiens 2.8-9).
[12] Quand il citait ce texte au livre VIII, ch. 53 et livre IX, ch. 1, Hilaire ne mettait pas « spoliet », mais « seducat ».
Nous avons donc à nous garder de la philosophie, et non pas tant fuir que réfuter les enseignements de la tradition des hommes. Ne leur permettons pas en effet, de paraître triompher, alors qu’ils induisent en erreur. Car si nous annonçons « Le Christ, Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (1 Corinthiens 1.24), il nous convient davantage de répondre aux doctrines humaines que de les éviter, et nous avons à protéger et à instruire les simples, pour qu’ils ne soient pas dépouillés de leur foi par ces enseignements.
Dieu en effet, est tout-puissant, et dans sa puissance, il dispose tout avec sagesse, sa force s’exerce avec raison, et sa raison n’est pas dénuée de force. Ceux qui annoncent le Christ au monde doivent donc combattre les doctrines hétérodoxes et imparfaites du monde, en leur opposant la science d’une Sagesse toute-puissante, selon cette parole du bienheureux Apôtre : « Car nos armes ne sont pas matérielles ; mais par la puissance de Dieu, elles sont capables de renverser des forteresses. Elles détruisent tout raisonnement et toute hauteur qui s’élèvent contre la connaissance de Dieu » (2 Corinthiens 10.4-5). L’Apôtre ne laisse pas notre foi sans armes et à bout d’arguments. Certes, la foi a une importance capitale pour nous conduire au salut, mais si elle n’est pas façonnée par la doctrine, elle nous sera une retraite très sûre pour nous y réfugier en cas de conflit, mais elle ne pourra tenir tête sans broncher, lorsqu’elle se verra affrontée à des adversaires. Comme les faibles, elle trouvera un camp retranché pour abriter sa fuite, mais elle ne connaîtra pas la force intrépide de ceux qui se savent appuyés par les murailles d’une forteresse.
Nous avons donc à réduire ces controverses arrogantes qui s’en prennent à Dieu, à détruire les retranchements de leurs arguments fallacieux, à démolir tout esprit hautain qui se met au service de l’impiété ; nous avons à les combattre par des armes non pas chamelles, mais spirituelles ; non par une doctrine terrestre, mais par une sagesse céleste : c’est un fait, autant il y a de différence entre les réalités divines et les réalités humaines, autant un enseignement céleste dépasse ce qui n’est que spéculation humaine.
Que nos gens à l’esprit perfide ne se creusent donc pas tant la tête ! Qu’ils n’aillent pas penser, parce que, eux, ils ne le comprennent pas, que nous nions ce que, seuls, nous comprenons et croyons de manière orthodoxe. Car, selon ce que veulent dire les mots, lorsque nous affirmons que le Fils est né, nous n’annonçons tout de même pas qu’il n’est pas né ! Ne pas être né et être né, ne veulent pas dire la même chose : ici on vient d’un autre, tandis que là, en ne procède de personne. Autre est celui qui est toujours l’Eternel sans auteur, autre est celui qui est coéternel au Père, son auteur. Là où le Père est auteur, il y a naissance ; mais si l’auteur est éternel, nous avons affaire à une naissance éternelle ; car, comme une naissance suppose un auteur, une naissance éternelle est le fruit d’un auteur éternel. Or tout ce qui existe toujours, est de ce fait, éternel. Mais cependant tout ce qui est éternel, n’est pas également inné : car ce qui est né de toute éternité, jouit d’une naissance éternelle, tandis que ce qui est inné, est inné éternellement. Mais si ce qui est né de l’Eternel, n’était pas né Eternel, il en résulterait que le Père non plus, ne serait pas auteur Eternel.
Si donc le Fils, né du Père Eternel, n’était pas Eternel, sans aucun doute son auteur ne le serait pas non plus. Car tout ce qui est attribut infini pour celui qui donne la vie, est aussi attribut infini pour celui qui naît de lui. Car ni la raison, ni la pensée, n’admettent d’intermédiaire entre la naissance du Fils de Dieu, et sa génération par Dieu le Père. Dans la génération est indue la naissance, et dans la naissance la génération. Il n’y a pas à séparer l’une de l’autre, car sans l’une et l’autre, il n’y a plus ni l’une ni l’autre. Si donc il n’y a rien sans qu’il y ait l’une et l’autre, dans tous les cas, on devra maintenir l’une et 1 autre : car la naissance ne peut se concevoir dans le Fils sans génération de la part du Père, et la génération du Père ne saurait être sans la naissance du Fils.
Mais incapable de percevoir ce mystère divin, notre homme objectera : « Tout ce qui est né n’existait pas. Car il faut être né pour exister ».
Certes, qui donc mettrait en doute que chez nous autres hommes, un nouveau-né n’existe pas avant de naître ! Mais c’est une chose de naître de quelqu’un qui n’existait pas, et c’en est une autre de naître de celui qui existe de toute éternité. Car tout bébé n’existait pas avant de naître et commence d’être dans le temps ; il grandit durant son enfance, et après son adolescence, à son tour il devient père. Mais il n’avait pas toujours été père, lui qui était devenu un adolescent, de l’enfant qu’il était, et qui, pour devenir cet enfant, avait commencé par être un bébé.
Celui donc qui n’est pas toujours père, n’engendre pas non plus toujours. Mais là où il y a quelqu’un qui est toujours Père, il y a aussi quelqu’un qui est toujours Fils. C’est pourquoi, si tu perçois ou si tu entrevois un Dieu qui, dans le mystère où tu le saisis, a comme propriété d’être Père, mais ne serait pas toujours le Père du Fils qu’il engendre, tu percevrais et découvrirais un Fils qui ne serait pas toujours celui que le Père a engendré. Mais si le Père a toujours en propre d’être toujours Père, il est forcé que le Fils ait toujours en propre d’être toujours Fils. Dès lors, comment pourrions-nous avoir en notre pensée et formuler dans notre langage, que le Fils n’était pas avant de naître, lui à qui appartient en propre d’être toujours ce qu’est un Fils ?
Puisque Dieu, l’Unique-Engendré, renferme en lui la forme et « l’image du Dieu invisible » (Colossiens 1.15), la plénitude de la Divinité qui réside en lui, le rend en tous points égal à Dieu le Père. Comme nous l’avons enseigné en effet, dans les livres précédents[13] par la puissance qu’il possède et par le respect qu’on lui doit, le Fils mérite d’être honoré comme le Père dont il partage la puissance. De même, comme le Père est éternel, il partage aussi cet attribut avec son Fils, en tant que celui-ci est son Fils. Moïse dit en effet : « Celui qui est m’a envoyé vers vous » (Exode 3.14). H n’y a pas ici à se tromper sur le sens de ce texte : Dieu a en propre d’être Celui qui est. Car on ne peut concevoir ni dire que ce qui est n’est pas. Etre et ne pas être, sont en effet contraires, et ces deux mots ont un sens opposé, ils ne peuvent coïncider dans une seule et même signification : affirmer l’être, c’est nier le non-être. Par conséquent, lorsqu’on dit : « est », ni la pensée, ni le langage, ne peuvent en déduire que cela n’est pas.
[13] Cf. Livre III, ch. 13 et Livre IX, ch. 23.
Si nous essayons de faire revenir en arrière notre pensée et de la ramener toujours plus loin pour comprendre celui qui est Dieu, elle trouve toujours avant elle ce fait qu’il est, et uniquement cela[14]. Car ce qui est infini en Dieu, se soustrait toujours par son infini, à la réflexion de notre pensée, de sorte que l’attention de notre esprit qui se reporte en arrière, ne saisit rien d’autre que ce qui est le propre de Dieu : être toujours. Ceci parce que, lorsqu’on s’avance dans l’éternité, toujours se présente à nous que Dieu est toujours, et rien d’autre qui nous permettrait davantage de comprendre ce qu’est Dieu.
[14] C.C. signale qu’ici le texte est endommagé. Nous adoptons la leçon suggérée par P. Smulders.
Tel est donc ce que Moïse veut nous faire entendre, tel est aussi ce que le simple bon sens nous permet d’entrevoir ; et cela même est le propre de l’Unique-Engendré, au témoignage de l’Evangile qui nous certifie : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était près de Dieu » (Jean 1.1) ; « Il est la lumière véritable » (Jean 1.9) ; « Dieu, l’Unique-Engendré, est dans le sein du Père » (Jean 1.18), et Jésus est « Dieu au-dessus de tout » (Romains 9.5).
Le Fils était donc et il est, car il procède de Celui qui est toujours ce qu’il est. Mais procéder de lui, c’est-à-dire être du Père, c’est sa naissance : il n’est pas éternel par lui-même, mais par l’Eternel. Son éternité, il ne la tient pas de lui-même, mais de l’Eternel. Or procéder l’Eternel ne veut pas dire autre chose qu’être Eternel. Si le Fils n’était pas éternel, le Père, auteur de sa génération, ne serait pas éternel, lui non plus. Puisque pour le Fils, le Père est toujours son Père, le Fils a pour caractère spécifique d’être toujours son Fils, et puisque ce mot : « Il est » exprime l’éternité, du fait qu’il a pour caractéristique d’être, il a aussi pour caractéristique d’être éternel.
Or, personne n’en doute, la génération implique la naissance, et la naissance nous fait connaître Celui qui demeure toujours, le Père, et non un être qui aurait eu un commencement. Et d’un autre côté, on ne peut en douter, il n’y a pas à naître si l’on existe déjà. Car naître n’apporterait rien à un être qui par lui-même, serait éternel. Mais Dieu, l’Unique-Engendré, celui qui est Sagesse de Dieu, Puissance de Dieu et Verbe, nous montre que le Père est son auteur, du fait qu’il est né. Il est né de Celui qui demeure à jamais, il n’est pas né de rien. Et puisque, né avant les temps éternels, sa naissance doit nécessairement être antérieure à toute pensée, il n’y a pas lieu de dire qu’il n’était pas avant de naître.
Si en effet, notre pensée pouvait concevoir que le Fils n’était pas avant de naître, notre pensée et le temps seraient alors antérieurs à sa naissance. Car tout ce qui n’était pas, est à présent sous l’emprise de la pensée et du temps, du fait même que l’on dit : Ce n’était pas ; car ne pas avoir été implique une portion du temps. Mais celui qui procède de l’Eternel, et qui a toujours été, n’existe pas sans naissance, et il a toujours été, puisqu’avoir toujours été transcende le temps, et qu’être né est la suite de la naissance.
Ainsi nous affirmons la naissance de Dieu, l’Unique Engendré, mais une naissance avant les temps éternels. Car nous nous voyons obligés de reconnaître cette naissance telle qu’elle ressort des paroles révélées par les Apôtres et les Prophètes : ceci parce que la pensée humaine ne peut comprendre une naissance en dehors du temps, car dans les réalités terrestres, on ne trouve rien qui soit né avant le temps. Et puisque c’est bien une telle naissance que nous enseignons, comment dire dans cette ligne de pensée, qu’il n’était pas avant de naître, puisque selon l’Apôtre, le Fils est Dieu Unique engendré « avant les temps éternels » (2 Timothée 1.9) ?
Si donc on le dit né « avant les temps éternels », ce n’est pas là une supputation de l’intelligence humaine, mais un aveu qui découle de la sagesse de la foi. Car une naissance suppose un Père, ce qui précède le temps est éternel, et ce qui est né avant les temps éternels échappe aux prises de toute pensée terrestre. Aussi est-ce assurément par un désir d’impiété que nous voulons à présent nous élever au-dessus de ce que peut concevoir la raison humaine, lorsque, poussés par la sagesse du monde, nous maintenons que le Fils n’était pas avant de naître, alors qu’il est né de toute éternité, d’une manière qui dépasse toute pensée et toute intelligence.
C’est en effet notre imagination ou notre science qui embrassent tous les temps. Ainsi nous savons que ce qui existe maintenant n’existait pas hier, car ce qui existait hier n’existe plus maintenant, tandis que ce qui est maintenant ne saurait être aujourd’hui que parce qu’il n’était pas hier. Notre imagination, elle, se porte vers le passé : avant la fondation de telle ville, il fut, sans aucun doute, un temps où cette ville n’était pas fondée. Par conséquent, puisque les temps sont subordonnés à notre science ou à notre imagination, nous jugeons d’une manière conforme à l’intelligence humaine, et de la sorte, nous estimons avoir le droit de dire d’un être : « Il n’existait pas avant de naître ». Car un temps antérieur précède toujours l’origine de chaque créature.
Par contre, dans les réalités divines, c’est-à-dire dans la naissance de Dieu, il n’y a rien avant les temps éternels ; ainsi on ne peut jamais dire : « avant qu’il soit né », en parlant de celui qui possède la promesse de l’éternité avant les temps éternels, selon la parole de l’Apôtre : « Dans l’espérance de la vie éternelle, promise avant les temps éternels, par le Dieu qui ne ment pas » (Tite 1.2) ; on ne peut admettre, en effet, qu’ait commencé après quelque chose, celui que nous reconnaissons avoir existé avant les temps éternels.
S’il est vrai qu’une naissance avant les temps éternels ne se rencontre pas chez les hommes et ne tombe pas sous les prises de notre intelligence, nous pouvons pourtant en croire le témoignage que Dieu nous donne à son sujet. L’Apôtre nous déclare quelle est sa foi : pour lui, le Christ est né depuis toujours, c’est-à-dire qu’il existe avant les temps éternels, d’une manière inconcevable pour l’esprit humain ; dès lors, comment les mécréants de notre temps s’élèvent-ils là contre pour prétendre, selon ce que perçoit leur petite intelligence d’homme, qu’il n’était pas avant de naître ?
Ce qui est né avant le temps, est né depuis toujours, car ce qui est avant un temps éternel existe toujours. Or ce qui est né depuis toujours, a forcément existé autrefois, sinon il n’aurait pas été depuis toujours. Etre depuis toujours, exclut que l’on n’ait pas toujours été. Il est donc exclu que le Christ n’ait pas toujours été, puisqu’il est né depuis toujours dès lors, notre pensée ne saurait admettre qu’il n’était pas avant de naître ; car dans notre esprit, celui qui est né avant les temps éternels, est né depuis toujours, alors même que notre esprit est incapable de comprendre que l’on puisse être né avant le temps. Car si, ce qui est absolument indiscutable, nous avons à le reconnaître né avant toute créature corporelle ou invisible, avant tous les siècles et les temps éternels, avant toute pensée, il n’est permis à personne de se figurer qu’il n’était pas avant de naître, lui qui, puisqu’il est né ainsi, est éternel. Car d’une part, il existe avant toute pensée, celui qui est né avant les temps éternels, et d’autre part, il ne pourrait venir à l’esprit de personne qu’il fut un temps où il n’existait pas, celui que nous reconnaissons avoir toujours existé.
Mais notre homme manœuvre et nous oppose cette astucieuse objection : « Admettons-le, il est concevable que le Christ n’ait pas été avant de naître ; mais il nous reste à comprendre que celui qui était puisse naître ! »
Je demanderai à celui qui soulève cette difficulté : ne se souvient-il pas que j’ai dit qu’il était né, et rien de plus ? Etre avant les temps éternels, a-t-il le même sens que : celui qui est né ? Car lorsque celui qui était est né comme homme, il ne s’agissait pas de sa propre naissance ; cette naissance impliquait un changement. Que le Fils soit né depuis toujours, signifie que dans sa naissance, il est antérieur à toute conception de temps, et qu’il n’y a pas lieu d’imaginer un temps où il n’était pas né.
Etre toujours né, avant les temps éternels, n’est pas la même chose qu’avoir été avant de naître. Mais être toujours né, avant les temps éternels, exclut la supposition que le Fils n’ait pas existé avant de naître.
Du reste, il n’y a pas à dire que le Fils n’était pas avant de naître : ce qui est au-delà de la pensée ne saurait être saisi par la pensée. Car si être toujours né est une réalité qui échappe à la prise de notre pensée, il nous est également impossible de concevoir que le Fils n’existait pas avant de naître. Par conséquent, si dire : Il est toujours né, signifie : Il est né, et rien de plus, notre esprit n’a même pas à se poser la question s’il était ou s’il n’était pas avant de naître, car rien d’autre ne se présentera à lui sinon : Il est toujours, avant les temps éternels.
Le Fils est donc né, et il existe depuis toujours, lui de qui on ne saurait rien dire ou penser d’autre, si ce n’est : Il est né. Antérieur au temps où s’exerce la pensée – puisque le temps éternel est au-delà de la pensée –, il reste hors des prises d’un esprit qui s’efforcerait de percevoir s’il était ou s’il n’était pas avant de naître : car être avant de naître, est incompatible avec l’idée de naissance, et n’avoir pas été comporte l’idée de temps. L’infini que supposent les temps éternels, exclut donc tout rapport avec l’idée de temps que manifeste l’expression : « n’avoir pas été » ; et l’idée de naissance ne cadre pas avec ce qui est le lot du Fils : être avant de naître. Si l’existence de celui-ci ou sa non-existence, pouvait être perçue par la pensée, sa naissance serait alors après un certain temps, puisque ce qui n’est pas depuis toujours doit nécessairement avoir commencé après quelque chose.
Le Seigneur Jésus est donc né, et il existe toujours : voilà tout ce que peuvent affirmer notre foi, notre langage et notre pensée. Car si notre esprit scrute le passé pour connaître quelque chose concernant le Fils, rien ne se présente à sa quête, sinon qu’il est né et qu’il a toujours été.
De la sorte, c’est la caractéristique de Dieu le Père, d’être sans naissance, tandis qu’il revient au Fils, par sa naissance, d’avoir toujours été. Or la naissance du Fils n’exprime rien d’autre que le Père, et le Père ne nous annonce rien d’autre que la naissance de son Fils. Ce nom de Père et la nature qu’il traduit, ne permettent de dire rien de plus. Ou bien en effet, le Père ne serait pas toujours Père, si le Fils n’était pas toujours Fils, ou bien si le Père est toujours Père, le Fils est toujours Fils. Car pour que le Fils n’ait pas toujours existé, il faudrait enlever à son existence un certain temps ; durant ce temps, le Père ne serait pas Père, de sorte qu’il ne serait pas toujours Père ; ainsi, bien qu’il soit toujours Dieu, il ne serait pourtant pas Père durant cet infini pendant lequel il est Dieu.
Sur ce point encore, l’impiété déploie sa verve, et non seulement elle inclut dans le temps la naissance du Fils, mais aussi la génération du Père. Car dans le temps de la naissance s’insère le processus de la génération.
Tu crois donc, hérétique, que c’est de ta part un acte d’amour et de vénération, de reconnaître que Dieu existe depuis toujours, mais qu’il n’est pas toujours Père ? Si tu vois là une inspiration de ta ferveur, il te reste à taxer Paul d’impiété, puisqu’il affirme que le Fils existe « avant les temps éternels » (Tite 1.2). Reproche aussi à la Sagesse d’affirmer à son sujet qu’elle a été « établie avant les siècles » (Proverbes 8.27 LXX), elle qui était aux côtés du Père, « lorsqu’il préparait le ciel » (Proverbes 8.23). Mais toi, pour attribuer à Dieu un temps où il commence d’être Père, décide où se trouve ce début avant les temps où tout a commencé ! S’il y a eu un commencement, l’Apôtre a menti, lui qui parle de temps éternels ! De fait, tu as l’habitude de compter les temps à partir de la création du soleil et de la lune, puisqu’il est écrit à leur sujet : « Qu’ils soient des signes pour marquer les ternes et les années)) (Genèse 1.14). Mais celui qui existe avant le ciel, c’est-à-dire celui qui, de votre propre aveu, existe même avant le temps, est le même qui existe aussi avant le siècle. Et non seulement il existe avant le siècle, mais il existe encore avant les générations des générations qui précèdent les âges.
Dès lors, pourquoi enfermes-tu le divin et l’infini dans des limites périssables étroites et terrestres ? Paul ne veut rien voir dans le Christ, sinon l’éternité des temps. La Sagesse ne dit pas qu’elle existe après quelque chose, mais avant toutes les créatures. Tu admets que les temps ont été établis avec le soleil et la lune. Or David nous laisse entendre que le Christ demeurait avant le soleil : « Son nom, dit-il, était avant le soleil » (Psaumes 71.17). Et pour que tu ne t’imagines pas que les réalités divines ont commencé avec l’origine de ce monde, il ajoute : « Et les générations des générations, avant la lune » (Psaumes 71.5).
De tels hommes, dignes d’être habités par l’esprit de prophétie, ne tiennent pas compte des temps : ils ne laissent à l’esprit humain aucun espace où s’ébattre avant une naissance qui se situe avant les temps éternels. Mais leur foi n’a que cette manière de traduire sa conviction profonde : elle se souvient que le Seigneur Jésus-Christ est Dieu, l’Unique-Engendré, et qu’il est né d’une naissance parfaite ; et lorsqu’elle l’adore comme Dieu, elle n’ignore pas qu’il est éternel.