Les trois personnes divines concourent, chacune à sa façon, à l’œuvre de la. création. La création est une œuvre de bonté : elle résulte d’un simple acte de la pensée de Dieu qui veut se communiquer (ἐννοῶν, ii, 2). Dieu est l’auteur de tout ce, qui existe : contre les manichéens, saint Jean maintient l’unité de principe, et déclare que le mal absolu serait un pur néant. Le mal relatif n’est, dans un être, que l’absence ou la perte d’un bien ; le mal moral est un usage non conforme à la volonté divine de facultés bonnes en soi.
Le Damascène s’est occupé des anges au livre ii, 3 du De fide orthodoxa. L’ange se définit : φύσις λογικὴ, νοερά τε καὶ αὐτεξούσιος, τρεπτὴ κατὰ γνώμην ἤτοι ἐϑελότρεπτος. Est-il absolument spirituel ? Notre auteur semble le croire, car il dit que l’ange est φύσις ἀσώματος, οἷόν τι πνεῦμα καὶ πῦρ ἄϋλον ; et s’il ajoute que cela est vrai par rapport à nous seulement, car Dieu seul est parfaitement ἄϋλος et ἀσώματος, cette restriction ne détruit pas précisément sa précédente affirmation. Les anges, créés les premiers, sont libres des passions du corps, sans être entièrement ἀπαϑεῖς, ce qui n’appartient qu’à Dieu. En tout cas, ils sont limités et finis ils ne sauraient être présents partout ni même en deux lieux à la fois, mais là seulement où ils vont et agissent. De même, ils ne sont pas immortels par nature (φύσει) ; ils le sont par grâce (χάριτι), car ayant commencé d’exister, ils devraient un jour cesser d’être. Dans le principe, ils pouvaient pécher, n’étant pas ἀκίνητοι mais simplement δυσκίνητοι πρὸς τὸ κακόν : les bons anges sont maintenant devenus ἀκίνητοι χάριτι.
Tous les anges sont-ils de même substance, ἴσοι κατ᾽ οὐσίαν ? Dieu seul le sait, répond le Damascène. Ce qui est certain, c’est qu’ils diffèrent τῷ φωτισμῷ καὶ τῇ στάσει. Et ici vient la théorie des trois ordres et des neuf chœurs angéliques du Pseudo-Denys. Premier ordre, des séraphins, des chérubins et des trônes ; deuxième ordre, des dominations, des vertus et des puissances ; troisième ordre, des principautés, des archanges et des anges : les ordres supérieurs illuminant et instruisant les inférieurs.
Tels sont les anges considérés dans leur état naturel. Mais nous savons que, créés par le Verbe, ils ont été sanctifiés dès le principe par le Saint-Esprit. La plupart ont persévéré dans cette grâce et, fixés dans le bien, contemplent Dieu et se nourrissent de lui. Ce sont les bons anges. Messagers et ministres de Dieu, ils exécutent ses volontés, se montrent parfois aux hommes, sont préposés à la garde de certaines régions de la terre, de certaines nations, s’occupent de nos intérêts et nous prêtent secours.
Au contraire, une multitude innombrable d’anges du dernier ordre, préposé à la terre, ont prévariqué avec leur chef, le diable, et sont devenus mauvais par leur libre choix. Parce qu’ils étaient incorporels, ils se sont trouvés incapables de repentir : leur chute a été pour eux ce que la mort est pour l’homme. En attendant qu’ils aillent au feu éternel qui leur est préparé, ils s’efforcent de perdre l’homme et de le pousser au mal ; ils ne sauraient toutefois violenter sa volonté, non plus que prédire sûrement l’avenir. Le pouvoir divin, dont ils dépendent, limite les effets de leur méchanceté.
Les pages sur les anges et les démons sont suivies, dans le De fide orthodoxa, d’une série de chapitres sur le monde et la nature visible telle que la concevaient les sciences du temps ; puis l’auteur en vient à l’homme, synthèse de la nature visible et de l’invisible, microcosme dans le grand monde.
Créé à l’image de Dieu, parce qu’il est intelligent et libre, à la ressemblance de Dieu, parce qu’il doit lui ressembler par la vertu, l’homme est composé de deux éléments, formés, dans le principe, en même temps, l’âme et le corps. L’âme se définit : οὐσία ζῶσα, ἁπλῆ καὶ ἀσώματος… ἀϑάνατος, λογική τε καὶ νοερά. L’intelligence, le νοῦς, n’est pas en elle autre chose qu’elle-même : c’en est la partie la plus subtile. L’âme est unie au corps toute à toutes les parties du corps, et non partie à partie : elle le contient plutôt qu’elle n’en est contenue, et lui communique les fonctions de la vie végétative et sensitive. De l’origine de l’âme saint Jean ne parle pas explicitement.
Quel était l’état primitif de l’homme ? Un état bienheureux. Adam, orné de la grâce divine, vivait dans la société de Dieu et la conversation des anges, innocent, jouissant de toute félicité, pouvant rester immortel s’il observait la loi qui lui avait été faite. Son paradis était à la fois spirituel et matériel, paradis du corps et de l’âme. Dieu cependant, prévoyant sa chute, avait placé près de lui la femme, afin que, par leur union, pût se propager le genre humain devenu mortel.
Adam pécha en effet, et perdit par sa faiblesse les dons que Dieu lui avait octroyés. Privé de la grâce, il devint sujet à la mort et à la corruption, aux misères de la vie ; il connut la concupiscence et la tyrannie du corps sur l’âme. Par Adam, cette même mort et ces souffrances sont entrées dans le monde et ont passé dans ses descendants. Toutefois, si saint Jean nous représente comme héritant de notre premier père les misères de la vie, suite du péché, il ne parle pas d’une souillure morale proprement dite qui nous serait transmise avec la vie. Dans son commentaire sur l’Épître aux Romains, chap. 5, il interprète le ἐφ᾽ ᾧ du verset 12 dans le sens causal δι᾽ οὗ, et le ἁμαρτωλοί du verset 19 dans le sens de « sujets à la mort à cause du péché. »
Cette déchéance cependant n’a point enlevé à l’homme sa liberté. Le Damascène va jusqu’à affirmer, en un passage, que nous pouvons, de nous-mêmes, choisir entre le bien et le mal ; encore que nous soyons incapables de réaliser le bien sans le secours de Dieu ; mais ailleurs il précise sa pensée : « Sans la coopération et l’aide de Dieu, nous ne saurions ni vouloir ni faire le bien : il est seulement en notre pouvoir ou de persévérer dans la vertu et de suivre Dieu qui nous y invite, ou de nous en éloigner. » Si notre auteur n’a pas réfléchi beaucoup sur la nécessité de la grâce actuelle, il a trouvé du moins, pour en parler, une formule correcte. Il parle aussi exactement — et aussi superficiellement — de la prédestination. Autre chose, dit-il, est prévoir, autre chose préfinir et prédéterminer, car, dans ce dernier cas, il s’ajoute à la prévision un acte de volonté et de commandement. Or, il n’y a de prédéterminés que les événements qui ne dépendent pas de nous : ceux qui dépendent de nous sont simplement prévus. On en peut conclure que saint Jean n’admettait point la prédestination ; absolue au sens de saint Augustin. Il l’avait dit d’ailleurs auparavant, avec beaucoup de précision, qu’il faut distinguer en Dieu deux sortes de volonté, une volonté antécédente et de bienveillance (προηγούμενον ϑέλημα, καὶ εὐδοκία), par laquelle il veut le salut de tous les hommes, et une volonté conséquente et permissive (ἑπόμενον ϑέλημα, καὶ παραχώρησις), par. laquelle il veut que les pécheurs subissent soit un châtiment, médicinal (παραχώρησις οἰκονομική), soit un châtiment définitif et absolu (παραχώρησις ἀπογνωστική).