43. La question du dimanche, telle qu’elle nous paraît devoir être comprise, n’a pas seulement sa place dans la Théologie pratique et dans la Morale chrétiennea, ou étude de ce que le chrétien doit faire ; elle doit l’avoir aussi, et d’abord, dans la Dogmatique, ou étude de ce que le chrétien doit croire.
a – « Observance cérémonielle au premier regard, dit Vinet (Le sabbat juif et le dim. chrét., p. 42), il a surgi, il s’est conclu, pour ainsi dire, des faits fondamentaux du christianisme, avec toute la spontanéité d’une obligation morale ; son origine semble le rattacher à la morale. »
44. Sa véritable place en Dogmatique est dans l’Ecclésiologie, et non dans l’explication du Décalogue et de la Loi, comme c’est le cas, par exemple, pour l’Institution de Calvin, l’Elenchus de Fr. Turretini, et la Théologie chrétienne de Bénédict Pictet.
45. L’institution du dimanche est moins un commandement, une loi, qu’un moyen de grâce confié surtout à l’Église, de même que la prédication sous toutes ses formes, et les deux sacrements. En effet : 1° elle est de fondation divine ; 2° l’Église doit veiller et travailler à son observation ; 3° elle peut ainsi contribuer efficacement à l’édification des âmes et à l’avancement du règne de Dieu.
46. Le dimanche est indirectement de la plus grande importance pratique, comme facilitant à un haut degré la prédication, la vie ecclésiastique et le recueillement individuel. Au point de vue direct, il proclame, déjà même par le repos et le silence qui accompagnent sa célébration, les deux grandes vérités de la création de l’univers et de la résurrection du Rédempteur. A cet égard, il n’est pas sans analogie avec les œuvres de la création, qui toutes proclament par leur existence même, souvent silencieusement et chacune à sa manière, la gloire de l’Éternel (Psaumes 8.10 ; 19.1-5 ; Romains 1.20).
47. Comme nous l’avons dit précédemment, Nitzsch, dans son System der christlichen Lehre, s’occupe successivement de la véritable Église, de la prédication, des sacrements, de la prière de l’Église et du Jour du Seigneur, de la discipline ecclésiastique. D’après Oschwald, l’Église d’Ecosse désigne sous le titre d’institutions de Christ (ordinances) les sacrements, le Jour du Seigneur et le culte divin. Dans la Confession baptiste adoptée à New-Hampshire en 1833, l’art. XIII parle de l’Église ; l’art. XIV, du baptême et de la Cène ; l’art. XV, du « sabbat chrétien. » — Récemment les Églises congrégationalistes du Japon se sont fait elles-mêmes une courte confession répondant exactement à leurs besoins, et son 5e et dernier article est ainsi conçu : « Nous croyons à la sainte Église, au baptême d’eau, à la sainte Cène, au saint Jour du Seigneur, à la vie éternelle… »
48. Nous avons constaté que l’ordre dans lequel la Didachè et postérieurement, avec la plus grande netteté, Justin Martyr traitent successivement du baptême, de la Cène et du dimanche, d’un côté, fait ressortir l’importance attachée dans le second siècle à ce jour, ainsi rapproché des deux sacrements ; de l’autre, prouve qu’à cette époque on avait déjà quelque sentiment de l’union intime de ces trois institutions du Seigneur, comme moyens de grâce confiés à l’Église.
49. En fait, le Seigneur a fondé trois institutions spéciales pour nous rappeler d’une manière symbolique, sacramentelle, pas seulement verbale, les grandes vérités proprement chrétiennes. Le baptême nous rappelle la transformation complète qui doit s’opérer spirituellement en nous par le moyen de notre union personnelle et vivante avec Christ mort et ressuscité pour nous (Romains 6.3-11) ; — la Cène, la mort du Seigneur et ce qu’elle doit devenir pour nous : une nourriture en vie éternelle ; — le dimanche, la résurrection du Seigneur, gage de notre propre résurrection corporelle dans notre communion avec Lui.
50. Le dimanche a tout au moins quelque chose de sacramentel, ainsi que s’exprime Œhler en parlant du sabbat. Cette qualification peut être appuyée sur Exode 31.13,16-17 ; Ézéchiel 20.20, où le sabbat est appelé un signe que l’Éternel est le Dieu d’Israël, une Alliance perpétuelle, un signe qui devra durer à perpétuité, par là même, un signe de cette Alliance. La circoncision était semblablement appelée un signe de l’alliance entre l’Éternel et les Abrahamides (Genèse 17.11) ; les pains sans levain de la fête de Pâques, un signe et un mémorial de ce que l’Éternel avait fait en Egypte pour Israël (Exode 13.8-9).
51. Comme le baptême et la Cène, le dimanche, en tant que jour de saint repos, comprend un signe extérieur et une chose signifiée. Le signe est ce saint repos avec toute l’activité chrétienne intérieure et extérieure qu’il comporte, car elle aussi doit en être comme imprégnée.
52. Le signe dans le dimanche n’est pas sans doute aussi simple, concret, objectif, ni aussi directement prescrit par le Seigneur, que l’eau du baptême ou le pain et le vin de la Cène, et c’est pourquoi nous n’avons pas dit que le dimanche fût un sacrement, mais seulement qu’il avait quelque chose de sacramentel. Si toutefois on arrivait à le considérer comme un sacrement, ce serait le plus spirituel des trois.
53. En fait, ce fut principalement au jour du dimanche que d’assez bonne heure la Cène fut célébrée dans toutes les communautés ; et, au milieu du 4e siècle, cette union de la Cène et du dimanche était si intime qu’un pieux évêque regardait le dimanche comme un double mémorial, rappelant la mort et la résurrection du Seigneur.
54. Un rapprochement du même genre entre le dimanche et le baptême, est fait avec finesse et profondeur, mais non sans obscurité, ni subtilité, dans l’Homélie dont nous avons déjà parlé, et qui est attribuée à tort ou à raison à Athanase. L’auteur y dit en particulier (§ 5) : « Abraham ayant cru, reçut la circoncision comme signe de la régénération par le moyen du baptême. Aussi, la chose signifiée étant venue, le signe a cessé. La circoncision était le signe, et le baptême de la régénération, la chose signifiée. Tout le vieil homme étant dépouillé, le signe partiel devenait superflu. Et de même que le dimanche est le commencement de la création (en rappelant le 1er jour génésiaque) et que le sabbat la fait cesser (παύει), le dimanche, ayant régénéré l’homme (ἀναγεννήσασα ; bien entendu, en tant que représentant la résurrection de Christ), a fait aussi cesser (ἔπαυσε) la circoncision. Les deux s’accomplissent le 8e jour (κατώρϑωται), soit le commencement de la résurrection, soit la régénération de l’homme. Aussi le 8e jour a-t-il aboli le sabbat (ἔκλυσε), et non le sabbat, le 8e jour. En effet, puisque l’homme était circoncis même au jour du sabbat, la circoncision n’était pas annulée par le sabbat. Car le 8e jour étant le commencement de la 2e création, a fait cesser la 1re. » — Il est regrettable que l’auteur ne distingue pas expressément entre le dimanche, comme signe, et la résurrection de Christ, comme chose signifiée, et de même, entre le baptême et la régénération. Mais il indique bien le rapport intime qui relie, d’une part, la circoncision et le sabbat, appartenant tous deux à l’ancienne création, et, de l’autre, le baptême et le dimanche, qui caractérisent la nouvelle.
55. Il vaut la peine de constater que Calvin, lui aussi, considérait le sabbat mosaïque comme un sacrement de l’Ancienne Alliance, car il l’appelle mysterium et sacrement (5e sermon sur Deuter. ch. 5). Si, par contre, il déniait positivement au dimanche tout caractère mystérieux et sacramentel, cela s’explique, dès qu’il comprenait le dimanche comme une simple institution de police ecclésiastique et sans aucun rapport intime avec la résurrection du Seigneur. Il serait peut-être arrivé à une autre conclusion, s’il avait déjà mieux compris la signification du sabbat mosaïque, en le rapportant non pas seulement à ce qu’il appelait le Repos spirituel, mais avant tout à la création de l’univers. N’y a-t-il pas en effet un parallèle des plus saisissants et des plus grandioses entre le sabbat mosaïque, comme rappelant cette création, et le dimanche comme mémorial de la résurrection du Rédempteur, cette véritable aurore, tout au moins, de la création nouvelle et spirituelle ?
[Calvin, I.R.C 2.34.33 : « car nous ne l’observons point (le dimanche) d’une religion estroite, comme d’une cérémonie en laquelle nous pensions estre comprins un mystère spirituel : mais nous en usons comme d’un remède nécessaire pour garder bon ordre en l’Église. » — 34 : « Ainsi seront renversez les mensonges des faux docteurs qui ont abreuvé au temps passé le povre populaire d’opinions judaïques, ne discernans entre le dimanche et le sabbat, autrement, sinon que le jour estoit abrogué qu’on gardoit pour lors, mais qu’il en fallait neantmoins garder un. Or cela n’est autre chose à dire qu’avoir changé le jour en despit des Juifs, et neantmoins demeurer en la superstition que S. Paul condamne : c’est d’avoir quelque signification secrète, ainsi qu’elle estoit sous le vieil Testament. »
Avant-dernière demande de la section du Catéchisme de Calvin, relative au 4e Commandement : « Qu’est-ce donc qui nous reste de ce commandement ? Rép. : Que nous observions l’ordre constitué en l’Église, pour ouyr la Parolle du Seigneur, communiquer aux prières publiques et aux sacrements. Et que nous ne contrevenions pas à la police spirituelle qui est entre les fidèles. »]
56. Ewald considère le sabbat mosaïque comme étant non seulement un signe, mais le signe, le signe par excellence de l’Alliance mosaïque. Mais elle comptait encore d’autres signes spéciaux, et l’institution de la Pâque, y compris la fête des Azymes, devait même constituer pour les Israélites, un signe plus caractéristique que le sabbat. — Nous dirions plutôt que le sabbat primitif était le signe, ou le sacrement, paradisiaque, et que le sabbat mosaïque était un des trois signes de l’Alliance mosaïque, la circoncision elle-même remontant jusqu’à Abraham. Le sabbat mosaïque ne correspond-il pas à notre dimanche, comme la circoncision et l’agneau pascal, à nos sacrements du baptême et de la Cène ?
57. Le baptême doit n’être célébré qu’une fois dans la vie du chrétien, la sainte Cène est faite pour être répétée : « Toutes les fois que vous mangerez de ce pain, » dit saint Paul (1 Corinthiens 11.26). Mais cette répétition n’a rien de fixé, elle n’est dogmatiquement soumise à aucune règle objective. Le dimanche, par contre, revient régulièrement toutes les semaines et au début de chacune d’elles. Sous ce rapport, il est appelé plus souvent que la Cène et surtout que le baptême, à exercer sa bienfaisante influence dans la vie du chrétien, de la famille et de l’Église.