Synonymes du Nouveau Testament

56.
Ἁπλοῦς, ἀκέραιος, ἄκακος, ἄδολος
Simple, intègre, innocent, sincère

Ce groupe réunit quelques unes des grâces les plus excellentes du chrétien, ou plutôt, comme on le verra, il exprime la même grâce sous des images diverses, et seulement avec de légères teintes de différence réelle.

Ἁπλοῦς ne paraît que deux fois dans le N. T. (Matthieu 6.22 ; Luc 11.34) ; mais ἁπλότης, sept ou peut-être huit fois, et toujours dans les épîtres de St. Paul ; ἁπλῶς, une fois (Jacques 1.5). Il serait tout à fait impossible de renchérir sur le mot « simpleb », dérivé de ἁπλόω, « expando », « explico », ce qui est étendu, et partant, sans plis ou rides ; tout à fait opposé au πολύπλοκος de Job 5.13 ; comparez « simplex » (non, « sans plis », mais « n’ayant qu’un pli », car c’est « semel », non « sine », qui est au fond de la première syllabe ; en all. « einfältig », voyez Donaldson, Verronianus, p. 39) qui est son exact représentant en latin et un mot également en usage honorable. Cette notion de sincérité, de simplicité, d’absence de plis qui gît, selon son étymologie, dans ἁπλοῦς, prédomine aussi dans l’emploi qu’on en faitc — « animus alienus a versutia, fraude, simulatione, dolo malo, et studio nocendi aliis » (Suicer).

b – Une excellente note de Fritzsche (Comm. on the Rom., vol. 3, p. 64), prouve que ἁπλότης ne signifie jamais libéralité, par lequel nos traductions l’ont si souvent rendu. (Rilliet : Jacques 1.5 : simplement. Tr.)

c – Rappelons que le contraire de sincérité est duplicité. Je trouve aussi, en vieux français, doubler signifiant tromper. Dr A. Scheler.

Il est manifeste que tout cela est renfermé dans ἁπλοῦς, si l’on considère les mots avec lesquels nous le trouvons en rapport, tels que ἀπόνηρος ; (Theophrast.) ; γενναῖος (Plato, Rep. 361 b) ; ἄκρατος (Plutarch., De Comm. Not. 48) ; ἀσύνθετος, « incompositus », qui n’est pas fait de diverses pièces (Id. ib. ; Basil., Adv. Eunom. 1.23) ; μονότροπος (Id. Nom. in Prin. Prov. 7) ; σαφής (Alexis, dans les Fragm. Com. Græc. p. 750 de Meineke). Mais cela est encore plus apparent par l’examen des mots auxquels ἁπλοῦς est opposé, tels que ποικίλος (Plat., Theœt. 146 d) ; πολυειδής (Phœdrus, 270 d) ; πολύτροπος (Hipp. Min. 364 e) ; πεπλεγμένος (Aristot., Poët. 13) ; διπλοῦς (ib) ; παντοδαπός (Plut., Quom. Ad. ab Am. 7). Ἁπλότης (voy. 1 Maccabées 1.37) est de la même manière uni à εἰλικρίνεια (2 Corinthiens 1.12), à ἀκακία (Phil., Opif. 41) ; les deux mots étant employés indistinctement dans les Septante pour rendre le terme hébreu que nous traduisons tantôt par « intégrité » (Psaumes 7.8 ; Proverbes 19.1), tantôt par « simplicité » (2 Samuel 15.11). Ἁπλότης s’associe encore à μεγαλοψυχία (Joseph, Antiqu. 7.13), et à ἀγαθότης (Sagesse 1.1). Il est opposé à ποικιλία (Plato. Repub. 404 e), à πολυτροπία, à κακουργία (Théophylacte), à κακοήθεια (Théodoret), à δόλος (Aristoph., Plut. 1158). On peut remarquer de plus que תָם (Genèse 25.27), que les Septante traduisent par ἄπλαστος, Aquila l’a rendu par ἁπλοῦς. Comme cela arrive au moins à l’un des autres mots du groupe et à une foule d’autres encore qui expriment la même qualité morale, ἁπλοῦς est souvent employé pour signifier une sotte simplicité, indigne du chrétien qui, avec toute sa simplicité, doit être encore φρόνιμος (Matthieu 10.16 ; Romains 16.19). Basile-le-Grand emploie ἁπλοῦς dans cette acception, Ép. 58.

Ἀκέραιος, qui n’est pas dans les Septante, ne paraît que trois fois dans le N. T. (Matthieu 10.16 ; Romains 16.19 ; Philippiens 2.15). Le mot n’est pas identique avec ἀκέρατος, dérivé de et de κέρας (cf. κεραΐζειν, « lædere »), sans corne pour pousser ou blesser — erreur dans laquelle Bengel lui-même est tombé quand il écrit sur Matthieu 10.16 : ἀκέραιοι, sine cornu, ungula, dente, aculeo. » La notion fondamentale d’ἀκέραιος, comme d’ἀκήρατος, qui a la même dérivation (de et de κεράννυμι, c’est l’absence de tout mélange étranger : ὁ μὴ κεκραμένος κακοῖς ἀλλ᾽ ἁπλοῦς καὶ ἀποίκιλος (Étym. Mag.). C’est ainsi que Philon parlant d’une faveur que Caligula accorda aux Juifs, mais qui était accompagnée de deux conditions, l’appelle χάρις οὐκ ἀκέραιος, faisant manifestement allusion à l’étymologie que nous indiquons (De Leg. ad Cai. 42) ; « ὅμως μέντοι καὶ τὴν χάριν διδούς ἔδωκεν οὐκ ἀκέραιον ἀλλ᾽ ἀναμίξας αὐτῇ δέος ἀργαλεώτερον. » Platon joint le mot à ἀβλαβής (Rep. 1.432.b), et à ὀρθός (Polit, 268.b), Plutarque à ὑγιής (Adv. Stoic. 31) ; Clément de Rome (1 Corinthiens 2) à εἰλικρινής. Une chose, pouvons-nous dire, est ἀκέραιος quand elle est dans sa condition vraie et naturelle (Joseph., Ant. 1,2, 2) « integra ». ὁλόκληρος ici ἄκακος, quoique la plénitude dans toutes ses parties soit l’idée qui prédomine dans ce dernier mot, et non, comme dans le précédent, l’absence d’éléments perturbateurs.

Le mot que nous avons ensuite à considérer, ἄκακος, apparaît seulement deux fois dans le N. T. (Hébreux 7.26 ; Romains 16.18). Il y a trois degrés dans son histoire ; deux sont assez marqués par l’usage du mot dans les deux passages ci-dessus ; quant au troisième il faut le chercher ailleurs. Ainsi dans Hébreux 7.26, ἄκακος réclame pour Christ le Seigneur cette absence de tout mal qui implique la présence de tout bien, étant placé dans notre passage au milieu des plus nobles épithètes. La version des Septante, qui connaît tous les usages d’ἄκακος, l’emploie quelquefois dans ce sens le plus élevé ainsi dans Job 8.20, ἄκακος est opposé à ἀσεβής ; et dans Psaumes 24.21, il est joint à εὐθής comme Plutarque l’unit à σώφρων (Quem. in Virt, Prof, 7). A son second degré, le mot exprime la même absence de tout mal, mais envisagée à un point de vue plutôt négatif que positif ; ainsi ἀρνίον ἄκακον (Jérémie 11.19) ; παιδίσκη νέα καὶ ἄκακος (Plutarch., Virt. Mul. 23). Le N. T. ne fournit aucun exemple de ce mot à ce second degré. La marche par laquelle ἄκακος en vient à signifier « trompé facilement, » et « trompé trop facilement, » et ἀκακία à exprimer la simplicité dégénérant en excès (Arist., Rhet. 2.12), n’est pas difficile à découvrir. Celui qui ne songe point, pour son compte, à faire du mal aux autres, souvent n’en craint point de leur part ; ayant conscience de la vérité qui est dans son cœur, il croit à la vérité dans le cœur de tous : noble qualité, mais qu’on peut exagérer dans un monde comme le nôtre, où, si nous devons être des enfants quant à la malice, nous devons être des hommes quant à l’entendement (1 Corinthiens 14.20) : « Simples quant au mal », et cependant « sages quant au bien » (Romains 16.19). Ἄκακος, tel qu’il est employé, Romains 16.18, indique déjà cette confiance qui commence à dégénérer en une crédule disposition à se laisser tromper et entraîner loin de la vérité (θαυμαστικοὶ καὶ ἄκακοι Plutarch., De Rect. Rat. Aud. 7 ; cf. Sagesse 4.12 ; Proverbes 1.4 ; 14.15, ἄκακος πιστεύει παντὶ λόγῳ). Quant au sens d’ἄκακος impliquant en quelque sorte mépris voy. Platon, Tim. 91.d, et la note de Stallbaum ; mais surtout, lisez les paroles que l’auteur du second Alcibiade met dans la bouche de Socrate (140.c) : τοὺς μὲν πλεῖστον αὐτῆς ἀφροσύνης μέρος ἔχοντας μαινομένους καλοῦμεν τοὺς δ᾽ ὀλίγον ἔλαττον ἠλιθίους καὶ ἐμβροντήτους. οἱ δὲ ἐν εὐφημοτάτοις ὀνόμασι βουλόμενοι κατονομάζειν οἱ μὲν μεγαλοψύχους οἱ δὲ εὐήθεις ἕτεροι δὲ ἀ κάκους καὶ ἀπείρους καὶ ἐνεούς.

La deuxième et la troisième de ces significations d’ἄκακος s’entre-pénètrent tellement et ne sont séparées que par une différence si légère, qu’il n’y a rien d’étonnant que quelques-uns trouvent plutôt deux degrés que trois dans l’emploi du mot, Basile-le-Grand, par exemple, dont il vaut la peine de citer les paroles (Hom. in Princ. prov. 11) : Διττῶς νοοῦμεν τὴν ἀκακίαν Ἢ γὰρ τὴν ἀπὸ τῆς ἁμαρτίας ἀλλοτρίωσιν λογισμῷ κατορθουμένην καὶ διὰ μακρᾶς προσοχῆς καὶ μελέτης τῶν ἀγαθῶν οἷόν τινα ῥίζαν τῆς κακίας ἐκτεμόντές κατὰ στέρησιν αὐτῆς παντελῆ τὴν τοῦ ἀκάκου προσηγορίαν δεχόμεθα. ἢ ἀκακία ἐστὶν ἡ μή πω τοῦ κακοῦ ἐμπειρία διὰ νεότητα πολλάκις ἢ βίου τινὸς ἐπιτήδευσιν ἀπείρων τινῶν πρός τινας κακίας διακειμένων Οἷον εἰσί τινες τῶν τὴν ἀγροικίαν οἰκούντων οὐκ εἰδότες τὰς ἐμπορικας κακουργίας οὐδὲ τὰς ἐν δικαστηρίῳ διαπλοκάς Τοὺς τοιούτους ἀκάκους λέγομεν οὐχ ὡς ἐκ προαιρέσεως τῆς κακίας κεχωρισμένους ἀλλ᾽ ὡς μή πω εἰς πεῖραν τῆς πονηρᾶς ἕξεως ἀφιγμένους.

Nous comprenons l’innocence de deux manières. Une aliénation complète d’avec le péché avec des pensées droites, par une attention soutenue aux bonnes choses, comme ceux qui coupent la racine du même vice. Ou bien l’innocence consiste dans l’inexpérience du mal, de ceux qui sont jeunes, ou de ceux qui mènent une certaine vie n’ont pas idée du mal. Nous appelons donc innocents, non pas ceux qui se sont séparés volontairement du mal, mais ceux qui n’en ont pas l’expérience.

D’après tout ceci on peut voir que ἄκακος a suivi, de fait, le même chemin et qu’il a la même histoire que ἁπλοῦς et εὐήθης, auxquels il est souvent allié (comme dans Diodore de Sicile 5.66), et que nos termes « bon » (Jean le Bon c-à-d l’étourdi), « bonhomie, » « sot, » « simple » « einfältig, » « gütig, » et beaucoup d’autres.

Le dernier mot de ce beau groupe, ἄδολος, ne se rencontre qu’une fois dans le N. T. (1 Pierre 2.2) ; la version anglaise l’a très bien traduit par « sincère », « le lait sincère de la parole », c’est à dire, selon le sens primitif du mot : non mélangé, non falsifié. Comparez pour le lait de la parole qui ne serait pas pur, 2 Corinthiens 4.2. Ἄδολος n’existe point dans les Septante, mais ἀδόλως y est une fois (Sagesse 7.13). Platon le joint à ὑγιής (Ep. 8.355.e) ; Philémon (Meineke, Fragm. Græc. Com., p. 543) à γνήσιος. Il est difficile et, à vrai dire, impossible de revendiquer pour ce mot, dans le domaine de la morale, une place sur laquelle les autres mots n’aient pas empiété, ou plus exactement qu’ils n’aient déjà occupée. Nous ne pouvons considérer ἄδολος que comme l’expression de la même grâce excellente sous une autre image ou envisagée d’un autre côté ; en ce sens que si ἄκακος n’a rien de la dent du serpent, ἄδολος n’a rien de sa ruse ; si l’absence de la volonté de faire le mal, ainsi que l’absence de la malice de notre nature déchue, est affirmée par ἄκακος, l’absence de toute fraude, de toute tromperie est affirmée par ἄδολος, ce Nathanaël « en qui il n’y a point de fraude » (Jean 1.48). Enfin, pour tout résumer, nous pouvons dire que, de même que l’ἄκακος (« innocens ») ne recèle rien de nuisible et l’ἄδολος (« sincerus ») point d’astuce, de même l’ἀκέραιος (« integer ») n’a point de mélange, et l’ἁπλοῦς (« simplex »), point de plis.

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