Le chapitre cinquante-troisième des révélations du prophète Esaïe, est une prophétie si juste, si suivie et si particularisée de l’abaissement et de la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il ne faut pas s’étonner si les rabbins font tous leurs efforts pour ôter cet appui à notre foi.
Les uns soutiennent que cet oracle regarde Jérémie, ou quelque autre prophète. Les autres disent que c’est du peuple d’Israël qu’Esaïe parle en cet endroit, et qu’il prédit l’abaissement et la misère de ce peuple pendant cette dernière captivité où il se trouve maintenant. Les autres sont contraints de feindre qu’il y aura deux Messies : l’un fils de Manassé, qui doit souffrir beaucoup, et succomber dans le combat qu’il doit avoir avec Gog et Magog ; l’autre fils de Juda, glorieux et triomphant, qui élèvera sa nation au comble de la prospérité ; et que c’est la venue de ces deux Messies qui est marquée dans l’oracle d’Esaïe. Mais rien n’est plus mal imaginé que toutes ces défaites.
Il y aurait certainement de l’extravagance à le rapporter à Jérémie. Car pourquoi le Saint-Esprit prendrait-il le soin de nous marquer la naissance, la vie, la mort, l’abaissement, la gloire, la sépulture et la résurrection d’un prophète, qui est même inférieur à plusieurs autres qui l’ont devancé ? En quoi sa durée ou sa génération est-elle différente d’une génération ou d’une durée ordinaire, pour obliger le prophète à s’écrier : Qui racontera sa durée, ou sa génération ? car l’un ou l’autre de ces deux termes peut avoir lieu. Comment pouvait-on dire de Jérémie : Et par sa plaie nous avons guérison ? Est-ce que le prophète maltraité par les Juifs devait leur procurer la paix et la santé par ses blessures ? Et n’est-ce pas au contraire ce mauvais traitement qui devait attirer les jugements de Dieu sur ce peuple ? Peut-on dire que Jérémie en a justifié plusieurs par la connaissance qu’ils ont eue de lui ? Et n’est-ce pas au contraire par le nom d’un autre, à savoir de Dieu, ou du Messie, que ce prophète pouvait sanctifier et justifier les hommes ? Enfin, qui est-ce qui oserait dire de Jérémie, qu’il a mis son âme en oblation pour le péché, qu’il s’est vu de la semence après sa mort, qu’il a porté les péchés des hommes, et qu’il a intercédé pour ceux dont il avait chargé les péchés, avec tant d’autres choses qui sont marquées dans cette prophétie, et dont il paraît si évidemment que l’on ne saurait faire l’application ni à Jérémie, ni à aucun des autres prophètes qui ont vécu depuis Esaïe, qu’il serait tout à fait inutile de s’y arrêter plus longtemps ?
Il n’est pas plus raisonnable d’appliquer cet oracle au peuple des Juifs, considéré dans l’état où il se trouve aujourd’hui, et de dire que c’est cette triste servitude dans laquelle il gémit depuis tant de siècles qui nous est marquée par cet état vil, abject et misérable d’un homme de douleurs, et sachant ce que c’est que la langueur. On veut que le prophète introduise les gentils parlant du peuple d’Israël, et tenant ce langage : Nous avons comme caché notre face arrière de lui, tant il était méprisé, et nous ne l’avons rien estimé. Toutefois il a porté nos langueurs, et a chargé nos maladies, c’est-à-dire, selon leur explication, il a été affligé des maux que nous avions mérité de souffrir. Mais il ne faut que considérer exactement toutes les paroles de cette prophétie, pour voir que cet oracle ne regarde point le peuple des Juifs, et pour détruire une spéculation qui est néanmoins le grand fort des rabbins sur ce sujet.
Qui a cru à notre prédication, dit le prophète, et à qui a été révélé le bras de l’Éternel ?
Ces paroles ne sauraient être attribuées avec raison aux gentils, qui ne prêchent point, et qui encore moins font connaître le bras de l’Éternel.
Car, ajoute-t-il, il est monté comme un surgeon devant lui, et comme une racine sortant d’une terre qui a soif. Il n’y a en lui ni forme ni apparence, quand nous le regardons. Il n’y a en lui, à le voir, rien qui fasse que nous le désirions. Il est le méprisé et le débouté d’entre les hommes, homme plein de douleur, et sachant ce que c’est que la langueur ; et nous avons comme caché notre face arrière de lui, tant il était méprisé, et ne l’avons rien estimé.
Si c’est du peuple d’Israël que le prophète parle en cet endroit, il faut qu’il attribue de la bassesse et de l’obscurité à l’origine des Juifs, et qu’il prétende que ce peuple a été comme un surgeon qui sort d’une terre sèche et stérile ; ce qui ne peut convenir à un peuple, qui, dans ses commencements et dans ses principes, est le plus glorieux et le plus magnifique qui fut jamais, ayant été séparé et distingué des autres en la personne d’Abraham son premier père, honoré des promesses de l’alliance et de tant d’effets glorieux de la protection divine, qu’il éprouva du temps de Moïse, et qui nous donne lieu de dire qu’il n’y eut jamais de peuple plus illustre dans ses commencements, que l’a été celui-ci. D’ailleurs, qui est-ce qui dit ces paroles ; Nous avons caché notre face arrière de lui ; nous ne l’avons rien estimé ? Si ce sont les gentils qui tiennent ce langage, il faut aussi que ce soient les gentils qui aient dit ci-dessus : Qui a cru à notre prédication, et à qui a été révélé le bras de l’Éternel. Ce qui fait revenir l’inconvénient que nous avons déjà marqué. Mais continuons d’examiner les paroles du prophète.
Si est-ce qu’il a porté nos langueurs, et chargé nos douleurs : et quant à nous, nous avons estimé que lui étant ainsi frappé, était battu de Dieu et affligé. Or, il était navré pour nos forfaits, et froissé pour nos iniquités. L’amende qui nous apporte la paix est sur lui, et par sa meurtrissure nous avons guérison. Nous avons été tous errants comme brebis. Nous nous sommes détournés chacun en son propre chemin ; et l’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous.
Avec quelle apparence de raison peut-on dire du peuple juif, qu’il a porté les douleurs des gentils, ou qu’il a été chargé de leurs péchés ? Les rabbins soutiennent que le dessein du prophète est simplement de dire que le peuple d’Israël avait souffert lorsque le peuple païen avait mérité d’être puni ; comme si nous disions que l’innocent paie pour le coupable, ou que les gens de bien portent la peine des méchants, non pour marquer que les uns souffrent proprement en la place des autres, mais pour dire simplement que les bons souffrent, quoique les méchants méritassent de souffrir. Mais ils le soutiennent sans raison, étant certain que c’est dans un sens propre et véritable que cet homme de douleurs souffre en la place des autres, comme il paraît par cet amas d’expressions synonymes, dont les unes expliquent les autres : Il a porté nos douleurs. Il a été navré pour nos forfaits. L’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous. L’amende qui nous apporte la paix est sur lui, et par sa meurtrissure nous avons guérison. Expressions qui marquent évidemment une imputation et un transport de peine. Le prophète aurait-il pu introduire les nations tenant un pareil langage ? Avec quelle apparence pourrait-on dire que la meurtrissure et les afflictions du peuple d’Israël, tourmenté et persécuté, font la guérison et la paix des gentils qui le tourmentent et qui le persécutent.
Chacun lui demande, poursuit le prophète, et il en est affligé. Toutefois il n’a point ouvert sa bouche. Il a été mené à la tuerie comme un agneau, et comme une brebis muette devant celui qui la tond : même il n’a point ouvert sa bouche.
Avec quel front les maîtres des Juifs osent-ils appliquer ces paroles à leur peuple, considéré dans l’abaissement et dans la servitude où nous le voyons aujourd’hui ? Où est cette patience et cette débonnaireté tant vantée par le prophète ? Je ne sais si l’on veut que nous la reconnaissions dans les malédictions ordinaires qu’ils prononcent contre les gentils, et parce qu’ils se considèrent comme dans un état de mort, depuis que leur patrie ayant été désolée par Vespasien, ils ont été en quelque façon les esclaves de toutes les nations. Il faudra dire, pour prendre cette prophétie dans leur sens, que leur dernière désolation a été le sacrifice de cette innocente victime dont il y est parlé, ou la langueur et la mort de celui qui a mis son âme en oblation pour le péché, et regarder par conséquent ces mêmes Juifs, qui, après avoir provoqué les Romains, s’égorgèrent les uns les autres dans l’enceinte de leur temple et de leur ville par une exécrable fureur, comme un agneau innocent, et comme une brebis muette qu’on traîne à la boucherie, sans qu’elle ouvre la bouche pour se plaindre.
Il a été enlevé de la force de l’angoisse et de la condamnation. Mais qui racontera sa durée ? Car il été retranché de la terre des vivants, et la plaie lui est avenue pour le crime de mon peuple.
Qu’est-ce que voudrait dire le prophète, si l’application que l’on veut faire de ces paroles au peuple juif d’aujourd’hui pouvait avoir lieu ? Comment ce peuple a-t-il été retranché de la terre des vivants ? et surtout, comment la plaie est-elle avenue au peuple de Dieu pour le forfait de son peuple ? Quelles extravagantes interprétations sont cela ? Qui ne voit qu’il s’agit en cet endroit, non du peuple de Dieu, mais de quelqu’un qui a souffert pour le peuple de Dieu ?
Or, on avait ordonné son sépulcre entre les méchants ; mais il a été avec le riche en sa mort. Car il n’avait point fait d’outrage, et il ne s’est point trouvé de fraude en sa bouche.
Voici un admirable sens, selon l’explication rabbinique : On avait ordonné le sépulcre du peuple d’Israël avec les méchants ; mais il a été avec le riche en sa mort ! Mais quand il aurait dans ces paroles, ainsi expliquées, un sens raisonnable, comment serait-il vrai que le peuple juif, ce peuple que nous connaissons tous, et considéré tel qu’il vit aujourd’hui, n’a point fait d’outrage, et qu’il ne s’est point trouvé de fraude en sa bouche, puisque l’expérience nous fait voir que, non seulement les Juifs sont capables de fraude, mais qu’ils se font moins de scrupule de tromper que toutes les autres nations, et que les rabbins eux-mêmes sont obligés de dire que c’est pour les péchés de la nation que la venue du Messie est différée ?
Toutefois l’Éternel l’ayant voulu froisser, il l’a mis en langueur. Après que son âme aura été mise en oblation pour le péché, il se verra de la semence ou de la postérité ; il prolongera ses jours ; et le bon plaisir de l’Éternel prolongera ses jours, et le bon plaisir de l’Éternel prospérera en sa main. Il jouira du labeur de son âme, et en sera rassasié ; et mon serviteur juste en justifiera plusieurs par la connaissance qu’ils auront de lui, et lui-même chargera leurs iniquités.
Il est presque superflu de montrer que tous ces caractères ne sauraient convenir au peuple juif d’aujourd’hui. Il n’a point d’âme qu’il veuille donner pour le péché des autres. Il ne met point son âme en oblation, puisque c’est là une action volontaire, et que les souffrances des Juifs sont très involontaires. Que le peuple d’Israël se doive voir de la semence ou de la postérité après sa mort, est une proposition absurde et incompréhensible ; puisque encore que les particuliers meurent, le peuple ne meurt point, et qu’il doit attendre la venue du Messie sans mourir ; et il est très faux que le peuple d’Israël doive ou puisse justifier plusieurs par la connaissance qu’ils auront de lui.
Pourtant je le partagerai parmi les grands, et il partagera le butin avec les puissants, pour ce qu’il aura répandu son âme à la mort, qu’il aura été au rang des transgresseurs, et que lui-même aura porté les péchés de plusieurs, et aura intercédé pour les transgresseurs.
Comme ce n’est guère l’intention des Juifs qui vivent aujourd’hui d’intercéder pour nous, de porter nos péchés et de répandre leurs âmes pour nos transgressions, il est assez clair que la promesse qui est contenue dans ces dernières paroles ne les regarde pas.
On s’est étendu à réfuter cette spéculation des rabbins, parce qu’encore qu’elle n’ait aucune vraisemblance, c’est presque la seule à laquelle ils aient recours pour détourner la force de cet oracle, qui les inquiète et les embarrasse sans doute beaucoup, puisqu’ils sont obligés de lui donner un sens aussi peu naturel que celui-là.
Il y en a quelques-uns qui, pressés par l’évidence de la vérité, et par le témoignage des anciens rabbins, qui n’ayant pas tant raffiné sur les moyens d’éluder nos preuves, rapportent cet oracle au Messie, comme Aben Esra le reconnaît lui même, avouent qu’il s’agit dans cette prophétie du Messie qu’ils attendent ; mais pour mettre à couvert leur religion, et choquer les fondements de la nôtre, il ont eu recours à cette fiction de deux Messies, l’un triste et affligé, l’autre glorieux et triomphant, qu’ils croient leur pouvoir servir de clef pour expliquer ce passage.
On doit regarder cette défaite comme un aveu forcé d’une vérité qui ne peut être ébranlée, et un hommage bien remarquable que les Juifs sont contraints de faire à la croix de notre Sauveur. Car n’est-ce pas une chose étrange que ces ennemis de notre foi se récrient si fort, lorsque nous leur parlons d’un Messie mort et crucifié pour nous, et que malgré leur endurcissement, ils soient contraints de reconnaître un Messie abject et souffrant.
La moitié de la question est par là décidée, et l’autre ne manquera pas de l’être bientôt. Les ennemis mêmes de notre Messie avouent qu’il est parlé d’un Messie dans cette prophétie. Il ne s’agit après cela que de savoir si c’est d’un seul Messie ou de deux Messies qu’il y est fait mention. Or il ne faut que savoir lire pour voir que c’est de la même personne qu’il est dit, premièrement, qu’il est abject et méprisé, un homme de douleurs, et sachant ce que c’est que la langueur ; et ensuite qu’il sera rassasié, qu’il fera prospérer le bon plaisir de Dieu, et qu’il sera partagé avec les puissants. Il est si vrai que c’est d’un homme, et non de plusieurs hommes que le prophète parle en ce chapitre, que c’est en conséquence de sa mort et de son abaissement que celui qu’il nous décrit doit être élevé et rassasié. Je voudrais bien qu’on me fit voir deux Messies dans ces paroles : Après que son âme aura été mise en oblation pour le péché, il se verra de la postérité, il prolongera ses jours, etc., paroles qui sont, à cet égard, au-dessus de toute subtilité et de toute chicanerie.
Que s’il ne faut chercher qu’un Messie dans la prophétie d’Esaïe, il est absolument impossible d’en faire l’application à un autre qu’à Jésus-Christ. Nous trouvons dans cet oracle dix caractères par lesquels le Messie nous est représenté, dont chacun en particulier ne saurait convenir qu’à Jésus fils de Marie, bien loin que l’assemblage de tous ces caractères puisse convenir à un autre qu’à lui. Car, 1° la liaison du premier et du second verset nous fait comprendre qu’il s’agit là d’un homme dont la bassesse empêcherait qu’on ajoutât foi à la prédication, et qu’on ne connût le bras de l’Éternel qui se révèle. Qui a cru à notre prédication, et à qui a été découvert le bras de l’Éternel ? car il est monté comme un surgeon devant lui, et comme une racine sortant d’une terre qui a soif. C’est ce que nous trouvons exactement accompli en Jésus-Christ. Il est certain qu’il est sorti d’une illustre famille, mais qui était tombée dans l’abaissement. C’est donc là comme un surgeon qui sort d’une terre qui a soif, et il est incontestable que la bassesse et les souffrances de Jésus-Christ ont été le principal obstacle qui a empêché la foule et le grand nombre de croire en lui. Les hommes, ne pouvant unir l’idée de Fils de Dieu et celle de crucifié, ont rejeté la prédication des apôtres. La croix de notre Messie est devenue le scandale du Juif et la folie du Grec. La foi, la prédication, et le bras de l’Éternel qui se révèle ont accompagné la bassesse et les souffrances de Jésus-Christ, et non celles d’aucun autre. C’est donc de Jésus-Christ, et non d’aucun autre, que le prophète parle maintenant.
2° Il nous est là parlé d’un homme qui porte les langueurs, et qui charge les douleurs des hommes, et qui cependant n’a ni force ni apparence, mais qui est rejeté, méprisé, dans la honte, la langueur et la souffrance. Jésus-Christ seul entre les hommes a déclaré, au milieu de la honte, de la bassesse et des afflictions, qu’il venait de donner son âme pour plusieurs. Jésus-Christ est donc le seul dont il soit parlé en cet endroit.
3° Le prophète fait mention d’un homme que l’on croyait méchant et malfaiteur, et qu’on estimait être battu et affligé de Dieu, lequel néanmoins a été navré pour les péchés des hommes, et qui, par sa meurtrissure, leur procure la paix et la guérison. Il n’y a que Jésus-Christ auquel ce caractère puisse convenir. Il n’y a donc que Jésus-Christ à qui l’on puisse faire l’application de cet oracle.
4° Il s’agit là, non seulement d’un homme qui souffre, et qui souffre pour le peuple, mais qui souffre avec une patience qui le fait ressembler à une brebis ou à un agneau. Il s’agit d’un homme qui est retranché de la terre des vivants, et qui est enlevé de la force de l’angoisse et de la condamnation. II n’y a que Jésus-Christ en qui il soit seulement permis d’imaginer l’union de toutes ces qualités qui paraissent si contraires. C’est donc de Jésus-Christ qu’il s’agit uniquement dans cette prophétie.
5° Voici un homme qui devait être enterré avec des malfaiteurs ; car on avait ordonné sa sépulture avec les méchants, lequel néanmoins s’est trouvé avec le riche en sa mort. Jésus-Christ est mort entre deux brigands, comme personne n’en disconvient, et il fut enterré par Joseph d’Arimathée, homme riche et considérable, comme les évangélistes le rapportent unanimement, sans qu’on puisse soupçonner qu’ils aient pu ou voulu inventer un fait de cette nature, s’il n’avait pas été véritable. Il n’y a donc que Jésus-Christ à qui cela soit arrivé. Il n’y a donc que Jésus-Christ dont il soit parlé dans cet oracle.
6° Esaïe fait mention d’un homme que l’Éternel avait voulu froisser et mettre en langueur pour les péchés de son peuple, bien que cet homme n’eût point fait d’outrage, et qu’il n’y eût point de fraude en sa bouche. Ni le monde, ni l’Église, ni le présent, ni le passé, ni le temps, ni les siècles, ni le ciel, ni la terre ne pourraient nous fournir un homme qui, ayant été parfaitement saint et juste, ait été, ou ait simplement prétendu être la victime expiatoire des péchés des hommes, ni même qui ait eu cette pensée, cette prétention, excepté Jésus-Christ. Il n’est donc parlé que de Jésus-Christ en cet endroit.
7° C’est ici un homme qui doit se voir une semence ou une postérité, après qu’il aura mis son âme en oblation. On a bien vu, et l’on voit tous les jours des vivants engendrer des morts, ou des personnes qui viennent au monde en état de mort ; mais jamais on ne vit un mort engendrer des vivants. Jésus-Christ seul, après sa mort, et même par sa mort, se fait un nombre infini d’enfants, qui entrent dans la famille de Dieu après avoir été justifiés et sanctifiés, ou, si l’on veut, Jésus-Christ seul le prétend, Jésus-Christ seul acquiert par sa mort un nombre presque infini de disciples auxquels il donne le nom d’enfants. Il n’y a donc que Jésus-Christ que cette prophétie regarde.
8° Il n’y a que Jésus-Christ qui, par sa mort, puisse paraître travailler à l’avancement de la gloire de Dieu, à faire prospérer son bon plaisir, et se mettre en état de jouir du labeur de son âme, d’en être rassasié, et en même temps de sauver les autres. Il n’y a donc que Jésus-Christ que nous devions chercher dans cet oracle.
9° Jésus-Christ seul justifie les hommes par la connaissance qu’il leur donne de son nom, l’expérience nous faisant voir que les hommes renoncent à leurs passions par la foi qu’ils ont en lui ; ce qui lui est propre, et qui ne convient à aucun autre. Il est donc vrai qu’il ne s’agit que de Jésus-Christ en cet endroit.
10° Voici un homme qui non seulement doit être élevé, mais qui doit l’être en conséquence de son abaissement ; qui doit être partagé parmi les grands, et obtenir le butin des puissants, parce qu’il aura répandu son âme à la mort, qu’il aura été tenu au rang des transgresseurs, et qu’il aura intercédé pour eux. Or, bien que plusieurs aient été élevés en gloire après leur abaissement, comme Joseph, qui s’assit à la droite de Pharaon, après avoir gémi dans une prison ; Moïse, qui fut le conducteur du peuple après l’avoir été d’un troupeau ; et David, qui monta sur le trône, après avoir été simple berger, et avoir échappé aux dangers de la guerre et à la fureur de Saül, il n’y en a aucun qui ait été élevé par le mérite de son abaissement, ou en considération de ses souffrances. Joseph, Moïse et David sont des types qui nous représentent un même Messie, premièrement méprisé et souffrant, et ensuite triomphant et glorieux. Mais cette différence, qui fait le dernier caractère de la prophétie, demeure toujours ; c’est que tous ces grands hommes avaient passé de la bassesse à la gloire, mais n’avaient point été élevés à cause et en considération de leur abaissement : ce qui est la gloire propre et incommunicable de Jésus-Christ, suivant les idées de notre religion. On ne trouvera point de sujet auquel l’on puisse attribuer ce caractère, si ce n’est Jésus-Christ. C’est donc de Jésus -Christ seul qu’il s’agit dans cette prophétie.
Que si chacun de ces caractères semble suffire à nous faire connaître le Messie, par le parfait et admirable rapport que nous trouvons entre la prophétie et l’événement, on doit croire que l’amas de ces caractères forme à cet égard une démonstration très claire et très évidente à ceux qui conservent quelque goût pour la vérité, et qui ne sont pas entièrement aveuglés par leurs passions.
Certainement si les Juifs ne veulent point convenir que ce soient là les caractères du Messie, ils sont obligés de nous dire, premièrement, quel est le sujet de cette prophétie ; car tous les traits en sont remarquables. Il s’agit du salut d’un peuple, d’une prédication, d’un bras révélé, d’un bon plaisir de Dieu qui prospère, d’un homme chargé des péchés du peuple, et que l’on croit être frappé de Dieu, des hommes justifiés, d’une postérité qui doit paraître ; effets sensibles, caractères remarquables, et qui ne sauraient demeurer cachés et inconnus. Et il faut, en second lieu, qu’ils nous fassent voir dans l’Écriture des prophéties qui marquent plus distinctement un Messie, un homme divin et extraordinaire, qui doit glorifier Dieu, et sauver les hommes, que ne fait celle-ci.
Que s’ils reconnaissent, comme ils sont enfin obligés de le reconnaître, que ce sont ici des caractères du Messie, il faudra qu’ils avouent de deux choses l’une, ou que Jésus, fils de Marie, auquel ces caractères conviennent si parfaitement, est le vrai Messie marqué par les prophètes, ou que Jésus, fils de Marie, a dérobé au Messie ses vrais caractères ; ce qui serait de toutes les extravagances la plus grande. Ce serait supposer que la sagesse de Dieu peut être trompée, que le mensonge peut rompre ses mesures, qu’un imposteur peut être revêtu de tous les caractères d’une véritable mission, et par conséquent que les hommes feraient bien de prêter créance à un imposteur, par le rapport visible et incontestable qu’il aurait avec les anciens oracles ; ou qu’ils feraient bien de rejeter les oracles de l’Écriture qui donneraient créance à un imposteur.
Ce n’est pas seulement les Juifs qui trouvent un juste sujet de conviction, les autres incrédules n’y voient aussi rien qui ne les confonde. Il est impossible qu’ils ne tombent dans une juste surprise, lorsqu’ils considèrent la prophétie, l’événement, et l’admirable rapport qui est entre l’un et l’autre.
La prophétie est très certainement d’Esaïe, et précède sans aucune contestation la venue de Jésus-Christ au monde. Elle est si extraordinaire et si singulière dans les circonstances qu’elle renferme, qu’il ne paraît point qu’elle ait pu tomber dans l’esprit d’un homme. Car si Esaïe était tel que l’incrédulité se l’imagine ordinairement, et qu’il n’eût aucune idée, par exemple, de la résurrection des morts, comme quelques impies le soutiennent des anciens prophètes, aussi bien que des anciens patriarches, comment est-il tombé dans l’esprit d’Esaïe, que celui qu’il nous a décrit comme un homme si abject et si misérable, ressusciterait après avoir mis son âme en oblation ? En effet, vous ne sauriez douter qu’il ne prédise sa mort. C’est ce qu’il dit en trois ou quatre diverses manières. Il a été retranché de la terre des vivants. Quand son âme aura été mise en oblation pour le péché. Sa sépulture avait été assignée avec les méchants. Pour ce qu’il aura répandu son âme à la mort. Et l’on peut douter aussi peu que sa résurrection ne soit prédite dans le même endroit, puisque c’est de cet homme qui aura mis son âme en oblation, qui aura répandu son âme, qui aura été avec le riche en sa mort, et qui aura été retranché de la terre des vivants, qu’il est dit qu’il se verra de la postérité, et non seulement cela, mais encore qu’il prolongera ses jours, qu’il jouira du labeur de son âme, qu’il fera prospérer le bon plaisir de l’Éternel, qu’il justifiera les hommes, qu’il aura le partage des puissants, ou des grands, qui est une phrase hébraïque, pour dire qu’il sera bien partagé. Tout cela suppose un sujet vivant. Tout cela est attribué à un homme qui doit mourir, et comme une suite de sa mort. Il n’y a donc rien de plus clairement marqué que sa résurrection. La résurrection des morts tombe-t-elle facilement dans l’esprit d’un prophète qu’on suppose n’en avoir aucune idée ?
Si les déistes ne veulent point prêter leurs préjugés à ce prophète, que les Juifs d’aujourd’hui lui attribuent les leurs, nous y consentons pour un moment. Esaïe, selon cette supposition, se sera représenté le Messie qui devait venir, comme un monarque glorieux et triomphant, qui devait vaincre sans résistance, triompher sans effort, assujettir tout l’univers, et donner aux Juifs les rois de la terre pour nourriciers et leurs princesses pour nourrices ; car c’est ainsi que ce prophète s’exprime en quelque endroit de ses révélations, et les Juifs veulent qu’il y parle proprement. Est-il naturel de se représenter un monarque glorieux et triomphant sous l’idée d’un surgeon, d’un homme méprisé, rejeté, d’un homme de douleurs, etc., et de marquer si précisément sa mort et ses souffrances ?
Ne considérons point Esaïe comme préoccupé de l’opinion littérale qui a lieu maintenant parmi les Juifs ; considérons-le comme disciple de Moïse et des prophètes qui l’avaient devancé. Où sont les prophètes qui ont parlé si clairement avant lui d’une propitiation des péchés par le sacrifice d’un homme divin ? D’où avait-il pris ces idées de l’union de la gloire et de la bassesse du Messie, de mépris du côté des hommes, et de prospérité du côté de Dieu, de connaissance et de justification, de prédication et de bras de l’Éternel, de mort et de prolongation de jours ? Car ces idées sont certainement fort extraordinaires ; et comme, par la sagesse de Dieu, la révélation est allée en croissant, il est certain que les écrivains sacrés n’avaient jamais parlé en ces termes.
Enfin, je consens qu’on le considère comme éclairé par les lumières de la raison, après l’avoir considéré comme instruit dans l’Écriture ; il est inconcevable qu’Esaïe puisse avoir prononcé cet oracle, à moins qu’il n’ait été inspiré divinement. La raison n’invente point d’elle-même tant de circonstances qui paraissent contraires les unes aux autres ; l’imagination n’a point de part à des paradoxes qui paraissent élevés, non seulement au-dessus de sa portée, mais même au-dessus de celle de l’esprit. Ce n’est point le désir d’inventer des choses agréables qui fait faire un si triste portrait d’un Messie ardemment attendu. Le hasard ne peint pas tant d’idées si différentes dans l’esprit avec des prédictions si suivies, si raisonnées et si circonstanciées. De sorte que nous ne voyons point de principe auquel nous puissions rapporter cet oracle, si ce n’est le Saint-Esprit.
Que s’il n’y a rien de suspect dans la prophétie, encore moins y en a-t-il dans l’événement. On ne peut point soupçonner de supposition les faits sur lesquels nous fondons l’accomplissement de cette prophétie. Les évangélistes ne nous ont sans doute point trompés lorsqu’ils nous ont marqué le profond abaissement de Jésus-Christ ; et quand on refuserait de les croire, on serait obligé d’ajouter foi aux reproches que les ennemis mêmes de Jésus lui font à cet égard, lui reprochant ce qui fait un des caractères de sa vocation, je veux dire sa pauvreté et sa bassesse. On ne peut douter que Jésus-Christ n’ait souffert la mort. Il n’y a aucune apparence que la circonstance de sa sépulture soit supposée. Un mensonge aussi impudent que l’aurait été celui-là, pouvait et devait être trop tôt découvert. Personne ne doute que Jésus n’ait été crucifié entre deux brigands. C’est un fait connu par une heureuse expérience, que Jésus-Christ a eu un très grand nombre de disciples après sa mort, qui sont appelés ses enfants ou sa postérité, avec plus de raison que les disciples des prophètes ne sont appelés les enfants des prophètes. Chacun sait que plusieurs personnes ont quitté les idoles, et se sont attachées à l’étude de la sanctification, par la connaissance qu’elles ont eue de lui ; et comme il ne nous est pas permis de douter que le bon plaisir de Dieu ne soit de sauver les hommes, il n’y a point de doute aussi que celui qui a éclairé les nations par la prédication de son Évangile, n’ait fait prospérer le bon plaisir de Dieu : d’où je conclus que ce n’est point dans l’imagination des évangélistes, mais dans la vérité de la chose, que se trouve l’accomplissement de cet oracle. Mais s’il ne dépendait point de l’esprit des disciples, qui aussi bien étaient de pauvres et de simples pêcheurs, d’accommoder les événements à l’oracle, il faut ajouter qu’il dépendait beaucoup moins de Jésus-Christ lui-même, de s’accommoder ou de se proportionner à cette ancienne prédiction. Car quand on supposerait que Jésus-Christ, pour se rendre conforme à cette prophétie, aurait adopté, pour ainsi dire, l’opprobre et la bassesse, était-il le maître de toutes les circonstances de sa vie, et de l’esprit de ceux qui le contredisaient, de sa mort, de sa sépulture, de ce qui devait arriver après sa mort ? Est-ce par son conseil qu’on l’attacha à la croix entre deux brigands ? Avait-il prié avant que de mourir Joseph d’Arimathée d’ensevelir son corps dans le sépulcre qu’il avait taillé dans un rocher ? Avait-il le pouvoir de se ressusciter, après avoir eu le courage de souffrir une mort volontaire ? Le cœur des hommes était-il en sa main pour les convertir après sa mort, et faire ainsi prospérer le bon plaisir de Dieu ? Et dépendait-il de lui de justifier par la connaissance de son nom, des gens qui n’avaient jamais ouï parler de lui ?
Ce n’est ni l’événement ni la prophétie qui doivent nous surprendre, mais bien la proportion qui est entre l’un et l’autre, et qui est telle, que la prophétie paraît être un Évangile, et l’Évangile une prophétie répétée et retracée. Le rapport y est admirable ; tout s’y ajuste, tout s’y suit, tout s’y unit. Car je ne crois pas devoir m’arrêter à deux ou trois remarques de critique que les rabbins opposent à cette vérité.
Ils disent que le prophète parle d’un homme infirme, et que Jésus-Christ n’avait aucune infirmité ni aucune langueur naturelle ; qu’il était sain et vigoureux, et qu’il ne mourut que d’une mort violente. On répond que la langueur, dont il est parlé dans cet oracle, est accidentelle et volontaire, comme ces paroles le font connaître : Il l’a mis en langueur, et qu’il s’agit visiblement dans cet endroit, non des afflictions de la nature, mais des souffrances infligées comme peine du péché.
Ils ajoutent que Jésus-Christ n’a point prolongé ses jours, puisqu’il n’a vécu que trente-trois ans. On répond qu’il les a prolongés après sa mort, ayant obtenu l’éternité.
Ils demandent en quel sens Jésus-Christ a été partagé avec les puissants. On répond qu’il l’a été avec les rois et les princes des nations, qui se sont assujettis au sceptre de sa parole, ayant mis leurs sceptres à ses pieds. Ou si vous voulez, nous dirons que c’est une phrase hébraïque, qui signifie seulement en général que Jésus-Christ a été très bien partagé. Cela est trop petit pour mériter qu’on s’y arrête.
C’est cette proportion admirable de l’événement avec la prophétie, qui est si claire, si facile, et en même temps si sensible et si incontestable, qui convertit autrefois l’eunuque de la reine Candace, après que Philippe la lui eut fait connaître et sentir. Mais il ne se contenta pas de cet oracle, il parcourut les autres prophéties : et comme nous devons imiter son exemple, il est temps de passer à la considération des autres.