Eusèbe naquit probablement à Césarée même vers l’an 265, y fut élevé et y suivit les leçons scripturaires du prêtre Dorothée. Puis, ordonné prêtre par l’évêque Agapius, il se lia avec Pamphile et, avec lui, s’occupa d’enrichir de nouveaux manuscrits la bibliothèque de sa ville natale. On peut croire qu’il commença aussi dès cette époque à extraire des ouvrages qu’elle contenait les passages qui lui paraissaient les plus intéressants, et qui sont plus tard entrés dans ses propres œuvres.
La persécution de Dioclétien le surprit dans ces travaux. Elle emporta Pamphile en 309. Eusèbe la traversa indemne et il ne semble pas, malgré certaines accusations, que c’ait été aux dépens de sa conscience.
En 313, peu après l’édit de Milan, il fut élu évêque de Césarée. Dix ou douze ans se passèrent pendant lesquels il put écrire en paix les livres qui lui valurent la réputation d’être l’homme le plus savant de son temps. Malheureusement, la théologie d’Eusèbe n’était pas à la hauteur de son érudition. Partisan zélé d’Origène, il en avait plutôt retenu, sur le Verbe, quelques formules fâcheuses et, sans accepter les thèses violentes d’Arius, il partageait, au fond, sa façon de voir. Il souscrivit cependant au concile de Nicée : Constantin l’exigeait ; mais il s’efforça d’atténuer le sens de cette démarche et, dans la suite, s’unit aux ennemis du concile pour en combattre les décisions. Il assista au concile d’Antioche de 330 qui déposa Eustathe, à celui de Tyr de 335 qui condamna Athanase, à celui de Constantinople de 336 qui condamna Marcel d’Ancyre. Resté vigoureux jusqu’à la fin de sa vie, il continuait d’écrire ; mais il ne devait pas survivre longtemps à Constantin. Celui-ci mourut le 22 mai 337 ; la mort d’Eusèbe doit se placer en 339 ou, au plus tard, en 340.
Eusèbe paraît avoir été d’un caractère doux, agréable, ami surtout de la tranquillité et de la paix. Il en avait besoin pour ses études ; et l’on peut croire qu’un de ses griefs contre Athanase et les orthodoxes était qu’ils troublaient, par un zèle intempestif, le repos de l’Église. C’était un homme à concessions, qui oubliait qu’en matière de doctrine les concessions sont interdites. On l’a accusé, vis-à-vis de Constantin, d’adulation et de servilisme. Et il est certain, en effet, qu’il a beaucoup aimé et admiré Constantin : c’était un sentiment assez général parmi les chrétiens qui avaient traversé la persécution de Dioclétien, sentiment accru, chez Eusèbe, par l’estime dont il savait que l’empereur l’honorait lui-même. Au moins Eusèbe n’a-t-il point profité, pour ses intérêts, de la faveur dont il jouissait à la cour. Il a préféré, aux honneurs du siège d’Antioche qu’il aurait pu obtenir, les joies plus calmes de ses études à Césarée.
Eusèbe en effet a été un des plus grands liseurs et travailleurs que l’Église ait connus. Sacré ou profane, traités grands et petits, simples lettres, il a tout lu et fait des extraits de tout ce qu’il a pu se procurer. En théologie, il n’a été fort que dans sa réfutation du sabellianisme. Mais il a été bon apologiste. On peut même dire qu’il a été surtout apologiste, car même ses œuvres d’histoire devaient, dans sa pensée, fournir la preuve de la vérité du christianisme. Quant à son style, il est généralement terne, monotone, et sans beaucoup de vie. Ses discours d’apparat montrent qu’il connaissait les règles de la rhétorique : cependant son éloquence est toute de convention : il y manque le vrai souffle oratoire.
L’héritage littéraire d’Eusèbe comprend des ouvrages historiques — apologétiques — exégétiques et scripturaires — dogmatiques, — des discours et des lettres.
I. Histoire. Les ouvrages historiques d’Eusèbe sont :
1° Une Vie de Pamphile, le martyr de 309, en trois livres, que saint Jérôme qualifie de « libros elegantissimos ». Elle a été écrite en 309 ou 310 : il n’en reste qu’un court extrait.
2° Une relation Sur les martyrs de Palestine (Περὶ τῶν ἐν Παλαιστίνῃ μαρτυρησάντων). Eusèbe aurait souhaité que l’on recueillît un peu partout le souvenir des chrétiens morts pour la foi dans la persécution de Dioclétien (303-311). Il l’a fait lui-même dans cet ouvrage pour les martyrs de Palestine. On a cet écrit en deux rédactions : l’une, plus courte, imprimée généralement après le livre viii ou à la suite de l’Histoire ecclésiastique ; l’autre, plus longue, qui ne subsiste entière que dans une traduction syriaque. Toutes deux sont de la plume d’Eusèbe ; mais les critiques ne s’accordent pas sur celle qu’il faut mettre chronologiquement la première.
3° Une collection des Actes des anciens martyrs (Ἀρχαίων μαρτυρίων συναγωγή), c’est-à-dire des martyrs antérieurs à la persécution de Dioclétien. Cette collection, infiniment précieuse, a péri. Il s’en est conservé seulement quelques pièces, indépendamment d’Eusèbe, et des fragments ou résumés par son Histoire ecclésiastique. L’auteur avait dû la former avant l’an 303.
4° La Chronique. Imitée de celle de Jules Africain, mais mieux informée, elle présentait un tableau des événements du monde depuis la naissance d’Abraham jusqu’en 323 après Jésus-Christ. Une première partie fixait la chronologie ; une seconde partie relatait les événements à leur date. L’ouvrage s’est conservé entier dans une traduction arménienne un peu retouchée ; et la deuxième partie dans une traduction latine, remaniée et augmentée, de saint Jérôme.
5° L’Histoire ecclésiastique, le plus important et le plus cité des ouvrages d’Eusèbe. Les huit premiers livres paraissent avoir été achevés en 312 ; le livre ix a été ajouté en 315 ; une grande partie du livre x en 317, et enfin tout l’ouvrage a été revu et terminé en 324 ou peu après. Le livre i résume l’histoire de Notre-Seigneur ; le livre ii celle des apôtres jusqu’à la guerre de Judée ; les livres iii-v vont jusqu’à Origène ; à Origène est consacrée la presque totalité du livre vi ; le livre vii traite des quarante années qui vont de 260 à 300 ; le viiie aborde l’histoire contemporaine de l’auteur et la suit jusqu’en 411 ; les livres ix et x racontent les événements de 411 à 424.
La valeur de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe est inappréciable ; car c’est là qu’ont puisé les historiens postérieurs et, sans elle, les trois premiers siècles de l’Église nous seraient restés à peu près inconnus. Ce n’est pas à dire qu’elle soit parfaite. Telle qu’elle est, c’est plutôt un recueil de faits et d’extraits qu’une histoire suivie où les faits s’enchaînent et sont décrits avec leurs causes et leurs conséquences. Mais il faut peut-être s’en féliciter, puisque, de cette façon, l’auteur nous a livré en partie les textes mêmes qui constituaient ses sources. D’autre part, on n’a contesté ni la sincérité de l’historien ni même, dans l’ensemble, son esprit critique. Il est remarquable, en particulier, qu’il ait su si bien se tenir en garde contre la masse d’écrits apocryphes qui circulaient de son temps et qu’il connaissait bien. Mais Eusèbe ne savait que peu de latin, et cette ignorance l’a privé de bien des renseignements. Sa chronologie est souvent en défaut ; ses citations sont trop courtes, ce qui empêche d’en saisir parfois le sens exact ; surtout il manque de synthèse : c’est à trois ou quatre fois qu’il s’est repris pour parler du canon du Nouveau Testament, et nulle part il n’a traité complètement le sujet. L’Histoire ecclésiastique n’est donc pas sans défauts : elle n’en reste pas moins un livre de premier ordre.
6° Une Vie de Constantin (Εἰς τὸν βίον τοῦ μακαρίου Κωνσταντίνου), sorte de complément à l’Histoire ecclésiastique écrit entre 337 et 340. A vrai dire c’est plus un panégyrique qu’une relation complète et impartiale. L’auteur n’y envisage son héros que dans ses rapports avec la religion et avec l’Église, et n’a retenu de sa vie que les bonnes actions et les vertus. On y trouve cependant quelques données historiques précieuses.
II. Apologie.
1° et 2° La principale œuvre apologétique d’Eusèbe comprend les deux traités de la Préparation évangélique et de la Démonstration évangélique, qui sont comme les deux parties d’une composition unique. Le premier, en quinze livres, est dirigé contre le paganisme et démontre que ce paganisme est inférieur à la religion juive au point de vue de la doctrine, de l’influence morale et de l’antiquité : d’innombrables citations d’auteurs païens corroborent le raisonnement. Le second est dirigé contre les juifs, et établit par les prophéties que leur religion ne devait être qu’une préparation au christianisme. Sur les vingt livres que l’auteur avait consacrés à prouver cette thèse, nous n’en possédons plus que dix et un fragment assez long du livre xv. Les deux ouvrages datent de 315-325.
3° et 4° Outre ces deux traités, on connaît d’Eusèbe une Introduction générale élémentaire (Καϑόλου στοιχεώδης εἰσαγωγή), dont les livres vi-ix, entièrement conservés, forment un recueil des prophéties de l’Ancien Testament réalisées en Jésus-Christ ; puis une courte étude des prophéties faites par Jésus-Christ lui-même, qui est entrée plus tard dans la Théophanie dont elle forme le livre iv. La Théophanie en cinq livres, écrite après 323, peut-être vers 333, n’est guère qu’un résumé de la Démonstration évangélique dont elle reproduit des morceaux entiers. Elle n’existe complète que dans une version syriaque.
5° L’écrit Contre Hiéroclès est une réfutation du Philalète que ce gouverneur de Bithynie avait composé contre les chrétiens vers l’an 307. Le livre d’Eusèbe, qui doit être de 311-313, s’attaque surtout à la vie d’Apollonius de Tyane qu’Hiéroclès comparait à Jésus-Christ.
6° et 7° Deux livres de Réponses et apologie signalés par Photius (cod. 13) sont perdus. Une réfutation de Porphyre en vingt-cinq livres, et qui était postérieure à 325, a péri également.
III. Travaux scripturaires.
Eusèbe a beaucoup étudié la Bible, et a contribué certainement à la faire mieux connaître ; mais c’est un commentateur médiocre. Son tempérament d’historien le portait naturellement vers l’exégèse littérale, pendant que l’influence d’Origène l’entraînait vers l’interprétation allégorique. C’est à cette dernière influence qu’il a plutôt cédé.
1° et 2° On ne connaît de lui que deux commentaires, l’un sur les Psaumes, qui fut traduit plus tard en latin par Eusèbe de Verceil, et dont il reste en grec des parties importantes ; et un commentaire sur Esaïe en dix ou quinze livres, dont nous avons seulement des fragments.
3° Sur la géographie palestinienne, Eusèbe, à la demande de Paulin de Tyr, par conséquent avant 331, écrivit quatre ouvrages dont le dernier seul s’est conservé : un traité sur les noms de peuples mentionnés dans la Bible et notamment dans la table ethnographique de la Genèse ; une description de la Palestine ancienne et de son partage entre les douze tribus ; un plan de Jérusalem et du temple ; et enfin l’Onomasticon, c’est-à-dire une liste des divers lieux et villes mentionnés dans la Bible, avec ce que l’on savait de leur situation et de leur histoire. Saint Jérôme a traduit et complété ce dernier ouvrage.
4°, 5° et 6° Deux opuscules, l’un Sur la polygamie et la fécondité des patriarches, l’autre, dédié à Constantin en 332, Sur la fête de Pâques ne sont connus que par des fragments. Un écrit plus considérable de Problèmes et solutions dans les Évangiles est connu surtout par un résumé qu’on en fit plus tard. L’auteur y résolvait les difficultés relatives aux récits de l’enfance, de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ.
7° Plus étudiés et plus utilisés que ces travaux ont été les Canons évangéliques, précédés de la Lettre à Carpianus. Le but de l’auteur dans ces Canons a été de mettre en évidence les récits parallèles des évangiles et d’en faciliter la recherche. Le partage des récits en un certain nombre de sections disposées sur des colonnes parallèles et accompagnées de numéros de renvoi permet de retrouver rapidement les passages correspondants de ces récits dans les autres évangiles. L’ouvrage, qui s’est conservé, a exercé une grande influence sur les harmonies évangéliques composées dans la suite.
IV. Dogme.
Eusèbe a laissé seulement deux traités dogmatiques, tous deux dirigés, en 337-338, contre Marcel d’Ancyre et son système : le Contra Marcellum, en deux livres, et le De ecclesiastica theologia, en trois livres. Très net dans son rejet du sabellianisme, Eusèbe l’est beaucoup moins dans l’explication de ses propres vues. Sa théologie imprécise se prêtait mal à un exposé vigoureux et clair.
V. Discours et lettres.
Des nombreux discours d’Eusèbe on n’a conservé que quelques discours d’apparat : le discours prononcé à Tyr en 314 ou 315 pour la consécration d’une basilique ; le discours prononcé à Constantinople le 25 juillet 335 pour les tricennalia de l’empereur ; un discours sur les martyrs (en syriaque) prêché à Antioche probablement. Quant au Discours de Constantin à l’assemblée des saints, donné en appendice à la Vie de Constantin, plusieurs le croient de la main d’Eusèbe lui-même, d’autres le croient de celle de l’empereur.
Enfin Eusèbe a dû sans doute écrire beaucoup de lettres ; mais il ne semble pas qu’on les ait jamais réunies. On a de lui seulement trois lettres entières : à Carpianus, à Flaccillus d’Antioche, à son église de Césarée ; quelques autres sont connues par des citations.