Il faut maintenant considérer l'acte de la volonté, qui est l'amour ou dilection, car tout acte de la puissance appétitive dérive de l'amour ou dilection.
- Y a-t-il chez l'ange une dilection naturelle ?
- Y a-t-il chez lui un amour électif ?
- S'aime-t-il lui-même d'un amour naturel ou d'un amour de choix ?
- Aime-t-il naturellement un autre ange comme lui-même ?
- Par un amour naturel, aime-t-il Dieu plus que lui-même ?
Objections
1. Il ne semble pas, car, d'après Denys, l'amour naturel s'oppose à l'amour intellectuel. Or l'amour de l'ange ne peut être qu'intellectuel.
2. Les êtres qui aiment d'amour naturel sont agis bien plus qu'ils n'agissent, car aucun être n'a la maîtrise de sa nature. Mais les anges ne sont pas agis, ils agissent puisqu'ils ont le libre arbitre, comme on l'a montré. Ils n'ont donc pas d'amour naturel.
3. Toute dilection est droite ou déviée. Mais la première relève de la charité, la seconde de l'iniquité. Or, ni l'une ni l'autre ne relève de la nature, puisque la charité est au-dessus d'elle et l'iniquité contre elle.
En sens contraire, l'amour découle de la connaissance car rien n'est aimé sans être connu, dit S. Augustin. Or les anges ont une connaissance naturelle ; il doit donc y avoir aussi chez eux une dilection naturelle.
Réponse
Il est nécessaire d'attribuer aux anges une dilection naturelle. En effet, ce qui est primordial (et général) dans une perfection se retrouve toujours en ses formes ultérieures (plus élaborées et plus particulières). Or, la nature est première par rapport à l'intelligence, puisque la nature d'une chose, c'est son essence. Ce qui appartient à la nature doit donc toujours demeurer, même chez les êtres intelligents. D'autre part, toutes les natures ont en commun de posséder une certaine inclination qui n'est autre que l'appétit naturel ou amour. Cette inclination se retrouve sous divers modes selon la diversité des natures. Dans la nature intellectuelle il y a une inclination naturelle volontaire ; dans la nature sensible une inclination sensible ; dans les natures matérielles une inclination correspondant à leur ordre naturel vers autre chose qu'elles-mêmes. Puisque l'ange est de nature intellectuelle, il y aura donc nécessairement dans sa volonté une dilection naturelle.
Solutions
1. L'amour intellectuel s'oppose seulement à un amour naturel qui serait uniquement naturel, c'est-à-dire appartenant à une nature qui n'ajoute pas à la notion de nature la perfection de la connaissance sensible ou intellectuelle.
2. Tous les êtres de l'univers sont agis de quelque manière, sauf évidemment le premier agent qui ne l'est d'aucune façon, et en qui nature et volonté sont identiques. Rien n'empêche par conséquent que l'ange soit agi, en ce sens que son inclination naturelle lui est donnée par l'Auteur même de sa nature Mais l'ange n'est pas agi de telle manière qu'il n'agisse pas, puisqu'il possède une volonté libre.
3. De même que toute connaissance naturelle est vraie, de même toute dilection naturelle est droite, car l'amour naturel est une inclination de nature qui vient de l'Auteur de chaque nature. Et ce serait l'offenser de prétendre qu'une inclination naturelle n'est pas droite. Cependant la rectitude de la dilection naturelle et celle de la charité et de la vertu sont différentes, car cette dernière vient perfectionner la première. Ainsi peut-on dire également que la vérité de la connaissance naturelle et la vérité de la connaissance infuse ou acquise sont différentes.
Objections
1. Il apparaît que non, car l'amour électif semble être un amour raisonné, puisque l'élection suppose la réflexion et le conseil, c'est-à-dire une certaine recherche, dit Aristote. Mais l'amour raisonné s'oppose à l'amour intuitif qui est propre aux anges, selon Denys. Il n'y a donc pas chez les anges d'amour électif.
2. Chez les anges, en dehors de la connaissance infuse, il n'y a que la connaissance naturelle ; car l'ange ne part pas de principes pour en venir aux conclusions. Il se trouve donc, à l'égard de tout ce qu'il peut connaître naturellement, dans la même situation que notre intelligence à l'égard des premiers principes qu'elle saisit naturellement. Mais l'amour découle de la connaissance, on l'a déjà dit. En dehors de l'amour gratuit, il n'y a donc pas chez l'ange un amour autre que naturel.
En sens contraire, nous ne méritons ni ne déméritons dans le domaine purement naturel. Or les anges, par leur amour, peuvent mériter ou démériter. Il y a donc en eux un amour de choix.
Réponse
Il y a chez les anges un amour naturel et un amour électif ; et l'amour naturel, chez eux, est principe de l'autre. Tout ce qui est premier, en effet, a raison de principe, et, puisque la nature est première en tout être, il faut bien que le naturel soit en lui principe du reste.
On peut aisément le constater chez l'homme, quant à son intelligence et quant à sa volonté. L'intelligence, en effet, connaît naturellement les principes et, de là, l'homme parvient à la science des conclusions, lesquelles ne lui sont pas connues naturellement, par la recherche ou par l'enseignement. Pareillement, la fin joue pour la volonté le même rôle que le principe pour l'intelligence, selon Aristote. C'est pourquoi la volonté tend naturellement vers sa fin ultime, car tout homme veut naturellement la béatitude. De cette volonté naturelle dérivent tous les autres vouloirs ; car tout ce que veut l'homme, il le veut pour la fin L'amour du bien que l'homme poursuit naturellement comme fin, est un amour naturel. L'amour qui en provient, et qui se porte vers un bien en vue de la fin, est un amour électif.
Il y a cependant une différence entre l'intelligence et la volonté. La connaissance intellectuelle, en effet, requiert que la chose connue soit dans le connaissant. Or, c'est à cause de l'imperfection de son intelligence que l'homme ne connaît pas naturellement dès le principe tous les intelligibles, mais quelques-uns seulement, à partir desquels il se porte vers les autres pour les saisir. L'acte de la puissance appétitive au contraire met en rapport celui qui désire avec la réalité même. Or, il y a des réalités qui sont bonnes en elles-mêmes et donc désirables comme telles ; et il y a aussi des réalités dont la raison de bonté tient à leur rapport avec autre chose, et qui sont désirables à cause de cette autre chose. Ce n'est donc pas du fait de son imperfection que le sujet désirant veut ceci naturellement comme sa fin, et cela électivement, en l'ordonnant à sa fin. Donc, puisque la nature de l'ange est parfaite, on ne trouve en lui que la connaissance naturelle, non la connaissance rationnelle. Mais on trouve en lui et l'amour naturel et l'amour électif.
Tout cela fait évidemment abstraction de l'ordre surnaturel, pour lequel la nature est un principe insuffisant. Il en sera parlé plus loin.
Solutions
1. Tout amour électif n'est pas nécessairement un amour rationnel, au sens où l'on oppose amour rationnel et amour intellectuel. L'amour rationnel est ainsi appelé parce qu'il suit la connaissance qui procède par raisonnement. Mais nous avons vu, en parlant du libre arbitre, que le choix ne suppose pas nécessairement le discours rationnel, sauf dans le cas de l'homme.
2. La réponse vient d'être donnée.
Objections
1. L'amour naturel a pour objet la fin ; l'amour électif, les moyens. Or, une même réalité ne peut être à la fois fin et moyen sous le même rapport, donc être en même temps objet d'amour naturel et d'amour électif.
2. L'amour produit l'union, selon Denys. Mais on ne peut unir que des choses différentes. L'ange ne peut donc s'aimer lui-même.
3. L'amour est de quelque manière un mouvement qui, comme tout mouvement, tend vers autre chose que soi. L'ange ne peut donc s'aimer lui-même ni d'amour naturel ni d'amour électif.
En sens contraire, selon Aristote, l'amour de l'autre vient de l'amour que l'on a pour soi-même.
Réponse
L'amour a pour objet le bien, et le bien peut être substantiel ou accidentel, comme le montre l'Éthique. Il y a donc un double amour possible : l'un qui a pour objet le bien subsistant, l'autre qui s'adresse au bien accidentel. Quand on aime un être à titre de bien subsistant, on lui veut du bien ; quand on aime une réalité à titre de bien accidentel, on la désire pour un autre : ainsi on aime la science, non en vue de lui faire du bien, mais pour la posséder. Certains ont nommé cette sorte d'amour : convoitise ; et la première : amitié.
Il est évident, chez les êtres dénués de connaissance, que chacun désire acquérir ce qui lui est bon ; ainsi le feu tend à s'élever. Il en est de même chez l'ange et chez l'homme, qui naturellement désirent leur bien et leur perfection. Cela, c'est s'aimer soi-même. L'ange, comme l'homme s'aime donc lui-même naturellement quand il désire un bien d'un désir naturel. Mais quand il désire un bien par choix, il s'aime lui-même d'un amour électif.
Solutions
1. L'ange et l'homme ne s'aiment pas à la fois naturellement et électivement à propos d'un même objet, mais à propos de réalités diverses, on vient de le dire.
2. L'unité est plus parfaite que l'union, et ainsi il y a plus d'unité dans l'amour que l'on se porte à soi-même que dans l'amour qu'on porte aux différents êtres qui nous sont unis. Quand on dit, avec Denys, que l'amour est cause d'union, c'est pour montrer que l'amour de l'autre découle de l'amour de soi, comme l'union dérive de l'unité.
3. L'amour, comme le mouvement qu'il représente, peut demeurer chez l'aimant ; il ne tend pas nécessairement vers quelque chose d'autre ; mais, de même que la connaissance peut se réfléchir sur le connaissant et le prendre comme objet, ainsi l'amour peut se réfléchir sur l'aimant et le faire s'aimer soi-même.
Objections
1. Il ne semble pas, car l'amour suit la connaissance. Mais l'ange ne connaît pas un autre ange comme lui-même ; car il se connaît par son essence et il ne connaît les autres anges que par similitude, on l'a déjà vu. Il ne peut donc pas les aimer comme lui-même.
2. La cause est plus parfaite que son effet, et le principe est plus parfait que son dérivé. Or, l'amour de l'autre dérive de l'amour de soi, selon Aristote. L'ange n'aime donc pas les autres comme lui-même, mais il s'aime davantage.
3. L'amour naturel a pour objet la fin, et il ne peut disparaître. Mais un ange n'est pas la fin d'un autre et en outre cet amour peut disparaître, comme on le voit chez les démons, qui n'aiment pas les bons anges. Donc un ange n'en aime pas un autre d'un amour naturel comme il s'aime lui-même.
En sens contraire, ce qui se trouve dans tous les êtres, même irrationnels, ne peut que leur être naturel. Or, il est dit dans l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 13.15) que « tout être vivant aime son semblable ». L'ange aime donc naturellement les autres anges comme lui-même.
Réponse
On l'a dit, l'ange et l'homme s'aiment eux-mêmes naturellement. Or, celui qui ne fait qu'un avec nous, on le considère comme un autre soi-même ; c'est pourquoi tout être aime ce qui ne fait qu'un avec lui. S'il s'agit d'une union naturelle, il l'aime d'un amour naturel ; s'il s'agit d'une union qui n'est pas naturelle, il l'aime autrement. Ainsi l'homme aime son concitoyen d'un amour qui fait appel aux vertus civiques, mais il aime son parent d'un amour naturel basé sur l'unité créée par la consanguinité.
Or, il est manifeste que l'unité fondée sur la communauté de genre ou d'espèce est une unité de nature. Toute chose, parce qu'elle aime son espèce, aimera donc ce qui ne fait qu'un spécifiquement avec elle. Et c'est ce qui se voit même chez les êtres matériels ; car le feu a une inclination naturelle à communiquer à un autre sa forme qui est son bien, tout comme il est incliné naturellement vers son bien qui est de s'élever.
Dès lors, on doit reconnaître que l'ange aime naturellement un autre ange sous le rapport où celui-ci lui ressemble en nature. Mais sous d'autres points de vue, ou en raison des différences existantes, il ne l'aime pas d'un amour naturel.
Solutions
1. L'expression « comme soi-même » peut déterminer la connaissance ou l'amour du point de vue de l'objet connu ou aimé. Ainsi, on connaît un autre comme soi-même quand on saisit que cet autre existe, de même que l'on se reconnaît soi-même comme existant. Mais l'expression « comme soi-même » peut déterminer la connaissance ou l'amour du point de vue du sujet qui connaît ou qui aime. En ce sens, il ne connaît pas un autre comme il se connaît lui-même, par la présence à soi-même de sa propre essence : car s'il connaît l'autre ce n'est pas par son essence à lui. De même il n'aime pas l'autre comme il s'aime lui-même, par sa propre volonté, car il n'aime pas l'autre par sa volonté à lui.
2. Le mot « comme » ne désigne pas une égalité, mais une similitude. L'amour naturel étant fondé sur une unité naturelle, ce qui est moins un avec l'aimant est naturellement moins aimé. On aimera donc naturellement davantage celui qui est un numériquement avec soi, et on aimera moins celui qui n'est un avec soi que spécifiquement ou génériquement. Mais il est naturel que l'on ait pour l'autre un amour semblable à celui qu'on a pour soi-même, en ce que s'aimer, c'est vouloir son propre bien, et de même aimer l'autre, c'est vouloir son bien à lui.
3. L'amour naturel a pour objet la fin, non pas comme un sujet auquel on veut du bien, mais comme une réalité bonne que l'on veut pour soi, et, par voie de conséquence, que l'on veut pour les autres parce qu'ils ne font qu'un avec nous. Un tel amour naturel ne disparaît jamais, même chez les mauvais anges, car ils continuent à aimer les autres anges sous le rapport où ils leur ressemblent en nature. Mais il les haïssent en raison des divergences créées par leur justice ou leur injustice respectives.
Objections
1. Nous l'avons dit, l'amour naturel est fondé sur une raison naturelle. Mais la plus grande distance existe entre la nature angélique et la nature divine. Il semble donc que l'ange aime Dieu moins que lui-même ou même qu'un autre ange.
2. Ce qui fait qu'une chose est telle l'est lui-même encore davantage. Or, c'est à cause de soi-même que quelqu'un aime naturellement un autre : ce que chacun aime, en effet, c'est comme son bien qu'il l'aime. L'ange n'aime donc pas Dieu naturellement plus que lui-même.
3. Toute nature fait retour sur elle-même, car il est de fait qu'un agent tend par son action à la conservation de lui-même. Or la nature ne ferait pas ainsi retour sur soi si elle tendait davantage vers un autre que vers elle-même. L'ange n'aime donc pas naturellement Dieu plus que lui-même.
4. C'est le propre de la charité de nous faire aimer Dieu plus que nous-même. Mais la dilection de la charité n'est pas naturelle à l'ange, car « elle est diffusée dans leurs coeurs par le Saint-Esprit qui leur a été donné », selon S. Augustin.
5. L'amour naturel demeure toujours tant que demeure la nature. Mais le fait d'aimer Dieu plus que soi disparaît chez l'homme et chez l'ange lorsqu'ils pèchent. S. Augustin parle de deux cités fondées sur deux amours : l'une, la cité terrestre, fondée sur l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu ; l'autre, la cité céleste fondée sur l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi. Aimer Dieu plus que soi-même ne relève donc pas de la nature.
En sens contraire, tous les principes moraux de la loi appartiennent à la loi naturelle. Or, le précepte d'aimer Dieu plus que soi-même est un précepte moral de la loi. Il relève donc de la loi naturelle. Et par conséquent, l'ange peut aimer Dieu d'un amour naturel plus que lui-même.
Réponse
Certains ont prétendu que l'ange aime naturellement Dieu plus que lui-même d'un amour de convoitise ; car il désire pour lui-même le bien divin plus que son propre bien. D'une certaine manière cependant ils admettent que l'ange aime Dieu plus que lui-même d'un amour d'amitié en ce sens que par nature il veut à Dieu un bien plus grand qu'à lui-même ; l'ange veut, en effet, que Dieu soit Dieu, alors que pour lui-même, il veut être ce qu'il est selon sa propre nature. Mais, à parler dans l'absolu, l'ange s'aimerait plus que Dieu, car il s'aime naturellement lui-même plus intensément que Dieu, et en priorité.
Une telle opinion apparaît manifestement fausse si l'on considère le mouvement naturel des êtres.
L'inclination naturelle des êtres sans raison va nous permettre en effet de découvrir quelle est l'inclinaison naturelle des natures intellectuelles douées de volonté. Dans les réalités naturelles, toute chose qui, par nature, en tout ce qu'elle est, relève d'une autre, se trouve d'abord inclinée vers cette autre plus que vers elle-même. Et cela se manifeste dans la manière même dont une chose est poussée naturellement à agir, ce qui dénote en elle une attitude foncière, dit Aristote. Nous voyons en effet que naturellement la partie s'expose pour la conservation du tout : la main s'expose aux coups, sans délibération, pour préserver le corps. Et comme la raison imite la nature, nous retrouvons cette même inclination dans le cas des vertus politiques : le citoyen vertueux s'expose à la mort pour le salut de tout l’État ; et si l'homme était partie naturelle de la Cité, cette inclination serait naturelle en lui.
Ceci posé, il faut remarquer que le bien universel est Dieu lui-même ; et ce bien englobe l'ange, l'homme et toute créature, car toute créature, du simple point de vue naturel, est de Dieu en tout ce qu'elle est. Il suit de là que l'ange et l'homme aiment naturellement Dieu en priorité et plus qu'eux-mêmes. D'autre part, si l'homme ou l'ange s'aimaient naturellement eux-mêmes plus que Dieu, il s'ensuivrait qu'un tel amour naturel serait mauvais, et qu'il ne serait pas perfectionné par la charité, mais détruit par elle.
Solutions
1. La première difficulté envisage des réalités qui sont sur le même plan et dont l'une n'est pas la raison de l'existence ou de la bonté de l'autre. Sous ce rapport, tout être s'aime naturellement lui-même plus que l'autre, car il est plus un avec lui-même qu'avec l'autre. Mais quand un être trouve en un autre toute la raison de son existence et de sa bonté, il est impossible qu'il n'aime pas par nature cet autre plus que lui-même, car, ainsi que nous venons de le dire, toute partie aime naturellement le tout plus que soi. Ainsi, chaque individu aime naturellement le bien de l'espèce plus que son bien propre. Or, Dieu n'est pas seulement le bien d'une espèce, il est le bien universel purement et simplement. Sous ce rapport tout être aime naturellement Dieu plus que lui-même.
2. Quand on dit que l'ange aime Dieu parce que Dieu est son bien, si l'on veut dire que dans cet amour son bien propre joue le rôle de fin, cela est faux : ce n'est pas, en effet, en vue de son propre bien, c'est en vue de Dieu même qu'il aime naturellement Dieu. Si l'on veut parler, au contraire, de ce qui le provoque à aimer, cela est vrai : il ne saurait, en effet, être naturel à quiconque d'aimer Dieu sinon pour cette raison que chacun dépend de ce bien que Dieu est.
3. La nature fait retour sur elle-même non seulement sous le rapport de ce qui lui est individuel, mais plus encore sous le rapport de ce qui lui est commun avec d'autres natures. Toute chose, en effet, n'incline pas seulement à la conservation de son être individuel, mais aussi au salut de son espèce. À plus forte raison possède-t-elle une inclination naturelle vers ce qui est purement et simplement le bien universel.
4. Dieu, en tant que bien universel duquel dépend tout bien naturel, est aimé naturellement par chaque être. En tant qu'il est le bien béatifiant, objet propre de la béatitude surnaturelle, il est aimé de charité.
5. En Dieu, la substance divine est identique au bien universel ou bien commun de toutes les créatures. Dès lors, tous ceux qui voient l'essence divine sont, d'un même mouvement d'amour, mus vers elle, à la fois en tant que cette essence est distincte des autres réalités, et en tant qu'elle est le bien commun de toutes. Car, puisque Dieu, en tant que bien commun, est naturellement aimé de tous les êtres, quiconque le voit dans son essence ne peut pas ne pas l'aimer. Mais ceux qui ne le voient pas dans son essence, le connaissent par des effets particuliers, dont certains peuvent contrarier leur volonté. En ce sens, on dit qu'ils ont de la haine pour Dieu. Il reste néanmoins qu'à titre de bien commun de tous les êtres, chacun de ceux-ci aime Dieu naturellement plus que lui-même.
Après avoir traité de la nature des anges, de leur connaissance et de leur volonté, il reste à considérer leur création, ou d'une façon plus générale leur commencement.
Trois parties dans cette étude : d'abord comment ils ont été produits dans leur être naturel (Q. 61) ; puis comment ils ont été perfectionnés en grâce ou en gloire (Q. 62) ; enfin comment certains d'entre eux sont devenus mauvais (Q. 63).