Quant à moi, aussi longtemps que je jouirai du souffle de vie que tu m’as accordé. Père saint, Dieu tout-Puissant, je te proclamerai Dieu éternel, mais aussi Père éternel. Jamais je ne glisserai dans le ridicule ou l’impiété de m’établir juge de ta toute-puissance et de tes mystères, de faire passer ma connaissance limitée avant la notion vraie de ton infini ; jamais je n’affirmerai que tu as été jadis sans ta Sagesse, ta Puissance et ton Verbe, Dieu, l’Unique-Engendré, mon Seigneur Jésus-Christ.
Le langage humain, faible et imparfait lorsqu’il parle de toi, ne rétrécit pas mon esprit au point de réduire ma foi au silence, faute de mots capables de Te traduire.
En effet, si déjà en nous, la parole, la sagesse, la puissance sont le fruit de notre activité intérieure, en toi, ta Parole, ta Sagesse, ta Puissance, sont le fruit de la génération parfaite d’un Dieu parfait. Ainsi il demeure éternellement inséparable de toi, celui que tu nous montres né de toi, dans ces noms de tes attributs éternels. Il est né de manière à n’exprimer que toi, son auteur, ce qui ne nous empêche pas de croire en son infini, puisqu’on nous dit qu’il est né de toi avant les temps éternels.
Déjà dans les réalités de la nature, il y a bien des exemples de choses dont nous ne connaissons pas la cause, sans pourtant en ignorer les effets. Et notre foi se teinte d’adoration, lorsque de par notre nature, nous ne savons que dire.
De fait, lorsque j’ai levé vers ton ciel la faible lumière de mes yeux, j’ai cru qu’il ne s’agissait de rien d’autre que de ton ciel. Quand je considère en effet, la course des astres, leur retour annuel, les Pléiades, la Petite Ourse, l’Etoile du matin, et que je constate que chacun accomplit le rôle qui lui est assigné, je reconnais, ô mon Dieu, ta présence en ces astres que mon intelligence ne peut étreindre. Je contemple aussi le « soulèvement merveilleux des flots » (Psaumes 92.4), et non seulement l’origine de ces eaux, mais aussi les mouvements de cette masse agitée, sont pour moi un mystère ; bien que je croie discerner une cause qui me reste insondable, en ces merveilles que je ne connais pas, je reconnais ta présence.
Et maintenant, quand je tourne mon esprit vers la terre qui, après avoir reçu les semences, les fait germer par des virtualités cachées, puis vivre et se multiplier, et une fois multipliées, leur donne la vigueur, je n’y découvre rien que mon esprit puisse comprendre. Mais mon ignorance m’aide à te contempler, car si je ne connais pas la nature qui est à mon service, je discerne ta bonté, du fait même qu’elle est là pour me servir.
Moi-même, je perçois que je ne connais pas, mais je t’admire d’autant plus que je me connais moins. Car j’expérimente, sans trop savoir comment cela se fait, le mécanisme de mon esprit qui juge, ainsi que ma raison et ma vie. Cette expérience, c’est à toi que je la dois, toi qui m’as donné mes sens d’homme qui me causent tant de joies, alors même que je n’arrive pas à comprendre quel a été mon commencement d’homme.
C’est donc en ne connaissant pas ce qui m’entoure, que je saisis ce que tu es ; et en percevant ce que tu es, je t’adore : aussi, lorsqu’il s’agit de tes mystères, ne pas les comprendre n’amoindrit pas ma foi en ta Toute-Puissance : pour que ma pensée saisisse l’origine de ton Premier-né[40] et le comprenne, il faudrait que quelque chose en moi, me permette d’aller au-delà de mon Créateur et de mon Dieu.
[40] P.L. : « Unigeniti tui », C.C. : « Primogeniti tui ».
La naissance de celui-ci est antérieure aux temps éternels. Ce qui existe avant l’éternité doit nécessairement dépasser la notion même d’éternité. C’est ton cas, et celui de ton Fils Unique : il n’est ni partie, ni prolongement de toi, il n’est pas un nom vide de sens, que nous lui aurions donné en songeant à ce que nous faisons[41]. Il est Fils, le Fils sorti de toi, Dieu Père, il est vrai Dieu ; engendré par toi dans la puissance de ta nature inengendrée[42], le reconnaître après toi, veut dire qu’il est avec toi, car tu es l’auteur éternel de son origine éternelle. Car puisqu’il vient de toi, il est second par rapport à toi[43] ; mais puisqu’il est tien, tu n’es pas séparable de lui ; aussi ne pouvons-nous pas affirmer que tu aies jamais existé sans ton Fils, et personne ne sera en droit de te supposer une imperfection avant la génération, ou quelque chose en plus, après celle-ci.
[41] Le nom de créature.
[42] P.L. : « et a te in naturae tuae unitate genitus » – alors que C.C. : « et a te in naturae tuae ingenitae genitus potestate ».
[43] « Secundus a te », la formule est employée par Tertullien (adv. Praxeam, 5). « Tout ce qui procède de quelque chose doit nécessairement être second par rapport à ce dont il procède, sans être forcément séparé » (adv. Praxeam, 8).
Tel est le véritable sens de la naissance éternelle : nous apprendre que tu es le Père éternel du Fils Unique-Engendré de toi avant les temps éternels.
Mais c’est encore trop peu pour moi, de reconnaître avec ma foi et ma voix, que mon Seigneur et mon Dieu, ton Fils Unique, le Christ Jésus, n’est pas une créature. Je ne souffrirai même pas qu’un tel nom soit attribué à ton Esprit-Saint, issu de toi, et envoyé par ton Fils. Car j’ai le plus grand respect envers tes mystères. Je sais que tu es seul innascible et que ton Fils est l’Unique-Engendré sorti de toi ; et pourtant, je ne dirai pas que le Saint-Esprit est engendré, ou qu’il ait jamais été créé. Je redoute que la souillure de cette appellation que je partage avec les autres êtres que tu as créés, ne finisse par t’éclabousser toi-même !
Au dire de l’Apôtre, ton Esprit-Saint scrute et connaît les profondeurs de ton être[44], et il intercède pour moi, et te parle à ma place par des gémissements inexprimables[45]. Dès lors, comment pourrais-je, je ne dis pas qualifier du nom de « créature », mais souiller de ce nom, la puissance de la nature qui vient de toi, par ton Fils Unique ? Rien hors de toi, ne scrute ton mystère, rien qui te soit étranger et extérieur à toi, ne saurait mesurer la profondeur de ton immense majesté. Tout ce qui te pénètre est de toi, et la puissance qui te scrute ne t’est pas étrangère.
[44] Cf. 1 Corinthiens 2.10-11.
[45] Cf. Romains 8.26.
[46] Voir aussi Trinité, II, 29-31 ; VIII, 19-31 ; XII, 55-57.
Celui dont les paroles sont inexprimables, m’est lui-même inexprimable. Car lorsqu’il s’agit de ton Fils Unique, né de toi avant les temps éternels, je dis : il est né – un point, c’est tout –, et voilà qui met fin à toute ambiguïté de langage et à toute difficulté d’interprétation. De même, je crois fermement que ton Esprit-Saint vient de toi par lui, et même si je ne comprends pas ce mystère, j’en garde la conviction profonde. Car dans les réalités spirituelles qui sent ton domaine, je suis borné, comme l’assure ton Fils Unique : « Ne t’étonne pas si je t’ai dit : Il vous faut naître d’en haut. Car l’Esprit-Saint souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’eau et de l’Esprit » (Jean 3.8).
Je crois à ma nouvelle naissance sans la comprendre, mais je tiens bon dans ma foi ce que je ne comprends pas. J’ai le pouvoir de renaître, mais sans percevoir comment cela se fait. L’Esprit n’est limité par rien : il parle quand il veut, il dit ce qu’il veut et où il veut. La raison de son départ et de sa venue me reste inconnue, même si j’ai la conviction profonde de sa présence. Dès lors comment le ranger parmi les créatures et le délimiter en déterminant quelle est son origine ?
Jean, ton Apôtre, nous enseigne que tout a été fait par ton Fils qui est avec toi, Dieu et Verbe de Dieu, dès le commencement (Jean 1.3). Et par ailleurs, Paul énumère tout ce qui a été créé en lui, « au ciel et sur la terre, les êtres visibles et invisibles » (Colossiens 1.16). Il précise que tout a été créé dans le Christ et par le Christ. Mais pour ce qui est de l’Esprit-Saint, il se contente d’affirmer qu’il est ton Esprit.
Pour moi, je penserai comme ces hommes que tu as choisis ; avec eux, je ne dirai rien sur ton Fils Unique, qui déborde les capacités de mon intelligence, et je me contenterai de dire qu’il est né ; de même, avec eux, je n’avancerai rien sur ton Esprit-Saint qui dépasse les ressources de l’esprit humain, et je déclarerai uniquement qu’il est ton Esprit. Ne discutons plus, la confession ferme d’une foi qui n’hésite plus me suffit !
Je t’en prie, conserve intacte la ferveur de ma foi, et jusqu’à mon dernier souffle, donne-moi de conformer ma voix à ma conviction profonde. Oui, que je garde toujours ce que j’ai affirmé dans le symbole proclamé lors de ma nouvelle naissance, lorsque j’ai été baptisé dans le Père, le Fils, l’Esprit-Saint ! Accorde-moi de t’adorer, toi notre Père, et ton Fils qui avec toi est un seul Dieu ; fais que j’obtienne ton Esprit-Saint qui procède de toi, par ton Fils Unique.
Ma foi a pour elle un excellent témoin : celui qui déclare : « Père, tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi » (Jean 17.10). Ce témoin, c’est mon Seigneur Jésus-Christ, lui qui est toujours Dieu, en toi, de toi, et avec toi, lui qui est béni dans les siècles des siècles ! Amen !