Dans son bel ouvrage sur les rapports de la cosmogonie de Moïse avec les sciences naturellesa, Reusch a fait voir d’une part que l’on ne peut fixer à 24 heures la durée des jours de la création sans mettre la Bible en contradiction avec les faits les mieux constatés par la science, et de l’autre que, le mot jour étant souvent pris dans l’Ecriture autrement qu’au sens propre, l’exégèse a le droit, si elle a des raisons pour le faire, de ne pas voir dans ces jours des jours ordinaires. Il a aussi rendu très probable l’opinion du théologien allemand Kurtz et du géologue anglais Hugh Miller, d’après laquelle le tableau de la création (Genèse ch. 1) serait le fruit d’une vision analogue à celles des prophètesb. A ce point de vue, chacun des jours « représente un moment principal du grand drame de la création, une phase du développement, » et la question de leur durée ne se pose même pas. Ce qui importe à l’auteur, c’est de fonder l’institution du sabbat, en montrant dans la semaine de la création le type divin de la semaine humaine, et c’est sans doute cette analogie qui lui a inspiré le choix du mot jour. « Dire que le monde a été créé en 5 ou en 8 jours, serait s’écarter beaucoup plus du récit biblique que dire que Dieu l’a fait en six mille ans. » Moïse fût d’ailleurs sorti de son rôle — qui n’était pas de nous donner des connaissances géologiques — en nous indiquant la durée exacte de l’œuvre créatrice.
a – Bibel und Natur, 3e éd. (1870), p. 128 et ss., 211 et ss.
b – Comp. F. Godet, Etudes bibliques.
Les résultats de la science sont encore trop hypothétiques sur bien des points, pour qu’on puisse se prononcer définitivement sur les nombreux essais faits pour les mettre d’accord avec Genèse ch. 1. Relevons seulement quelques points où l’accord peut être envisagé comme acquis : 1° L’état liquide de la matière terrestre à une époque où aucune vie organique n’y existait encore. 2° La formation des continents par des soulèvements de l’écorce terrestre. 3° Le monde végétal — nécessaire à la vie des animaux, qui ne se nourrissent pas directement des substances inorganiques — antérieur au monde animal. 4° Les animaux aquatiques antérieurs aux animaux terrestres, et les oiseaux apparaissant dans la même époque géologique que les poissons (5e jour) 5° Les reptiles et les mammifères apparus les derniers, et l’homme, terme du développement créateur. 6° Pas de nouvelles espèces depuis l’apparition de l’homme ; — la toile des espèces, que paraît supposer Moïse (« selon leur espèce »), confirmée par les faits ). 7° Rythme et progrès régulier dans le développement de la création, s’élevant du plus simple au plus parfait. — Les principales divergence entre la Bible et la science portent sur deux points : 1° Création des astres au 4° jour, tandis qu’il est constant que la terre n’a pas été formée avant le reste du système solaire. (Plusieurs résolvent la difficulté en voyant dans Genèse 1.16 le moment où le soleil a commencé de faire sentir son action sur la terre, moment qui aurait été précédé par une autre lumière, v. 3, et par la végétation houillère.) 2° Existence d’animaux inférieurs dans des époques géologiques correspondant aux jours antérieurs à la création des animaux et même des plantes ; — chacun des divers ordres de création appartenant, non à une seule époque (ou jour), comme le veut Moïse, mais à plusieurs. (Moïse, ne poursuivant pas un but scientifique, ne relève que le trait caractéristique de chaque époque.)
Il est intéressant de comparer la tradition biblique avec les cosmogonies des peuples païens. La cosmogonie du Zend-Avesta (Perse), la plus pure de ces dernières, fait créer le monde par le Dieu bon (Ormuzd) en six périodes comprenant au total 365 jours ; la création s’achève avec l’hommec. — La comparaison du récit babylonien, retrouvé dès 1872 par l’assyriologue anglais G. Smith, est surtout instructive. Le tableau de la création couvrait un certain nombre de tablettes. Un fragment retrouvé de la 1re racontait la naissance des dieux sortant du chaos primordial. Les six suivantes devaient correspondre aux six jours de la Genèse. Car la 5e (les tablettes 2, 3 et 4 manquent presque entièrement, et la 8e est la seule dont le numéro ait été reconnu avec certitude) coïncide exactement avec le 4e jour de Moïse ; une autre, la 7e sans doute, correspond au 6e. Voici la plus grande partie de ce que nous possédons de la 1re tablette :
c – Lenormant, Les origines de l’histoire (1880), p. 49-50.
« Du temps où en-haut le ciel n’était pas encore nommé et en-bas la terre restait sans nom, l’abîme sans limites fut leur générateur et la mer chaotique celle qui enfanta leur ensemble. Leurs eaux confluaient en un ; aucune troupe d’animaux n’était encore rassemblée ; aucune plante n’avait poussé. Du temps où aucun des dieux n’avait encore été produit, où ils n’étaient pas désignés par un nom, où aucun destin n’était encore, les grands dieux furent ensuite formés…. » Comp. Genèse 1.1-2.
Voici les principaux fragments de la 5e :
« Il fit excellemment les mansions en nombre, pour les grands dieuxd ; il leur attribua des astres et il établit fixes les étoiles de la grande Ourse. Il fixa le temps de l’année et en détermina les limites. Pour chacun des 12 mois il fixa trois étoiles, depuis le jour où l’année commence jusqu’à son terme. Il détermina les mansions des planètes pour définir à un temps fixe leurs orbites, de façon à ce qu’elles n’y manquent pas et qu’aucune ne s’en détourne… Il fit briller la lune, il l’attacha à la nuit, et il lui fixa le temps de ses phases nocturnes qui déterminent les jours. Pour le mois entier, sans interruption, il établit quelle serait la forme de son disque : Au commencement du mois, quand commence le soir, tes cornes te serviront d’annonce pour permettre de déterminer le temps du ciel. Le 7e jour, tu seras en train de remplir ton disque, etc. » (Suit ce qui concerne le soleil.)
d – Smith, approuvé par Friedr. Delitzsch (Chald. Genesis, p. 298), traduit : « Tout ce qui avait été arrangé par les grands dieux était excellent, » et rapproche ces mots du : « Tout était très bon », de la Genèse.
Voici enfin la plus grande partie de la 7e tablette :
« Quand les dieux tous ensemble eurent formé…, ils firent excellemment les… éveillés. Ils produisirent les êtres vivants, le bétail des champs, les animaux sauvages des champs, et les bêtes rampantes, etc. » Et plus loin : « Et le Seigneur à l’œil clairvoyant (le dieu Éa) les associa en un couple… ; l’ensemble des bêtes rampantes se mit en mouvement… »
Signalons encore deux points intéressants.
1° On savait depuis longtemps que la semaine était, dès la plus haute antiquité, connue des Babyloniens (les Chinois et les Péruviens l’ont aussi, tandis que les Egyptiens et les Grecs avaient la décade et les Romains la huitaine) et que c’est d’eux que les Romains ont reçu les noms des jours (consacrés aux dieux planétaires), dont nous nous servons encore. Il est maintenant prouvé, par les inscriptions de Ninive, que chez les Assyriens et déjà chez les Accadiens (donc à une époque antérieure à Moïse) le 7e jour était jour de repos ; on lui donnait le nom de sabbat (sabbattuv), et une inscription le désigne comme « un jour de repos pour le cœur »
2° Dans plusieurs des fragments découverts par Smith, l’homme est appelé Admi (ou Adami ; Lenormant : Admu), terme qui y est employé non comme nom propre, mais comme appellatif de l’espèce.
Cet arbre (dont nous ne discutons pas ici la signification) a son analogue dans les traditions de divers peuples. Les Védas (Inde) connaissent l’arbre Soma, qui distille une liqueur enivrante qui donne l’immortalité et qui est appelée amritam (ambroisie). Les Iraniens ont l’arbre Haoma, dont le suc rend immortel et vivifiera les morts à la résurrection. Les Chaldéo-Assyriens ont une conception analogue. L’arbre sacré, fréquent dans leurs sculptures, a en général une forme pyramidale et l’aspect d’un pin ou d’un cyprès ; à côté de ce symbole de viee on voit d’ordinaire des prêtres ou d’autres figures qui adorent. On retrouve cet arbre, comme emblème de l’immortalité, sur les sarcophages en terre émaillée de Warka (sur cette ville voir note 13. Il était l’objet d’un véritable culte chez les Chaldéo-Assyriens. — Les chérubins qui gardent l’arbre de vie (Genèse ch. 3) rappellent les figures ailées, à tête d’homme ou d’aigle, qu’on voit sur les monuments assyriens adorant ou gardant l’arbre sacré, aussi bien que les sphinx égyptiens et les griffons auxquels d’autres mythologies font garder des trésors. Les taureaux ailés, qui veillent à la porte des palais et des temples babyloniens, sont appelés quelquefois kirubi. D’après Friedr. Delitzsch, karabu signifie grand, puissant ; ce mot serait donc sémitique, et il ne faudrait pas rapprocher l’hébreu cherub du mot aryen gribh (gryps, griffon).
e – La pomme de pin ou de cèdre est le symbole de la vie ; les dieux et les génies la tiennent souvent à la main.
Nous n’avons pas à examiner ici si le récit des chap. 2 et de la Genèse est histoire ou symbole. Cette dernière alternative admise, il serait superflu de poser la question tant discutée et si diversement résolue de la situation du jardin d’Eden. Si l’on incline vers la première, il sera intéressant de se rappeler les principales solutions proposées. Leur point de départ commun est la mention des quatre fleuves dans lesquels se divisait, à sa sortie d’Eden, le fleuve unique qui l’arrosaitf, et particulièrement des deux dont l’identité avec des neuves bien connus de nous est évidente : l’Euphrate (hébr. Perat, pers. Ufratu, assyr. Burattuv, arabe Furat, accadien [ancien idiome babylonien] Puranu c-à-d « le grand fleuve, » de pura, fleuve, et nunu, grand) et le Tigre (hébr. Chiddékel, assyr. Diiglat ou Hidiglat, anc. pers. Tighra, arabe Digla, « flèche » [c’est le sens du mot zende tighri]. Le nom accadien de ce fleuve [Idigna] et peut-être son nom hébreu ont une autre origine). A part cette identification incontestable, les systèmes diffèrent du tout au tout :
f – C’est là le sens indubitable du texte (Genèse 2.10) qui parle de quatre roschim, « têtes, » c’est-à-dire commencements de fleuves. Les Assyriens nomment rês-nari, les Arabes ras-en-nahr, le point où un canal se sépare du fleuve principal (Delitzsch, Wo lag d. p., p. 98).
1. Le plus ancien se trouve chez Josèphe et quelques Pères, qui, cherchant (d’après Genèse 25.18) le pays de Chavila dans l’extrême Orient, l’identifient avec l’Inde ; le Pishon serait l’indus ou le Gange ; Cus (nom ordinaire de l’Ethiopie dans l’A. T.) désignerait le midi en général (Arabie, Ethiopie, etc.), et le Gichon serait le Nil, que les anciens, ne connaissant guères son cours supérieur, supposaient quelquefois venir de l’Asie et entourer le sud de ce continent. Les trois produits de Chavila, — or, bedolach (bdellion, résine odoriférante très appréciée des anciens), schoam (pierre précieuse, probablement l’onyx), — abondant en Inde, parlent en faveur de cette hypothèse que l’on a aussi modifiée en proposant d’identifier le Gichon arec l’Oxus (Amou-Daria, nommé par les Arabes Gaihun ; mais ce fleuve ne paraît pas avoir été connu des Babyloniens). Friedr. Delitzsch, dans son ouvrage déjà cité (p. 12-32), nous paraît l’avoir réfutée sans réplique. Si l’auteur de Genèse ch. 2 connaissait l’Inde, il devait savoir qu’elle était séparée des pays de l’Euphrate et du Tigre par d’immenses espaces ; pourquoi d’ailleurs ne pas la désigner par son vrai et antique nom (Hindu ou Sindhu), et en choisir un qui est, dans l’A. T., celui d’un tout autre pays ? Les deux noms Pishon et Gichon n’ont aucun rapport avec ceux de l’Indus, du Gange ou du Nil (l’A. T. appelle ce dernier Jéor ou Sichor), qu’il serait d’ailleurs par trop inouï de faire découler d’une même source. Ce système conduit forcément à faire de la tradition du paradis une pure fable et à rejeter l’Eden dans la région de l’utopie.
Reland a proposé (1706) une autre solution que beaucoup de savants ont agrééeg. Le Tigre et l’Euphrate ayant leurs sources très voisines les unes des autres, au centre de l’Arménie, c’est dans cette contrée qu’il faudrait chercher aussi celles des deux autres fleuves. Chavila pourrait être la Colchide, le pays aurifère des anciensh, et le Pishon le Phase (aujourd’hui Pasch ou Riori), qui arrose cette contrée, ou mieux — le Phase ayant sa source non en Arménie, mais dans le Caucase — le Cyrus (aujourd’hui Kur ou Kura), qui coule près de la frontière orientale de la Colchide ; le Gichon serait l’Araxe (Dschioun-Ras ou Aras), qui se jette, réuni avec le Kur, dans la mer Caspienne, et le pays de Cus, qu’il entoure, serait la Cossœa des anciens. Cette hypothèse, qui a pour elle le rapprochement réel des sources des quatre fleuves indiqués, ne résiste pas à un examen sérieux. On ne trouve pas en Colchide les trois produits de Chavila, qui d’ailleurs est toujours, dans l’A. T., un pays de l’est ou du sud. L’Arménie n’est pas à l’orient (Genèse ch. 8), mais au nord de la Palestine. Les Cosséens, souvent mentionnés dans les inscriptions sous le nom de Kassi, habitaient les confins de la Médie, au S.-O. du lac Ormiah, et non le nord de l’Arménie. L’auteur de Genèse ch. 2, qui parle des fleuves du paradis comme existant encore de son temps (Genèse 2.11-14), ne pouvait ignorer les sources réelles du Tigre et de l’Euphrate, bien connues des anciens Assyriens. Il faudrait enfin — les quatre fleuves étant, quoique voisins, séparés par de hautes montagnes — admettre un bouleversement géologique en Arménie, contemporain sans doute du déluge, mais dont le récit biblique de cet événement ne présente pas de traces. Calvin (Comm. sur la Genèse) a déjà protesté contre toute supposition de ce genre.
g – Voy., p. ex., le Commentaire de Keil sur la Genèse (3e éd., 1878).
h – L’hypothèse de K. de Raumer (Palästina, 4e éd., 1860, p. 462-466), qui fait de Chavila le pays de l’Oural, bien qu’ingénieusement soutenue, n’a pas eu de succès.
Calvin place le paradis en Babylonie. Pour lui, le fleuve unique est le Schatt-et-Arab actuel, et les quatre bras sont le Tigre et l’Euphrate qui se réunissent pour le former, et les deux bouches par lesquelles il se verse dans le golfe Persique. Mais l’Euphrate et le Tigre arrivaient autrefois, et encore au temps d’Alexandre, séparés jusqu’à la mer, qui occupait, à cette époque, toute la contrée traversée par le Schatt-et-Arab i. D’autres, modifiant l’hypothèse de Calvin, voient dans le 3e et le 4e fleuve deux affluents nord du Schatt-et-Arab. Le texte ne permet pas cette interprétation.
i – Elle s’avançait alors au moins 15 lieues plus à l’ouest qu’aujourd’hui. (Ritter, Erdkunde, X.) Tout cela est confirmé par des inscriptions de Sanchérib (Delitzsch, Wo lag d. P., p. 173 et suivantes).
Le tact exégétique si sûr de Calvin pourrait bien avoir mis le doigt sur un des éléments de la vérité. Du moins c’est l’impression que nous laisse la lecture de l’ouvrage tout récent de Friedr. Delitzsch, qui est sans doute ce que l’on a écrit de plus complet sur la question qui nous occupe. Nous en résumerons brièvement les principaux résultats. Aux yeux de ce savant, l’un des maîtres de l’assyriologie, le récit Genèse ch. 2 n’est ni mythique ni obscur ; il a un caractère strictement historique : « Pour le narrateur, le jardin d’Eden, avec ses quatre fleuves, a évidemment une pleine réalité.… C’est la tradition qui, en faisant fausse route, a donné à la description du jardin d’Eden un caractère légendaire. Elle n’est ni obscure ni légendaire en soi ; elle nous le paraît seulement parce que nous ne la comprenons pas » (p. 44). Où Moïse a-t-il donc placé le théâtre de Genèse ch. 2 et 3 ? Tout, à commencer par la mention de l’Euphrate et du Tigre, nous conduit en Babylonie. Arrosé par un grand fleuve qui se partage, l’Eden doit être un bas pays, et non un pays de montagnes, comme l’Arménie. La Chaldée est, d’après la Bible (Genèse ch. 11), le plus ancien théâtre de l’histoire et de la civilisation humaines ; pour les Juifs, qui en étaient sortis emportant sans doute avec eux un riche fonds de traditions sur les origines de l’humanité, elle était « l’Orient » (Genèse 29.1 : Jacob s’en va « au pays de l’Orient, » en Mésopotamie). L’un des fleuves du paradis entoure le pays de Cus. Or, Cus est le père de plusieurs tribus asiatiques (Genèse ch. 10) ; il l’est entr’autres de ce Nemrod, dont le règne a pour point de départ Babylone et d’autres villes de la Chaldée (Genèse 10.8). Il y avait donc des Cuchites (Chamites) en Asie et près du golfe Persique. Nous savons d’ailleurs que la plus ancienne culture babylonienne (dite accadienne-sumérienne) n’était pas sémitique. Les inscriptions mentionnent les Kassu, une race qui a joué dans la plus haute antiquité un rôle politique à Babylone ; son nom se retrouve peut-être dans celui de Kasdu (assyr. Kaldu), désignation classique des Babyloniens (Chaldéens). Cus désignerait, d’après cela, la Babylonie ou une partie de cette contrée. Il faudra, s’il en est ainsi, chercher Chavila près du golfe Persique. Là se trouve le Ard-et-Alat (« pays des dunes » : le nom de Chavila a le même sens, d’après Ewald), qui confine au désert syrien et a pour limite nord l’Euphratej, et où l’on retrouve les trois produits de Chavilak. L’extraordinaire fertilité de la Babylonie, supérieure même à celle de l’Egypte (Hérodote I, 193), lui avait valu, dès les temps les plus anciens, le nom de Kar-Dunias ou Kardwnisi, « jardin, parc du dieu Dunias, » qui désignait plus spécialement le district de Babylone. Ce nom se trouve aussi sous la forme de Gindunisi (l’accadien kar étant remplacé par le sémitique ginu, qui a le même sens), qu’on est bien tenté de rapprocher, avec sir H. Rawlinson, du Gan-Eden (jardin d’Eden) de la Genèsel. La tentation est d’autant plus forte que le plus ancien nom (non sémitique) connu de Babylone et du district voisin est Tintira, « bocage de viem ». — Les fleuves du paradis, enfin, se retrouveraient en Babylonie mieux que partout ailleurs. Le système très développé et très antique de canalisation de ce pays est connu. On donnait aux grands canaux, navigables pour les vaisseaux, le nom de nahar, « fleuve. » Tous n’étaient pas artificiels ; un grand nombre étaient d’anciens lits ou bras de l’Euphrate et du Tigre, qu’on utilisait comme canaux quand ces fleuves les avaient abandonnés pour se créer de nouveaux lits. Le fleuve unique du paradis (Genèse 2.10) serait l’Euphrate, qui dans l’A. T. est toujours « le fleuve » par excellence et dont le niveau est, jusques près de Hillah, supérieur à celui du Tigre, en sorte qu’il alimente le plus grand nombre des canauxn. Le Pishon serait le grand canal Pallacopas, qui se sépare de l’Euphrate au sud de Babylone, et court parallèlement à ce fleuve jusqu’au golfe Persique, en longeant le désert arabique (Chavila). Cette grande voie navigable, digne d’être comptée à côté des deux fleuves de Babylonie, et dont il existe encore aujourd’hui des restes, est, d’après Ritter, l’ancien lit par lequel l’Euphrate s’en allait jadis directement à la mer. Le Gichon serait le Schatt-en-Nil, qui, se détachant sur la rive gauche de l’Euphrate, décrivait une courbe pour rejoindre ce fleuve après avoir passé à Babel et à Warka (deux des villes de Nemrod : il « entourait » donc le district de Babylone, le pays de Cus) ; ce canal fonctionnait encore au temps de la conquête arabe. Rien n’empêche d’y voir un lit naturel. Delitzsch croit même être sur la trace des deux noms qu’il faudrait retrouver dans les inscriptions (Gichon et Pishon). Le principal des canaux de la rive gauche de l’Euphrate est appelé, dans une inscription de Sanchérib, Gugâna ou Guhânao. Dans les inscriptions, pisana (assyr. pisanu) signifie « bassin, canal. » Ce nom n’a pas encore été retrouvé comme nom propre ; il conviendrait bien au Pallacopas, qu’on a déjà rapproché de l’hébreu péleg (assyr. palgu), « canal »p.
j – Kautzsch, dans Riehm, art. Havila, rapproche de ce nom Chuwaila, dans le district de Barein, sur le golfe Persique.
k – Mérodac-Baladan, roi de Beth-Jakin (Babylonie sud), offre à son suzerain, Tiglath-Piléser II, roi d’Assyrie, « l’or, poussière de son pays, en abondance. » La Babylonie était célèbre par ses encens et ses pierres précieuses. Comp. les mages, Matthieu 2.11.
l – Eden signifie « lieu de délices ». Quant au mot paradis, il vient de l’ancien persan pairidaeza (enclos, parc, jardin), qui a son analogue en hébreu (pardes, dans le Cant. des cant., l’Ecclés. et Néhémie), en arabe pardaus), en grec (paradeisos).
m – D’après Lenormant (p. 76 et 77) : Tin (vie) - tir (arbre) - ki (lieu) « le lieu de l’arbre de vie. »
n – Les rabbins (cités par Friedr. Delitzsch, p. 143) identifient aussi l’Euphrate avec le fleuve unique de l’Eden ; ils font remarquer qu’il est mentionné deux fois dans Genèse 2.10, 14.
o – Un catalogue assyrien de rivières le place immédiatement à la suite du Tigre et de l’Euphrate, et l’appelle « celui qui apporte la vie à Babylone. »
p – Un savant géologue a récemment affirmé, en se fondant sur des raisons scientifiques, que dans les temps préhistoriques, le Tigre et l’Euphrate se réunissaient au-dessus de Bagdad (par 62 degrés de longitude et 34 de latitude), pour se séparer de nouveau plus au sud (Delitzsch, Wo lag d. P., p. 82-83).
Les traditions des peuples touchant un âge d’or sont connues. Les Indous ont leur montagne des dieux (Méru), où croissent des arbres merveilleux et d’où coulent les cinq fleuves qui fertilisent la terre ; les Iraniens, leur Hara-Berezaiti (plus tard Al-Bordj), où jaillit « l’eau de la vie » qui féconde tout ce qui existe, et d’où coulent deux grands fleuves, l’un à l’Occident, l’autre à l’Orient (en Inde), et dix-huit autres fleuves, dont les deux premiers sont l’Euphrate et le Tigre. C’est sur cette montagne que se trouve le jardin de Jima, le premier homme, le roi de l’âge d’or. Les Egyptiens parlent du règne merveilleux du dieu Râ. On connaît la tradition des quatre âges successifs chez les peuples aryens. L’analogie de ces légendes avec la tradition biblique est plus apparente que réelle. Celle même qui se rapproche le plus de cette dernière, la conception iranienne, est infectée par le dualisme persan. « La tradition biblique est unique en son genre, dit Dillmann, pour ce qui concerne la nature primitive de l’homme et l’origine du péché. Sauf l’idée d’une déchéance morale graduelle, les traditions des peuples n’offrent aucune ressemblance avec elle. Un esprit absolument autre souffle ici. » La tradition biblique n’a donc pas été puisée dans le grand courant de la tradition asiatique (iranienne et indoue), comme on l’a souvent affirmé. Ce serait plutôt l’inverse qui pourrait être vrai. Bien des éléments de la tradition iranienne peuvent provenir de Babylone et du fonds commun de la tradition chaldéo-israélite. Celle-ci ne dépend en tout cas pas de l’Inde ; et quant au parsisme, son influence n’aurait pu se faire sentir en Israël qu’après l’exil. Les mythes païens sont sans doute la corruption d’une tradition primitive plus pure, qui ne s’est conservée intacte que dans la Genèse. La tradition mosaïque, antique héritage de la race israélite, n’a nul besoin, pour être expliquée, de l’intervention d’influences étrangères.
L’arbre de la connaissance ne figure pas dans les traditions de l’Orient païen. La seule trace qu’on en ait trouvée est une représentation découverte par G. Smith sur un ancien cylindre babylonien du Musée britannique, où l’on voit deux figures, l’une d’homme (reconnaissable au turban chaldéen qui couvre sa tête), l’autre de femme, assises auprès d’un arbre d’où pendent deux gros fruits, vers lesquelles elles tendent la main ; derrière la femme se dresse un serpent. Cette représentation, qui ne peut être qu’une illustration de l’histoire de la chuteq, confirme ce qu’on devait supposer, c’est que les Chaldéens, qui avaient un récit de la création (voir plus haut note 1) et un récit du déluge (voir note 10), ne pouvaient manquer d’en avoir aussi un de la chute, transition nécessaire entre l’un de ces deux faits et l’autre. Ce récit, que nous ne possédons pas encore, a d’autant plus sa place marquée dans leur tradition, que le sentiment du péché était très développé chez eux, comme le prouvent leurs psaumes de pénitence. — G. Smith croyait avoir retrouvé un fragment de l’histoire babylonienne de la chute, contenant une malédiction prononcée sur le dragon et sur l’homme, et parallèle à Gen. ch. 3. Mais ce morceau, dont M. Oppert a le premier donné une traduction acceptable, n’a absolument rien de commun avec l’histoire de la chute.
q – L’arbre qui y figure ne peut être l’arbre de vie, dont les représentations diffèrent beaucoup de celle-ci. Voyez la reproduction dans Smith, Chald. Genesis, p. 87, et la description dans Lenormant, p. 90-91.
La plupart des peuples ont vu, dans cet animal, quelque chose de mystérieux et de surnaturel. Beaucoup lui ont attribué une intelligence supérieure et même la puissance de prédire et de guérir. Les Indous l’adoraient ; les Crétois l’appelaient divin. Il figure dans plusieurs mythologies (chez les Egyptiens, les Phéniciens) comme symbole bienfaisant. Mais le plus souvent cet animal, avec la rapidité de ses mouvements, sa puissance de fascination, son venin et le caractère rusé qu’on lui attribue, apparaît comme l’image de la puissance ennemie de l’humanité, et l’on trouve, dans les mystères grecs et dans les mythes persans, un reflet de l’idée qu’il a été le séducteur de l’homme. Les traditions chaldéennes parlent de Tiamat, le dragon de la mer, — « le grand serpent, » « l’ennemi, l’adversaire des dieux (aiub-ilani), » personnification du chaos, — qui lutte contre les dieux et finit par être écrasé par Mérodac (Jupiter). Mais est-ce là un mythe cosmogonique ou une allusion au rôle du serpent dans la chute ? Il faudrait, pour en décider, savoir si la lutte de Mérodac et de Tiamat est placée avant ou après la création de l’homme. — On trouve chez les Egyptiens une lutte semblable entre le serpent Apap (les ténèbres) et le Dieu Râ (le soleil). La victoire de la vie sur la mort, du bien sur le mal — à la fois au sens physique et au sens moral — est le sujet du mythe d’Osiris et de Hôr. — Le Zend-Avesta raconte la chute du premier homme Jima, qui est livré ensuite au pouvoir du serpent, du mauvais esprit. Dans le Rigvéda, Indra lutte contre le serpent Ahi, être rusé, avide, démonique, qu’il finit par vaincre (ce mythe est probablement météorologique). L’Avesta décrit des combats semblables. — Le combat contre le serpent ou le dragon se retrouve dans plusieurs mythes grecs : la lutte de Zeus contre Typhon (le père de tous les monstres) ; celle d’Apollon (le dieu du soleil, le dieu pur, sauveur et révélateur) contre le serpent Python ; celle d’Hercule contre l’hydre de Lerne ; celle d’Atlas ou d’Hercule contre le dragon Ladon, qui garde le jardin des Hespérides (le jardin des dieux). Le mythe d’Hercule — la personnification de la force morale et bienfaisante est surtout remarquable : il est le bienfaiteur de son peuple, non seulement pendant sa vie, mais à toujours, et reçoit à ce titre le surnom de Sôter (sauveur)r. Ce même combat joue un grand rôle dans la mythologie des Germains.
r – Comp. aussi les légendes de Pandore (le mal introduit dans le monde par la première femme) et de Prométhée (l’homme, avide de science, franchissant la limite qui le sépare des dieux, puis puni de sa témérité, et ne pouvant être délivré que si un dieu veut mourir pour lui).
D’après Genèse 5.4, Adam a eu d’autres enfants que Caïn, Abel et Seth, et cela sans doute, d’après Genèse 4.17, déjà avant le meurtre d’Abel.
Selon les uns, ces fils de Dieu sont des anges ; selon les autres, les descendants de Seth. La première opinion a pour elle l’opposition de « filles des hommes » et le fait que les anges sont très souvent appelés « fils de Dieu » (voy. p. ex. Job 1.6). Elle est adoptée par les livres apocryphes d’Hénoc et des Testaments des douze patriarches, par Philon, Josèphe, beaucoup de rabbins et de Pères (Justin, Clément, Tertullien, Cyprien, Ambroise, Lactance) et un grand nombre d’exégètes modernes. La seconde a pour elle le contexte (les hommes seuls sont punis et par conséquent paraissent être coupables), le nom de « fils de Dieu » donné parfois à des hommes pieux (p. ex. Psaumes 73.15 ; Proverbes 14.26), et surtout les expressions de Genèse 6.2, qui ne peuvent s’appliquer qu’à des mariages proprement dits et permanents, lesquels paraissent incompatibles avec la nature des anges telle que Jésus l’a définie (Luc 20.35-36). Elle est connue déjà de Josèphe et adoptée par une partie des rabbins, Julius Africanus (1re moitié du IIIe siècle), plusieurs Pères (Chrysostome, Augustin, Cyrille d’Alexandrie, Théodoret), Calvin, Luther et beaucoup de moderness). Les passages 2 Pierre 3.4 et Jude 1.5-6 ne peuvent prouver ni pour ni contre l’une ou l’autre de ces deux opinions.
s – Ainsi Hengstenberg, Ebrard, Keil (voir son Comm. sur la Genèse, p. 100-107) ; Œhler, Théol. de l’A. T., trad. par H. de Rougemont (1876), I, p. 191-193 (voir les passages cités par lui, p. 193, pour montrer que l’opposition de « filles des hommes » n’oblige pas à conclure que les « fils du Dieu » ne sont pas des hommes).
Le mot théba qui la désigne ne se trouve qu’ici et Exode ch. 2 (pour désigner le coffret où Moïse fut exposé). Le bois de gopher est probablement le cyprès. Les dimensions qu’indique le texte (300 coudées de long, 50 de large et 30 de haut) donnent à l’arche une surface de 15,000 coudées carrées et un volume de 450,000 coudées cubes (la coudée valant 48,5 cm.). Un pareil bâtiment, n’étant pas fait pour naviguer, mais pour flotter simplement, n’avait sans doute pas la forme d’un vaisseau ordinaire et n’était pas à quille ; ce devait être une maison flottante à trois étages, divisée en un grand nombre de cellules et supportée par un radeau. Le Mennonite P. Jansen, voulant vérifier l’exactitude du récit biblique, construisit en 1609, sur le modèle de l’arche, un bateau de 120 pieds de long, 20 de large et 12 de haut, qui fut mis à l’essai et reconnu propre à porter un poids trois fois plus considérable qu’un vaisseau de même cube et de forme ordinaire. — L’arche de Xisuthrus, dans la tradition chaldéenne, a des dimensions beaucoup plus grandes que celle de Noé (600 coudées de long, 60 de large et autant de haut) ; d’après Bérose elle a même 5 stades (près d’un kilomètre) de long sur 2 de large.
On sait que les animaux ont un instinct beaucoup plus sûr et plus délicat que l’homme et souvent cherchent à échapper à des dangers dont ce dernier n’a encore aucun pressentiment. A l’approche de la grande catastrophe, les animaux peuvent s’être réfugiés d’eux-mêmes dans le voisinage de l’homme, sans que Noé ail eu à s’occuper de les rassembler. On s’est souvent demandé comment ils trouvèrent place dans l’arche. Il va sans dire que plusieurs catégories d’animaux (poissons, insectes, etc.) restèrent en dehors. On a calculé que plus de 6000 espèces avec la nourriture nécessaire ont pu y entrer. Ce calcul n’est guère moins puéril que les objections tirées de l’impossibilité d’y renfermer toutes les espèces connues. Il n’est nullement nécessaire de presser le texte, comme si toutes sans exception y étaient entrées. Le sens du texte est suffisamment respecté si l’on admet que le monde animal, tel qu’il était connu de Noé, c’est-à-dire tel qu’il existait dans le voisinage immédiat de l’homme (qui n’occupait encore qu’une portion restreinte de notre terre), était représenté d’une manière complète dans l’arche. Réduite à ces termes, la tradition biblique n’offre plus rien d’inconcevable.
Le texte sacré paraît décrire un phénomène universel, puisque les plus hautes montagnes, l’Ararat, par ex. (16 000 pieds au dessus de la mer). sont couvertes par les eaux. Cuvier ne mettait pas en doute un déluge universel, ne remontant pas au-delà de l’apparition de l’homme sur la terre. Actuellement les savants se prononcent plutôt en sens contraire. On ne peut dire avec certitude si l’homme a été contemporain de l’époque géologique appelée diluvienne ; son existence n’est pas démontrée au-delà de la période glaciaire. On s’accorde à reconnaître que le déluge noachique ne peut être identifié avec le diluvium géologique, qui est une période plutôt qu’un fait unique. Il se pourrait que le déluge biblique fût un phénomène local qui aurait anéanti la race humaine, encore peu disséminée, et dont l’une des causes aurait été un affaissement partiel du sol terrestre. Cette supposition n’est pas incompatible avec le récit sacré, qui est tout entier relatif à Noé et aux sienst.
t – Voir sur ce point Reusch, p. 323, et les remarques judicieuses de Hugh Miller, citées en note. Les montagnes couvertes par l’eau peuvent, comme le remarque Reusch, ne désigner que « celles qui se trouvaient dans le champ de la vision de Noé. »
La plus curieuse des tradition païennes sur le déluge est celle des Babyloniens, que nous connaissions déjà par le prêtre chaldéen Bérose (IIIe siècle av. J. C.) et dont G. Smith a retrouvé une version plus complète.
[Voici le récit de Bérose (je cite d’après Lenormant, p. 387-389) : « Cronos (Ea) apparut à Xisuthrus (le dixième patriarche babylonien) dans son sommeil et lui annonça que, le 15 du mois de daisios, tous les hommes périraient par un déluge. Il lui ordonna donc de prendre le commencement, le milieu et la fin de tout ce qui était consigné par écrit, et de l’enfouir dans la ville du soleil, à Sippara ; puis de construire un navire et d’y monter avec :a famille et ses amis les plus chers ; d’y déposer des provisions pour la nourriture et la boisson, et d’y faire entrer aussi les animaux, volatiles et quadrupèdes ; enfin, de tout préparer pour la navigation… Xisuthrus obéit et construisit un navire long de cinq stades et large de deux ; il réunit tout ce qui lui avait été prescrit et embarqua sa femme, ses enfants et ses amis intimes. Le déluge étant survenu et bientôt décroissant, Xisuthrus lâcha quelques-uns des oiseaux ? Ceux-ci, n’ayant trouvé ni nourriture ni lieu pour se poser, revinrent au vaisseau. Quelques jours après, il leur donna de nouveau la liberté ; mais ils revinrent encore au navire avec les pieds pleins de boue. Enfin, lâchés une troisième fois, les oiseaux ne retournèrent plus. Alors Xisuthrus comprit que la terre était découverte ; il fit une ouverture au toit du navire et vit que celui-ci était arrêté sur une montagne. Il descendit donc avec sa femme, sa fille et son pilote, adora la terre, éleva un autel et y sacrifia aux dieux ; à ce moment, il disparut avec ceux qui l’accompagnaient. Cependant, ceux qui étaient restés dans le navire, ne voyant pas revenir Xisuthrus, descendirent a terre à leur tour et se mirent à le chercher en l’appelant par son nom. Ils ne le revirent plus, mais une voix du ciel se fit entendre, leur prescrivant d’être pieux envers les dieux ; qu’en effet il recevait la récompense de sa piété en étant enlevé pour habiter désormais au milieu des dieux… ; qu’ils devaient retourner à Babylone… et déterrer les écrits enfoui à Sippara, pour les transmettre aux hommes. Elle ajouta que le pays où ils se trouvaient était l’Arménie. Ceux-ci, après avoir entendu la voix, sacrifièrent aux dieux et revinrent à pied à Babylone. Du vaisseau de Xisuthrus, qui s’était enfin arrêté en Arménie, une partie subsiste encore dans les monts Gordyéens, en Arménie, et les pèlerins en rapportent l’asphalte qu’ils ont raclé sur les débris… » — On trouvera une traduction littérale des différents extraits de la tradition chaldéenne, conservés par les écrivains grecs, dans Smith, Chald. Genesis, p. 38-60.]
Ce récit, découvert sur des cylindres babyloniens du Musée britannique, date de 2000 ans environ avant J.-C. Il n’a donc pas été emprunté à la Genèse, comme on aurait pu le soupçonner de celui de Bérose. Ce récit est mis dans la bouche de Xisuthrus, parlant à son descendant, le héros babylonien Izdubar. « Je veux te raconter, ô Izdubar, l’histoire de ma délivrance et t’annoncer l’oracle des dieux. Tu connais la ville de Surripak, située sur l’Euphrate. Elle était déjà ancienne lorsque les dieux s’y décidèrent à envoyer un grand déluge ; tous les grands dieux, leur père Anu, leur conseiller, le belliqueux Bel, le porteur de leur trône Adar, leur conducteur Ennugi. Le Seigneur de la sagesse insondable, Ea, était avec eux et m’annonça leur décret : « Homme de Surripak, me dit-il, fils de Ubaratu, quitte ta maison et bâtis un vaisseau ; ils veulent détruire toute semence de vie ; conserve donc en vie et porte dans le vaisseau que tu construiras toute espèce de semence de vie. Fais-le long de X coudées, large et haut de Yu, et couvre-le aussi d’un toit. » Quand j’entendis cela, je dis à Ea, mon Seigneur : « O mon Seigneur, quand je construirai le vaisseau que tu m’as commandé de faire, le peuple et les anciens se [riront] de moi. » Mais Ea me commanda d’exécuter son ordre et dit à moi, son serviteur : « Ne ferme pas la porte du vaisseau c derrière toi, avant que le temps vienne où je t’avertirai. Alors entre et transporte dans le vaisseau tes provisions de blé, tous tes biens, ta famille, tes serviteurs et tes servantes, et tes plus intimes amis. J’enverrai vers toi le bétail des champs, les animaux sauvages de la campagne, afin qu’ils soient gardés derrière la porte du vaisseau. » Suit la description (très mutilée dans les fragments retrouvés) de la construction du bateau. Notons seulement qu’il y est question de bitume, dont il est enduit à l’extérieur et à l’intérieur. Le récit continue : « Tout ce que je possédais, je le réunis et je le portai sur le vaisseau, tout mon or, tout mon argent et toute sorte de semence de vie, tous mes serviteurs, mâles et femelles, le bétail des champs, les animaux sauvages de la campagne et mes plus intimes amis — je les y fis tous monter. Quand le dieu du soleil eut amené le moment déterminé, une voix dit : « Au soir les cieux pleuvront une pluie de destruction ; monte dans le vaisseau et ferme la porte derrière toi. Le temps marqué est venu, dit la voix ; au soir les cieux pleuvront une pluie de destruction ! » J’attendis avec angoisse le coucher du soleil ce jour-là, le jour où je devais commencer ma navigation. J’avais peur, mais je montai dans le vaisseau et fermai la porte derrière moi pour clore le vaisseau. Je confiai à Buzurkurgal, le pilote, le grand bâtiment avec sa charge. Alors Mûsêri-ina-namâriv s’éleva du fond du ciel ; un sombre nuage, du sein duquel le dieu de la tempête, Rimmon, fait éclater son tonnerre, pendant que Nébo et Serra se précipitent l’un contre l’autre. Ceux qui portent le trône passent sur la montagne et la plaine ; le puissant dieu de la peste déchaîne les ouragans, le dieu Adar fait déborder les canaux ; les dieux des grandes eaux amènent en haut des flots puissants ; ils agitent la terre par leur violence ; l’inondation du dieu de la tempête s’élève jusqu’au ciel ; toute lumière est changée en ténèbres. Le frère ne cherche pas son frère, les hommes ne s’inquiètent plus les uns des autres. Dans le ciel les dieux même s’effraient du déluge et fuient dans le ciel du dieu Anu ; les dieux s’accroupissent aux treillis du ciel comme un chien sur sa couche. La déesse Istar crie comme une femme en travail ; l’auguste déesse crie à haute voix : « Ainsi tout est changé en limon, comme je l’ai prédit aux dieux. J’ai prédit ce malheur aux dieux et annoncé ce combat de destruction contre mes hommes. Mais moi je n’enfante pas mes hommes pour qu’ils remplissent la mer comme du fretin ! » Alors les dieux pleurèrent avec elle à cause des esprits des grandes eaux, et ils pleuraient accroupis en un même lieu et tenaient leurs lèvres fermées. Six jours et sept nuits, le vent, les flots et l’ouragan se maintinrent. Mais le septième jour s’arrêta le déluge, qui avait combattu comme une puissante armée ; la mer se relira dans son lit, et la tempête et l’inondation cessèrent. Et moi, je parcourais la mer, me lamentant de ce que les demeures des hommes étaient converties en limon ; les cadavres flottaient çà et là comme des troncs d’arbre. J’avais ouvert une fenêtre, et quand la lumière du jour frappa ma face, je palpitais et je m’assis en pleurant ; mes larmes coulaient sur mon visage. Je naviguai par-dessus les pays, maintenant une mer effrayante ; la terre parut à la hauteur de douze mesuresw Le vaisseau naviguait vers le pays de Nizir. La montagne du pays de Nizir l’arrêta et ne le laissa pas aller plus loin. J’attendis six jours. Au septième, je pris un pigeon et le laissai s’envoler ; il vola çà et là, mais, ne trouvant point de lieu, il revint au vaisseau. Puis je pris une hirondelle et la fis envoler ; elle vola çà et là, mais, ne trouvant point de lieu, elle revint au vaisseau. Ensuite je pris un corbeau et le fis envoler. Il s’envola, et quand il vit la diminution des eaux, il s’avança marchant avec précaution dans l’eau, mais il ne revint pas. Alors je fis tout sortir vers les quatre vents. J’offris un sacrifice et bâtis un autel sur le sommet de la montagne. Je rangeai, sept par sept, les vases mesurés et j’étendis dessous des roseaux, du bois de cèdre et de genévrier. Les dieux sentirent le parfum, les dieux sentirent un doux parfum ; les dieux s’assemblèrent comme des mouches autour du sacrifiant. Alors l’auguste déesse Istar vint… et dit : « Je me souviendrai toujours de ces jours, je ne les oublierai pas. Que tous les dieux viennent à l’autel ; que Bel seul n’y vienne pas, car il a, sans réflexion, amené le déluge et livré mes hommes à la destruction. » Quand le dieu Bel vint et vit le vaisseau, il s’étonna ; son cœur se remplit de colère contre les dieux et les esprits du ciel. « Aucune âme n’échappera, cria-t-il, aucun homme ne sortira vivant de la destruction ! » Alors le dieu Adar ouvrit la bouche, et s’adressant au puissant Bel, dit : « Nul autre que le dieu Ea n’a fait cela ; Ea savait (notre décret) et lui a tout communiqué. » Le dieu Ea ouvrit la bouche et dit, s’adressant au puissant Bel : « Tu es le puissant prince des dieux ; mais pourquoi as-tu agi sans réflexion et amené le déluge ? Laisse le pécheur expier son péché, le malfaiteur son crime ; mais lui, sois-lui propice ; qu’il ne soit pas détruit, et aie pitié de lui, afin qu’il reste en vie. Au lieu que tu déchaînes un nouveau déluge, que dorénavant les lions et les hyènes viennent et déciment les hommes ; que la famine arrive et dépeuple le pays ; que le Dieu de la peste vienne et décime les hommes ! Je n’ai pas révélé à Xisuthrus le décret des grands dieux ; je lui ai envoyé seulement un songe ; c’est ainsi qu’il a appris le décret des dieux. » Alors Bel se calma, et entra dans le vaisseau, prit ma main et me fit lever ; il fit aussi lever ma femme et mit sa main dans la mienne ; et il se tourna vers nous, se plaça entre nous et prononça cette bénédiction : « Jusqu’ici Samas-napistim a été un homme mortel ; mais maintenant qu’il soit avec sa femme élevé parmi les dieux ! Qu’il habite au loin, à l’embouchure des fleuves ! » Alors il m’emmena et me conduisit au loin à l’embouchure des fleuves. »
u – Les chiffres sont effacés dans l’inscription.
v – « L’eau du crépuscule au lever du jour. » (Lenormant, p. 396 ; Delitzsch, dans Chald. Genesis, p. 319).
w – Au-dessus du niveau de la mer.
Le récit qu’on vient de lire présente des analogies si frappantes avec celui de la Genèse, qu’ils doivent nécessairement provenir l’un de l’autre ou avoir une source communex. Les différences qui existent entre eux, à côté de l’accord général, ne permettent pas de penser qu’ils aient été copiés l’un sur l’autre ; le récit chaldéen est ainsi un témoin indépendant et de la plus haute antiquité en faveur de la vérité du récit biblique. Ce dernier est strictement monothéiste, le premier tout pénétré de polythéisme. A cette divergence fondamentale s’en joignent d’autres de détail : divers traits du récit chaldéen (le pilote, etc.), qui révèlent un peuple navigateur ; les dimensions de l’arche plus grandes et la durée du déluge (14 jours) plus courte dans ce récit que dans la Genèsey ; plusieurs personnes sauvées avec Xisuthrus et sa famille ; l’enlèvement de celui-ci (qui rappelle celui d’Hénoc dans la Genèse) ; l’hirondelle envoyée, outre le pigeon et le corbeau ; l’absence de la distinction entre animaux purs et impurs ; le mont Nizir substitué à l’Ararat. Quant à ce dernier point, il ne faut pas oublier qu’Ararat désigne toujours dans les inscriptions (sous la forme Urarti) comme dans la Bible un pays (Arménie) et non une montagne (Genèse 8.4 : « les montagnes d’Ararat »). Peut-être même ce mot signifiait-il primitivement un pays de montagne en général. Le mont Nizir, du récit chaldéen, était situé, d’après une inscription d’Assurbanipal, à l’est du Tigre, entre le 35e et le 36e degré de latitude, donc beaucoup plus au sud que l’Ararat.
x – Remarquez. entr’autres : le déluge présenté dans l’un et l’autre comme un châtiment divin ; la mention du moment où l’arche fut fermée ; l’envoi des oiseaux ; le sacrifice accepté après le déluge ; la promesse divine qu’il n’y aura plus de déluge, etc.
y – Le déluge de Deucalion, dans la tradition grecque, ne dure que 9 jours.
On trouvera dans le livre de M. Lenormant (p. 418–490) une revue très complète des traditions des autres peuples relatives au déluge. Je dois me borner à transcrire la conclusion de de l’illustre savant : « Nous n’hésitons pas à proclamer que le déluge biblique, loin d’être un mythe, a été un fait historique et réel, qui a frappé à tout le moins les ancêtres des rois races aryenne ou indo-européenne, sémitique ou syro-arabe, chamitique ou kouschite, c’est-à-dire des trois grandes races civilisées du monde ancien, avant que les ancêtres de ces trois races ne se fussent encore séparés et dans la contrée de l’Asie qu’ils habitaient ensemble » (p. 491). (Comp. Delitzsch, Genesis, 2e éd. p. 238.)
Le récit biblique la fixe e à un peu plus d’une année (du 17e jour du 2me mois au 27e du même mois). Ces dates se rapportent sans doute à l’année économique, qui commençait vers l’équinoxe d’automne (Exode 23.16), plutôt qu’à l’année ecclésiastique, introduite par Moïse, qui commençait au printemps (Exode 12.2), avec le mois d’abib (nisan). Le déluge aurait donc commencé en automne, c’est-à-dire au moment où s’ouvre la saison des pluies. — La chronologie du déluge offre d’ailleurs des difficultés, dans lesquelles nous n’entrons pas.
L’unité de l’espèce humaine, si nettement affirmée par la Bible, peut invoquer en sa faveur quelques-uns des plus grands noms de la science. Alex. de Humboldt n’hésite pas à l’admettre et se range à l’opinion du grand naturaliste Jean Müller : « Les races humaines sont des formes d’une espèce unique, et non les espèces d’un genre… Quant à savoir si les races existantes dérivent d’un ancêtre unique, c’est une question que l’expérience ne peut résoudrez. » — La Bible n’explique pas comment les différentes races se sont formées. La table des peuples (Gen. ch. 10) n’a pas non plus la prétention d’être complète ; elle mentionne seulement les peuples connus des Israélites au temps de Moïse. Ce qui est certain, c’est que ce tableau n’est ni un produit mythique, ni une création de la fantaisie de l’auteur, mais un document historique, puisé dans l’antique tradition patriarcale.
z – Cité dans le Cosmos, I, p. 381. Reusch (Bibel u. Natur, p. 385-433) donne un exposé extrêmement clair et complet de toute la question et des opinions des savants à cet égard. Dans notre langue, il suffit de rappeler les travaux de M. de Quatrefages, en faveur de l’unité de notre espèce. Voy. le résumé qu’il en a donné lui-même, Encyclopédie des sciences relig. VI, p. 325-338.
Les découvertes assyriologiques jettent un grand jour sur Genèse 10.8-12 et prouvent que ces versets renferment des souvenirs historiques très précis.
Trois des quatre villes mentionnées v. 10 sont bien connues par les inscriptions assyro-chaldéennes. Babel : dans les inscriptions Babilu (grec Babylone) ; dès 1000 au moins avant J.-C, siège important de la civilisation proto-chaldéenne (accadienne) ; sur les deux rives de l’Euphrate, à la hauteur de Hillah. — Erec : inscr. Uruk ou Arku (gr. Orchoé) ; théâtre principal de l’histoire du héros babylonien Izdubar ; pendant longtemps nécropole des rois babyloniens ; aujourd’hui Warka, à 30 lieues au S. de Babylone, sur le canal Schatt-en-Nil (rive gauche de l’Euphrate) ; ruines de 14 kilom. de tour, où l’on a trouvé de nombreux sarcophages et des inscriptions très anciennes (entre autres du roi Uruk) — Accad : nom de ville, pays et peuple fréquent dans les inscr. ; rois de Sumir (Babylonie sud) et Accad (Babyl. nord) » est le titre constant des rois chaldéens et assyriens. Friedr. Delitzsch place la ville d’Accad vis-à-vis de Sippar sur le canal Agadé des inscr. (auj. Nahr-Isa), au N. de Babylone ; le nom de Sippar aurait prévalu pour désigner la double ville de Sippar-Accad. — Calné : situation inconnue. — Sinéar (inscr. Sumir) : nom de la Babylonie dans l’A. T. — Nemrod : personnage certainement historique, bien qu’on n’ait pas retrouvé son nom dans les inscr. ; fils de Cus, d’après v. 8. Les Babyloniens sémites ont été précédés en Chaldée par des non-sémites, les Accadiens-Sumériens, inventeurs de l’écriture cunéiforme. 6. Smith identifie Nemrod avec le héros légendaire Izdubar, qui règne sur la même contrée (Erec, Babel), étend comme lui ses conquêtes vers le nord et reste célèbre par ses exploits de chasse.
Il faut traduire au v. 11 : « De ce pays il s’en alla vers Assur. » (Assur n’est nulle part un homme.) Il est démontré par les monuments que l’empire assyrien est une fondation babylonienne ; Assur a emprunté à Babylone sa religion et sa culture et demeura fort, longtemps sous sa dépendance avant de se l’asservir à son tour. Assur : nom du dieu suprême et de la première capitale des Assyriens (abandonnée dès le XIe ou Xe siècle ; auj. Kileh-Schergat sur la rive droite du Tigre, au S. de Mossul), puis de l’empire entier. — Ninive : ici, nom d’un quartier de la grande capitale (v. 12 : « c’est la grande ville ») qui se composait des quatre villes, v. 11 et 12, et qui plus tard fut appelée dans son ensemble Ninive ; dans les inscr. Ninua ; auj. Koyoundjik et Nabi-Junus, vis-à-vis de Mossul ; ruines de plusieurs palais. — Réhobot-Ir signifie « places de la ville, » c’est-à-dire faubourg. Friedr. Delitzsch l’identifie avec Rebît-Nina (« faubourg de Ninive ») qu’une inscription de Sargon place au N. de Ninive, dans le voisinage de Khorsabad. — Calach : résidence des souverains assyriens dès le IXe siècle ; auj. Nimroud, ruines à 6 lieues au S.-E. de Koyoundjik, dans l’angle formé par le grand Zab et le Tigre. (Rem. dans ce nom le souvenir de Nemrod ; comp. Michée 5.6) — Résen : inconnue dans les inscr. ; située peut-être à Sélamieh (ruines), entre Nimroud et Nabi-Junus. Peut-être ces quatre villes étaient-elles entourées d’une enceinte qui en faisait une seule ville (la ville de 3 jours de marche dans Jonas 3.3 ; de 24 lieues de tour dans Diodore).
Sur la rive gauche de l’Euphrate : Babil (temple de Mérodac), colline de 40 m. de hauteur sur 180 m. de longueur ; Al-Kasr (résidence de Nébucadnetsar) ; Amran-ibn-Ali (terrasses ou jardins suspendus, créés par ce prince) ; — sur la rive droite : Birs-Nimrud (« tour de Nemrod »), dans l’ancien quartier de Borsippa, à 2 lieues au S.-E. de Hillah. Cette ruine est celle de la tour à sept étages (consacrés aux dieux planétaires) que Nébucadnetsar acheva et qu’Alexandre entreprit à son tour de restaurer. Cet édifice, haut primitivement de 250 pieds (aujourd’hui 150 p., sur une base de 270 p. de longueur), est sans aucun doute la fameuse « tour de Babylone. »
Smith a découvert en 1875 un fragment, malheureusement très mutilé, qui paraît faire partie d’un récit babylonien de l’événement raconté Genèse ch. 11. En voici le principal passage : « … Son cœur fut irrité… impie contre le père de tous les dieux… de lui, son cœur fut irrité… Babel soumise… ; … et petits, il confondit leur [langue ?]. Ils fondaient pendant le jour leur puissant édifice (?) ; il détruisit entièrement pendant la nuit leur puissant édifice (?). Et dans sa colère, il parla ainsi ; il tourna son regard pour disperser au dehors ; il donna ce (?) commandement, leur conseil fut confondu… il empêcha de continuer… édifié le sanctuaire. » — Rem. encore que les briques et l’asphalte (v. 3) sont les matériaux de construction qui ont été de tout temps employés en Babylonie.
Ebrard (Anfänge des Menschengesclechts ; 1876, p. 10-34) résume avec soin les nombreux faits qui attestent que le polythéisme n’est pas le point de départ du développement religieux de l’humanité, mais la dégradation d’une religion primitive plus pure. Il conclut : « Même chez les peuples les plus dégradés de toutes les races on trouve les traces les plus certaines de la connaissance et de l’adoration primitives d’un Créateur unique, invisible et saint, et ce n’est qu’après la séparation des races qu’ils sont tombés dans le polythéisme et plus tard dans le culte des esprits et le fétichisme. Les faits prouvent que cette déchéance morale a été accompagnée chez la plupart de la chute d’un degré de civilisation plus élevé dans la barbarie » (p. 35).
Ur : inscr. Uru ; ville de commerce et de navigation ; capitale des plus anciens rois babyloniens connus (entre autres Uruk, prince qui dominait sur toute la Basse-Chaldée vers l’époque d’Abraham et qui a laissé partout de nombreuses inscriptions) ; auj. Mugheir (sur la rive droite de l’Euphrate, au S.-E. de Babylone, et au bord du Pallacopas), comme l’attestent sans aucun doute les inscr. trouvées dans les ruines. — Haran : le Carrhae des Romains, où Crassus fut battu par les Parthes ; en Mésopotamie, à 2 journées de chemin au S.-E. d’Edesse.
Le récit Genèse ch. 14 a reçu des inscr. une remarquable confirmation. Elles nous font connaître la dynastie élamitique des Kudur qui a régné en Babylonie à une époque très reculée (les rois mèdes de Bérose ; Elam c-à-d la Susiane), entr’autres un Kudur-Nahunti, qui pilla la ville d’Erec, et un Kudur-Mabuk, qui se désigne (inscr. de Mugheir) comme « roi du pays occidental » (Syrie, Palestine). Les Kudurides avaient donc étendu leurs conquêtes jusqu’à la Méditerranée. Kédor-Laomer (LXX : Chodollogomor) appartenait certainement à cette dynastie. Le nom de Lagamar se retrouve dans les inscr. comme celui d’une divinité élamitique. — Ellasar : le Larsam des inscr. ; auj. Senkéreh, au S.-E. de Warka. — Arjoc : inscr. Eriaku, fils de Kudur-Mabuk et roi vassal de Larsam.
La partie sud du bassin actuel de la mer Morte, laquelle devait exister déjà, mais sur une moindre étendue qu’aujourd’hui, avant la catastrophe racontée Genèse ch. 19. La montagne de sel qui s’élève jusqu’à une hauteur de 120 m. et sur une longueur de plus de deux lieues à l’O. de la mer Morte, près de son extrémité sud, a conservé dans son nom de Djebel-Usdum (Sodome), le souvenir de cette catastrophe.
Salem est certainement Jérusalem, nommée Salem Psaumes 76.3, et non, comme quelques-uns l’ont pensé, le Salim près duquel Jean-Baptiste baptisait (Jean 3.23), dans la vallée du Jourdain. La vallée royale devait être voisine de Jérusalem ; d’après Josèphe, à 2 stades de cette ville ; c’est sans doute la vallée du Cédron. Comp. 2 Samuel 18.18.
Ce rite, qui dans la règle se pratiquait chez les Israélites sur les garçons âgés de 8 jours, est une cérémonie de purification qui marquait la sainteté de tous les membres du peuple de l’alliance (le « peuple de prêtres ») et servait à le distinguer des populations cananéennes ses voisines. Il n’appartient cependant pas en propre aux Israélites. On le retrouve chez les Arabes et chez d’autres peuples descendant d’Abraham. Le Koran (aussi bien que la loi de Moïse) en parle comme d’un usage dès longtemps reçu ; il se pratique chez les Arabes entre 6 et 15 ans, le plus souvent à 13 ans (comme pour Ismaël). Des Arabes ce rite a passé avec l’Islam aux Perses et aux Indous ; c’est d’eux aussi sans doute que l’ont pris les Abyssins chrétiens. On ne le trouve ni en Assyrie, ni en Chaldée, mais bien en Egypte (circonc. de 6 à 14 ans), dès les temps les plus reculés et bien avant Abraham, comme l’attestent les monuments ainsi que les auteurs anciens. Il y était de rigueur pour les prêtres et pour le roi, toujours admis dans la caste sacerdotale. C’est sans doute d’Egypte que cette coutume a passé en Phénicie. On l’a trouvée également chez les noirs du Congo et de la Cafrerie, au Mexique, en Océanie, et chez quelques Indiens de l’Amérique du sud. On peut admettre qu’Abraham apprit à connaître cet usage en Egypte, sans diminuer en rien la valeur religieuse qu’il a eue pour Israël, ni contester qu’il ait été institué par Abraham à la suite d’une révélation positive.
Dans dans l’A. T., la « mer salée » ; chez les anciens, le lac Asphaltite ; chez les Arabes, la mer de Lot (Bahr-Loût) ; Pausanias et Justin lui donnent déjà le nom de mer Morte. Tout prouve que cette contrée (spécialement la partie sud du bassin, où devaient se trouver les cinq villes) a été le théâtre de phénomènes volcaniques, qui expliquent parfaitement la catastrophe Genèse ch. 19 et dont les écrivains païens eux-mêmes (comme Tacite et Strabon) font mention.
Les anciens (Josèphe, Clément Romain, Irénée, Tertullien) parlent d’une statue de sel qui existait de leur temps et devait cacher les restes de la femme de Lot. Aujourd’hui s’élève, non loin de la mer Morte, sur le versant oriental du Djébel-Usdum, une colonne isolée de pierre calcaire, couverte de sel cristallisé et haute de 40 pieds, à laquelle les Arabes donnent le nom de « fille de Lot ».
Le dieu des Ammonites, Moloch, est identique avec le Chamos des Moabites et le Baal des Phéniciens. On l’envisageait comme une divinité cruelle à laquelle il fallait, pour la rendre propice, sacrifier ce que l’on avait de plus cher et de plus pur, par ex. ses enfants, de préférence un fils unique. Le sacrifice ainsi offert était un holocauste ; la victime n’était pas brûlée vive, comme on le croit souvent, mais égorgée d’abord et consumée ensuite. Ce culte horrible se pratiquait surtout en Phénicie et à Carthage, où on le célébrait en présence d’un grand danger (comp. le sacrifice de Mésa, 2 Rois 3.27) et à certains jours de fête déterminés. Les mères carthaginoises devaient assister an sacrifice de leurs enfants sans donner aucun signe extérieur de douleur ; une musique bruyante avait pour but aussi bien de couvrir les cris des victimes que d’exalter le fanatisme des adorateurs. En Israël, Achab et Manassé sont signalés comme ayant offert de pareils sacrifices.
Ville très antique (fondée 7 ans avant Tsoan d’Egypte ; Nombres 13.23), nommée par les Israélites au temps de la conquête de Canaan Kiriat-Arba (ville de l’Enakite Arba, un prince appartenant à la population primitive de Canaan ; Josué 14.15 ; 15.13) ; ville sacerdotale et de refuge (Josué 21.11) ; l’une des quatre cités saintes des Juifs ; aujourd’hui El-Khalîl (« l’ami [de Dieu], » surnom d’Abraham chez les Mahométans ; Jacques 2.23), ville de 8 à 10 000 habitants, (dont 500 Juifs et aucun chrétien ; population très fanatique, industries des peaux et du verre), sur la route de Jérusalem à Béerséba, à 8 lieues au S. de Jérusalem, dans une vallée qui se dirige du N.-O. au S.-E., au milieu d’une contrée très fertile (entr’autres en vignes) ; c’est près d’Hébron que se trouve la vallée d’Eskol (frère de Mamré, Gen. ch. 14) ou « des raisins, » où vinrent les espions (Nombres 13.23-25). — Abraham habitait sous les chênes de Mamré, probablement au S.-O. d’Hébron. La légende place à tort sa maison à Ramet-el-Khalîl, 1 lieue au N. d’Hébron. On montre à une demie-lieue au N.-O. de la ville un antique térébinthe (de 10 m. de tour) dont la légende a fait le « chêne d’Abraham » (elle l’a placé successivement dans le cours des siècles en plusieurs localités différentes). — Macpéla, vis-à-vis, au-devant de Mamré, c-à-d. à l’est de la propriété de l’Amorrhéen Mamré, se trouvait probablement près de la ville actuelle, sur la pente ouest du mont Rumeidi ; rien n’empêche de regarder comme authentique la grotte sépulcrale qu’enferme le Harâm ; au centre de la cour, fermée d’un mur de 50 à 60 p. et inaccessible aux chrétiens, se trouve la mosquée, et au-dessous de celle-ci la crypte, dans laquelle quelques voyageurs qui y ont pénétré exceptionnellement (à la suite du prince de Galles, du prince de Prusse, etc.), croient avoir aperçu les sarcophages qui renferment les restes des patriarches.
La dignité à laquelle il est élevé est celle de grand-vizir. On peut voir dans Riehm (art. Joseph, p. 760) un ancien dessin égyptien représentant l’investiture d’un haut fonctionnaire ; on y retrouve tous les détails des v. 42 à 46a). — Le nom de Tsaphnat-Phanéach (égypt. Psontemphaneh), que Jérôme rend par « sauveur du monde, » signifie probablement « conservateur de la vie. » Celui de la femme de Joseph, Asnath, est le nom de femme égyptien très commun Sant ou Snat, et celui de son beau-père, Potiphéra (Potiphar ; ancien égyptien : Pétapra), signifie : « consacré à Râ (c-à-d. au soleil). » On (égypt. An) est le nom vulgaire d’Héliopolis, la ville du soleil (égypt. Esrâ ou Resrâ, « trône ou siège du soleil »), où existait dès les temps les plus anciens un fameux temple du soleil, dont les prêtres occupaient la première place dans le sacerdoce égyptien (Hérod. II, 3). Joseph fut sans doute admis dans cette caste, à laquelle toutes les hautes charges appartenaient en Egypte.
a – Keil (p. 297, note) rappelle le cas (cité par Hérod. II, 121) d’un fils de maçon élevé au rang de gendre du roi, parce qu’il surpassait en intelligence tous les Egyptiens.
LXX : Gesen ou Gesem ; dans les monuments égyptiens Kesem, forme sémitique de l’égypt. Kos — était situé dans la partie orientale du Delta et formait le 20me nome (district) de la Basse-Egypte. Ce district ; aujourd’hui encore le plus fertile du pays, était limité à l’O. par le bras tanitique du Nil ; au N. par les lagunes qui avoisinent la Méditerranée ; au S. par le grand canal de Séti Ier qui devait probablement réunir le Nil à la mer Rouge ; à l’E. par les lacs salés de l’isthme et les fortifications destinées à contenir les hordes du désert arabique. — Ramsès (Genèse 47.11 : « la contrée de Ramsès ») est identique avec Tanis (Tsoan, auj. San), sur l’une des embouchures du Nil. Cette ville, d’après les nombreuses inscriptions qu’on y a trouvées, portait aussi le nom de Ramsès, à cause des grandes constructions que Ramsès II y avait élevées, comme en plusieurs autres points du pays de Goscen. D’après les monuments et les papyrus égyptiens, la population de Goscen, et de Ramsès en particulier, était en grande partie sémitique. Les Egyptiens cultivaient les terres le long des canaux ; les bergers, sémites d’origine et assez mal notésb, gardaient le bétail dans les excellents pâturages des marches du N.-E.
b – Le mépris des Egyptiens pour les bergers, et pour les nomades étrangers en particulier, est attesté par les monuments et par les écrivains anciens : les bergers formaient la caste la plus inférieure (Hérod. II, 47 et 164). Comp. Genèse 46.34. Sur ce point, et en général sur les rapports entre la Genèse et les résultats de l’égyptologie, on peut consulter G. Rawlinson, Illustrations historiques de l’A. T., trad. de l’anglais par C. de Faye (1881), p. 39-55.
Les écrivains profanes (Diodore, Strabon, Hérodote II, 109) et les monuments attestent que des institutions comme celles que la Bible attribue à Joseph ont réellement existé en Egypte. Le sol appartenait au roi et aux prêtres ; les agriculteurs étaient simplement fermiersc. Les guerriers, dont la Genèse ne parle pas, n’étaient pas réellement propriétaires de leurs terres : le roi les leur cédait à titre de fiefs, comme une sorte de solde d’honneur (Hérod. II, 141, 168). — La redevance du 5me n’a rien d’exagéré dans un pays aussi extraordinairement fertile que l’Egypte. La réforme de Joseph était conçue dans l’intérêt du peuple aussi bien que dans celui du roi. Elle devait garantir le pays contre le retour du fléau et augmenter le bien-être de la population, bien loin de le diminuer, en organisant une culture plus régulière du sol et sans doute aussi un système de canalisation pour distribuer l’eau du Nil partout d’une manière égale. En Egypte, où la fertilité de chaque coin de terre dépend des mesures prises pour l’ensemble, il fallait une puissance royale très absolue et indépendante, pour supporter les immenses frais de la canalisation et de travaux comme le grand réservoir régulateur du lac Mœris. Aussi ne paraît-il pas que la propriété foncière privée y ait jamais été illimitée comme ailleurs. « Dans aucun pays, a dit de l’Egypte Napoléon à Sainte-Hélène, l’administration n’a autant d’influence sur la prospérité publique : si elle est bonne, les canaux sont bien creusés, bien entretenus… ; si elle est mauvaise, les canaux sont obstrués de vase, les digues mal entretenues, les règlements de l’irrigation transgressés… Le gouvernement n’a aucune influence sur la pluie ou la neige qui tombe dans la Beauce ou dans la Brie ; mais en Egypte le gouvernement a une influence immédiate sur l’étendue de l’inondation qui en tient lieu. C’est ce qui fait la différence de l’Egypte administrée sous les Ptolémées, de l’Egypte déjà en décadence sous les Romains, et ruinée sous les Turcs. » (Itinéraire de l’Orient, par Joanne et Isambert 1861, p. 901.)
c – Hérodote rapporte toute cette organisation au légendaire Sésostris, qui aurait partagé toutes les terres par parties égales entre les habitants.