Saint Jean Damascène n’a point donné de théorie de l’Église. Il la regarde seulement, ainsi qu’on l’a déjà remarqué, comme la règle vivante de la foi, et revendique hautement pour elle l’indépendance doctrinale et disciplinaire vis-à-vis des princes temporels. L’Église ne doit point être régie par les décrets des empereurs, mais par les synodes et les canons qui y sont édictés : les apôtres, non les empereurs, ont reçu le pouvoir de lier et de délier. Sur la primauté de saint Pierre, notre auteur répète les paroles de ses prédécesseurs : saint Pierre est le coryphée en chef du Nouveau Testament (ὁ τῆς νέας διαϑήκης κορυφαιότατος), le digne chef de l’Église dont il tient le gouvernail (ἐπάξιος πρόεδρος), son modérateur et son fondement.
Point de théorie non plus des sacrements en général. Une réflexion seulement, que saint Jean fait à propos du baptême, peut s’étendre aux rites analogues : c’est que « les éléments visibles sont les symboles des [réalités] spirituelles ». Les sacrements sont des signes de la grâce.
Le baptême fait l’objet du livre iv, 9 du De fide orthodoxa. Il existe plusieurs sortes de baptême, et entre autres, le baptême de Jésus-Christ, le baptême laborieux (la pénitence) et le baptême de sang. La matière du baptême chrétien est l’eau, dont le propre est de purifier, mais l’eau dans laquelle est descendu l’Esprit-Saint en vertu de la bénédiction préparatoire (δι᾽ ἐντεύξεως καὶ ἐπικλήσεως). L’ablution est accompagnée de l’invocation trinitaire, invocation nécessaire comme le baptême lui-même, invocation qui, étant prononcée, fait que le baptême ne saurait se réitérer.
Le baptême chrétien représente la mort de Jésus-Christ, et c’est pourquoi saint Paul a dit que nous sommes baptisés dans le Christ et dans sa mort. Il remet les péchés, confère le Saint-Esprit dans la mesure de la préparation et de la purification (προκαϑάρσεως) qu’on y apporte, se met comme un sceau sur celui qui le reçoit. Il est παλιγγενεσία καὶ σφραγὶς καὶ φυλακτήριον καὶ φωτισμός.
Saint Jean Damascène a probablement signalé obscurément la confirmation, quand il parle de l’onction d’huile qui accompagne le baptême. Il ne s’y arrête pas. En revanche, il a exposé avec beaucoup de soin sa doctrine eucharistique au De fide orthodoxa iv, 13. Cette doctrine d’ailleurs n’offre rien de personnel, et il serait aisé de désigner les auteurs qui lui en ont fourni les éléments et l’expression.
Elle débute par une affirmation de réalisme des plus explicites. Dans l’eucharistie, le pain devient le corps, et le vin mêlé d’eau devient le sang de Jésus-Christ. Οὐχ ἔστι τύπος ὃ ἄρτος καὶ οἶνος τοῦ σώματος καὶ αἵματος τοῦ Χριστοῦ (μὴ γένοιτο) ἀλλ᾽ αὐτὸ τὸ σῶμα τοῦ Κυρίου τεϑεωμένον. Le fondement solide de cette affirmation se trouve dans les paroles mêmes de Jésus-Christ plusieurs fois rappelées. Que si parfois le pain et le vin sont appelés ἀντίτυπα du corps et du sang du Sauveur, cela doit s’entendre du pain et du vin avant la consécration ; et si parfois on dit des saints mystères qu’ils sont les anti types des choses futures (ἀντίτυπα τῶν μελλόντων), cela signifie que par eux nous devenons participants de la divinité de Jésus-Christ, divinité à laquelle nous participerons plus tard par la seule intelligence et contemplation (νοητῶς, διὰ μόνης τῆς ϑέας).
Comment doit-on concevoir que le pain et le vin deviennent, dans l’eucharistie, le corps et le sang de Jésus-Christ ? En deux passages, notre auteur présente ce mystère comme le résultat d’une sorte d’impanation, d’une simple union de la divinité du Verbe avec le pain et le vin. De même que Dieu unit sa grâce à l’eau et à l’huile du baptême, aussi dans l’eucharistie il a joint (συνέζευξεν) aux éléments sa divinité, pour les faire son corps et son sang. De même que le charbon est du bois uni à du feu, « de même le pain de la communion n’est pas simplement du pain, mais [du pain] uni à la divinité « (ἡνωμένος ϑεότητι). Mais ce n’est point là la vraie pensée de saint Jean : cette pensée il l’énonce et la précise aussitôt. Il faut d’abord poser en principe que le corps eucharistique de Jésus-Christ est son corps historique, le corps pris de la Vierge. D’autre part, ce corps ne vient point dans les saints mystères par adduction, comme si le corps, qui est monté au ciel, en descendait ; mais il y est produit par conversion : « le pain même et le vin sont convertis (μεταποιοῦνται) au corps et au sang de Dieu ». Une comparaison peut éclairer ceci. De même que, dans les repas ordinaires, le pain et le vin sont changés en notre corps, et en ce corps même qui était le nôtre avant de manger, « ainsi le pain et le vin mêlé d’eau de la prothèse sont par l’invocation et la venue de l’Esprit-Saint, surnaturellement convertis (μεταποιοῦνται) au corps et au sang du Christ, de sorte qu’il n’y a pas deux corps [différents], mais un seul, et celui même du Christ ».
Comment cela se peut-il faire ? Inutile d’en chercher d’autre explication que la puissance de Dieu, la puissance du Saint-Esprit qui agit en ce mystère. Dieu a tout créé par sa seule parole ; le Verbe s’est incarné par sa seule volonté : il a dit de même : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de moi », et cela est comme il l’a dit et parce qu’il l’a dit. Le Saint-Esprit par qui Dieu a tout fait, et qui a donné à Marie sa fécondité, devient, par l’épiclèse, « la pluie [qui fait lever] cette nouvelle moisson ».
On a pu remarquer que saint Jean Damascène attribue nettement la conversion des éléments eucharistiques au Saint-Esprit invoqué au moment de l’épiclèse, à l’exclusion même des paroles de l’institution. C’est, comme on l’a remarqué, une conséquence de l’erreur qu’il a commise au sujet du mot ἀντίτυπα. Le Damascène ne veut pas que, dans les auteurs anciens, ce mot désigne les éléments consacrés, mais seulement le pain et le vin dans leur état naturel. Comme, d’autre part, ce mot est précisément employé dans la liturgie de saint Basile après les paroles de l’institution, mais avant l’épiclèse, pour désigner les oblata il en a conclu qu’à ce moment la consécration n’est pas encore faite, et quelle ne se fera que par l’épiclèse. Nouvelle erreur, plus grave que la première, et dans laquelle il a fixé la théologie grecque.
La chair eucharistique de Jésus-Christ étant son vrai corps est conséquemment une chair vivifiante, bien plus, esprit vivificateur (πνεῦμα ζωοποιοῦν), puisqu’elle a été conçue par l’opération du Saint-Esprit. Et comme elle est unie hypostatiquement à la nature divine, elle fait participer à cette divine nature ceux qui la reçoivent dans de bonnes dispositions : μετέχουσι, καὶ κοινωνοὶ ϑείας φύσεως γίνονται. Les autres effets de la communion sont de remettre les péchés, de purifier et de soutenir l’âme et le corps, de rendre les fidèles membres de Jésus-Christ, de les unir au Saint-Esprit et entre eux. Il est remarquable que notre auteur ne parle pas de l’eucharistie comme principe de la résurrection de la chair.
De l’eucharistie-sacrifice saint Jean ne dit qu’un mot. Figurée par l’offrande de Melchisédec, elle est « le sacrifice pur et non sanglant que le Seigneur avait annoncé par les prophètes devoir lui être offert depuis l’orient jusqu’au couchant ».
Sur les sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, les écrits de saint Jean Damascène ne contiennent rien que de courtes allusions. Une Epistula de confessione éditée parmi ses œuvres ne saurait être considérée comme authentique.