On a souvent vu dans l’Ange de l’Éternel un ange dans le sens propre du mot, un esprit fini exécutant dans certains cas les ordres du Seigneur (Augustin, Jérôme, Grégoire-le-Grand, Steudel, Trip, Hofmann, Kurtz, Delitzsch). Un ange peut fort bien être appelé l’ange de l’Éternel, sans qu’on soit obligé pour cela de voir en lui plus qu’un ange. Ce qu’il dit et ce qu’il fait est attribué à l’Éternel ; rien de plus naturel : un messager représente celui qui l’a envoyé. La parole des prophètes n’est-elle pas souvent identifiée avec la parole de l’Éternel ?b Et ne voyons-nous pas le N. T. (Actes 12.17) attribuer au Seigneur lui-même ce que vient de faire son ange ? Dans Apocalypse 22.6, 12, l’ange du Seigneur parle à la première personne, comme s’il était le Seigneur lui-mêmec.
b – Ceci est vrai, mais il faut observer cependant que les prophètes ont soin, quand ils rapportent des paroles de Dieu, d’en avertir toujours par cette formule : Ainsi parle Jéhovah, ce qui, avec l’ange, n’est qu’une rare exception, ainsi Genèse 22.16.
c – Cela est vrai aussi. Mais cependant l’ange ne veut pas que l’apôtre l’adore (Apocalypse 22.9), tandis que l’ange de l’A. T. accepte de tels témoignages de respect (Josué 5.14 ; Juges 6.19 ; 13.18).
Mais cet ange, quel est-il ? Steudel, par exemple, y voit un ange pris au hasard parmi tous les autres, sans que rien indique que ce soit toujours le même. Hofmann pense que c’est toujours le même et il l’identifie avec l’archange Michel du livre de Daniel. Quant à ce dernier point, nous ne croyons pas du tout que l’ange de Jéhovah finisse dans l’A. T. par devenir l’archange Michel. Mais le rang distingué qui est attribué à l’ange de Jéhovah pourrait décidément porter à croire que c’est toujours le même, et non pas le premier venu parmi les armées célestes. — Si l’on commençait par admettre que le rôle des anges n’a absolument point changé durant tout le cours de l’ancienne et de la nouvelle alliance, alors l’opinion de Steudel aurait bien des chances de l’emporter sur celle de Hofmann ; car il faudrait expliquer d’une manière uniforme tous les passages que nous avons cités dans le chapitre précédent ; il faudrait expliquer les plus antiques d’après les plus récents et en particulier d’après le N. T., où, sans aucun doute possible, l’ange du Seigneur diffère essentiellement de Dieu et n’est qu’un être créé, fini. — Si en outre tous les passages cités étaient semblables à Nombres 22.31, où l’ange de Jéhovah est bien distingué de Jéhovah lui-même, — on pourrait se joindre sans arrière-pensée à ceux qui ne voient dans l’ange de Dieu qu’un messager quelconque. Mais il y a toute une série de passages qui s’y opposent formellement, entre autres ceux des Nos 6 et 9. D’ailleurs nous ne concédons point que l’ange de Jéhovah dans le Pentateuque doive s’expliquer d’après l’ange du Seigneur du N. T. Il ne faut pas méconnaître les modifications qu’a subies la révélation dans le cours des siècles. Un autre fait qui doit entrer ici en ligne de compte, c’est que l’A. T. se sert absolument des mêmes expressions pour désigner la présence de Dieu dans son ange, et dans son temple : dans l’ange comme dans le temple habitent le nom et la face de Dieu. Si Dieu habite dans le sanctuaire, non pas idéalement et symboliquement, mais d’une manière réelle, il faut admettre aussi que Dieu est réellement présent dans son ange.
Ceci nous amène à parler d’une seconde opinion, d’après laquelle l’ange de Jéhovah n’est autre que Dieu entrant et se montrant dans la sphère des choses créées. Il y aurait unité d’essence et pourtant, en même temps, une certaine différence entre Dieu son anged.
d – Movers à trouvé quelque chose d’analogue dans la relation de l’Hercule phénicien avec Bahal : là aussi il y a unité et différence à la fois (Les Phéniciens, I, p. 389 et 428).
Seulement, encore une fois, qu’est-ce que cette manifestation de Dieu dans le monde ?
Selon les uns, c’est le Logos, la Parole de l’Ev. selon St-Jean, la seconde personne de la Trinité. (Justin, dans le dialogue avec Tryphon, chap. 56, Irénée, Tertullien, Cyprien, Eusèbe de Césarée, les Luthériens, Hengstenberge.)
e – Ce dernier parle de cet être mystérieux comme d’un ange incréé.
Selon d’autres, c’est un être créé, mais avec lequel la Parole est personnellement unie (Barth).
Selon des troisièmes enfin, cet ange ne serait rien de réel, d’hypostatique. Ce ne serait que l’apparition momentanée de Dieu dans le monde visible, un envoi de Dieu qui rentrerait aussitôt dans le sein de la Divinité. On prend alors le mot d’ange dans son sens primitif d’envoyé (Vatke, de Wette).
Aux premiers, je demande sur quoi ils se fondent pour attribuer à l’A. T. la distinction de deux personnes en Dieu. Les passages que nous avons passés en revue ne justifient point une pareille pensée ; ils ne disent absolument rien sur ce que Dieu est en lui-même ; ils distinguent simplement Dieu lorsqu’il entre dans le domaine des choses créées, de Dieu qui, en lui-même, est infiniment élevé au-dessus du monde, ainsi que le montre d’une manière particulièrement frappante cette expression de la Genèse : « : Jéhovah fit pleuvoir de la part de Jéhovah… » (Genèse 19.24). Hengstenberg lui-même accorde que l’A. T. est sabellien et que le Dieu révélateur se confond passablement avec le Dieu révélé. — Puis, qu’est-ce donc qu’un ange incréé ! ? Les phénomènes naturels qui servent d’enveloppe à l’ange, comme le feu, la nuée, la forme humaine, font partie des choses créées. Ce n’est pas l’ange qui est incréé, mais le Dieu qui se sert de lui pour apparaître et se voiler à la fois.
Aux seconds je reproche d’être absolument incapables de prouver que le Fils de Dieu ait ainsi passé par la nature des anges avant que de revêtir la nature humaine.
Aux troisièmes, qui font de l’envoyé un envoi, je demande d’expliquer tant de passages qui attribuent une réalité incontestable à l’apparition de l’ange, et qui ne permettent absolument pas d’y voir la personnification d’une impression ou d’une idée.
Non ! ni l’une ni l’autre de ces opinions ne rend un compte exact de tous les passages cités. Je crois même qu’il est impossible de trouver une formule qui les satisfasse tous. Je crois que ces passages ne sont pas tous d’accord entre eux, et qu’il y a dans l’A. T. une certaine hésitation à l’égard de l’ange de l’Éternel. Je me hâte d’ajouter que, dans le N. T., toute hésitation a disparu. Voyez 1 Corinthiens 10.11 : « Ce rocher était Christ ! » C’est la Parole, le Fils de Dieu, qui communique à Israël les révélations divines et qui par conséquent agit au moyen de l’ange. Mais nulle part le N. T. n’identifie tellement le Fils de Dieu avec l’ange du Seigneur, que l’on puisse avoir l’idée qu’il ait pris d’une manière durable la nature des anges avant de devenir homme. D’après l’A. T., la Parole agit dans les autres moyens que Dieu emploie pour se révéler, absolument de la même manière qu’elle agit quand elle apparaît sous la forme de l’ange.
[La théologie judaïque parle quelquefois du Metatron, mot qui vient probablement du grec Metathronos, « qui a part au trône ». Le Metatron est un être intermédiaire entre Dieu et les hommes. Pour le rapprocher le plus possible de Dieu on en a fait une émanation de la divinité, et pour satisfaire en même temps les passages de l’A. T. où il est parlé de l’Ange de l’Éternel et qui ont été le point de départ de cette doctrine, on a distingué du Métatron émané de Dieu, un second Métatron inférieur et créé. — Mais les Juifs mêmes des derniers siècles avant Jésus-Christ, ne sont jamais arrivés à l’idée d’une distinction réelle et immanente à faire entre deux personnes en Dieu.]