L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

24
Qu’il ne faut point avoir de curiosité pour les actions d’autrui

        Bannis, mon fils, de ton esprit
La curiosité vagabonde et stérile ;
        Son empressement inutile
Peut étouffer les soins de ce qui t’est prescrit :
        Si tu n’as qu’une chose à faire,
Qu’ont tel et tel succès qui t’importe en effet ?
Préfère au superflu ce qui t’est nécessaire,
Et suis-moi, sans penser à ce qu’un autre fait.
        Qu’un tel soit humble, ou qu’il soit vain,
Qu’il parle, qu’il agisse en telle ou telle sorte,
        Encore une fois, que t’importe ?
Ai-je mis sa conduite ou sa langue en ta main ?
        As-tu quelque part en sa honte ?
Répondras-tu pour lui de son peu de vertu ?
Ou, si c’est pour toi seul que tu dois rendre compte
Quels que soient ses défauts, de quoi t’embrouilles-tu ?
        Souviens-toi que du haut des cieux
Je perce d’un regard l’un et l’autre hémisphère,
        Et que le plus secret mystère
N’a point d’obscurité qui le cache à mes yeux :
        Rien n’échappe à ma connaissance ;
Je vois tout ce que font les méchants et les saints ;
J’entends tout ce qu’on dit ; je sais tout ce qu’on pense,
Et jusqu’au fond des cœurs je lis tous les desseins.
        Tu dois donc me remettre tout,
Puisque tout sur la terre est présent à ma vue :
        Que tout autre à son gré remue,
Conserve en plein repos ton âme jusqu’au bout ;
        Quoi qu’il excite de tempête,
Quelques lâches soucis qui puissent l’occuper,
Tout ce qu’il fait et dit reviendra sur sa tête,
Et, pour rusé qu’il soit, il ne peut me tromper.
        Ne cherche point l’éclat du nom ;
Ce qu’il a de brillant ne va jamais sans ombre :
        Ne cherche en amis ni le nombre,
Ni les étroits liens d’une forte union ;
        Tout cela ne fait que distraire,
Et ce peu qu’au dehors il jette de splendeur
Par la malignité d’un effet tout contraire,
T’enfonce plus avant les ténèbres au cœur.
        Je t’entretiendrai volontiers :
Je te veux bien instruire en ma savante école
        Jusqu’à t’expliquer ma parole,
Jusqu’à t’en révéler les secrets tout entiers ;
        Mais il faut que ta diligence
Sache bien observer les moments où je viens,
Et qu’avec mes bontés ton cœur d’intelligence
Ouvre soudain la porte à mes doux entretiens.
        Tu n’en peux recevoir le fruit,
Si ce cœur avec soin ne prévoit ma venue :
        Commence donc, et continue ;
Prépare-moi la place, et m’attends jour et nuit ;
        Joins la vigilance aux prières :
L’oraison redoublée est un puissant secours ;
Mais rien n’attire mieux mes célestes lumières
Que de t’humilier et partout et toujours.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant