A) De l’Expérience : toutes les théories sont restées hypothétiques. — B) De la nature des éléments du problème : a) Prescience divine (hypothèses socinienne, calviniste, arminienne) ; b) Grâce ; c) Liberté : Définitions contraires de l’Arminianisme (trop large) et du Calvinisme (trop restreinte). — Faits incontestables, mais recouverts de trop d’obscurité pour permettre de déterminer leurs mutuels rapports.
Nous n’hésitons pas à croire ce libre renoncement de l’examen légitimé quant à la doctrine dont nous avons à nous rendre compte. Il l’est, selon nous, et par l’expérience et par la réflexion.
A) Expérience. — Toutes les théories sont restées hypothétiques, exposées à des difficultés nombreuses et graves, toujours inconciliables, sous quelques rapports, avec les données fondamentales de la conscience et de l’Écriture, c’est-à-dire en dehors des vraies conditions du problème. Nous avons vu que ces théories portent toutes plus ou moins atteinte soit au fait humain, soit au fait divin, qu’elles ont pour but de coordonner. Reprises mille fois en sous-œuvre par la philosophie et la théologie, elles n’ont pu échapper sous aucune de leurs formes à ce vice radical. Or, une théorie qui ne maintient pas intégralement les faits, qui les violente, les tronque ou les voile, ne vaut pas même comme hypothèse explicative. Elles ont dominé tour à tour, tombant et se relevant sans fin. Cependant, toutes les forces de l’intelligence se sont portées sur ce problème, et s’y sont comme concentrées à diverses reprises, dans un espace de deux à trois mille ans. Qu’attendre de tentatives nouvelles ? N’est-on pas en droit d’affirmer qu’elles seront également infructueuses aussi longtemps que nos capacités, nos ressources, nos moyens de connaissance et de certitude demeureront les mêmes, c’est-à-dire, au fond, aussi longtemps que, l’homme restera l’homme ?
B) Nature des éléments du Problème. — Ce que donne l’expérience, la réflexion aurait pu l’inférer de la nature des choses. Si nous examinons les éléments constitutifs du problème : liberté humaine, prescience divine, Providence ou grâce, nous verrons qu’ils sont tous, à bien des égards, des inconnues. Ce sont de ces faits ou de ces principes de l’ordre spirituel, dont la réalité est incontestable, mais dont le fond se dérobe à notre œil ; il est impossible de les révoquer en doute et tout aussi impossible de les sonder pleinement. Nous savons qu’ils sont sans savoir ce qu’ils sont, du moins sans le savoir à un degré suffisant. Sous le premier rapport, évidence et certitude, sous le second, ignorance presque absolue. Evidentia rei, ignorantia modi. Quelques remarques le montreront.
a) Prescience divine. — La raison et l’Écriture s’accordent à revêtir Dieu de la prescience des futurs contingents aussi bien que des futurs nécessaires. Sa toute-science, son immutabilité, son indépendance absolue, supposent cet attribut essentiel ; le gouvernement du monde l’exige ; des déclarations formelles, des prophéties nombreuses le mettent au-dessus de toute contestation pour le chrétien. Or la prescience implique, nous l’avons vu, une sorte de préordination ou de prédestination, que forcent à reconnaître d’ailleurs le dogme de la Providence, l’ordre de l’Univers, le but final de la création, la notion rationnelle, et biblique de Dieu.
Dès que Dieu a tout prévu, il a, en un sens, tout voulu. Voilà le fait que porte à sa base le Théisme non moins que le Christianisme. Il est tellement évident, que les systèmes qu’il gêne et contrarie le plus l’ont toujours plus ou moins confessé. Mais ce fait, qu’est-il en lui-même ? En quoi consiste cette éternelle prévision des choses, qui est leur éternelle prédisposition ? Si, selon l’opinion reçue, Dieu est en dehors de la loi de succession et de temps, s’il n’existe pour lui ni passé, ni futur, si sa connaissance n’est qu’une intuition dans laquelle l’éternité n’est qu’un moment, alors les mots même de « prescience », de « prédestination » sont purement anthropopathiques et la discussion qu’ils soulèvent, et qui émut si fort à certaines époques, n’est qu’une logomachie. Sans entrer dans cette sphère de la spéculation, où l’on se complaît tant de nouveau et où l’on court risque de se bercer de rêves au milieu des nuages, sans prétendre résoudre nous-même la question de la prescience divine, nous demanderons quels éclaircissements positifs la haute métaphysique y a jetés, depuis tant de siècles qu’elle la discute ? Elle a beaucoup imaginé, beaucoup affirmé ; mais qu’a-t-elle prouvé ?
Quand le Socinianisme dit, avec la philosophie qui lui sert de fondement : Dieu prévoit et prédétermine, mais seulement les futurs nécessaires, — qu’en sait-il ? Qu’est-ce qui garantit la vérité de son assertion ? Toute la preuve qu’il en donne c’est que, d’après lui, la prévision des actes volontaires est impossible en soi, et qu’elle anéantirait la liberté et la responsabilité morale. Cela ne peut pas ou ne doit pas être selon nous, donc il n’est pas ; voilà l’argument, qu’on tient pour décisif. Or, que vaut-il en réalité dans un tel ordre de choses, lors même qu’il n’irait pas s’aheurter à des données invincibles de la conscience religieuse aussi bien qu’aux attestations les plus positives du l’Écriture ? Et qu’y répondre, sinon : Il vous semble qu’il en est ainsi, et il me semble, à moi, qu’il en est autrement. Dieu étant omniprescient par cela même qu’il est omniscient.
Si le Socinianisme (philosophique et théologique ; Montesquieu, Damiron, etc.) modifiant sa thèse, dit que Dieu peut tout prévoir en effet, mais qu’il pose lui-même des bornes à sa prescience, afin de laisser l’homme libre et responsable dans la sphère morale, qu’en sait-il encore ? C’est une autre assertion tout à fait gratuite et, à vrai dire, contradictoire en soi, puisque Dieu ne saurait renoncer ainsi à sa nature, et que d’ailleurs pour choisir entre les futurs contingents ceux qu’il doit et qu’il ne doit pas prédéterminer en les contemplant d’avance, il faut qu’il les prévoie tous, car comment les discerner sans les regarder ? Les difficultés restent au fond, et il s’y ajoute des erreurs.
Le Calvinisme et l’Arminianisme reconnaissent et la prescience et la prédestination. Mais sur quoi se fondent-ils pour faire dépendre, l’un la prédestination de la prescience, l’autre plutôt la prescience de la prédestination ? Leur grande raison pour coordonner ainsi les attributs et les actes divins revient à celle que nous relevions dans les théories sociniennes : Nous pensons que ceci doit être, que cela ne doit pas ou ne peut pas être ; l’ordre suprême exige, à notre sens, telle ou telle disposition des choses, elle existe donc. Et dans ces profondeurs, dont on ne devrait approcher qu’avec un saint tremblement, chacun veut suppléer à la lumière réelle, celle de la Révélation, par une lumière factice, celle de l’abstraction logique ; ou argumente, on tranche, on affirme, quand il faudrait s’humilier dans le sentiment de son ignorance ; on se combat, si l’on ne va pas jusqu’à s’anathématiser (hélas ! on l’a fait souvent), lorsqu’on devrait simplement adorer.
Les calvinistes, empruntant à la Scolastique sa distinction en Dieu de la prescience nécessaire ou naturelle (scientia simplicis intelligentiæ) et de la prescience libre ou volontaire (scientia visionis), ont dit encore : L’ordre des réalités étant sorti de l’ordre des possibles par un choix ou par un décret de Dieu, c’est-à-dire par un acte de sa volonté souveraine, tout ce qui est, tout ce qui arrive a par cela même été prédéterminé. En Dieu, prévoir qu’une chose sera, c’est vouloir qu’elle soit, et vouloir c’est causer ou produire ; prévision et prédestination ne font qu’un, puisque la prévision fait passer de la simple possibilité à l’existence réelle.
Et cette prévision, toujours effective, embrassant l’ensemble des êtres et des événements, a nécessairement fixé l’entière destinée de la race humaine, sa fonction générale, sa position dans le temps, sa place dans l’éternité, sa chute et sa rédemption, par conséquent le sort des individus qui la composent, le salut des uns, la perte des autres, etc. Dans le monde moral, comme dans le monde physique, tout dérive de la causation divine. Le premier acte de Dieu renfermait tout virtuellement. La fin des choses naît de leur principe, et leur principe donne d’avance leur fin. Ce qui a été, est et sera n’est que le déploiement de l’idée divine, et l’idée divine ne fait qu’un avec la volonté divine : la prescience est universelle et certaine parce que la prédestination est éternelle et absolue.
Les arminiens, sans contester la distinction susmentionnée de la prescience divine, paraient aux conséquences qu’en déduisaient les calvinistes par une autre distinction, empruntée aussi à la Scolastique. Ils soutenaient que la scientia simplicis intelligentiæ et la scientia visionis, telles qu’elles étaient définies, ne comprennent pas tous les actes de la connaissance divine, qu’il en est un, en particulier, que cette définition néglige ou dénature, savoir la prescience des futurs contingents. On ne peut les classer, disaient les arminiens, ni parmi les objets de la science de simple intelligence, qui n’a trait qu’aux choses possibles, puisqu’ils sont des réalités, ni parmi les objets de la science de vision, qui n’a trait qu’aux choses déterminées, puisque, dépendant de la volonté humaine, ils peuvent être ou ne pas être. Dieu les a prévus sans doute, mais tels qu’ils sont, c’est-à-dire comme libres. Cet acte de la prescience divine fut nommé scientia media. Il est la connaissance anticipée, non des faits simplement possibles, ou des faits prédéterminés, mais de faits d’un ordre tout spécial nécessitant et constituant, par conséquent, un ordre spécial de prévision.
Pendant longtemps, ces formules ont régné en théologie comme en philosophie, et servi d’armes défensives et offensives à une des batailles métaphysiques les plus acharnées au sein d’insondables profondeurs où chacun prend la lueur de sa lanterne d’école pour la lumière du soleil, substituant de pures idéalités aux réalités, qui lui échappent à mesure qu’il croit les saisir.
Quelle valeur attacher à des déterminations qui manquent visiblement de base ? Ces positions, comme disent les Allemands, ne sont que des suppositions et, pour trancher le mot, que des imaginations. Certains esprits semblent avoir besoin de ces, conceptions hypothétiques ; qu’ils en usent : seulement, qu’ils n’aillent pas jusqu’à les prendre et à les donner pour des vérités positives. Ce qui reste, c’est que l’acte de la prescience divine est enveloppé d’ombres impénétrables. Le premier élément du problème est donc une inconnue, au sens que nous avons indiqué. Or, ce serait assez pour rendre le problème insoluble. Comment opérer la construction systématique, quand un de ses fondements lui fait ainsi défaut ?
b) Grâce. — L’action de Dieu sur le monde et sur l’homme est impliquée dans le sentiment religieux, attestée par le fait instinctif de la prière, mise en évidence par les dispensations et les révélations bibliques. Mais quels sont la nature, le mode, l’étendue de cette action divine ? Quel est son rapport avec l’activité humaine ? Où placer les libres interventions de la Providence particulière qu’invoque la foi, dans cette Providence générale que reconnaît la science, que constate l’histoire, et qui n’est ou ne paraît être que l’ordre immuable du monde ? Par quel moyen, constater ce concours supérieur qu’annoncent la conscience et l’Écriture, mais qui se dérobe à l’observation ? Quelle est, si je puis ainsi dire, la loi des opérations du Saint-Esprit ? comment agit-il sur l’intelligence pour l’éclairer, sur le cœur pour le régénérer, sur la volonté pour l’incliner au bien, sur l’être moral tout entier pour le pénétrer et l’animer des dispositions qui constituent la nouvelle créature ? Là sont, d’un aveu commun, des faits aussi inscrutables que certains. Le vent souffle où il veut, dit le Seigneur, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit (Jean 3.8). Sur quoi reposent les théories tentées dans le cours des âges, et ces distinctions de grâce spéciale et générale, prévenante, opérante, coopérante, suffisante-efficace et suffisante-non efficace, etc., etc. ? Ces formules peuvent satisfaire certains esprits par la lumière artificielle qu’ils y trouvent ; elles peuvent être utiles comme moyen de caractériser tel ou tel système ; mais elles n’ont pas la valeur objective, la réalité et la portée dogmatique qu’on y a attachée. Elles ne sont que de pures notions logiques.
Le second élément du problème ne nous est donc connu aussi que comme fait. Nous ne saurions douter de la Providence et de la grâce ; nous ignorons leur mode d’action, qui est ici le point important. Il en est du concours divin comme de la prescience divine : nous savons qu’il est, sans savoir ce’ qu’il est.
c) Liberté. — L’étude du troisième terme, la liberté, nous donnera un résultat analogue. Quoique nous passions ici de la sphère des faits divins dans celle des faits humains, que chacun peut observer en soi, les ténèbres n’y restent pas moins mêlées à la lumière. La liberté morale est une de ces données de la conscience immédiate, incompréhensibles autant qu’indubitables, et auxquelles nous devons croire, comme à notre existence, sans y appliquer l’argumentation logique ; car ces données intuitives, antérieures et supérieures à la démonstration, subsistent par elles-mêmes. Mais précisément parce qu’elles ont leurs racines dans le fond le plus intime de notre être, la réflexion et l’observation ne les atteignent qu’en partie. La conviction que nous en avons vient du sentiment bien plus que du raisonnement ; c’est de la foi plus que de la science. Aussi persiste-t-elle au milieu de tous les doutes que le raisonnement et la science peuvent élever. On a beau être fataliste en théorie, on ne l’est pas en pratique.
La liberté, comme toutes les facultés et les lois constitutives de notre être, comme l’intelligence, la sensibilité, la volonté, ne nous est connue que par ses manifestations. Nous pouvons en constater les effets, en décomposer et en énumérer les actes, nous ne saurions en pénétrer l’essence. Quand nous avons recueilli et classé les faits qui lui appartiennent, la délibération, la résolution, l’exécution ; quand nous avons vu qu’elle est une puissance sui generis, et que c’est à elle surtout que l’homme doit d’être un agent spontané, une cause, dans le vrai sens de mot, nous n’avons fait que déterminer ses caractères distinctifs, nous ignorons toujours ou nous n’apercevons que très imparfaitement ce qu’elle est en soi. Parmi les questions qu’elle provoque, il en est une foule d’insolubles. Qu’est-ce que ce principe intérieur d’activité et de causalité, qui nous place à tant d’égards au-dessus du reste de la création ? Qu’est-ce que cette force latente qui nous rend maîtres d’agir par notre propre impulsion, en résistant aux influences étrangères de même qu’à nos inclinations personnelles, cette force que les chaînes de la nécessité ne peuvent lier qu’avec son consentement, qui n’opère jamais sans motifs et qui se sent supérieure aux motifs, alors même qu’elle s’y laisse entraîner ? D’où vient qu’elle est quelquefois si énergique, si ferme, si constante, et quelquefois si faible et si facilement vaincue ? Pourquoi cède-t-elle si souvent comme malgré elle, quoique ce soit pourtant d’elle-même ? etc. Il y a là des secrets que la science n’a point pénétrés, qu’elle ne pénétrera probablement jamais. Sous ce rapport et sous bien d’autres, l’homme est pour l’homme un mystère.
Sans discuter les définitions diverses de la liberté, disons un mot de la définition calviniste et de la définition arminienne. Cette dernière, telle qu’elle ressort de l’esprit du système, est pour le fond celle que donne généralement la philosophie et que voici d’après Reida : « Par liberté d’un être moral, j’entends le pouvoir qu’il possède sur les déterminations de sa volonté. Dans un acte quelconque, il est libre quand il a pu vouloir ou ne pas vouloir. Mais si dans un acte volontaire, la détermination de sa volonté est la conséquence fatale de quelque chose d’involontaire dans l’état de son âme ou de quelque chose d’extérieur à lui, il n’est pas libre ; il n’a pas ce que j’appelle la liberté d’un agent moral ; il est dans les chaînes de la nécessitéb. »
a – Essai IVe, ch. 10.
b – Voy. aussi M. J. Simon, etc.
La liberté, selon les calvinistes, consiste simplement dans le pouvoir de faire ce qu’on veut ; elle est opposée, non à la nécessité, mais à la contrainte ; elle existe lors même que la force des penchants ou des motifs est moralement invincible. Ainsi, quoique l’homme irrégénéré soit hors d’état de faire autre chose que le mal dans l’ordre spirituel, quoiqu’il le fasse nécessairement, par l’effet de son mauvais cœur, il n’en est pas moins libre et responsable, parce qu’il le fait volontairement. Le caractère fondamental, l’élément constitutif et seul essentiel de l’acte libre dans ce système, c’est qu’il soit volontaire, quelles que puissent être les causes intérieures ou extérieures qui le déterminent. Par là, les calvinistes peuvent concilier l’obligation et la responsabilité morale avec les dogmes de la corruption absolue, de l’irrésistibilité et de l’inamissibilité de la grâce, du décret éternel d’élection et de réprobation.
Ces définitions contraires ne sont admissibles ni l’une ni l’autre, si on les juge sans prévention, à la lumière de l’Écriture, de l’expérience et du sens intime. La définition arminienne étend au delà de la réalité les forces actuelles du libre arbitre ; elle fait beaucoup trop abstraction de ce que saint Paul nomme l’affection de la chair, la servitude de la corruption, ainsi que de la faiblesse et de l’inconstance de la volonté. L’âme entrée sérieusement en lutte contre le mal, contre tout ce qui est mal devant Dieu, apprend par l’épreuve d’elle-même, lorsqu’elle ne l’a pas appris du Nouveau Testament, qu’elle ne possède pas cette faculté de détermination et d’action, cette sorte de souveraineté intérieure dont on parle ; c’était peut-être la liberté de l’innocence, ce n’est pas celle de la chute ; il n’en reste que des débris.
La définition arminienne est décidément beaucoup trop large. C’est l’homme idéal qu’elle décrit, non l’homme réel ; c’est ce qui semble devoir être, ce n’est pas ce qui est. On en a bientôt le vif sentiment ; la triste et profonde certitude lorsque, s’efforçant de s’élever et de se maintenir dans la sphère spirituelle où place l’Évangile, on a expérimenté à quelque degré ce qui est dit Romains ch. 7 et Galates 5.17.
Mais si la définition arminienne de la liberté est beaucoup trop large, la définition calviniste est beaucoup trop restreinte. L’idée qu’elle donne de cette faculté ne concorde ni avec l’obligation de croire et de se convertir, telle que l’imposent les Livres saints, ni avec les jugements que les hommes portent et la conduite qu’ils tiennent universellement les uns à l’égard des autres. Elle contredit, à vrai dire, la notion même de la liberté, qui emporte à quelque degré celle d’activité, de cause, de force se déterminant d’elle-même, cette notion qu’atteste le remords et qui persiste dans nos sentiments et dans nos actes, quelle que soit la connaissance pratique que nous ayons acquise de la loi du péché au dedans de nous. Pour peu que nous nous observions, nous découvrons en nous deux principes : la chair et l’esprit, mobiles ou volontés contraires qui forment, pour ainsi parler, deux moi différents. Mais par delà ces deux moi et dans les profondeurs de notre être, existe un moi supérieur, le moi réel, qui peut choisir entre les deux autres, se déclarer en faveur de celui-ci ou de celui-là, lui livrer ou lui retirer la direction de la vie, se décider pour le bien, quoique ordinairement entraîné par le mal. Et dans ces déterminations, de quelque côté qu’elles nous jettent, nous sentons que nous sommes actifs, maîtres de nous-mêmes, et qu’à cause de cela nous sommes responsablesc.
c – On a dit que la définition calviniste réduit la liberté humaine à la liberté animale. Ce mot n’est pas sans vérité.
Nous trouvons donc que chacun des éléments du problème, objet de notre étude, nous échappe sur des points essentiels. Nous ne saurions douter ni de la prescience divine, ni de la Providence et de la grâce, ni de la liberté morale ; ce sont des faits incontestables pour la raison comme pour la foi, mais recouverts d’une obscurité qui ne nous permet pas de les explorer entièrement et qui nous cache en particulier la manière dont ils s’accomplissent. Or, quand des faits sont à tant d’égards inconnus ou incompris, n’est-ce pas une vaine entreprise de vouloir les systématiser, c’est-à-dire déterminer leurs mutuels rapports, comme si pour savoir ce qu’ils sont les uns vis-à-vis des autres, il ne fallait pas savoir d’abord et savoir pleinement ce qu’ils sont en eux-mêmes. Vous dites que sous la forme indéfinie où les laisse le sens commun et le sens chrétien, ils se repoussent et s’excluent. Qu’en savez-vous ? Ne peuvent-ils pas se toucher et se concilier par les points que vous ne voyez pas ? Vous trouvez plus court de les arranger à votre guise. Mais défaire ainsi pour refaire, ce n’est certes pas expliquer.