Κόσμος, « mundus », et αἰών, « seculum. » L’histoire de κόσμος connexe avec κόμειν, « comere, comptus », offre un grand intérêt sous plus d’un aspect. Suidas a noté quatre significations successives que le mot a traversées : σημαίνει δὲ ὁ κοσμος τέσσαρα, εὐπρέπειαν, τόδε τὸ πᾶν, τὴν τάξιν, τὸ πλῆθος παρὰ τῇ Γραφῇ. Dans l’origine, κόσμος signifiait « ornement », et une fois il obtient ce sens dans le N. T. (1 Pierre 3.3 ; cf. Sira.43.9) ; il désigne dans la suite l’idée d’ordre, ou d’arrangement (« lucidus ordo »), ou de beauté, résultat de cet ordre ; εὐπρέπεια et τάξις, comme Suidas s’est exprimé ci-dessus, ou, καλλωπισμός κατασκευή τάξις κατάστασις κάλλος, selon la définition d’Hesychius. On dit que c’est Pythagore qui, le premier, transféra à κόσμος l’idée de la totalité de l’univers matériel, voulant par là exprimer son sentiment de la beauté et de l’ordre, que partout on peut y découvrir ; voyez Plutarch., De Plac. phil. 1.5 ; et, pour éclaircir ce transfert de sens, lisez une note dans le Cosmos de Humboldt. « Mundus, » en latin, — « digestio et ordinatio singularum quarumque rerum formatarum et distinctarum », comme St. Augustin (De Gent. ad Lit. c. 3) en détermine le sens — « mundus », comme chacun sait, prit la même direction que « cosmos » et a donné lieu à ces jeux de mots, tels que : « O munde immunde, » dans lesquels se complaît l’illustre docteur de l’Église. Ainsi Pline (H. N. 2.3) : « Quem κόσμον Græci nomine ornamenti appellaverunt, eum nos a perfecta absolutaque elegantia mundum » ; cf. Cicero, De Nat. Deor. 2.2. De cette signification de κόσμος, comme exprimant le monde matériel, sens qui n’est pas rare dans l’Écriture (Matthieu 13.35 ; Jean 21.25 ; Romains 1.20), κόσμος en vint à exprimer la masse des hommes qui vivent dans le monde (Jean 1.29 ; 4.42 ; 2 Corinthiens 5.19), et puis en particulier et au point de vue moral, ceux qui ne sont point de l’ἐκκλησίαa, ceux qui sont étrangers à la vie de Dieu (Jean 1.10 ; 1 Corinthiens 1.20-21 ; Jacques 4.4 ; 1Jean 3.13).
a – Origène, à la vérité (in Joan. 6.38), mentionne quelqu’un de son temps qui interpréta κόσμος comme signifiant l’Église, vu qu’elle est l’ornement du monde (κόσμος οὖσα τοῦ κόσμου).
Sur ce triple usage de κόσμος et sur la confusion sérieuse qui peut en résulter, si l’on n’y veille pas avec soin, voyez St. Augustin, Cont. Jul. Pel. 6.3-4b.
b – Cette étymologie n’est pas sérieuse. — Une étude très remarquable de M. Léon Meyer (Zeitschr. für vergl. Sprachforschung, T. 6, 1837) a fort bien démontré : 1° Le sens division, répartition, comme le sens fondamental de κόσμος ; d’où celui de ordre, harmonie. 2° La dérivation du mot de la racine kad, findere, devidere. Dr A. Scheler.
Αἰών, d’autre part — mot dérivé de ἀεὶ, bien que l’étymologie d’Aristote (αἰὲν ὤν) ne soit guère plausible, possède de la même manière un sens primitif, et un sens secondaire et moral. Dans le premier, il signifie le temps, court ou long, dans la plénitude de sa durée ; souvent, dans le grec classique, il s’emploie pour l’étendue de la vie humaine (βίος, que Xénophon, Cyrop. 3.3, 24, lui donne pour substitut), mais surtout pour désigner le temps comme condition de l’existence des choses créées et mesure de leur existence. Ainsi Théodoret dit : ὁ αἰὼν οὐκ οὐσία τις ἐστίν ἀλλ᾽ ανυπόστατον χρῆμα συμπαρομαρτοῦν τοῖς γεννητὴν ἔχουσι φύσιν. καλεῖται γὰρ αἰὼν καὶ τὸ ἀπὸ τῆς τοῦ κόσμου συστάσεως μέχρι τῆς συντελείας διάστημα — αἰὼν τοίνυν ἐστὶ τὸ τῇ κτιστῇ φύσει παρεζευγμένον διάστημα. Signifiant donc le temps, αἰών en vint bientôt à indiquer tout ce qui existe dans le monde et qui est soumis au temps ; « die Totalität desjenigen, was sich in der Dauer der Zeit äusserlich darstellt, die Welt, so fern sie sich in der Zeit bewegt » (Bleek) ; et puis, dans un sens plus moral, le cours des choses de ce monde. Mais ce cours étant entaché de péché, rien d’étonnant que αἰὼν οὗτος, comme κόσμος, acquière bientôt dans l’Écriture un sens mauvais. Les βασιλεῖαι τοῦ κόσμου de Matthieu 4.8, sont des βασιλεῖαι τοῦ αἰῶνος τοὺτου (Ignat., Ep. ad Rom. 6) ; Dieu nous a délivré par son Fils ἐξ ἐνεστῶτος αἰῶνος πονηροῦ (Galates 1.4) ; Satan est θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου (2 Corinthiens 4.4 ; cf. Ignat. Ep. ad Magn, 1 : ὁ ἀρχὼν τοῦ αἰῶνος τούτου) ; les pécheurs marchent κατὰ τὸν αἰῶνος τοῦ κόσμου τούτου, selon le train de ce monde (Éphésiens 2.2)
Ce dernier passage a quelque chose à nous apprendre, puisqu’il renferme les deux mots dont nous étudions la différence ; aussi Bengel remarque-t-il excellemment : « αἰών et κόσμος differunt. Ille bunc regit et quasi informat ; κόσμος est quiddam exterius, αἰών subtilius. Tempus (αἰών) dicitur non solum physice, sed etiam moraliter, connotata qualitate hominum in eo viventium ; et sic αἰών dicit longam temporum seriem, ubi fetas malam aetatem excipit. » Comparez Windischmann (sur Galates 1.4) : « αἰών darf aber durchaus nicht bloss als Zeit gefasst werden, sondern begreift ailes in der Zeit befangen ; die Welt und ihre Herrlichkeit, die Menschen und ihr naturliches unerlOstes Thun und Treiben in sich, im Contraste zu dem hier nur beginnenden, seiner Sehnsucht und Vollendung nach aber jenseiligen und ewigen Reiche des Messias. » Nous parlons « des temps, » en attachant à ce mot un sens éthique ; ou bien, nous disons d’une manière encore plus à point : « siècle », « l’esprit ou le génie du siècle », « der Zeitgeist. » Toute cette masse flottante de pensées, d’opinions, de maximes, de spéculations, d’espérances, d’impulsions, d’aspirations, ayant cours en tout temps dans le monde, qu’il est impossible de saisir et de définir exactement, mais qui constitue une puissance très réelle, très effective, puisqu’elle est l’atmosphère morale ou immorale qu’à chaque instant de notre vie nous respirons pour l’exhaler ensuite inévitablement — tout cela est inclus dans l’αἰών, qui est, comme Bengel l’exprime, l’esprit subtil et révélateur du κόσμος, ou du monde des hommes qui vivent loin de Dieu. « Seculum », en latin, a acquis le même sens, p. ex. dans cette épigramme bien connue de Tacite (Germ. 19.) : « Corrumpere et corrumpi seculum vocatur : être corrompu et corrompre, voilà le siècle ! »
Reconnaissons sans peine qu’il y a deux passages dans l’Épître aux Hébreux qui ne veulent pas se ranger à la distinction que nous venons d’établir entre αἰών et κόσμος, à savoir Hébreux 1.2 ; 11.3. Dans ces deux endroits, les αἰῶνες désignent les mondes contemplés, si ce n’est entièrement, du moins, à n’en point douter, principalement, sous un autre aspect que sous celui du temps. Quelques interprètes, à la vérité, surtout d’entre les Sociniens modernes (quoique leurs prédécesseurs n’eussent pas les mêmes motifs qu’eux), ont essayé d’expliquer αἰῶνες (Hébreux 1.2) comme marquant les dispensations successives, les χρόνοι καὶ καιροί de l’économie divine : mais quelque plausible qu’eût été cette explication si ce verset avait été le seul, celui de Hébreux 11.3 prouve évidemment que les αἰῶνες, dans les deux endroits, ne peuvent que signifier, comme nous l’avons traduit, « les mondes », et non « les siècles. » J’ai dit que ces deux passages étaient les seules exceptions, car je ne saurais admettre 1 Timothée 1.17 comme en formant une troisième. Αἰῶνες doit y dénoter, non « les mondes », dans l’usage habituel et concret du mot, mais, d’après le sens ordinairement temporel d’αἰών dans le N. T., « les siècles », les périodes temporelles dont la somme et l’agrégation forment comme une ébauche de notre notion de l’éternité. Le βασιλεὺς τῶν αἰώνων sera donc le souverain Dispensateur et Ordonnateur des âges du monde (voy. Ellicott, in loco).