1.[1] Moïse avant été enlevé du milieu des hommes de la façon qu'on vient de dire, Josué, dès que tous les rites légaux furent accomplis à son égard et que le deuil eut pris fin, avertit le peuple de se tenir prêt à entrer en campagne. Il envoie[2] des espions à Jéricho, chargés de reconnaître les forces des habitants et leurs dispositions. De son côté, il passa en revue son armée pour traverser en temps opportun le Jourdain. Ayant convoqué les chefs de la tribu de Roubel et ceux qui étaient à la tête des tribus de Gad et de Manassé[3] — car on avait permis aussi à la moitié de cette tribu d'habiter l'Amorée, qui forme la septième partie[4] du pays des Chananéens —, il leur rappela ce qu'ils avaient promis à Moïse, et les exhorta, par reconnaissance pour la providence dont il n'avait cessé, même au moment de mourir, de les entourer, ainsi qu'au nom de l'intérêt commun, de se montrer empressés à exécuter ses ordres. Ceux-ci le suivent, et avec cinquante mille hoplites[5], partant d'Abila[6], il s'avança de soixante stades vers le Jourdain.
[1] Josué, I, 11.
[2] Ibid., II, 1.
[3] Ibid., I, 12.
[4] Josèphe le déduit apparemment de la mention des « sept peuplades » qui habitaient Chanaan et qui sont énumérées dans Deutéronome, VII, 1 et Josué, III, 10. Comme l'Amorrhéen fait partie des sept, Josèphe en conclut que l'Amoritide forme la septième partie du pays entier. Voir aussi infra § 23.
[5] Hébreu et LXX : 40.000 (Josué, IV, 13)
[6] Cf. livre IV, VIII, 1 et note.
2.[7] Il venait d'établir son camp, lorsque reparurent les espions, à qui rien n'avait échappé de la situation des Chananéens. Inconnus, en effet, au commencement, ils avaient examiné la ville entière[8] en sécurité, observé où les remparts étaient solides et où ils offraient un abri moins sûrs aux habitants, et quelles étaient les portes qui pourraient, grâce à leur peu de solidité, faciliter l'entrée à leur armée. Les gens qu'ils rencontraient ne se souciaient pas de leur inspection, attribuant à la curiosité habituelle aux étrangers cette application à étudier par le menu tout ce qu'il y avait dans la ville, et nullement à une pensée hostile. Mais quand, le soir venu, ils se furent retirés dans une auberge[9] à proximité des remparts, où ils avaient déjà été conduits pour y manger, et qu'ils ne songeaient plus désormais qu'au départ, on dénonça au roi, pendant qu'il dînait, la présence d'individus venus du camp des Hébreux pour explorer la ville et qui se trouvaient dans l'auberge de Rahab (Rachabé), extrêmement préoccupés de passer inaperçus. Celui-ci envoya immédiatement des hommes vers eux avec l'ordre de les surprendre et de les amener, afin qu'on leur appliquât la torture, et qu'il sût ainsi dans quelle intention ils étaient venus. Quand Rahab apprend leur arrivée — elle était en train de faire sécher des brassées de lin sur le toit —, elle y cache les espions et dit aux envoyés du roi que quelques étrangers inconnus, un peu avant le coucher du soleil, s'étaient restaurés chez elle et puis l'avaient quittée ; que, s'ils paraissaient à redouter pour la ville ou s'ils étaient venus mettre le roi en danger, on n'aurait pas de peine s'emparer d'eux en se mettant à leur poursuite. Ces hommes, ainsi trompés par la femme, s'en retournèrent sans soupçonner aucune ruse, sans même fouiller l'auberge. Mais comme, après s'être jetés sur les chemins par où il paraissait le plus vraisemblable que les autres avaient fui, en particulier sur ceux qui conduisaient au fleuve, ils ne trouvèrent aucune trace, ils cessèrent de se donner tout ce mal. Le tumulte apaisé, Rahab, ayant fait descendre les espions et leur ayant dit le danger qu'elle avait affronté pour leur salut — car, si on l'avait prise à les cacher, elle n'eût pas échappé à la vengeance du roi, elle et toute sa maison auraient péri misérablement —, elle les conjure d'en garder le souvenir, une fois que, devenus maîtres du pays des Chananéens, ils pourraient la récompenser de leur avoir à l'instant sauvé la vie, et elle les invita à rentrer chez eux après avoir fait le serment de la préserver, elle et tous ses biens, lorsque, la ville prise, ils détruiraient tous ses habitants comme leurs compatriotes l'avaient décrété ; cela, elle le savait par certains signes[10] que lui avait envoyés Dieu. Eux se déclarent reconnaissants pour le présent et ils lui jurent que dans l'avenir ils lui rendront réellement bienfait pour bienfait ; quand elle verrait la ville sur le point d'être prise, ils lui conseillent de retirer ses biens et tous ses proches dans l'auberge et de les y enfermer, et de tendre devant ses portes[11] des étoffes écarlates[12], afin que, reconnaissant la maison, leur général prit garde de lui porter préjudice. « Car nous la lui indiquerons, dirent-ils, en faveur de ton empressement à nous sauver. Que si quelqu'un des tiens tombe dans le combat, ne nous en rends pas responsables, et ce Dieu, par qui nous avons juré, nous le supplions de ne point s'irriter contre nous comme si nous avions violé nos serments ». Ces conventions établies, ils partirent en se faisant descendre par la muraille au moyen d'une corde et, revenus sains et saufs chez leurs frères, ils leur racontèrent ce qu'ils avaient été faire dans la ville. Alors Josué informe le grand-prêtre Éléazar et les Anciens de ce que les espions avaient juré à Rahab, et ceux-ci ratifièrent le serment.
[7] Josué, II, 1.
[8] Jéricho.
[9] L'Écriture emploie pour désigner Rahab le mot zona, c'est-à-dire courtisane ; les LXX comprennent de même. Josèphe suit l'exégèse palestinienne et comprend le mot de zona comme le Targoum (sur Josué, II, 1), qui emploie l'expression de poun tekita, « aubergiste », simple transcription araméenne du grec. Sur l'origine de cette interprétation, voir livre III, VIII, 2 et note.
[10] Dans la Bible, il n’est pas question de ces signes.
[11] A la fenêtre, d'après la Bible (Josué, II, 18).
[12] Josèphe paraît avoir vu un pluriel dans le mot en hébreu (v. 21).
3. Comme l'armée appréhendait de passer le fleuve, qui avait un fort courant et qu'on ne pouvait franchir sur des ponts — car on n'en avait point encore construit et, voulût-on en jeter, les ennemis, croyaient-ils, ne leur en laisseraient pas le loisir —, comme, de plus, il n'y avait point de barques, Dieu leur promit de leur rendre le fleuve guéable, en diminuant l'abondance de son cours[13]. Et Josué, après deux jours d’attente, fit passer l'armée ainsi que tout le peuple de la façon suivante[14] : venaient en tête les prêtres portant l'arche, puis, derrière eux, les Lévites avec le tabernacle et les ustensiles destinés au service des sacrifices ; enfin, derrière les Lévites, suivait tout le peuple, tribu par tribu, les enfants et les femmes au milieu, de crainte qu'ils ne fussent entraînés par la violence du courant. Quand les prêtres, entrés les premiers, s'aperçurent que le fleuve était guéable — la profondeur avait diminué et les cailloux, que le courant n'était pas assez abondant ni assez rapide pour entraîner avec force, restaient en place comme un plancher solide —, tous alors traversèrent hardiment le fleuve, qu'ils trouvaient tel que Dieu le leur avait prédit. Mais les prêtres s'arrêtèrent au milieu[15] jusqu'à ce que le peuple eût passé et fût parvenu en lieu sûr. Quand tout le monde eut traversé, les prêtres sortirent à leur tour, laissant les eaux reprendre librement leur cours accoutumé. Et le fleuve, sitôt que les Hébreux l'eurent quitté, s'enfla et reprit ses proportions naturelles.
[13] Josèphe, comme d'habitude dans le récit des faits miraculeux de l'Écriture, en atténue l'aspect surnaturel. Le fleuve ne se divise pas complètement comme dans Josué ; le débit des eaux seulement devient assez faible pour qu'on puisse traverser sans danger.
[14] Josué, III, 2.
[15] Ibid., III, 17 ; IV, 17.
4.[16] Ceux-ci, après s'être avancés de cinquante stades, installent leur camp à dix stades de Jéricho. Et Josué, avec les pierres que chaque phylarque avait prises dans le lit du fleuve sur l'ordre du prophète, érigea un autel, pour témoigner à l'avenir du refoulement des eaux, et y sacrifia à Dieu, puis ils célébrèrent la Pâque[17] (Phasca) dans cet endroit, tout ce dont ils avaient manqué précédemment leur étant fourni maintenant en abondance. En effet, comme les moissons des Chananéens étaient déjà mûres, on les récolta et on fit un grand butin de tout le reste ; ce fut alors aussi qu'ils perdirent la nourriture de la manne dont ils avaient joui pendant quarante ans.
[16] Ibid., IV, 1.
[17] Ibid., V, 10.
5.[18] Comme, pendant ces opérations des Israélites, les Chananéens ne faisaient point de sortie, mais demeuraient en repos à l'abri de leurs murs, Josué résolut de les assiéger. Et, le premier jour de la fête[19], les prêtres portant l'arche — qu'entouraient en cercle une partie des hoplites afin de la protéger, tandis que d'autres (prêtres[20]) marchaient en avant en sonnant de leurs sept cornes —, les prêtres exhortent l'armée à la vaillance et font le tour des murailles, escortant aussi des Anciens. Après ces seules sonneries des prêtres — car on ne fit rien de plus —, on rentra au camp. Et quand on eut recommencé pendant six jours, le septième, Josué, ayant rassemblé les hommes d'armes et tout le peuple, leur annonça l'heureuse nouvelle que la ville serait prise ; ce même jour Dieu la leur livrerait, les murs devant s'écrouler d'eux-mêmes, et sans leur coûter aucun effort. Cependant il leur recommanda de tuer tous ceux qu'ils prendraient, sans s'arrêter par fatigue de massacrer leurs ennemis, sans céder à la pitié pour les épargner et sans leur permettre de s'enfuir tandis qu'ils seraient occupés au pillage : mais ils devaient anéantir tous les êtres animés sans en rien distraire pour leur usage personnel. En revanche, tout ce qu'il y aurait en fait d'or et d'argent[21], il leur ordonna de l'emporter et de le conserver pour Dieu comme prémices choisies de leurs succès, prises à la première ville conquise ; on ne devait laisser la vie qu'à Rabah et à sa famille, en vertu des serments qui lui avaient été faits par les espions.
[18] Ibid., VI, 1.
[19] De Pâque dont il vient d'être question. Mais ni l'Écriture ni la tradition ne placent la prise de Jéricho pendant la Pâque. Josèphe a imaginé un rapport ingénieux entre les 7 jours de sonnerie mentionnés dans la Bible et la durée de la fête de Pâque.
[20] Le texte est profondément altéré. Nous traduisons d'après l'Écriture.
[21] Josèphe oublie de mentionner ici l'airain et le fer (Josué, VII, 12), quoique plus loin il fasse au moins mention de l'airain.
6.[22] Cela dit, il rangea son armée et la conduisit vers la ville. On fit derechef le tour de la ville, sous la conduite de l'arche et des prêtres, qui, au son des cornes, excitaient les troupes à l'action. Et quand ils en eurent fait sept fois le tour et se furent arrêtés quelque temps, la muraille s'écroula, sans que les Hébreux y eussent appliqué aucune machine, ni aucun effort.
[22] Josué, VI, 15.
7. Ceux-ci, ayant pénétré dans Jéricho, massacrèrent tous les habitants, que le miraculeux effondrement de la muraille avait frappés de stupeur et mis hors d'état de songer à se défendre. Ils périrent donc, égorgés dans les rues ou surpris dans les maisons. Rien ne put les préserver : tous succombèrent jusqu'aux femmes et aux enfants. La ville était pleine de cadavres et rien n’échappa. La ville elle-même, on l'incendia tout entière ainsi que la contrée. Quant à Rahab avec ses parents qui s'étaient réfugiés ensemble dans l'auberge, les espions les sauvèrent, et Josué, devant qui l'on amena Rabah, déclara lui avoir de la reconnaissance du salut des espions et lui dit qu'en la récompensant il ne se montrerait pas au-dessous d'un tel bienfait. Il lui fait don aussitôt de champs et lui témoigne toute considération.
8. Quant à la ville, tout ce que le feu avait épargné, il le démolit, et, contre ceux qui l'habiteraient, si un jour il se trouvait quelqu'un qui voulût la relever de ses ruines, il prononça des malédictions[23] : celui qui jetterait les fondements de ses murs serait privé de l'aîné de ses enfants et, quand il les aurait achevés, il perdrait le plus jeune. Cette malédiction, la divinité ne la négligea point ; plus tard nous dirons[24] quel malheur elle amena.
[23] Josué, VI, 26 ; cf. I Rois, XVI, 34.
[24] Josèphe oubliera cependant d'en parler dans l'histoire d'Achab (livre VIII, XIII et suiv.), à moins qu'il n'y ait à cet endroit une lacune.
9. Grâce à la prise de la ville, on amasse une immense quantité d'argent et d'or et aussi de cuivre : personne ne viola les décrets et ne déroba rien pour son avantage personnel ; on s'en abstint comme d'objets d'avance consacrés à Dieu. Et Josué les remit aux prêtres pour les déposer dans les trésors.
10.[25] C'est ainsi que Jéricho périt. Mais un certain Achar(os), fils de Zébédée[26], de la tribu de Juda, ayant trouvé un manteau royal tout tissé d'or et un gâteau d'or du poids de deux cents sicles[27], et estimant qu'il était dur de s'interdire à soi-même la jouissance d'un profit gagné au prix d'un danger et de le porter à Dieu, qui n'en avait pas besoin, creuse un trou profond dans sa tente et y enfouit son trésor, pensant qu'il échappera aussi bien à Dieu qu'à ses compagnons d'armes.
[25] Josué, VII, 1.
[26] Hébreu : Achan, fils de Kharmi, fils de Zabdi (cf. I Chroniques, II, 7 : Achar) ; au contraire des LXX, Josèphe n'a pas le nom intermédiaire. A. Mez (Die Bibel des Josephus, Bâle, 1895, p. 5 et suiv.) croit que le texte que suivait Josèphe ne portait pas ce nom du Kharmi, qui, d'ailleurs, est absent aussi au v. 18 de nos éditions des LXX.
[27] Dans l'Écriture (Josué, VII, 21), il est question de 200 sicles d'argent et d'un lingot d'or du poids de 50 sicles.
11.[28] L'endroit où Josué avait établi son camp fut appelé Galgala[29]. Ce nom signifie libérant[30] : car, ayant passé le fleuve, ils se sentaient désormais affranchis des maux éprouvés en Égypte et dans le désert.
[28] Josué, V, 9.
[29] En hébreu : Guilgal.
[30] Josèphe traduit selon le sens général, mais le mot guilgal ne signifie pas « libérant », selon l'étymologie qu'en donne l'Écriture elle-même, il faut voir dans ce mot la racine « faire rouler » : « J'ai fait rouler, dit le verset, l'opprobre de l'Égypte de dessus vous ».
12.[31] Peu de jours après la ruine de Jéricho, Josué envoie trois mille hoplites contre la ville d'Anna[32] (Aï), située au-dessus de Jéricho, pour s'en emparer. Ceux-ci, attaqués par les Annites, prirent la fuite et perdirent trente-six hommes. Cette nouvelle annoncée aux Israélites leur causa une grande affliction et un profond découragement ; c'était plus qu'un regret causé par la perte d'hommes auxquels les unissait la parenté, bien que ce fussent tous des vaillants bien dignes d'estime[33] qui avaient péri ; c'était presque du désespoir. Eux qui comptaient déjà, en effet, devenir maîtres du pays et conserver indemne dans les combats leur armée, selon les promesses antérieures de Dieu, ils voyaient s’enhardir singulièrement leurs ennemis. Aussi, revêtus de cilices par-dessus leurs vêtements, ils passèrent toute la journée dans les larmes et le deuil, sans se soucier du tout de se nourrir, et ils se montrèrent extrêmement affligés de ce malheur.
[31] Josué, VII, 2.
[32] Cette leçon diffère beaucoup de l'hébreu Aï, mais elle est confirmée par Stéphane de Byzance.
[33] Le Talmud insiste également sur la valeur de ces combattants dont l'Écriture ne fait que donner le nombre. Dans Sanhédrin, 44 a, et B. Batra, 121 b, R. Yehouda et R. Néhémia (fin du IIe siècle) discutent sur le sens de l'expression : « comme 36 hommes » (Josué, VII, 5). R. Néhémia estime qu'il faut laisser à la préposition comme sa valeur comparative et qu'il s'agit dans ce passage de la mort de Yaïr ben Menasché, qui valait à lui seul la majorité du Sanhédrin, c'est-à-dire 36 hommes (ce tribunal se composant de 71 membres).
13.[34] Josué, voyant l'armée ainsi consternée et en proie dès lors à un absolu découragement, s'adresse en toute franchise à Dieu. « Ce n'est pas, dit-il, notre confiance en nous-mêmes qui nous a conduits à conquérir ce pays par les armes, c'est Moïse, ton serviteur, qui nous y a excités, lui à qui tu as promis par tant de signes de nous procurer la possession de ce pays et d'assurer toujours à notre armée l'avantage sur nos ennemis. Sans doute, quelques événements se sont produits conformément à tes promesses ; mais aujourd'hui, défaits contre toute attente, avant perdu quelques hommes de nos troupes, ces désastres nous affligent, car ils semblent indiquer que tes promesses ne sont pas sûres, non plus que ces prédictions de Moïse, et l'avenir nous apparaît sous un aspect encore pire, maintenant que nous avons subi cette première épreuve. Mais toi, Seigneur — car tu as le pouvoir de trouver un remède à ces maux —, dissipe notre affliction présente, en nous procurant la victoire, et ôte-nous de l'esprit ces pensées de découragement quant à l'avenir. »
[34] Josué, VII, 7.
14.[35] C'est ainsi que Josué, prosterné sur sa face, suppliait Dieu. Et Dieu lui ayant répondu de se relever et de purifier l'armée de la souillure qui s'y était produite et du vol qu'on avait osé commettre d'objets à lui consacrés — c'était, en effet, la raison de leur récente défaite, mais si l'on recherchait le coupable et si on le punissait, il leur assurerait toujours la victoire sur leurs ennemis —, Josué répète tout cela au peuple, et, après avoir convoqué Éléazar le grand-prêtre et les magistrats, il tira au sort entre les tribus. Et comme le sort indiquait que le sacrilège venait de la tribu de Juda, il tire de nouveau au sort entre les phratries de cette tribu, et le véritable auteur du crime se trouva appartenir à la famille d'Achar. Enfin, après une enquête individuelle, on prend Achar lui-même. Celui-ci, ne pouvant nier, circonvenu si étroitement par Dieu, avoue son vol et produit au jour les objets dérobés. Aussitôt mis à mort, il reçoit de nuit une sépulture ignominieuse, celle des condamnés[36].
[35] Ibid., VII, 10.
[36] Par ce détail, étranger au récit de la Bible, Josèphe veut montrer qu'on a appliqué exactement la loi mosaïque sur la lapidation qu'il a rapportée au livre IV, VIII, 6.
15.[37] Josué, ayant purifié son armée, la conduisit en personne contre Anna, et après avoir dressé pendant la nuit des embuscades tout autour de la ville, au matin il engagea le combat avec les ennemis. Comme ceux-ci marchent contre eux avec assurance à cause de leur première victoire, Josué, simulant une retraite, les attire à distance de la ville ; les Annites croient poursuivre leurs ennemis et les méprisent comme s'ils étaient déjà vainqueurs ; puis, faisant faire volte-face à ses troupes, Josué leur tient tête et, donnant les signaux convenus à ceux qui étaient dans les embuscades, il les excite, eux aussi, au combat. Ceux-ci se jettent dans la ville, tandis que les habitants se trouvaient autour des remparts, quelques-uns même tout occupés à regarder ce qui se passait dehors. Ils s'emparèrent donc de la ville et tuèrent tous ceux qu'ils rencontraient, et Josué, rompant les rangs des adversaires, les força à prendre la fuite. Repoussés dans la ville, qu'ils croyaient intacte, lorsqu'ils virent qu'elle était prise elle-même et s'aperçurent qu'elle brûlait avec les femmes et les enfants, ils se répandirent en désordre dans la campagne, incapables de se défendre eux-mêmes à cause de leur isolement. Après ce désastre qui écrasa les Annites, une foule d'enfants, de femmes et d'esclaves fut prise ainsi qu'un immense matériel. Les Hébreux s'emparèrent, en outre, de troupeaux de bestiaux et de beaucoup de butin, — car cette région était riche, — et tout cela, Josué le distribua à ses soldats, tandis qu'il était à Galgala.
[37] Josué, VIII, 3.
16.[38] Les Gabaonites, qui habitaient tout près de Jérusalem, voyant les désastres arrivés aux habitants de Jéricho et à ceux d'Anna et soupçonnant que le danger fondrait aussi sur eux, ne se déterminèrent pas à aller implorer Josué ; car ils ne croyaient pas qu'ils obtiendraient quelque traitement modéré d'un homme qui luttait pour l'anéantissement du peuple chananéen tout entier ; mais ils invitèrent les Képhérites et les Kariathiarimites[39], leurs voisins, à s'allier avec eux, en leur disant qu'ils n'échapperaient pas non plus au danger, lorsqu'eux-mêmes auraient commencé à être pris par les Israélites ; en unissant leurs armes, ils avaient le dessein d'échapper à la violence de ceux-ci. Comme les voisins adhérèrent à ces propositions, les Gabaonites envoyèrent des ambassadeurs à Josué pour faire amitié, choisissant ceux des citoyens qu'on jugeait le plus capables d'agir selon les intérêts du peuple. Ceux-ci, estimant que de s'avouer Chananéens était peu sûr, et croyant pouvoir échapper à ce danger en disant qu'ils n'avaient rien de commun avec les Chananéens, mais qu'ils habitaient très loin d'eux, déclarent que c'est pour avoir entendu parler de ses vertus qu'ils ont accompli un grand voyage, et, pour attester leurs dires, ils montrent leur accoutrement : leurs vêtements, disaient-ils, tout neufs quand ils étaient partis, s'étaient usés à cause de la longueur du voyage ; or, pour le faire croire, ils s'étaient vêtus à dessein de haillons. Ainsi, s'étant donc levés, ils racontèrent qu'ils avaient été envoyés par les Gabaonites et les villes voisines, très éloignées de ce pays, pour faire alliance avec eux aux conditions que comportaient les coutumes de leurs pères ; ayant appris, en effet, que grâce à la faveur et à la libéralité de Dieu, le pays des Chananéens leur avait été donné en propriété, ils s'en disaient fort heureux et ambitionnaient de devenir leurs concitoyens. Tout en parlant ainsi et en montrant les indices de leurs pérégrinations, ils invitent les Hébreux à conclure avec eux alliance et amitié. Josué, croyant, comme ils le prétendaient, qu'ils n'appartenaient pas à la nation chananéenne, fait amitié avec eux, et Éléazar, le grand-prêtre, avec les Anciens, jure de les traiter comme amis et alliés, de ne machiner aucune injustice contre eux et le peuple ratifia ces serments. Les Gabaonites, ayant obtenu par fraude ce qu'ils désiraient, s'en retournèrent chez eux ; mais Josué, ayant marché contre la région montagneuse de la Chananée et appris que les Gabaonites habitaient près de Jérusalem et étaient de la race des Chananéens[40], manda leurs magistrats et leur reprocha cette fourberie. Comme ceux-ci alléguaient qu'ils n'avaient pas d'autre moyen de salut que celui-là, et qu'en conséquence, ils y avaient eu recours par nécessité, il convoque le grand-prêtre Éléazar et les Anciens ; ceux-ci estiment qu'il faut les réduire à l'état d'esclaves publics[41] pour ne point enfreindre le serment, et il les désigne pour ces fonctions. C'est ainsi qu'ils trouvèrent moyen de se protéger et de s'assurer contre le malheur qui les menaçait.
[38] Ibid., IX, 13.
[39] En hébreu : Kiriat-Yearim. L'Écriture mentionne encore une autre ville alliée à Gabaon, celle de Beèrot.
[40] Josué, IX, 16.
[41] Des porteurs d'eau et des fendeurs de bois, selon l'Écriture.
17.[42] Le roi des Hiérosolymites[43], indigné que les Gabaonites eussent passé du côté de Josué, avait invité les rois des peuples voisins à se joindre à lui pour leur faire la guerre ; les Gabaonites les ayant vus venir avec lui, au nombre de quatre, et camper près d'une source voisine de la ville d'où ils en préparaient le siège, appelèrent Josué à l'aide. Les choses en étaient à ce point, que de leurs compatriotes ils attendaient leur perte et qu'au contraire, de ceux qui faisaient campagne pour l'anéantissement de la race chananéenne, ils espéraient leur salut, grâce à l'alliance conclue avec eux. Josué, avec toute son armée, se porte en hâte à leur secours, et, après avoir marché tout le jour et la nuit, à l'aube il tombe à l'improviste sur les ennemis, les met en fuite, et les poursuit avec acharnement à travers un canton accidenté qui s'appelle Bèthôra[44]. Là, Dieu lui fit connaître son assistance par des bruits de tonnerre, des coups de foudre et une grêle qui s'abattit plus violente que de coutume. En outre, il advint que le jour se prolongea, afin que l'arrivée de la nuit n'arrêtât pas l'ardeur des Hébreux ; de sorte que Josué put se saisir des rois, cachés dans une caverne à Makkéda, et les châtier tous. Que la durée du jour se soit accrue et ait dépassé alors la mesure habituelle, c'est ce qu'attestent les Écritures déposées dans le sanctuaire.
[42] Josué, X, 1.
[43] L'Écriture donne son nom : c'est Adoni-Çédek.
[44] En hébreu : Bet-Horon.
18. Après cette défaite des rois qui étaient partis en guerre contre les Gabaonites, Josué remonta de nouveau dans la partie montagneuse de la Chananée ; après y avoir fait un grand carnage des habitants et pris du butin, il revint au campement de Galgala[45]. Le renom de la valeur des Hébreux se répandant[46] beaucoup chez les peuples environnants, on fut frappé de terreur quand on apprit que tant de monde avait péri, et une expédition fut dirigée contre eux par les rois de la région du mont Liban, qui étaient des Chananéens. Les Chananéens de la plaine, s'étant adjoint les Palestiniens (Philistins), établissent leur camp près de la ville de Bèrôthé[47], de la Galilée Supérieure, non loin de Kédèse (Kadès) ; ce lieu appartient aussi aux Galiléens. Toute leur armée se composait de 300.000 hoplites, de 10.000 cavaliers et de 20.000 chars[48]. Cette masse d'ennemis effraye Josué lui-même et les Israélites, et dans l'excès de leur crainte ils étaient trop inquiets pour espérer un succès. Mais Dieu leur reproche vivement leur terreur et leur demande ce qu'ils désiraient de plus que son appui, puis leur promet qu'ils vaincront leurs ennemis et leur recommande de mettre les chevaux hors de combat et de brûler les chars. Encouragé par les promesses de Dieu, Josué marcha contre les ennemis, et, le cinquième jour, arrivant sur eux, il en vint aux mains ; un combat acharné s'engage et il se fait un carnage tel que le récit en paraîtrait incroyable. Josué dans sa poursuite poussa très loin, et toute l'armée ennemie, à quelques hommes près, fut anéantie. Tous les rois même tombèrent, de sorte que, quand il n'y eut plus personne à tuer, Josué fit périr les chevaux et brûla les chars, puis il parcourut en sécurité le pays, personne n'osant sortir lui livrer bataille ; il s’emparait par siège des villes et massacrait tout ce qu'il prenait.
[45] Josué, X, 43.
[46] Ibid., XI, 1.
[47] L'Écriture indique ici, non la ville de Beèrot (qui semble désignée celle de Josèphe), mais le lac Mérous.
[48] Tous ces chiffres sont de fantaisie. L'Écriture se borne à dire que l'armée ennemie était nombreuse comme le sable des plages et qu'il y avait beaucoup de cavalerie et de chars.
19.[49] La cinquième année[50] était déjà écoulée, et il n'y avait plus un chananéen de survivant, sauf ceux qui avaient pu échapper, grâce à la solidité de leurs murailles. Josué alors, levant son camp de Galgala, établit le saint tabernacle dans les montagnes à Silo (Silous)[51] : cette localité lui paraissait désignée pour sa beauté, jusqu'à ce que les circonstances leur permissent d'édifier un temple. Puis, parti de là vers Sichem[52] (Sicima), avec tout le peuple, il érige un autel[53] là où l'avait prescrit Moïse, et, ayant divisé l'armée, il en place la moitié sur le mont Garizin et l'autre moitié sur le Gibalon (Ébal), où se trouvait aussi l'autel, ainsi que les Lévites et les prêtres. Après avoir sacrifié et prononcé des imprécations qu'on laissa gravées sur l'autel, ils retournèrent à Silo.
[49] Josué, XVIII, 1.
[50] D'après la tradition, qui s'appuie sur Josué, XIV, 10, la conquête aurait duré sept ans.
[51] En hébreu : Schilô.
[52] L'Écriture place cet épisode après le récit de la conquête d'Aï.
[53] Josué, VIII, 30.
20.[54] Josué, déjà vieux et voyant que les villes des Chananéens n'étaient pas faciles à prendre, à cause de la force de leurs emplacements et de la solidité des remparts qu'ils avaient ajoutés aux avantages naturels de leurs villes, comptant ainsi que leurs ennemis s'abstiendraient de les assiéger par désespoir de s'en emparer — en effet, les Chananéens, informés que c'était pour leur perte que les Israélites avaient effectué leur sortie d'Égypte, s'étaient occupés tout ce temps à fortifier leurs villes —, Josué donc, ayant réuni tout son peuple à Silo, convoque une assemblée[55]. On accourt avec empressement et il leur dit combien les succès déjà obtenus et les exploits accomplis sont heureux et dignes de Dieu à qui ils les doivent et en l'excellence des lois qu'ils suivent ; il leur fait connaître, en outre, que trente et un rois[56] qui avaient osé en venir aux mains avec eux étaient vaincus et qu'une armée qui, trop confiante dans ses forces, leur avait livré bataille, avait péri tout entière, au point qu'il ne leur restait plus une famille debout. Et comme parmi les villes les unes étaient prises, mais que pour avoir les autres il fallait du temps et de grands travaux de siège, vu la solidité des remparts et la confiance qu'ils inspiraient aux habitants, il estimait que, pour ceux qui étaient venus de l'autre côté du Jourdain[57] prendre part à leur expédition et partager leurs dangers en qualité de parents, on devait désormais les laisser rentrer chez eux en leur témoignant de la reconnaissance pour le concours qu'ils leur avaient prêté. « De plus, dit-il, il faudra envoyer, un par tribu[58], des hommes d'une vertu éprouvée pour mesurer le pays exactement et nous rapporter, sans commettre aucune fraude, quelles en sont les dimensions. »
[54] Ibid., XIII, 1.
[55] Ibid., XVIII, 1.
[56] Ibid., XII, 1.
[57] Ibid., XXII, 1.
[58] Trois hommes par tribu, selon la Bible (Josué, XVIII, 4).
21. Josué, ayant ainsi parlé, eut l'assentiment du peuple et il envoya des hommes pour mesurer le pays, en leur adjoignant quelques géomètres qui ne manqueraient point d'être exactement renseignés grâce à leur science ; il leur donna pour instructions d'évaluer séparément l'étendue des terres riches et celle des terres moins fertiles. Car telle est la nature du pays des Chananéens, qu'on peut y voir de grandes plaines très propres à porter du blé, qui, comparées à d'autres sols, passeraient pour très fortunées, mais qui néanmoins, par rapport aux terres des gens de Jéricho et de Jérusalem, paraîtraient sans valeur. Quoique l'étendue du pays de ces derniers se trouve être fort exiguë et en majeure partie montagneuse, par son extraordinaire fécondité en grain et sa beauté elle ne le cède à aucune autre. Et c'est pourquoi Josué pensait qu'il fallait pour les lots se régler plutôt sur l'estimation que sur l'arpentage, souvent un seul arpent pouvant en valoir jusqu'à mille. Les hommes qu'on avait envoyés — au nombre de dix —, après avoir parcouru et estimé le pays, revinrent le septième mois vers lui dans la ville de Silo, où l'on avait dressé le tabernacle.
22. Josué, ayant pris avec lui Éléazar et les Anciens, ainsi que les phylarques, fait le partage entre les neuf tribus, plus la demi-tribu de Manassé, en établissant ses mesures proportionnellement à l’importance de chaque tribu. Quand il eut tiré au sort[59], celle de Juda reçut pour lot toute I'Idumée supérieure[60], en longueur jusqu'à Jérusalem et en largeur jusqu'au lac de Sodome ; dans ce lot entraient les villes d'Ascalon et de Gaza. Celle de Siméon[61] — la seconde — obtint cette partie de l'Idumée qui confine à l'Égypte et à l'Arabie. Les Benjamites[62] obtinrent le pays qui s'étend en longueur depuis le fleuve du Jourdain jusqu'il la mer et qui est borné dans la largeur par Jérusalem et Béthel(a). Ce lot était le plus restreint de tous, vu l'excellence de la terre ; ils obtenaient, en effet, Jéricho et la ville des Hiérosolymites. La tribu d'Ephraïm[63] eut le pays qui s'étend en longueur jusqu'à Gazara[64] à partir du fleuve du Jourdain et en largeur depuis Béthel jusqu'à la grande plaine. La demi-tribu de Manassé[65] eut depuis le Jourdain jusqu'à la ville de Dôra[66], et en largeur jusqu'à la ville de Bèthèsana[67], qui s'appelle aujourd'hui Scythopolis. Après eux, la tribu d'Isachar[68] eut le mont Carmel et le fleuve pour limites dans la longueur, et le mont Itabyrion (Thabor) pour la largeur. Les Zabulônites[69] obtinrent le pays qui s'étend jusqu'au lac de Génésareth et qui aboutit aux environs du Carmel et de la mer. La région située derrière le Carmel et appelée la Cœlade (vallée) à cause de cette situation, échut tout entière aux Asérites[70] ; elle faisait face à Sidon. La ville d'Arcé entrait dans leur part ; elle s'appelle aussi Ecdipous. Les territoires du côté de l'orient jusqu'à la ville de Damas et la Haute-Galilée furent occupés par les Nephtalites[71] jusqu'au mont Liban et aux sources du Jourdain qui s'élancent de cette montagne, du côté qui confine au nord à la ville d'Arcé[72]. Les Danites[73] obtiennent la partie de la vallée qui s'étend vers le coucher du soleil avec Azôtos et Dôra pour limites ; ils eurent tout Jamnia[74] et Geta, depuis Acaron jusqu'à la montagne où commençait le lot de la tribu de Juda.
[59] Josué, XV, 1.
[60] Josèphe dans son énumération va du sud au nord, sauf pour la tribu de Dan, mentionnée a part, et abrège considérablement les énumérations de villes du livre de Josué. Il appelle longueur la dimension la plus longue de chaque lot, quelle que soit d'ailleurs son orientation.
[61] Josué, XIX, 1-9.
[62] Ibid., XVIII, 11.
[63] Ibid., XVI, 5.
[64] Hébreu : Ghézer.
[65] Josué, XVII, 11.
[66] Hébreu et LXX : Dor.
[67] Hébreu : Bet-Schean.
[68] Josué, XIX, 17.
[69] Josué, XIX, 10.
[70] Ibid., XIX, 24.
[71] Ibid., XIX, 32.
[72] Le texte paraît altéré en ce passage : on ne voit pas ce que vient faire ici la mention d'Arcé. On attendrait plutôt Panias ou Kadès. [T. R.]
[73] Josué, XIX, 40.
[74] Cette ville n'est pas nommée dans le livre de Josué ; on la trouve mentionnée pour la première fois dans II Chroniques, XXVI, 6. Josèphe s'inspire de la situation géographique de son temps et commet ainsi des anachronismes. C'en est un que de parler de Jamnia a l'époque de Josué.
23.[75] C'est ainsi que Josué divisa les six nations portant les noms des fils de Chanaan, et donna leur pays en partage aux neuf tribus et demie, car l'Amoritide — appelée, elle aussi, d'après le nom d'un des fils de Chanaan —, Moïse, qui s'en était déjà emparé précédemment, l'avait partagée entre les deux tribus et demie ; c'est ce que nous avons rapporté antérieurement. Mais les terres des environs de Sidon, des Arucéens, des Amathéens et des Aradéens ne furent point distribuées[76].
[75] Josué, XIII, 12.
[76] Josèphe se réfère à la liste des fils de Kenaan (Genèse, X, 15-17 ; cf. Antiquités, livre I, VI, 2). Ces fils sont au nombre de 11, les Israélites occupent les pays de sept d'entre eux (Het, Yebousi, Emori, Ghirgasi, Hivi, Sini, Çemari) : les pays des quatre autres (Sidon, Arki, Hamathi, Arvadi) doivent correspondre à peu près aux territoires énumérés dans Josué (XIII, 4-6) ; mais la Bible parle aussi des territoires philistins parmi « ce qui restait à prendre » (v. 2 et 3) : Josèphe ne les mentionne pas.
24.[77] Josué, empêché dès lors par l'âge d'exécuter lui-même ses projets, comme de plus ceux qui avaient pris le pouvoir après lui se montraient peu soucieux de l'intérêt général, recommanda à chaque tribu de ne rien laisser subsister de la race des Chananéens à l'intérieur du lot qui leur était dévolu, car c'est cela seulement qui pouvait menacer leur sécurité et l'observance des lois nationales ; Moïse le leur avait déjà dit et il en était lui-même persuadé. Ils devaient aussi céder aux Lévites[78] les trente-huit villes ; car ceux-ci en avaient déjà pris dix en Amorée. De ces villes, il en assigne trois[79] aux fugitifs pour y habiter — car il avait le vif souci de ne rien omettre des prescriptions de Moïse —, à savoir dans la tribu de Juda, Hébron, Sichem en Ephraïm et Kadès en Nephthali ; cette localité fait partie de la Galilée supérieure. Il distribua aussi ce qui restait du butin, qui était considérable, et ils se trouvèrent pourvus de grandes richesses collectivement et individuellement, or, argent, vêtements et toutes sortes de meubles, sans compter une multitude de quadrupèdes dont on ne pouvait même évaluer le nombre.
[77] Josué, XVIII, 11.
[78] Ibid., XXI, 1.
[79] Ibid., XX, 1.
25.[80] Ensuite, ayant réuni en assemblée son armée, il parla en ces termes à ceux qui étaient établis au-delà du Jourdain en Amorée (ils avaient pris part à la campagne au nombre de 50.000 hoplites) : « Puisque Dieu, père et maître de la race des hébreux, nous a donné la possession de ce pays et promet de nous conserver cette possession pour toujours, et puisque à ceux qui vous demandaient voire coopération, conformément aux instructions de Dieu, vous avez montré en tout votre zèle, il est juste, aujourd'hui qu'il ne subsiste plus aucune difficulté, que vous obteniez enfin du répit pour ménager votre dévouement, afin que, si de nouveau nous en avions besoin, nous le trouvions plein d'énergie contre toute éventualité et que l'excès de fatigue d'aujourd'hui ne le ralentisse pas pour plus tard. Grâces vous soient donc rendues pour les périls que vous avez partagés, et ce n'est pas seulement pour aujourd'hui, c'est pour toujours que nous vous en saurons gré, car nous sommes capables de nous souvenir de nos amis et de garder la mémoire des services qu'ils nous ont rendus : vous avez, en effet, à cause de nous, différé de jouir des biens que vous possédez, et ce n'est qu'après avoir travaillé avec nous à nous mener au point où nous en sommes actuellement par la bienveillance de Dieu que vous avez songé à en profiter pour votre part. D'ailleurs, outre les biens qui vous appartiennent, vos efforts associés aux nôtres vous ont acquis une richesse immense et vous emporterez un butin considérable, de l'or, de l'argent et, qui plus est, notre amitié et notre concours reconnaissant pour tout ce que vous désirerez en échange. Car de ce que Moïse a prescrit vous n'avez rien négligé, rien dédaigné depuis qu’il a quitté les hommes, et il n'est rien dont nous n'ayons à vous savoir gré. Nous vous laissons donc partir allègrement vers vos héritages et nous vous prions de ne pas voir de frontière qui divise notre parenté et de ne pas croire, parce que ce fleuve coule entre nous, que nous soyons autre chose que des hébreux. Nous sommes tous, en effet issus d'Abram, que nous habitions ici ou là ; c'est le même Dieu qui a appelé nos ancêtres et les vôtres à la vie. Ce Dieu, ayez soin de le servir, et la constitution qu'il a établie par l'intermédiaire de Moïse, observez-la tout entière en songeant que, si vous y demeurez fidèles, Dieu aussi se montrera bienveillant et combattra pour vous, tandis que si vous vous laissez aller à imiter d'autres nations, il anéantira votre race ». Ayant ainsi parlé[81] et ayant salué en particulier les magistrats et en général toute la foule des partants, lui-même demeura, mais le peuple les accompagna non sans larmes et ils eurent de la peine à se séparer les uns des autres.
[80] Ibid., XXII, 1.
[81] Ibid., XXII, 6.
26.[82] Le fleuve franchi, la tribu de Roubel, celle de Gad et tous ceux de Manassé qui les suivaient érigent un autel sur la berge du Jourdain, comme souvenir pour les générations futures et comme symbole de leur parenté avec les habitants de l'autre rive. Mais ceux-ci, ayant oui dire que les partants avaient érigé un autel, non pas dans la pensée qui les avait réellement inspirés, mais pour innover et introduire des dieux étrangers, ne voulurent pas révoquer en doute ce bruit, et, estimant digne de foi cette calomnie touchant leur religion, se mettent en armes, prêts à passer le fleuve pour châtier ceux qui avaient érigé l'autel et les punir de cette infraction aux lois de leurs pères. Ils ne croyaient pas, en effet, avoir à tenir compte de la parenté et du rang de ceux qui avaient pris une telle initiative, mais de la volonté de Dieu et de la façon dont il aime à être honoré. Ils se mirent donc en campagne sous l'empire de la colère. Mais Josué, le grand-prêtre Éléazar et les Anciens les retinrent, leur conseillant d'aller s'enquérir d'abord du dessein de leurs voisins ; alors, s'ils apprenaient que leurs intentions étaient criminelles, ils marcheraient en armes contre eux. Ils envoient donc des ambassadeurs auprès d'eux, Phinéès, le fils d'Éléazar, et avec lui dix hommes considérés d'entre les Hébreux, pour se renseigner sur les intentions qu'ils avaient eues en érigeant un autel sur la berge du fleuve après l'avoir franchi. Quand ceux-ci furent parvenus chez les gens d'au delà du fleuve, une assemblée fut réunie, et Phinéès, s'étant levé, leur dit que leur péché était trop grave pour qu'une remontrance verbale pût les rendre sages à l'avenir ; cependant, on n'avait pas voulu considérer l'énormité de leur transgression pour courir sur-le-champ aux armes et à une répression brutale, mais, eu égard à leur parenté et à la possibilité que de simples paroles les amèneraient à résipiscence, on leur avait envoyé cette ambassade, « afin que, dit-il, informés du motif qui vous a déterminés à bâtir l'autel, nous n'ayons pas l'air d'être venus étourdiment porter nos armes contre vous, si c'est dans de pieuses intentions que vous avez élevé l'autel, et que, si elles sont impies, nous soyons fondés à vous punir, l'inculpation étant démontrée exacte. Car nous ne concevions pas qu'après avoir pénétré par expérience la pensée de Dieu, après avoir entendu les lois qu'il nous a données lui-même, une fois séparés de nous et établis dans la part d'héritage qui vous est échue par la faveur de Dieu et sa bonté pour vous, vous ayez pu l'oublier, et, abandonnant le tabernacle et l'arche et l'autel de vos pères, vous ayez introduit des dieux étrangers en vous adonnant aux dépravations des Chananéens. Mais vous apparaîtrez purs de toute faute si vous vous repentez, si voire aberration ne va pas plus loin, si vous revenez au respect et au souvenir des lois de vos pères. Que si vous persistez dans vos erreurs, nous n'épargnerons aucun effort pour défendre les lois, mais, ayant franchi le Jourdain, nous irons à leur secours et nous lutterons pour Dieu lui-même, ne mettant aucune différence de vous aux Chananéens, et nous vous détruirons comme eux. Car n'imaginez pas qu'en ayant passé le fleuve vous vous soyez mis aussi en dehors de la puissance de Dieu : partout vous êtes dans son domaine et il vous est impossible d'échapper à son pouvoir et à sa vengeance. Que si vous croyez que votre présence en ce lieu vous empêche d'être raisonnables, rien ne s'oppose à ce que nous procédions à un nouveau partage du pays en abandonnant celui-ci en pâturage aux bestiaux. Mais vous ferez bien de redevenir sages et de changer de sentiments, tandis que votre faute est encore récente. Et nous vous supplions au nom de vos enfants et de vos femmes de ne pas nous mettre dans la nécessité de vous punir. Que la pensée que votre salut à vous et celui des êtres qui vous sont le plus chers dépend de cette assemblée inspire votre résolution, et songez qu'il vaut mieux se laisser convaincre par des paroles que d'attendre la leçon des faits et de la guerre. »
[82] Ibid., XXII, 10.
27.[83] Après ce discours de Phinéès, les présidents de l'assemblée et tout le peuple lui-même commencèrent à se disculper des fautes qu'on leur imputait et à dire qu'ils n'avaient pas renié la parenté qui les unissait à leurs frères et qu’ils n'avaient pas eu d'intention révolutionnaire en érigeant l'autel ; ils reconnaissaient un Dieu unique, le même pour tous les hébreux, ainsi que l'autel d'airain devant le tabernacle où l'on accomplirait les sacrifices. Quant à celui qu'ils avaient érigé maintenant et qui les avait rendus suspects, il n'était pas édifié en vue du culte : « Il sera, disent-ils, un symbole et un témoignage pour l'éternité de notre parenté avec vous, nous obligera à être pieux et à demeurer fidèles aux lois de nos pères ce n'est pas du tout le début d'une transgression, comme vous le supposez. Dieu soit pour nous un sûr témoin que c'est bien là le motif qui nous a fait édifier cet autel. Ainsi, concevant meilleure opinion de nous, ne nous accusez plus d'aucun de ces crimes qui vaudraient à juste titre la mort à tous ceux qui, issus de la race d'Abram, s'adonneraient à de nouvelles mœurs en rompant avec les coutumes reçues. »
[83] Ibid., XXII, 21.
28.[84] Phinéès, ayant approuvé ce langage, revint auprès de Josué et rapporta au peuple ce qui s'était passé là-bas. Celui-ci, joyeux de voir qu'il n'y avait plus de nécessité de lever des troupes et de porter les armes et la guerre contre des parents, offre à cette occasion des sacrifices d'actions de grâces à Dieu. Puis, après avoir congédié le peuple dans leurs lots respectifs, Josué, lui, demeura à Sichem. Vingt ans plus tard, parvenu à l'extrême vieillesse[85], ayant mandé les hommes les plus notables des villes, les magistrats et les Anciens, et fait réunir aussi tous ceux qu'on put amener du peuple, quand ils furent là, il leur rappela tous les bienfaits de Dieu — si considérables pour un peuple élevé d'une condition inférieure à un tel degré de gloire et de richesse —, et les exhorta à respecter la volonté de Dieu si bienveillante à leur égard en lui vouant tous les honneurs et une piété qui seule leur conserverait l’amitié de la divinité. Il lui convenait à lui-même, au moment de quitter la vie, de leur laisser de tels avertissements, et il les pria de garder dans leur mémoire ses recommandations.
[84] Ibid., XXII, 30.
[85] Ibid., XXIV, 1.
29. Ayant ainsi parlé aux assistants, il meurt[86] ; il avait vécu cent dix ans, dont il avait passé quarante en compagnie de Moïse à apprendre de lui les connaissances utiles : il eut le commandement de l'armée après la mort de ce dernier pendant vingt-cinq ans[87] ; ce fut un homme qui ne manqua ni d'intelligence, ni d'habileté pour expliquer clairement à la multitude ce qu'il avait conçu ; il eut même ces deux facultés à un degré éminent ; de plus, vaillant et magnanime dans l'action et les dangers, sachant à merveille prendre des délibérations pendant la paix et montrant des qualités à la hauteur de toutes les circonstances. On l'ensevelit dans la ville de Thamna de la tribu d'Éphraïm. Dans le même temps meurt aussi Éléazar, le grand-prêtre, qui laissa le grand pontificat à Phinéès, son fils ; son monument commémoratif et son tombeau sont dans la ville de Gabatha[88].
[86] Ibid., XXXV, 29.
[87] L'Écriture ne donne pas la durée du gouvernement de Josué. Mais le même renseignement se retrouve dans la Chronique samaritaine. Quant à la tradition rabbinique (Sèder Olam Rabba, XII), elle attribue au gouvernement de Josué une durée de 28 ans. Comme la conquête, selon la même tradition, avait duré 7 ans, l'intervalle entre l'issue de la guerre et la mort de Josué est à peu près le même que celui que Josèphe donne plus haut (20 ans).
[88] Josèphe, comme les LXX, prend le mot Gibeath, « colline », pour un nom.