Mais bien que toutes ces prédictions, qui regardent la vie et le ministère du Messie, soient admirablement convaincantes par leur multitude, par leur suite, par leur enchaînement et par leur clarté, rien ne doit nous persuader davantage que la prédiction de sa mort et de ses souffrances ; événement si triste, si éloigné des idées ordinaires des Juifs, ou plutôt si choquant, que jamais les prophètes ne se seraient avisés de le prédire, et moins encore de le mêler à tant de descriptions pompeuses et magnifiques du Messie, s’ils n’avaient été inspirés par le Saint-Esprit, qui connaît les choses comme elles sont.
En effet, ce n’est point ici un événement que les prophètes décrivent en passant ; ils s’y arrêtent, ils le rapportent avec ses circonstances. Ils décrivent l’opprobre et les douleurs du Messie ; ils prédisent sa mort ; ils en marquent la fin ; ils en décrivent le genre ; ils en rapportent les circonstances ; ils nous disent ce qui doit la précéder et ce qui doit la suivre, comme s’ils avaient déjà assisté à un spectacle qui était encore dans les ténèbres de l’avenir.
1° Les prophètes ne nous disent pas seulement que ce Messie, ou ce serviteur de Dieu qui doit venir, est un homme de douleurs, sachant ce que c’est que la langueur, le méprisé, le rejeté du peuple, sans forme, sans apparence, un ver, non pas un homme, la honte et l’opprobre des hommes. Ils nous apprennent qu’il doit être retranché de la terre des vivants ; qu’il doit mettre son âme en oblation, et qu’il doit s’en aller et se retirer après qu’il aura mis règlement en la terre ; car nous avons déjà montré qu’il s’agit du Messie dans tous ces oracles.
2° Ils nous apprennent que ce n’est point pour lui qu’il doit souffrir la mort ; qu’il doit être retranché, mais non pas pour soi ; qu’il a mis son âme en oblation pour le péché ; qu’il a été navré pour nos forfaits, et froissé pour nos iniquités, expressions qui ne nous permettent point de révoquer en doute la véritable fin de ses souffrances.
3° Ils nous font entendre le genre de sa mort avec ses circonstances. L’oracle de Zacharie nous dit que les Juifs verront celui qu’ils auront percé. Et je répandrai, dit notre Sauveur par la bouche de ce prophète, je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, l’esprit de grâce et de supplications ; et ils regarderont vers moi qu’ils auront percé, et ils en mèneront deuil, comme quand on mène deuil d’un fils unique, et ils en seront en amertume comme quand on est en amertume à cause d’un premier-né. Cet oracle, qui se trouve si exactement accompli en la personne de ces premiers prosélytes, qui s’écrièrent après avoir ouï la prédication de saint Pierre : Hommes frères, que ferons-nous ? nous fait assez connaître de quel genre de crime ces Juifs devaient se repentir. Il faut remarquer, en effet, que c’est ici un prophète qui a prophétisé après le retour des Juifs hors du pays de Babylone, et qu’après avoir montré combien grande est la miséricorde de Dieu, et sa protection glorieuse, en les délivrant de cette dernière servitude, après avoir rapporté plusieurs excellentes visions, dans lesquelles Dieu lui a fait connaître quelle est l’alliance qu’il a faite avec ce peuple, et avoir ensuite prédit la ruine des ennemis du peuple de Dieu, et la gloire d’Israël et de la maison de David, qu’il faut s’en doute entendre de l’Israël selon l’esprit, et de l’avancement du règne du Messie, fils de David, puisque autrement cette prophétie n’aurait pas été accomplie. Il nous parle d’un deuil très grand et très amer, qui sera sur les habitants de Jérusalem et sur la famille de David ; d’un deuil semblable au deuil qu’on mène pour un fils unique, tel que le deuil qui fut en la plaine de Méguiddon ; deuil de la terre, deuil de la famille de David et de celle de Nathan ; deuil de la famille de Lévi, de chaque famille et de chaque maison à part. Mais ce qui est plus remarquable, il nous parle d’un deuil qui naîtra de ce qu’ils auront percé celui qui devait faire l’objet de leur respect et de leur adoration. Que les Juifs cherchent tant qu’ils voudront, ils ne trouveront point d’autre crime auquel ils puissent appliquer ce qui est dit dans cet oracle, que la crucifixion de leur Messie.
Et en effet, Zacharie n’est point le seul prophète qui nous fait comprendre quel devait être le genre de la mort du Messie. Le Psalmiste lui fait dire en la personne de David qui le représente : Une assemblée de méchants m’a environné, ils ont percé mes mains et mes pieds. Je ne nie pas véritablement qu’il n’y ait dans ce psaume 22 quelque chose qui se peut appliquer à David, figure et type du Messie. Mats ce que nous prétendons, à l’exemple des anciens rabbins qui ont tous rapporté ce psaume au Messie, c’est qu’il y a des choses qui conviennent beaucoup mieux à Jésus-Christ qu’à David, et d’autres qui ne conviennent point à David et qui conviennent au Messie. Ces paroles : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, t’éloignant de ma délivrance et des paroles de mon rugissement ? conviennent mieux à Jésus-Christ mourant, qu’à David fugitif. Celles-ci se trouveront encore plus véritables en la personne de Jésus-Christ qu’en celle de David : Mais moi je suis un ver, non pas un homme ; la honte et l’opprobre des hommes, et le méprisé du peuple. Tous ceux qui me voient se moquent de moi, et me font la moue ; ils secouent la tête. Il se remet, disent-ils, à l’Éternel : qu’il le délivre et qu’il le retire, puisqu’il prend en lui son bon plaisir. Mais en voici d’autres qui ne conviennent point à David : Ils ont percé mes mains et mes pieds ; ils ont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe. Et quand cela aurait été accompli en sa personne, on ne voit pas qu’on puisse appliquer à la délivrance temporelle de David ces paroles si magnifiques : Tous les bouts de la terre en auront souvenance, et se convertiront à l’Éternel, et toutes les familles des nations se convertiront devant toi ; car la terre appartient à l’Éternel, et il domine sur les nations. Tous les opulents de la terre se prosterneront devant lui. Tous ceux qui descendent en la poudre s’inclineront, même celui qui ne peut garantir sa vie. La postérité lui servira, et sera enrôlée au Seigneur d’âge en âge. Ils viendront et publieront sa justice au peuple qui naîtra, d’autant qu’il aura fait cela.
Est-il croyable que ces dernières paroles : d’autant qu’il aura fait cela, se rapportent simplement à la délivrance de David, de sorte que les peuples viennent et publient la justice de Dieu au peuple qui doit naître, que tous les bouts de la terre en aient souvenance et se convertissent ? En vérité, il faudrait renoncer à toute la bonne opinion qu’on a de ce prophète, et refuser même de lui attribuer le sens commun, pour s’imaginer que l’enveloppe de ces paroles ne nous cache point de plus grand événement que celui de sa délivrance temporelle, et que par conséquent ce ne soit du Messie qu’il parle, n’y ayant sans doute que le Messie auquel un oracle si magnifique puisse convenir.
N’est-ce point encore à Jésus-Christ qu’on doit appliquer ces paroles du psaume 69 ? Je suis devenu étranger à mes frères, etc. Le zèle de ta maison m’a rongé, etc. L’opprobre m’a rompu le cœur, dont je suis languissant, etc. Qui plus est, ils m’ont donné du fiel à mon repas, et m’ont abreuvé de vinaigre ; David n’ayant pu dire cela de soi-même que par une certaine extension de sens, qui convient proprement et exactement au Messie, et qui ne convient qu’à lui.
Enfin, de quel autre que du Messie peut-on entendre ces paroles d’Ésaïe 50.6 : J’ai exposé mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui me tiraient le poil. Je n’ai point caché ma face arrière des opprobres et des crachats ? Car si tout cela n’est point arrivé au prophète, il faut qu’il parle en la personne de quelque autre : et quelle peut être cette autre personne, si ce n’est le Messie ?
Ainsi vous trouvez dans les oracles des prophètes toutes les circonstances de la mort de notre Messie : les pieds et les mains percés, le deuil extrême de ceux qui viennent à reconnaître qu’ils l’ont percé ; cette triste exclamation de Jésus-Christ attaché à la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? la honte et l’opprobre qui accompagne ses souffrances ; le fiel et le vinaigre dont on l’abreuve ; les crachats dont on le couvre ; les blasphèmes de ceux qui lui insultent, qui se moquent de lui en secouant leurs têtes, et qui lui disent : Il se confie en Dieu : qu’il le délivre, s’il prend en lui son bon plaisir ; le partage de ses vêtements, et toutes ces circonstances jointes à la connaissance que les bouts de la terre en doivent avoir, et au salut des nations qui viendront, et se convertiront, et publieront d’âge en âge la justice de Dieu au peuple qui naîtra.
4° Il nous enseigne que sa mort sera agréable à Dieu ; qu’après ses souffrances, il se verra de la postérité, et qu’il obtiendra le partage des puissants, après avoir mis son âme en oblation ; ce qui achève de nous faire comprendre que c’est de Jésus-Christ que les oracles nous ont parlé, n’y ayant que Jésus-Christ dont la mort ait des rapports si justes et en si grand nombre avec la mort de Celui que les prophètes nous décrivent sous l’idée du Christ, ou du serviteur de Dieu qui devait mettre son âme pour nous.