Aucune ville de l’empire peut-être n’eut à souffrir des querelles ariennes autant que celle d’Antioche. Au moment du concile de Nicée, elle avait pour évêque Eustathe, né à Side en Pamphylie, peut-être vers 275, évêque d’abord de Bérée, puis transféré à Antioche en 323 ou 324. A Nicée, il se prononça nettement contre Arius et agit vigoureusement contre ceux de ses clercs qui partageaient les erreurs condamnées. Aussi fut-il une des premières victimes de la réaction arienne. Illégalement déposé en 330, il fut exilé à Trajanopolis, et mourut à Philippes en 337.
Eustathe avait beaucoup écrit, et Sozomène loue en lui une pensée forte, un style classique d’une belle allure, une composition agréable et facile. Malheureusement, un seul de ses ouvrages nous est parvenu en entier : c’est le traité De la pythonisse, dans lequel l’auteur soutient, contre Origène, que ce n’est pas Samuel lui-même qui est apparu à Saül et, à cette occasion, attaque vivement la méthode allégorisante des alexandrins. D’autres essais exégétiques, écrit sur l’Hexaemeron, explication des Psaumes, commentaire du texte Proverbes 8.22, des traités Contre les ariens en huit livres au moins, Sur l’âme, en deux parties probablement, des homélies, des lettres ne sont connus que par l’indication des auteurs ou par quelques fragments.
Les caractères de l’école d’Antioche sont en tout cas très marqués déjà dans l’œuvre d’Eustathe : méthode d’interprétation littérale, en christologie affirmation nette que l’humanité de Jésus-Christ est complète : c’est à ce point de vue qu’on peut le citer comme un précurseur des docteurs antiochiens de la fin du ive siècle.
La déposition d’Eustathe fut le signal, à Antioche, d’une division entre chrétiens qui dura jusqu’en 415 Tandis que les ariens donnaient à Eustathe une série de successeurs ariens, tels que Paulin, évêque de Tyr (330-331) et plus tard Eudoxius, les orthodoxes se partageaient : les uns, fidèles à la mémoire d’Eustathe, et pour cela appelés eustathiens, se groupant autour du prêtre Paulin, consacré évêque en 362 et de son successeur Evagrius (388-393) ; les autres jugeant de meilleure politique de ne pas se séparer ostensiblement de l’Église officielle, mais ayant cependant des réunions à part sous la direction de deux prêtres, Diodore et Flavien. Ce dernier parti finit par triompher des ariens d’abord par l’élection, puis par la reconnaissance de Mélèce en 361 et 378 : mais il ne parvint qu’en 415 à gagner complètement les eustathiens.
Diodore de Tarse est ce prêtre qui, avec Flavien — le futur successeur de Mélèce —, réunissait à part les orthodoxes d’Antioche. Il était né à Antioche même d’une famille distinguée et, après avoir complété ses études à Athènes, se retira pendant dix ans près d’Antioche dans un monastère qu’il gouverna de concert avec Carterius. C’est là qu’il eut pour disciples Théodore, le futur évêque de Mopsueste et saint Jean Chrysostome, qui y vinrent également.
La défense de la foi menacée le fit sortir de sa retraite. Avec l’aide de Flavien, il préserva de la contagion arienne les orthodoxes d’Antioche non ralliés à Paulin, combattit contre Julien l’Apostat et reprit la lutte contre l’arien Valens. Exilé en Arménie en 372, il rentre en 378 et devient évêque de Tarse en Cilicie. En 381, il assiste au deuxième concile général et se trouve désigné parmi les évêques dont la communion est une preuve d’orthodoxie. Sa mort peut se mettre en 391-392.
Diodore a joui, pendant sa vie et durant les cinquante années qui ont suivi sa mort, d’une extraordinaire estime. Il la méritait pour son zèle, sa vertu, son détachement et aussi pour la méthode rationnelle d’exégèse qu’il a sinon inaugurée, du moins renouvelée dans l’école d’Antioche, et dont saint Chrysostome est le plus illustre représentant. Malheureusement, le soin qu’il mit à affirmer contre Apollinaire que le Sauveur est pleinement homme, et à faire ressortir dans ses écrits le caractère humain de sa vie, l’entraîna à exagérer en Jésus-Christ la distinction des deux natures divine et humaine et à les présenter, ou à peu près, comme étant deux personnes. S’il avait nettement entrevu les conséquences de ses formules, il les eût très probablement désavouées. Elles n’en subsistent pas moins, et l’ont fait considérer depuis comme un précurseur du nestorianisme. Condamné par un concile de Constantinople en 499, il fut cependant épargné par le concile de 553, qui condamna les Trois Chapitres.
L’activité littéraire de Diodore fut considérable, mais la presque totalité de ses ouvrages est perdue.
Ses écrits exégétiques comprenaient, au dire de Suidas, des commentaires sur tout l’Ancien Testament, la Genèse, l’Exode et les autres livres, sur les Psaumes, les quatre livres des Rois, sur les passages les plus difficiles des Paralipomènes, sur les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, sur les Prophètes, les quatre évangiles, les Actes des apôtres, l’Épître de Jean. Saint Jérôme ajoute qu’il avait commenté « l’Apôtre », c’est-à-dire les écrits de saint Paul. De tout cela il ne reste que des scolies fournies par les Chaînes scripturaires et peut-être le commentaire sur les Psaumes.
Puis, dans son énumération, Suidas a glissé les titres de deux autres ouvrages qui intéressent la Bible : Quelle est la différence entre la théorie et l’allégorie ? et Chronique rectifiant les calculs d’Eusèbe sur les temps. Tous deux sont perdus. Par théorie, Diodore entendait l’exégèse littérale qui recherche le sens réel du langage figuré, l’objet réel des figures et des prophéties, les enseignements moraux à tirer des faits.
Les écrits dogmatiques de Diodore n’étaient pas moins nombreux. Photius (cod. 223) a donné une notice et de longs extraits d’un ouvrage en huit livres Contre les astronomes et les astrologues et le Destin ; il a signalé (cod. 85) un ouvrage en vingt-cinq livres Contre les manichéens et (cod. 102) un ouvrage Sur le Saint-Esprit. Suidas mentionne des traités Sur l’unité de Dieu dans la Trinité ; Contre les melchisédéciens ; Contre les juifs ; Sur la résurrection des morts ; De l’âme ; De la Providence ; Contre Platon sur Dieu et les dieux ; Sur Dieu et la prétendue matière (éternelle) des Grecs ; Au philosophe Euphronius, sur la création des natures invisibles ; Contre Porphyre, sur les animaux et les sacrifices ; puis des Capita ad Gratianum ; des écrits sur ces questions : Comment Dieu éternel peut-il vouloir et ne pas vouloir ? Comment l’ouvrier peut-il être éternel et ses œuvres peuvent-elles être dans le temps ? A son tour, Théodoret signale un ouvrage Contre Photin, Paul de Samosate, Sabellius et Marcel d’Ancyre ; Léonce de Byzance cite un traité Contre les synousiastes (apollinaristes) ; Ebedjésus parle d’un livre Sur l’incarnation.
Que l’on ajoute à cette liste cinq autres ouvrages nommés par Suidas, et qui sont plutôt des livres de science profane, et l’on aura une idée de la fécondité littéraire de Diodore. De tous ces écrits il reste relativement peu de chose : cependant les œuvres de Diodore ayant été de bonne heure traduites en syriaque par les nestoriens, il se peut que l’on fasse en cette langue de nouvelles découvertesa.
a – Les quatre traités pseudo-justiniens que M. Harnack attribue à Diodore ont peu de chances d’être de lui.
Théodore était né à Antioche, vers 350, de parents fortunés. Lié de bonne heure avec saint Jean Chrysostome, il suivit d’abord avec lui les leçons du rhéteur Libanius et l’accompagna au monastère de Carterius et de Diodore. Peu s’en fallut cependant que le monde ne le reprît : deux exhortations de Jean (Ad Theodorum lapsum) le retinrent dans la vie religieuse. De 369 à 383, il resta l’élève de Diodore, étudiant avec lui l’Écriture, fut ordonné prêtre en 383 environ et exerça le ministère à Antioche : en 392, il fut élevé sur le siège de Mopsueste en Cilicie. On a peu de détails sur son épiscopat. On le voit cependant, en 394, assister à un concile de Constantinople et attirer sur lui, par sa science, l’attention de Théodose ; en 404-407, soutenir énergiquement saint Chrysostome contre ses ennemis ; mais, en 418, il reçoit chez lui le pélagien Julien d’Eclane dont il défend la doctrine, doctrine que, au dire de Mercator, il a plus tard condamnée. Enfin, en 428, il offre l’hospitalité à Nestorius, quand celui-ci va prendre possession du siège de Constantinople, et meurt dans la paix de l’Église à la veille du conflit nestorien, « heureux, écrit Facundus, non seulement par l’éclat de sa vie, mais aussi par l’opportunité de sa mort » (ii, 1).
Plus que celle de Diodore, en effet, la mémoire de Théodore eut à souffrir de la censure de la postérité. Réputé dans les milieux nestoriens et persans comme une des lumières de l’Église, comme « le commentateur » par excellence, il a été dénoncé dès 431 par Mercator, dès 438 par Cyrille d’Alexandrie, comme le vrai théoricien du nestorianisme et condamné comme tel par le ve concile général.
On peut distinguer dans son œuvre littéraire les écrits exégétiques et les écrits dogmatiques ou proprement doctrinaux.
I. Ses écrits exégétiques comprennent : 1° Un commentaire en trois tomes sur la Genèse, dont on a des fragments grecs, latins et syriaques ; 2° Un commentaire en cinq livres sur les Psaumes, œuvre de jeunesse conservée en partie dans une traduction latine ; 3° Un commentaire en deux tomes sur les douze petits prophètes, le seul dont le texte original subsiste presque en entier ; 4° Un commentaire (perdu) sur chacun des quatre grands prophètes ; 5° Un commentaire (perdu) sur les deux premiers livres des Rois ; 6° Un commentaire (perdu) en deux tomes sur Jean ; 7° Un commentaire (perdu) sur l’Ecclésiaste ; 8° Un commentaire ou un écrit sur le Cantique des cantiques, dont il reste quatre citations ; 9° Un commentaire sur saint Matthieu (quelques fragments) ; 10° Un commentaire sur saint Luc (quelques fragments) ; 11° Un commentaire sur saint Jean en sept livres, conservé en syriaque ; 12° Un commentaire sur les Actes des apôtres, presque entièrement perdu ; 13° Un commentaire particulier sur chacune des épîtres de saint Paul, conservé en grande partie soit en grec, soit dans une traduction latine du vie siècle.
Œuvre considérable, qui a soulevé bien des critiques. Théodore ne voulait reconnaître l’inspiration ni de Job, ni du Cantique, ni de l’Épître de saint Jacques. Il réduisait à une simple assistance l’inspiration de certains livres, surtout des livres sapientiaux et restreignait singulièrement le nombre des passages messianiques et prophétiques : l’exégèse littérale dégénérait souvent chez lui en rationalisme.
II. Des écrits dogmatiques de Théodore on connaît les suivants : 1° Un livre Sur les mystères (perdu) ; 2° Un livre Sur la foi qui est peut-être simplement le symbole cité et condamné par le concile d’Ephèse (Mansi, iv, 1347), lequel symbole formait, pense-t-on, appendice à quelque traité plus étendu, le Catéchisme de Mercator ou le Livre aux baptisés de Facundus ; 3° Un livre (perdu) Sur le sacerdoce ; 4° Deux livres Sur le Saint-Esprit dont il reste, en syriaque, une Relation d’une discussion de Théodore avec des évêques macédoniens à Anazarbe, écrite par lui-même et qui semble avoir servi d’introduction ou de conclusion au traité ; 5° Un traité Sur l’incarnation, en quinze livres, écrit entre 382-392, le plus connu et le plus cité des ouvrages de Théodore : on en a de nombreux fragments ; 6° Deux tomes (perdus) Contre Eunomius en vingt-cinq ou vingt-huit livres, plaidoyer en faveur de saint Basile contre les anoméens ; 7° Deux tomes Contre ceux qui disent que les hommes sont pécheurs par nature et non par volonté, en cinq livres : l’ouvrage, dirigé contre saint Jérôme, reproduisait les vues de Pélage ; Marius Mercator en a traduit des fragments ; 8° Un traité en trois livres Contre la magie des Perses, c’est-à-dire contre le dualisme zoroastrien, connu par Photius (cod. 81) ; 9° Un livre Aux moines ; 10° Un autre De obscurci locutions ; 11° Un troisième De perfectione operum, dont les titres seuls subsistent ; 12° Un ouvrage Sur l’allégorie et le sens historique contre Origène, mentionné par Facundus ; 13° Un traité De assumente et assumpto que l’on croit être le même que celui que Facundus intitule De Apollinario et ejus haeresi, et qui date de 412-422 ; 14° Un sermon sur la Loi ancienne et nouvelle ; 15° Un écrit Sur les miracles, cité par le ve concile général et qui ne formait peut-être pas un ouvrage spécial. — Notons enfin que les lettres de Théodore avaient été réunies sous le titre de Liber margaritarum, et que certaines églises nestoriennes se servent encore d’une liturgie ou Anaphore de Théodore dont le fond au moins paraît bien être authentique.