L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
25 En quoi consiste la véritable paix
Je l’ai dit autrefois : « Je vous laisse ma paix, Je vous la donne à tous, et les dons que je fais N’ont rien de périssable ainsi que ceux du monde. » Tous aiment cette paix, tous voudraient la trouver ; Mais tous ne cherchent pas le secret où se fonde Le bien de l’acquérir et de la conserver.
Ma paix est avec l’humble, avec le cœur bénin ; Si tu veux posséder un bonheur si divin, Joins à ces deux vertus beaucoup de patience ; Mais ce n’est pas encore assez pour l’obtenir ; Prête-moi donc, mon fils, un moment de silence, Et je t’enseignerai tout l’art d’y parvenir.
Tiens la bride sévère à tous tes appétits ; Prends garde exactement à tout ce que tu dis ; N’examine pas moins tout ce que tu veux faire ; Et donne à tes désirs pour immuable loi Que leur unique objet soit le bien de me plaire, Et leur unique but de ne chercher que moi.
Ne t’embarrasse point des actions d’autrui ; Laisse là ce qu’il dit et ce qu’on dit de lui, A moins qu’à tes soucis sa garde soit commise ; Chasse enfin tout frivole et vain empressement, Et le trouble en ton cœur trouvera peu de prise, Ou, s’il l’agite encor, ce sera rarement.
Mais, ne t’y trompe pas, vivre exempt de malheur, Le cœur libre d’ennuis, et le corps de douleur, N’être jamais troublé d’aucune inquiétude, Ce n’est point un vrai calme en ces terrestres lieux ; Et ce don n’appartient qu’à la béatitude Que pour l’éternité je te réserve aux cieux.
Ainsi, quand tu te vois sans aucuns déplaisirs, Que tout de tous côtés répond à tes désirs, Qu’il ne t’arrive rien d’amer ni de contraire, N’estime pas encore avoir trouvé la paix, Ni que tout soit en toi si bon, si salutaire, Qu’on ait lieu de te mettre au nombre des parfaits.
Ne te crois pas non plus ni grand ni bien aimé, Pour te sentir un zèle à ce point enflammé, Qu’à force de tendresse il te baigne de larmes ; Des solides vertus la vraie affection Ne fait point consister en tous ces petits charmes Ni ton avancement ni ta perfection.
En quoi donc, me dis-tu, consiste pleinement Cette perfection et cet avancement ? Cette paix véritable, où se rencontre-t-elle ? Je veux bien te l’apprendre : elle est, en premier lieu, A t’offrir tout entier un cœur vraiment fidèle Aux ordres souverains du vouloir de ton Dieu.
Cette soumission à mes sacrés décrets Te doit fermer les yeux pour tous tes intérêts, Soit qu’ils soient de petite ou de grande importance : N’en cherche dans le temps, ni dans l’éternité, Et souhaite le ciel, moins pour ta récompense, Que pour y voir mon nom à jamais exalté.
Montre un visage égal aux changements divers ; Dans le plus doux bonheur, dans le plus dur revers, Rends-moi, sans t’émouvoir, même action de grâces ; Tiens la balance droite à chaque événement, Tiens-la ferme à tel point, que jamais tu ne passes Jusque dans la faiblesse ou dans l’emportement.
Si tu sens qu’au milieu des tribulations Je retire de toi mes consolations, Et te laisse accablé sous ce qui te ravage, Forme des sentiments d’autant plus résolus, Et soutiens ton espoir avec tant de courage, Qu’il prépare ton cœur à souffrir encor plus.
Ne te retranche point sur ton intégrité, Comme si tu souffrais sans l’avoir mérité, Et que pour tes vertus ce fut un exercice ; Fuis cette vaine idée, et, comme criminel, En toutes mes rigueurs adore ma justice, Et bénis mon courroux et saint et paternel.
C’est comme il te faut mettre au droit et vrai chemin, Qui seul te peut conduire à cette paix sans fin Qu’à mes plus chers amis moi-même j’ai laissée Suis-le sur ma parole, et crois sans t’ébranler Qu’après ta patience à mon choix exercée Mes clartés de nouveau te viendront consoler.
Que si jamais l’effort d’un zèle tout de foi Par un parfait mépris te détache de toi Pour ne plus respirer que sous ma providence, Sache qu’alors tes sens, à moi seul asservis, Posséderont la paix dans la pleine abondance, Autant qu’en peut souffrir cet exil où tu vis.