Il en est qui nient qu’on puisse trouver aucune différence, dans le N.T., entre ces deux mots. Ils s’appuient, avec une certaine apparence de raison, sur le fait que νέος et καινός, que nous traduisons tous deux par nouveau, s’échangent souvent l’un pour l’autre ; ainsi, νέος ἄνθρωπος (Colossiens 3.10), « le nouvel homme », et καινὸς ἄνθρωπος (Éphésiens 2.15), aussi « le nouvel homme » ; νέα διαθήκη (Hébreux 12.24), et καινὴ διαθήκη (Hébreux 9.15), tous deux « nouvelle alliance » ; νέος οἶνος (Matthieu 9.17) et καινὸς οἶνος (Matthieu 26.29), tous deux « nouveau vin ». Les mots, prétend-on, ont évidemment la même force et le même sens. Cette conséquence n’est point juste et, de fait, n’existe point. La même alliance peut être qualifiée de νέα et de καινή, selon qu’on l’envisage sous un point de vue ou sous un autre. Il en est de même des autres exemples ci-dessus. Le même homme ou le même vin peut être νέος, ou καινός, ou l’un et l’autre, mais une notion différente prédomine, selon que l’on se sert de l’une ou de l’autre épithète.
Envisagez ce qui est nouveau sous le point de vue du temps, comme quelque chose qui est entré récemment en existence, et vous aurez ce qui est νέος (voy. Pott-, Etymol. Forschung, 2e éd., vol. I, p. 290-292). Ainsi les jeunes sont toujours οἱ νέοι, ou οἱ νεώτεροι, c’est-à-dire qu’ils sont la génération qui vient de naître en dernier lieu ; ainsi encore νέοι θεοί, c’est la race plus jeune des dieux ; à savoir, Jupiter, Apollon et autres habitants de l’Olympe (Æschyl., Prom. 5.991, 996), qu’on oppose à Saturne, à Ops et à la dynastie des divinités plus anciennes et que les premiers vinrent remplacer. Mais envisagez ce qui est nouveau, non plus au point de vue du temps, mais de la qualité, ce qui est nouveau comme opposé à ce qui a vu du service, qui est usé, émoussé ou endommagé par l’âge, et vous aurez le sens de καινός. Exemples : καινὸν ἱμάτιον (Luc 5.30), « nouvel habit », comme opposé à un habit usé et râpé ; καινοὶ ἀσκοί, « nouvelles outres » (Matthieu 9.17 ; Luc 5.38) ; et dans ce sens, καινὸς οὐρανός (2 Pierre 3.13), « nouveau ciel », comme opposé à un ciel qui est vieux et qui montre des signes de décadence et de dissolution (Hébreux 1.11-12). De la même manière la phrase καιναὶ γλῶσσαι (Marc 16.17) ne suggère point le don récent des langues, mais la différence de ces langues par rapport à toutes celles qui les ont précédées, appelées ailleurs ἕτεραι γλῶσσαι (Actes 2.4), langues différentes de toutes celles connues jusqu’alors. C’est ainsi encore que le καινὸν μνημεῖον, dans lequel Joseph d’Arimathé coucha le corps du Seigneur (Matthieu 27.60), n’était pas un tombeau récemment taillé dans le roc, mais un tombeau qui n’avait jamais encore servi, dans lequel jamais aucun autre mort n’avait été mis ; le contraire aurait souillé l’endroit au point de vue cérémoniel (Matthieu 23.27). Ce tombeau aurait pu être creusé cent ans auparavant, et, pour cette raison, il n’aurait pas pu être appelé νέον ; mais, s’il n’avait jamais servi, il était encore καινόν. Et il devait en être ainsi. Cela faisait partie de ce divin décorum dont s’entoura toujours le Seigneur, même au milieu des humiliations de sa vie terrestre (cf. Luc 19.30 ; 1 Samuel 6.7 ; 2 Rois 2.20).
Il suit de là que καινός impliquera souvent, comme idée secondaire, la louange ; car ce qui est nouveau est communément meilleur que ce qui est vieux ; ainsi tout est nouveau dans le royaume de la gloire : « nouvelle Jérusalem » (Apocalypse 3.12) ; « nouveau cantique » (Apocalypse 5.9) ; « nouveau ciel et nouvelle terre » (Apocalypse 21.1 ; cf. 2 Pierre 3.13) ; « toutes choses sont faites nouvelles » (Apocalypse 21.5). Mais ce sens n’est pas nécessairement inhérent au mot, car ce n’est pas toujours, ni en toutes choses, que le nouveau est meilleur, c’est quelquefois le vieux ; ainsi le vieil ami (Siracide 9.14) et le vieux vin (Luc 5.39) valent mieux que le nouvel ami et que le nouveau vin. Dans bien d’autres cas, καινός peut exprimer seulement la nouveauté, l’étrangeté, comme une chose qu’on oppose (et cela à son désavantage) à ce qui est connu et familier. Par exemple, nous disions tout-à-l’heure que νέοι θεοί était un titre donné à la plus jeune génération des dieux, mais lorsqu’on produisit comme une accusation contre Socrate qu’il avait cherché à introduire dans Athènes καινοὺς θεούς, ou καινὰ δαιμόνια (Plato, Apol. 26.b, cf. ξένα δαιμόνια, Actes 17.18), on entendit par là quelque chose de bien différent, à savoir, un nouveau panthéon, des dieux qu’Athènes n’avait pas été dans l’habitude d’adorer jusqu’alors. De même aussi ceux qui s’écrièrent au sujet de l’enseignement du Christ : « Quelle nouvelle doctrine (καινὴ διδαχή) est celle-ci ? » entendaient toute autre chose que des louanges (Marc 1.27).
Si nous suivons nos vocables jusque dans leurs dérivés et leurs composés, la même distinction ressortira encore plus clairement. Ainsi νεότης (1 Timothée 4.12) signifie jeunesse ; καινότης (Romains 6.4), nouveauté ; νεοειδής, une jeune apparence ; νεολογία (si un tel mot avait existé) aurait voulu dire une plus jeune pousse de mots comme étant opposée au vieux tronc de la langue, ou, comme nous l’appelons, un « néologisme » ; καινολογία, qui existe dans le grec de la décadence, désigne une étrange et anormale invention de mots, construite sur des principes différents de ceux que la langue avait jusqu’alors reconnus ; φιλόνεος, un ami de la jeunesse (Lucian., Amor. 24) ; φιλόκαινος, un amateur de nouveautés (Plutarch., De Mus. 12).
Il y a un passage dans Polybe (5.75, 4), et il y en a beaucoup ailleurs (Clément d’Alexandrie, Pædag. 1.5, en fournit un), dans lesquels nos deux mots se trouvent réunis ; mais ils n’y sont pas employés comme simple accumulation oratoire ; chacun possède une signification propre. Polybe, racontant un stratagème par le moyen duquel on faillit surprendre la ville de Selge, fait cette observation : « En dépit du grand nombre de cités perdues par un semblable moyen, nous sommes, d’une manière ou d’une autre, encore nouveaux et jeunes par rapport à de semblables ruses (καινοί τινες αἰεὶ καὶ νέοι πρὸς τὰς τοιαύτας ἀπάτας πεφύκαμεν), et tout près, par conséquent, d’être encore pris à de tels pièges. » Ici καινοί est une épithète qui s’applique à l’ignorance des hommes, à leur inexpérience, νέοι, à leur jeunesse. Il est vrai que ces deux choses, inexpérience et jeunesse, vont souvent ensemble ; ainsi Plutarque (De Rect. Rat. And. 17) joint νέος à ἄπειρος ; mais ce n’est pas de rigueur. Un homme âgé peut être ignorant et inexpérimenté dans les affaires du monde et partant καινός ; il a existé bien des jeunes hommes νέοι, quant à l’âge, qui avaient bonne tête et qui connaissaient la pratique des choses.
Appliquez la distinction que nous venons de faire, et il sera évident que le même homme, le même vin, la même alliance pourront être à la fois νέος et καινός, et cependant un sens propre peut être et a pu être donné, avec intention, selon qu’on employait l’un ou l’autre mot. Nous pouvons prendre comme exemple le νέος ἄνθρωπος de Colossiens 3.10, et le καινὸς ἄνθρωπος d’Ephés.3.15. Considérez au point de vue du temps ce grand changement qui s’est opéré et qui s’opère encore dans l’homme qui est devenu obéissant à la vérité, et vous appellerez cet homme, à la suite de ce changement, νέος ἄνθρωπος. Le vieil homme (et il mérite bien ce nom, car il remonte aussi loin qu’Adam) est mort en lui ; un nouvel homme est né qui s’appelle à juste titre νέος. Mais considérez d’autre part, non plus par rapport au temps, mais par rapport à la qualité et à la condition, cette même grande transformation ; voyez l’homme qui, par un long contact avec le monde, par de vieilles habitudes de péché, est usé et vieux, mais se dépouillant maintenant de ses anciennes habitudes, comme la vipère de sa vieille peau ; voyez-le s’avançant comme une « nouvelle créature » (καινὴ κτίσις) qui sort des mains de son Créateur, avec un πνεῦμα καινόν qui lui a été communiqué (Ézéchiel 11.19), et vous avez ici le καινὸς ἄνθρωπος, celui qui est préparé à marcher en nouveauté de vie (ἐν καινότητι ζωῆς, Romains 6.4), par le moyen de l’ἀνακαίνωσις de l’Esprit (Tite 3.5) ; comparez l’Épître de Barnabas, 16, ἐγενόμεθα καινοί πάλιν ἐξ ἀρχῆς κτιζόμενοι.
Les mots employés avec cette application pourraient souvent s’échanger, mais souvent aussi ils ne le pourraient pas. Quand, par exemple, Clément d’Alexandrie (Pæed. 1.6) dit : χρὴ γὰρ εἶναι καινοὺς Λόγου καινοῦ μετειληφόταςc, il serait impossible de substituer ici νέους ou νέου ; ou bien, prenez les verbes ἀνανεοῦν (Éphésiens 4.23), et ἀνακαινοῦν (Colossiens 3.10). Nous avons besoin d’ἀνανεοῦσθαι, et il nous faut aussi ἀνακαινοῦθαι. C’est le même procédé merveilleux et mystérieux que doit opérer le même agent tout-puissant, le même, selon qu’on le considère à différents points de vue ; νέος, c’est être refait jeune ; καινός, c’est être refait nouveau. La même distinction tient bon pour les autres exemples cités plus haut. On peut caractériser le nouveau vin comme étant νέος ou καινός, mais en l’envisageant à des points de vue différents. Comme νέος, le vin est tacitement opposé à la vendange des années passées ; comme καινός, nous pouvons présumer qu’il est « austère » et fort, par contraste avec ce qui est χρηστός, doux et moelleux par l’âge (Luc 5.39). Voyez aussi l’Alliance dont le Christ est le médiateur ; c’est une διαθήκη νεα, comparée à l’Alliance mosaïque, établie presque deux mille ans auparavant (Hébreux 12.24) ; c’est une διαθήκη καινή, comparée à la même Alliance, qui a perdu de sa force par l’âge et de laquelle s’est éloignée toute vigueur, toute énergie, toute vie (Hébreux 8.13).
c – « Car ceux-là sont nécessairement nouveaux, qui ont été faits participants de la Parole nouvelle. »
Un grammairien latin, traçant la différence entre « recens » et « novus », a dit : « Recens ad tempus, novum ad rem refertur. » Substituant νέος et καινός aux deux synonymes latins, nous pourrions dire : « νέος ad tempus, καινός ad rem refertur, » et nous saisirions ainsi, en peu de mots facilement retenus, la distinction centrale de nos vocables.
Lafaye (Dict. des Synonymes, p. 798) réclame la même distinction pour « nouveau » (νέος), et « neuf » (καινός). « Ce qui est nouveau vient de paraître pour la première fois ; ce qui est neuf vient d’être fait et n’a pas encore servi. Une imitation est nouvelle, une expression neuve. »