- Le mal de faute peut-il exister chez l'ange ?
- Quelles sortes de péchés peut-il y avoir chez lui ?
- À cause de quel désir a-t-il péché ?
- En admettant que certains anges sont devenus mauvais volontairement, y en a-t-il d'autres qui le sont naturellement ?
- En admettant que non, un ange a-t-il pu devenir mauvais volontairement dès le premier instant de sa création ?
- En admettant que non, s'est-il écoulé un certain temps entre sa création et sa chute ?
- Le plus élevé parmi les anges déchus était-il absolument le plus élevé de tous les anges ?
- Le péché du premier ange a-t-il causé le péché des autres ?
- Y a-t-il autant d'anges tombés que d'anges restés fidèles ?
Objections
1. Le mal de faute ne peut se trouver que dans les êtres qui sont en puissance, d'après Aristote, car le mal est une privation et le sujet de la privation est un être en puissance. Mais les anges, parce qu'ils sont des formes subsistantes, ne possèdent pas de potentialité. Il ne peut donc y avoir en eux le mal de faute.
2. Les anges sont plus nobles que les corps célestes, et les philosophes reconnaissent qu'il ne peut y avoir de mal dans les corps célestes. Donc chez les anges non plus.
3. Ce qui est naturel à un être y demeure toujours. Mais il est naturel aux anges de se tourner vers Dieu dans un mouvement d'amour. Un tel mouvement ne peut donc disparaître. Or, en aimant Dieu, les anges ne pèchent pas. Donc ils ne peuvent pécher.
4. Il n'y a de désir que du bien véritable ou du bien apparent. Mais ce qui apparaît bon aux anges ne peut être que le bien véritable, car en eux il ne peut y avoir d'erreur, ou, à tout le moins, elle ne peut précéder la faute. Les anges ne peuvent donc désirer que le véritable bien, et, ce faisant, ils ne pèchent pas.
En sens contraire, nous lisons dans Job (Job 4.18) cette parole : « Dieu découvre du mal dans ses anges. »
Réponse
L'ange, aussi bien qu'une créature rationnelle quelconque, si on le considère dans sa seule nature, peut pécher ; et, s'il arrive qu'une créature ne puisse pécher, cela lui vient du don de la grâce et non de la condition de sa nature. La raison en est que le péché n'est pas autre chose qu'une déviation par rapport à la rectitude de l'acte qu'on doit accomplir ; et cela est vrai aussi bien dans l'ordre des réalités naturelles que dans celui des activités artisanales ou morales. Le seul acte qui ne puisse dévier de sa rectitude est celui qui a pour règle la puissance même de l'agent. En effet, si la main de l'artisan était la règle même de la taille qu'il pratique dans le bois, le bois serait toujours coupé correctement ; mais s'il lui faut faire appel à une règle extérieure, il y aura toujours possibilité de déviation. Or la volonté divine seule est la règle de sa propre action, car elle n'est pas ordonnée à une fin supérieure. La volonté de la créature, au contraire, ne parvient à la rectitude de son acte qu'en se réglant sur la volonté divine à laquelle ressortit la fin dernière. Ainsi, le vouloir d'un inférieur doit-il se régler sur le vouloir du supérieur, le vouloir du soldat sur celui de son chef. Dans la seule volonté divine, par conséquent, il ne peut y avoir de péché. En retour, le péché peut exister dans n'importe quelle volonté créée, à ne considérer que sa condition naturelle.
Solutions
1. L'ange n'est pas en puissance à l'égard de son être naturel. Mais il y a de la puissance en lui sous le rapport de la partie intellectuelle, en ce sens qu'il peut se tourner vers tel ou tel objet. Et de là vient qu'il peut y avoir du mal en lui.
2. Les corps célestes n'ont qu'une activité naturelle. Et de même que dans leur nature ils ne connaissent pas le mal de la corruption, de même dans leur activité ils ignorent le mal du désordre. Chez les anges, au contraire, au-dessus de leur activité naturelle, il y a l'activité du libre arbitre, et c'est là que le mal peut se trouver.
3. Il est naturel à l'ange de se tourner par un mouvement d'amour vers Dieu, en tant que Dieu est principe de son être naturel. Quant à se tourner vers Dieu comme vers l'objet de la béatitude surnaturelle, cela vient d'un amour gratuit dont l'ange peut se détourner en péchant.
4. Le péché peut se produire dans l'acte du libre arbitre d'une double manière. En premier lieu, quand un mal donné est objet de choix ; ainsi l'homme pèche en choisissant l'adultère qui est un mal en soi. Sous ce rapport, le péché procède toujours d'une ignorance ou d'une erreur ; autrement ce qui est mal ne serait pas choisi comme un bien. L'adultère, sous l'influence de la passion ou de l'habitude, choisit, dans un cas particulier, telle délectation désordonnée comme si elle était un bien actuellement désirable, même s'il sait à quoi s'en tenir sur les exigences de la moralité en général. L'ange, lui, ne peut pécher de cette manière, car il ne possède pas de passions capables de lier la raison ou l'intelligence, comme nous l'avons montré, et de plus, une habitude vicieuse n'a pu précéder la première faute et l'incliner au mal.
D'une autre manière, il arrive au libre arbitre de pécher quand il choisit un objet bon en soi, mais sans tenir compte de l'ordre imposé par la règle morale. Dans ce cas, le défaut qui entraîne le péché ne vient pas de l'objet choisi, mais du choix lui-même qui n'est pas fait selon l'ordre voulu ; ainsi quand quelqu'un décide de prier et le fait sans observer l'ordre institué par l'Église. Un tel péché ne suppose pas l'ignorance, mais seulement l'absence de considération de ce qui doit être considéré. Et c'est de cette manière que l'ange a péché, se tournant délibérément vers son bien propre, de façon désordonnée par rapport à cette règle suprême qu'est la volonté divine.
Objections
1. Il semble que l'ange ne puisse pas pécher seulement par orgueil et par envie. En effet, la délectation prise à propos d'un péché rend coupable de ce péché. Or, au dire de S. Augustin, les démons se délectent dans les obscénités des péchés charnels. Il peut donc y avoir dans les démons des péchés de la chair.
2. Aussi bien que l'orgueil et l'envie, l'acédie, l'avarice et la colère sont des péchés spirituels qui relèvent de l'esprit, comme les péchés charnels relèvent de la chair. Les anges ont donc pu les commettre.
3. Selon S. Grégoire, la plupart des vices naissent de l'orgueil et de l'envie. Or, une fois la cause posée, l'effet s'ensuit. Donc si les anges ont connu l'orgueil et l'envie, ils ont possédé aussi les autres vices.
En sens contraire, S. Augustin écrit que « le démon n'est ni fornicateur, ni ivrogne, ni rien de semblable ; il est cependant orgueilleux et envieux ».
Réponse
Un péché peut se trouver chez un individu de deux manières : sous forme de culpabilité et sous forme d'attachement. Selon la culpabilité, il arrive que tous les péchés existent chez les démons, car, en portant les hommes à les commettre, ils encourent la culpabilité. Selon l'attachement, seuls les péchés qui ont rapport à la nature spirituelle se trouvent chez les anges. Une nature spirituelle, en effet, ne s'attache pas aux biens proprement corporels, mais aux biens qui peuvent se trouver dans les réalités spirituelles ; car on ne désire que ce qui peut convenir de quelque manière à sa propre nature. Or, il n'y a péché à s'attacher aux biens spirituels que si on le fait sans tenir compte de la règle établie par le supérieur. Et c'est un péché d'orgueil de ne pas se soumettre à son supérieur lorsqu'on le doit. C'est pourquoi le premier péché de l'ange ne peut être qu'un péché d'orgueil.
Mais, par voie de conséquence, il a pu y avoir chez lui un péché d'envie. Le même motif, en effet, qui porte l'affectivité à désirer quelque chose, lui fait aussi repousser tout ce qui s'y oppose. Or l'envieux se désole du bien d'autrui parce qu'il y voit un obstacle à son propre bien ; c'est ce qui arrive à l'ange mauvais qui, désirant une excellence singulière, voit cette singularité lui échapper du fait de l'excellence d'un autre. C'est pourquoi, après son péché d'orgueil, l'ange éprouve le péché d'envie, parce qu'il se désole du bien de l'homme ; il en veut même à l'excellence divine, car Dieu utilise ce bien à sa gloire et contrarie ainsi la volonté du diable.
Solutions
1. Les démons ne se plaisent pas aux obscénités des péchés de la chair, comme s'ils étaient attirés par les délectations charnelles. La joie qu'ils éprouvent des péchés des hommes, quels que soient ces péchés, procèdent de l'envie, car ces péchés sont un obstacle au bien de l'homme.
2. L'avarice, comme tout péché spécial, est un appétit immodéré des biens corporels qu'utilise la vie humaine, et de tout ce qui peut être estimé à prix d'argent. Les démons ne sont pas affectionnés à ces biens, pas plus qu'aux plaisirs de la chair. C'est pourquoi l'avarice, au sens propre, n'existe pas chez eux. Mais on peut entendre par avarice tout désir immodéré du bien créé, et en ce sens l'avarice fait partie de l'orgueil qui se trouve chez les démons. Quant à la colère qui suppose une passion, comme la concupiscence, elle ne trouve place chez les démons que par métaphore. L'acédie est une certaine tristesse qui rend l'homme paresseux dans les activités spirituelles, en raison d'une certaine langueur physique ; or cette dernière ne convient pas aux démons. En définitive, il apparaît clairement que seuls l'orgueil et l'envie sont des péchés purement spirituels et peuvent exister chez les démons. Encore est-il que l'envie ne doit pas être considérée comme une passion sensible, mais comme une volonté qui refuse le bien d'autrui.
3. Dans l'envie et l'orgueil, tels que nous les plaçons chez les démons, sont inclus tous les péchés qui en dérivent.
Objections
1. Il semble que le diable n'a pas désiré être comme Dieu. En effet, ce qui ne tombe pas sous l'appréhension ne peut être objet de désir ; car c'est en tant qu'il peut être appréhendé que le bien meut l'appétit sensible, rationnel ou intellectuel, et dans cet appétit seul peut se trouver le péché. Mais qu'une créature soit égale à Dieu, cela ne peut devenir objet d'appréhension, car cela implique contradiction, parce qu'il serait nécessaire que le fini soit l'infini, pour s'égaler à lui. Donc l'ange n'a pas pu désirer être comme Dieu.
2. Ce qui est la fin propre d'une nature peut être désiré par elle sans péché. Mais l'assimilation à Dieu est la fin naturelle de toute créature. Si donc il a désiré non pas l'égalité, mais la similitude avec Dieu, il apparaît que l'ange n'a pas péché.
3. L'ange a été créé dans une plus grande plénitude de sagesse que l'homme. Or aucun homme, à moins d'être tout à fait fou, ne choisit d'être égal à l'ange, encore moins à Dieu. Car le choix ne se porte, après réflexion, que sur ce qui est possible. A plus forte raison ce n'est pas en désirant être comme Dieu que l'ange a péché.
En sens contraire, Isaïe (Esaïe 14.13-14) fait dire au diable : « Je monterai au ciel, et je serai semblable au Très-Haut. » Et S. Augustin écrit que dans son orgueil, le diable « voulut être appelé Dieu ».
Réponse
Sans aucun doute l'ange a péché en désirant être comme Dieu. Mais cela peut s'entendre d'une double manière : soit par égalité, soit par similitude. De la première manière, l'ange n'a pu désirer être comme Dieu, car il savait, de connaissance naturelle, que c'était impossible ; et d'autre part le premier péché de l'ange n'a pas été précédé par un habitus ou une passion qui aurait entravé sa puissance intellectuelle et l'aurait amené, en se trompant sur un objet particulier, à vouloir l'impossible, comme il nous arrive parfois. Et même si l'on suppose que l'égalité avec Dieu était possible, elle allait à l'encontre du désir naturel. Tout individu, en effet, désire naturellement la conservation de son être, et cette conservation n'aurait pas lieu s'il se trouvait transformé en une autre nature. C'est pourquoi aucune réalité appartenant à un degré inférieur de nature ne peut désirer un degré supérieur ; ainsi, l'âne ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d'être lui-même. Il est vrai qu'en ces sortes de choses l'imagination nous trompe ; en effet l'homme désire s'élever vers un plus haut degré de perfection par l'acquisition de qualités accidentelles, lesquelles peuvent lui advenir sans corruption du sujet lui-même ; et il en vient à penser qu'il peut atteindre à un degré supérieur de nature, alors qu'il ne pourra pas y parvenir sans cesser d'être. Or, il est manifeste que Dieu surpasse l'ange non seulement en perfection accidentelle, mais en degré de nature ; et cela est déjà vrai d'un ange à l'autre. Il est donc impossible qu'un ange inférieur désire être égal à un ange supérieur, ni être égal à Dieu.
Quant à désirer être comme Dieu par similitude, cela peut se produire de deux façons. Premièrement, quand un être désire avec Dieu la similitude à laquelle l'ordonne sa nature. En ce sens, il ne pèche pas, à condition toutefois que ce désir soit dans l'ordre, c'est-à-dire l'incline à recevoir de Dieu cette similitude. Il y aurait péché au contraire à considérer comme un droit d'être semblable à Dieu comme si cela dépendait de ses propres forces et non de la Toute-puissance divine. À un second point de vue, on peut désirer acquérir avec Dieu une ressemblance qui ne nous est pas naturelle, c'est le cas de celui qui voudrait être capable de créer le ciel et la terre, pouvoir qui est propre à Dieu. Un tel désir serait un péché. Et c'est en ce sens que le diable a désiré être comme Dieu ; non pas qu'il ait prétendu n'être, comme Dieu, soumis à qui que ce soit, car en ce cas il eût désiré ne pas être, puisqu'aucune créature ne peut être que soumise à Dieu et participant de lui l'existence. Mais l'ange a désiré ressembler à Dieu en désirant comme fin ultime de sa béatitude ce à quoi il pourrait parvenir par ses forces naturelles, et en détournant son désir de la béatitude surnaturelle qu'il ne pouvait recevoir que de la grâce de Dieu.
Ou bien, s'il a désiré comme fin ultime cette ressemblance avec Dieu que donne la grâce, il a voulu l'avoir par les forces de sa nature, et non la tenir de l'intervention de Dieu et selon les dispositions prises par lui. Et cette opinion est conforme à la manière de voir de S. Anselme pour qui l'ange a désiré ce à quoi il fût parvenu s'il était resté droit. D'ailleurs, les deux opinions reviennent au même ; car dans les deux cas l'ange a désiré posséder sa béatitude dernière par ses propres forces, ce qui n'appartient qu'à Dieu.
Enfin, étant donné que ce qui est par soi est principe et cause de ce qui est dérivé, il suit de là que l'ange a désiré également une certaine principauté sur les créatures, en quoi il a voulu d'une façon perverse s'assimiler à Dieu.
Par ce que nous venons de dire, nous avons répondu à toutes les objections.
Objections
1. Il semble que certains démons sont mauvais par nature. En effet, Porphyre, cité par S. Augustin, parle d'une « certaine espèce de démons, menteurs par nature, qui simulent les dieux et les âmes des morts ». Or, être menteur, c'est être mauvais. Il y a donc des démons naturellement mauvais.
2. Les anges, comme les hommes, ont été créés par Dieu, mais il y a des hommes naturellement mauvais, dont il est dit dans l'Écriture (Sagesse 12.10) : « La malice leur est naturelle. » Il peut donc se trouver aussi des anges naturellement mauvais.
3. Certains animaux sans raison ont des méchancetés naturelles, comme la ruse chez le renard, la voracité chez le loup ; ce sont pourtant des créatures de Dieu. Les démons peuvent donc, eux aussi, tout en étant créatures de Dieu, être naturellement mauvais.
En sens contraire, Denys écrit que « les démons ne sont pas mauvais par nature ».
Réponse
Tout ce qui est, en tant qu'il est et qu'il possède une nature donnée, tend naturellement vers un bien, car il procède d'un principe bon, et l'effet fait toujours retour vers son principe. Cependant, il arrive qu'à un bien particulier se trouve adjoint un mal ; au feu, par exemple, se trouve lié ce mal d'être destructeur d'autres choses. Mais au bien universel ne peut être adjoint aucun mal. Par conséquent, un être dont la nature est de tendre vers un bien particulier peut tendre vers un mal, non pas en tant que tel, mais parce qu'accidentellement ce mal est conjoint à un bien. Au contraire un être dont la nature est de tendre vers un bien sous la raison commune de bien, ne peut tendre naturellement vers un mal. Or, il est manifeste qu'une nature intellectuelle est ordonnée au bien universel qu'elle peut appréhender et qui est l'objet de sa volonté. Et, comme les démons sont des substances intellectuelles, ils ne peuvent d'aucune façon avoir une inclination naturelle vers un mal quelconque. Ils ne peuvent donc être mauvais naturellement.
Solutions
1. Augustin reproche précisément à Porphyre son opinion et affirme que, si les démons sont menteurs, ce n'est pas naturellement, mais de leur propre volonté. D'ailleurs, Porphyre croyait que les démons étaient des animaux doués d'une nature sensible, et la nature sensible est ordonnée à un bien particulier auquel peut s'adjoindre un mal. Dans ce cas, les démons pourraient avoir une inclination au mal, mais accidentellement, en tant que le mal est conjoint au bien.
2. La malice de certains hommes peut être dite naturelle, soit en raison de l'habitude qui est une seconde nature, soit en raison de l'inclination naturelle de la nature sensible à une passion désordonnée, au sens où l'on dit que certains sont naturellement enclins à la colère ou à la concupiscence. Mais cela ne vient pas de la nature intellectuelle.
3. Les animaux sans raison, par leur nature sensible, ont une inclination naturelle vers certains biens particuliers auxquels sont joints certains maux. Ainsi à la sagacité du renard dans la recherche de la nourriture est liée la ruse. Il s'ensuit qu'être rusé n'est pas un mal pour le renard, puisque cela lui est naturel, pas plus que ce n'est un mal pour le chien d'être furieux, selon la remarque de Denys.
Objections
1. Il le semble bien, car il est dit en S. Jean (Jean 8.44) : « Il était homicide dès le commencement. »
2. D'après S. Augustin ce n'est pas selon une succession de temps mais d'origine, que la créature a d'abord été informe, puis formée. D'autre part le « ciel » dont il est dit qu'il fut créé en premier, signifie, toujours d'après le même Docteur, la nature angélique informe. Puis, par ces paroles : « Que la lumière soit, et la lumière fut », il faut entendre la nature angélique qui a été formée lorsqu'elle s'est tournée vers le Verbe. C'est donc dans le même temps que la nature angélique a été créée et qu'elle a été faite lumière. Mais, au moment où elle devenait lumière, elle était distinguée des ténèbres, et par ténèbres il faut entendre les anges pécheurs. Ce qui revient à dire que dès le premier instant de leur création, certains anges furent bienheureux et d'autres tombèrent dans le péché.
3. Le péché s'oppose au mérite. Mais, au premier instant de sa création, une nature intellectuelle peut mériter, telle l'âme du Christ ou les bons anges eux-mêmes. Les démons ont donc pu pécher en cet instant.
4. La nature angélique est plus puissante que la nature corporelle. Mais une réalité corporelle peut commencer d'agir au premier instant de sa création ; ainsi le feu, dès qu'il est produit, commence à s'élever. Par conséquent, l'ange, lui aussi, a pu agir au premier instant de sa création. Or, de deux choses l'une : ou cette opération a été bonne, ou elle ne l'a pas été. Si elle a été bonne, l'ange possédant la grâce a mérité la béatitude ; et, comme chez l'ange la récompense suit immédiatement le mérite, la béatitude lui a été accordée aussitôt, on l'a vu plus haut ; par suite aucun ange n'aurait péché, ce qui est faux. Il reste donc que les anges ont pu pécher dès le premier instant en agissant mal.
En sens contraire, il est écrit dans la Genèse (Genèse 1.31) : « Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et cela était très bon. » Or, parmi tout cela, il y avait les démons. Les démons furent donc bons à un moment donné.
Réponse
Certains auteurs ont pensé que les démons, dès le premier instant de leur création, furent mauvais, non du fait de leur nature, mais en raison d'un péché proprement volontaire ; car « dès qu'il a été produit, le diable a récusé la justice ; et cette opinion, remarque S. Augustin, ne doit pas être confondue avec l'hérésie manichéenne, qui prétend que le diable a une nature mauvaise. » Pourtant, cette manière de voir contredit l'Écriture : il est écrit en effet du diable, sous la figure du roi de Babylone (Esaïe 14.12) : « Comment es-tu tombé, Lucifer, toi qui brillais au matin ? » et encore, en s'adressant au roi de Tyr (Ezéchiel 28.13) : « Tu as connu les délices du paradis de Dieu. » C'est pourquoi une telle opinion est regardée avec raison par les théologiens comme erronée.
D'autres auteurs ont pensé que les anges pouvaient pécher au premier instant de leur création, mais ne l'ont pas fait. Pour réfuter cette opinion, certains remarquent que deux opérations consécutives ne peuvent se terminer au même instant. Or, le péché de l'ange fut postérieur à l'opération créatrice ; le terme de la création en effet, c'est l'existence de l'ange ; le terme du péché, c'est de rendre mauvais celui qui le commet. Il apparaît donc impossible que, dans un même instant, l'ange ait commencé d'être et soit devenu mauvais.
Mais une telle raison est insuffisante. Elle vaut pour les mouvements temporels successifs ; ainsi un mouvement local qui suit une altération ne peut se terminer au même instant que l'altération elle-même. Mais dans les mutations instantanées il est possible que les termes de la première mutation et de la seconde soient réalisés en même temps et au même instant ; ainsi, au même instant, la lune est illuminée par le soleil et l'air par la lune. Or, il est manifeste que la création est instantanée ; de même le mouvement du libre arbitre chez les anges, puisqu'ils n'usent ni de comparaison ni de raisonnement, ainsi qu'on l'a fait voir. Rien n'empêche donc le terme de la création et le terme du libre arbitre d'exister en même temps et au même instant.
Ce qu'il faut dire, c'est qu'il a été impossible à l'ange, au premier instant, de pécher par un acte désordonné de son libre arbitre. Bien qu'une réalité puisse bien, à l'instant où elle commence d'exister, commencer d'agir, cependant cette opération contemporaine de son existence lui vient nécessairement de l'agent qui lui donne celle-ci ; ainsi celui qui produit le feu lui donne en même temps de s'élever. Par conséquent, lorsqu'une chose reçoit l'être d'un agent déficient, lequel peut être cause d'une action défectueuse, elle pourra, dès le premier instant où elle commence d'être, produire une opération fautive ; c'est le cas de la jambe qui est boiteuse à la naissance, du fait de la débilité de la semence, et qui commence aussitôt à boiter. Mais l'agent qui produit les anges dans l'existence, c'est Dieu ; et Dieu ne peut être cause de péché. Pour cette raison on ne peut pas dire que le diable, au premier instant de sa création, a été mauvais.
Solutions
1. Quand on lit dans l'Écriture que le diable pèche dès le commencement, il faut l'entendre, selon S. Augustin, non pas de ce commencement qu'est la création, mais du début de son péché ; car jamais le démon ne s'est repenti de sa faute.
2. Cette distinction de la lumière et des ténèbres, qui entend par ténèbres les péchés des démons, doit se prendre d'après la prescience divine. C'est ce qu'explique S. Augustin quand il écrit : « Seul, celui-là a pu distinguer la lumière et les ténèbres, qui a pu, avant leur chute, prévoir ceux qui devaient tomber. »
3. Tout ce qui appartient au mérite vient de Dieu. C'est pourquoi, dès le premier instant de sa création, l'ange a pu mériter. Mais il n'en est pas de même pour le péché, nous venons de le voir.
4. Comme le remarque S. Augustin, Dieu n'a pas fait de discrimination entre les anges avant la perversion des uns et la conversion des autres. C'est pourquoi tous, ayant été créés en grâce, ont mérité dès le premier instant. Mais certains ont mis obstacle à leur béatitude en détruisant leur mérite précédent, et ils ont été privés de la béatitude qu'ils avaient méritée.
Objections
1. Il semble que oui, car on lit dans Ézéchiel (Ezéchiel 28.15) : « Ta conduite fut parfaite depuis le jour où tu fus créé, jusqu'à ce que l'iniquité se trouve en toi. » Mais cette conduite, qui représente un mouvement continu, suppose un certain temps entre la création du diable et sa chute.
2. Origène écrit que « l'antique serpent n'a pas marché sur le ventre dès le début », ce qui s'entend du péché de l'ange. Le diable n'a donc pas péché aussitôt après le premier instant de sa création.
3. Pouvoir pécher est commun à l'homme et à l'ange. Or, il s'est écoulé un certain temps entre la formation de l'homme et sa chute. Il a dû en être de même pour le diable.
4. L'instant où le diable a péché est distinct de l'instant où il fut créé. Or, entre deux instants, il s'écoule toujours un temps intermédiaire.
En sens contraire, nous lisons dans S. Jean (Jean 8.44), que le diable « n'était pas établi dans la vérité ». Et S. Augustin écrit à ce propos : « Il faut le comprendre en ce sens que le diable a été dans la vérité, mais qu'il n'y est pas demeuré. »
Réponse
On trouve à ce sujet une double opinion. Pourtant il paraît plus probable et plus conforme à la pensée des Pères qu'aussitôt après le premier instant de sa création, le diable a péché. Cela est nécessaire en effet, si l'on admet, comme nous l'avons fait, que l'ange, dans ce premier instant, fut créé en grâce et produisit un acte de libre arbitre. Puisque les anges parviennent à la béatitude par un seul acte méritoire, comme nous l'avons dit, si en ce premier instant, le diable, créé en grâce, avait mérité, il aurait dû recevoir aussitôt la béatitude, à moins qu'il n'y ait opposé un obstacle en péchant.
Mais si l'on admet que l'ange n'a pas été créé en grâce ; ou bien que, dans le premier instant, il n'a pas pu poser d'acte libre, rien n'empêche d'admettre un certain laps de temps entre sa création et sa chute.
Solutions
1. Les mouvements corporels, mesurés par le temps, signifient parfois métaphoriquement, dans la Sainte Écriture, des mouvements spirituels instantanés. Et c'est ainsi que le mot « conduite » est pris ici pour le mouvement du libre arbitre en tendance vers le bien.
2. Origène parle ainsi parce que le diable ne fut pas mauvais dès le principe, c'est-à-dire au premier instant.
3. Le libre arbitre de l'ange est inflexible une fois le choix accompli. C'est pourquoi, si aussitôt après le premier instant où il eut un mouvement naturel vers le bien, le diable n'avait pas mis obstacle à la béatitude, il eût été confirmé dans le bien. Il n'en est pas ainsi de l'homme, et c'est pourquoi l'argument ne porte pas.
4. Entre deux instants, il y a un temps intermédiaire, quand il s'agit du temps continu, selon Aristote. Mais les anges ne sont pas soumis au mouvement céleste, lequel est en premier lieu mesuré par le temps continu ; le temps angélique se ramène à la succession des opérations de l'intelligence et du vouloir. Par suite, le premier instant, pour l'ange, correspond à cette opération de l'esprit qui le fait se tourner vers lui-même par ce que nous avons appelé la connaissance du soir ; la Genèse mentionne en effet au premier jour un soir, et non un matin. Cette première opération fut bonne chez tous les anges. Puis, à partir de là, certains anges, par la connaissance du matin, se portèrent vers la louange du Verbe ; certains autres, au contraire, demeurèrent en eux-mêmes et « enflés d'orgueil », dit Augustin, devinrent ténèbres. Ainsi la première opération fut commune à tous ; mais dans la seconde ils se divisèrent. Tous furent donc bons au premier instant ; mais dans le second les bons furent distingués des méchants.
Objections
1. On lit dans Ézéchiel (Ezéchiel 28.14) : « Tu étais un chérubin protecteur ; je t'avais placé sur la montagne sainte de Dieu. » Mais d'après Denys, l'ordre des Chérubins est inférieur à celui des Séraphins. Le plus élevé des anges pécheurs n'était donc pas le plus élevé de tous les anges.
2. Dieu a créé la nature intellectuelle en vue de la béatitude à acquérir. Donc si le plus élevé de tous les anges a péché, il s'ensuit que le dessein de Dieu a été frustré dans la plus noble des créatures ; ce qu'il est difficile d'admettre.
3. Plus une inclination est forte dans un être, moins elle risque de manquer son but. Or, plus l'ange est élevé, plus il est incliné vers Dieu, et moins il a de chances de pécher.
En sens contraire, S. Grégoire écrit que le premier ange qui a péché, « supérieur à toutes les troupes angéliques, les dépassait en clarté, et resplendissait encore davantage quand on le comparait aux autres anges ».
Réponse
Il faut considérer deux choses dans le péché : l'inclination au péché et le motif du péché. Pour ce qui est de l'inclination, il semble que les anges supérieurs étaient moins portés à pécher que les anges inférieurs. C'est ce qui fait dire au Damascène que le plus grand des anges pécheurs était « le supérieur de l'ordre terrestre ». Et cela paraît concorder avec l'opinion des platoniciens que rapporte S. Augustin. Ceux-ci prétendaient en effet que tous les dieux étaient bons ; mais, parmi les démons, les uns étaient bons, les autres mauvais ; ils appelaient dieux les substances intellectuelles qui sont au-dessus de la sphère lunaire, et démons celles qui sont au-dessous, tout en étant supérieures par nature aux hommes. Une telle opinion n'est pas contraire à la foi, car, dit S. Augustin, toute la création corporelle est gouvernée par Dieu au moyen des anges. Rien n'empêche donc d'affirmer que les anges inférieurs sont préposés par Dieu à l'administration des corps inférieurs, tandis que les anges supérieurs ont pour rôle d'administrer les corps plus élevés, les anges suprêmes se tenant devant Dieu. Pour cette raison S. Jean Damascène dit que ceux qui tombèrent faisaient partie de l'ordre inférieur, encore que, même dans cet ordre, il y en eût qui demeurèrent fidèles.
Mais si l'on considère le motif pour lequel l'ange a péché, ce motif apparaît plus fort chez les anges supérieurs. Le péché des démons fut en effet le péché d'orgueil, dont le motif est la propre excellence du pécheur. Or, cette excellence était plus grande chez les anges supérieurs. C'est pourquoi S. Grégoire affirme que le premier ange pécheur fut le plus élevé de tous.
Et cette dernière opinion semble la plus probable. Car le péché de l'ange ne venait pas d'une inclination mauvaise, mais de son seul libre arbitre ; il convient donc de retenir ici la raison qui s'appuie sur le motif du péché. Pourtant, nous n'entendons pas préjuger de l'autre opinion, car il a pu y avoir aussi bien chez le prince des anges inférieurs un motif de pécher.
Solutions
1. Le mot « Chérubin » signifie, selon l'interprétation commune, plénitude de science ; le mot « Séraphin », ardent ou enflammé. Le premier nom se tire donc de la science, qui peut exister avec le péché mortel ; le second se tire de l'ardeur de la charité qui est incompatible avec le péché mortel. Dès lors le premier ange pécheur ne peut être appelé séraphin, mais chérubin.
2. L'intention divine n'est frustrée ni à propos de ceux qui pèchent, ni à propos de ceux qui sont sauvés. Dieu a prévu l'un et l'autre événement, et de l'un et de l'autre il tire sa gloire, soit en sauvant les fidèles, en raison de sa bonté, soit en punissant les pécheurs, en raison de sa justice. Quant à la créature intellectuelle elle-même, quand elle pèche, elle se rend défaillante à l'égard de sa vraie fin, et rien ne s'oppose à cela en une créature, si sublime soit-elle ; car la créature intellectuelle a été établie par Dieu de telle manière qu'il dépend de sa décision d'agir (ou non) en vue de la vraie fin.
3. Quelque grande que fût l'inclination au bien chez l'ange suprême, elle ne lui imposait pas une nécessité, et par son libre arbitre il pouvait s'y soustraire.
Objections
1. Il semble que non, car la cause est antérieure à l'effet. Mais tous les anges ont péché en même temps, d'après le Damascène. Le péché de l'un n'a donc pas été cause du péché des autres.
2. Le premier péché de l'ange ne peut être que l'orgueil, comme on l'a vu, et l'orgueil recherche l'excellence. Or, il répugne à celui qui désire exceller de se soumettre à un inférieur, plus encore qu'à un supérieur. Les démons ne pouvaient donc accepter de se soumettre à un ange, plutôt qu'à Dieu. Pourtant, si le péché d'un ange a été cause du péché des autres, ce serait seulement en ce sens que le premier ange a amené les autres à se soumettre à lui. Il ne semble donc pas que le péché du premier ange ait été cause du péché pour les autres.
3. C'est un péché plus grand de se soumettre à un autre contre Dieu, que de vouloir commander à un autre comme Dieu ; car le motif du péché a moins de valeur. Donc, si le péché du premier ange fut cause du péché des autres, en ce sens qu'il les amena à se soumettre à lui, il s'ensuit que les anges inférieurs auraient péché plus gravement que l'ange suprême. Mais, au sujet de cette parole du Psaume (Psaumes 104.26) : « ... ce dragon que tu as formé » nous lisons dans la Glose : « Lui qui était supérieur aux autres dans son être est devenu aussi le plus élevé en méchanceté. » C'est donc que le péché du premier ange ne fut pas cause du péché des autres.
En sens contraire, il est dit dans l'Apocalypse que le dragon a entraîné avec lui « le tiers des étoiles du ciel ».
Réponse
Le péché du premier ange fut cause du péché des autres, non par mode de coaction, mais par une sorte de suggestion persuasive. Le signe en est que tous les démons sont soumis au démon suprême, comme le montre manifestement le Seigneur quand il dit (Matthieu 25.41) : « Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. » Cela relève de la justice divine en effet, que celui qui a consenti aux suggestions de quelqu'un dans la faute, soit soumis à sa puissance dans le châtiment, selon cette parole de l'Écriture (2 Pierre 2.19) : « On est esclave de celui par qui on s'est laissé vaincre. »
Solutions
1. Bien que les démons aient péché en même temps, cependant le péché de l'un a pu être cause du péché des autres. En effet, l'ange n'a pas besoin de temps pour choisir, ou pour exhorter, ou pour consentir ; c'est le fait de l'homme qui doit délibérer pour choisir et consentir, et qui doit faire usage du langage pour exhorter, toutes choses qui demandent du temps.
Pourtant il est manifeste que l'homme aussi, en même temps qu'il conçoit une pensée dans son coeur, commence dans le même instant à l'exprimer par ses lèvres. Et à l'instant où s'achève sa phrase, l'auditeur qui en saisit le sens peut donner son assentiment, surtout s'il s'agit de vérités premières qu'on approuve aussitôt qu'entendues. Donc si l'on supprime le temps qui nous est nécessaire pour nous exprimer ou pour délibérer, on conçoit très bien que, dans l'instant même où le premier ange exprimait intelligiblement le choix de son désir, les autres aient pu y donner leur adhésion.
2. L'orgueilleux, toutes choses égales d'ailleurs, préfère se soumettre à un supérieur plutôt qu'à un inférieur. Mais si, en se soumettant à un inférieur, il acquiert une excellence qu'il ne peut obtenir en se soumettant à un supérieur, il préfère la première soumission à la seconde. Ainsi donc, cela n'allait pas contre l'orgueil des démons de se soumettre à un inférieur en consentant à sa primauté ; ils voulaient l'avoir pour prince et pour chef en vue de conquérir, par leur puissance naturelle, leur béatitude ultime, et cela leur était d'autant plus aisé que, par ordre de nature, ils se trouvaient déjà soumis à l'ange suprême.
3. Comme nous l'avons déjà dit, l'ange n'a rien en lui qui le retarde, mais il se porte de tout son pouvoir vers son objet, que ce soit le bien ou le mal. Et parce que l'ange suprême avait une puissance naturelle supérieure à celle des anges inférieurs, il s'est précipité dans le péché avec plus de violence. C'est pourquoi il est devenu supérieur à tous en méchanceté.
Objections
1. Il semble qu'il y ait eu davantage d'anges pécheurs car, dit Aristote, « le mal se trouve dans le plus grand nombre, le bien dans le plus petit nombre ».
2. La justice et le péché se trouvent de la même manière chez les anges et chez les hommes. Mais, parmi les hommes, il y en a plus de mauvais que de bons, selon cette parole de l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 1.15, Vg) : « Le nombre des insensés est infini. »
3. Les anges se distinguent d'après leurs personnes et d'après leurs catégories. Si donc le plus grand nombre de personnes angéliques sont restées fidèles, il semble que les anges pécheurs n'appartiennent pas à toutes les catégories.
En sens contraire, il est dit dans l'Écriture (2 Rois 6.16) : « Ceux qui sont avec nous sont plus nombreux que ceux qui sont avec eux », parole que l'on applique aux bons anges qui nous portent secours, et aux mauvais qui nous sont contraires.
Réponse
Il y eut plus d'anges fidèles que de pécheurs. Car le péché va à l'encontre de l'inclination naturelle de la créature ; or, ce qui est contre la nature ne se produit qu'accidentellement dans un petit nombre de cas. La nature, en effet, obtient son résultat soit toujours, soit le plus souvent.
Solutions
1. Aristote parle des hommes pour lesquels le mal vient de la poursuite des biens sensibles ; car ceux-ci sont connus de la plupart, tandis que l'on déserte le bien rationnel qui n'est connu que du petit nombre. Dans les anges, au contraire, il n'y a que la nature intellectuelle. Aussi l'argument ne porte pas ici.
2. Nous avons répondu par là à la deuxième objection.
3. Pour ceux qui pensent que le diable appartenait au degré inférieur de ces anges qui président au monde terrestre, il est évident que les anges pécheurs ne ressortissent pas à toutes les catégories, mais seulement à la dernière. Si l'on admet au contraire que le diable appartenait à la catégorie suprême, il est probable que ceux qui sont tombés ressortissaient à toutes les catégories, et que, dans chacune d'entre elles, des hommes sont introduits pour suppléer les anges tombés. Et cela confirme encore l'indépendance du libre arbitre, qui peut s'infléchir vers le mal, quelle que soit la dignité de la créature. Cependant, dans la Sainte Écriture, les noms de certaines catégories, comme les Séraphins et les Trônes, ne sont pas attribués aux démons, car ces noms sont pris de l'ardeur de la charité et de l'habitation de Dieu, qui sont incompatibles avec le péché mortel.
On leur attribue au contraire les noms de Chérubins, de Puissances et de Principautés, car ces noms sont pris de la science et de la puissance, qui peuvent être communes aux bons et aux mauvais anges.