Faisons maintenant un retour sur ce qui nous reste à voir du système de nos adversaires. Ils prétendent qu’à la consommation des temps celle qu’ils nomment la Mère rentrera dans le Plerum, où elle recevra le Sauveur pour son époux ; quant à eux, comme ils se disent de la nature des esprits, ils se dépouilleront alors de leurs corps, et, changés en de purs esprits, ils deviendront les épouses des anges célestes. À l’égard du Demiurgos, comme il fait partie des êtres animés, il ira habiter les régions qu’occupait la Mère. Les âmes des justes, ils les envoient goûter le repos dans les régions du milieu : ils disent que tout cela s’opère d’après la loi organique, qui fait que les semblables s’unissent à leurs semblables, l’esprit attirant l’esprit, et la matière attirant la matière. Mais ici ils sont en contradiction avec eux-mêmes, en disant que si les âmes vont occuper la région du milieu, ce n’est pas en vertu de cette loi de la sympathie des semblables, mais à cause de leurs mérites, et que c’est par la même raison que les âmes des justes échappent au feu éternel, tandis que les âmes des méchants ne peuvent le faire. Or, si c’est d’après une loi qui tient de leur nature, que les âmes passent dans le lieu de repos, et qu’ils nomment les moyennes régions, alors il faut reconnaître qu’elles jouiront toutes du même privilège, toutes les âmes étant de la même substance ; dès lors la foi est inutile, comme aussi est inutile la venue du Sauveur. Si, au contraire, elles sont sauvées d’après la loi de la justice, elles le seront non pas tant parce qu’elles sont des âmes, mais parce qu’elles auront été justes. Et si ces âmes eussent été destinées à périr, si elles n’avaient pas été justes, il faut reconnaître que la même loi de justice pouvait aussi atteindre les corps ; et pourquoi en seraient-ils exempts, puisqu’ils ont participé à la transgression de la justice ? Si l’âme est sauvée par la seule raison de sa nature et de sa substance, toutes les âmes doivent être sauvées ; mais si la justice et la foi sont la cause du salut, pourquoi les corps, qui entraînent les âmes au bien ou au mal, ne seraient-ils pas sauvés ou perdus avec elle ? La justice de Dieu, dans ce cas, semblerait impuissante ou injuste, puisqu’elle donnerait le salut à certains êtres comme conséquence de leur participation au bien, tandis que cette conséquence n’aurait pas lieu pour les autres.
Il est manifeste que les corps contribuent à l’opération des choses qui appartiennent à la justice. Il faut donc en conclure, d’après le système de nos adversaires, que les corps participeront aussi au repos que goûteront les âmes : ou autrement il n’y aurait point de justice, ou bien, les corps qui ont contribué à l’accomplissement de la justice participeront au bonheur des âmes, si la justice de Dieu est assez puissante pour les transporter là où seront les âmes. Mais une voix forte et puissante se fera entendre, qui appellera le corps à la résurrection. Quant à nous, c’est là notre foi : nous croyons fermement que Dieu, après avoir ressuscité nos corps, accordera le privilège de l’immortalité et de l’incorruptibilité à ces corps mortels, qui auront contribué, pendant cette vie, à l’accomplissement de la justice ; car Dieu est meilleur que la nature, il possède en lui le souverain vouloir, parce qu’il est bon ; le souverain pouvoir, parce qu’il est tout-puissant ; et la vertu de tout perfectionner, parce qu’il est lui-même la source de toute richesse et de toute perfection.
Nos adversaires tombent encore dans une nouvelle contradiction, quand ils disent que toutes les âmes indistinctement n’iront point dans les régions du milieu, mais seulement celles des justes. Or, ils reconnaissent trois catégories d’âmes, qui sont produites par la Mère : la première catégorie se compose de celles qui sont provenues de la douleur, de l’affaissement et de la crainte, celles-ci participent de la matière : celles de la deuxième catégorie sont provenues de la puissance de l’action, elles tiennent de la nature animale ; la troisième catégorie comprend celles produites par la Mère par la vertu de la vision qu’ils supposent qu’elle aurait eue, des anges qui accompagnent le Christ ; et ces dernières seraient de la nature de l’esprit. Si donc ces dernières, par cela quelles seraient toute spirituelles, doivent toutes entrer dans le Plerum, toutes celles, au contraire, qui participent de la matière devront rester en dehors, parce qu’elles sont matière, et être en entier consumées par le feu qui brûle dans ces régions. Mais pourquoi toutes les âmes qui participent de la substance animale n’entreraient-elles pas dans les régions du milieu, où ils placent cependant Demiurgos ? Examinons un peu ce qui pourra entrer dans leur Plerum : ils veulent que tout ce qui est âme occupe la région du milieu, et que les corps, qui sont matière, soient consumés par le feu qui fait partie de la substance même de la matière. Ainsi, tous les corps périssent, et toutes les âmes s’en vont dans les régions du milieu : il ne reste, par conséquent, plus rien à mettre dans le Plerum ; car ni le sens, chez l’homme, ni l’esprit, ni la pensée, ni la réflexion, tout cela n’est rien autre chose que l’âme, et ne peut exister indépendamment d’elle et hors d’elle. Que pourra-t-il donc leur rester pour mettre dans le Plerum ? Que deviendront nos adversaires eux-mêmes ? En ce qui est de leur âme, ils iront habiter les régions du milieu ; et quant à leur corps, il sera consumé par le feu avec tout ce qui est matière.