D’après la Loi, l’idée du sabbat devait présider à la distribution des années non moins qu’à celle des jours et des mois. Il y avait une année sabbatique, comme un mois sabbatique, et elle est même désignée comme telle Lévitique 25.5, où il est dit qu’elle sera une année de grand sabbat pour la terre (שׁנת שׁבון, il est aussi parlé Lévitique 25.8 de sept sabbats d’années, שׁבּתות שׁנים). Mais son vrai nom est celui d’année du relâche (Deutéronome 15.9 ; 31.10). Les principales déclarations qui s’y rapportent (Exode 23.10-11 ; Lévitique 25.1-7 ; Deutéronome 15.1-11 ; 31.10), ont chacune leur intérêt spécial.
Dans Exode 23.10-11 qui appartient au Livre de l’alliance, la loi se présente à la fois d’une manière très générale et surtout en regard des pauvres. « Pendant six années, est-il dit, tu ensemenceras la terre et tu en recueilleras le produit. Mais la septième tu lui donneras du relâche et tu la laisseras en repos (תשׁמתּנה ונתּשׁתה). Les pauvres de ton peuple en jouiront et les bêtes des champs mangeront ce qui restera. Tu feras de même pour ta vigne et tes oliviers. » On pourrait en conclure que la septième année n’avait pas lieu en même temps pour tous, ni même nécessairement pour les divers champs d’un propriétaire, et tel était, selon Riehm et Wellhausen, le caractère primitif de la loi. Mais, comme on l’a justement observé, immédiatement après (v. 12), il est question du sabbat hebdomadaire, le vrai principe de l’année sabbatique, et, bien qu’il n’y soit pas non plus stipulé que le septième jour dut être le même pour tous, il n’en devait pas moins en être ainsi, d’après la Loi.
En revanche, le texte du Lévitique est parfaitement clair à cet égard et sur le principe essentiel de l’institution Lévitique 25.2-7 : « Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne, la terre se reposera : ce sera un sabbat en l’honneur de l’Éternel (שׁבּת ליהוה). Pendant six années tu ensemenceras tes champs, … tu tailleras ta vigne et tu en recueilleras le produit. Mais dans la septième année, il y aura sabbat, grand sabbat pour la terre, en l’honneur de l’Éternel : tu n’ensemenceras point ton champ et tu ne tailleras point ta vigne. Tu ne moissonneras point ce qui proviendra des grains tombés de la moisson, et tu ne vendangeras point les raisins de ta vigne non taillée. Ce que te produira la terre pendant son sabbat, vous servira de nourriture à toi, à ton serviteur… à ton mercenaire et à l’étranger qui demeurera avec toi, à ton bétail et aux animaux qui sont dans ton pays … » Ainsi, 1° c’était essentiellement en l’honneur de Jéhovah que la terre devait se reposer la 7e année, comme l’Israélite au 7e jour. De même que la terre avait participé au châtiment de l’homme déchu (Genèse 3.13-19), elle devait prendre part à la rédemption de grâce qui commençait à se réaliser au sein d’Israël (Romains 8.19-22 ; Apocalypse 21.1-5). En suspendant son travail agricole tous les 7 ans, l’Israélite rendait aussi hommage au Créateur, doublement propriétaire du pays de la promesse, dont le premier n’était que le fermier, le tenancier. « Le pays est à moi, est-il dit Lévitique 25.23, car vous êtes chez moi comme étrangers et comme habitants. » 2° Il y avait la plus intime union entre le sabbat hebdomadaire et l’Année sabbatique. Celle-ci devait donc, comme celui-là, se célébrer en même temps pour tout Israël. Comment d’ailleurs aurait-elle pu se célébrer autrement ? 3° Ce n’étaient pas seulement les pauvres, en particulier, les mercenaires et les étrangers, qui devaient participer aux libres produits de l’Année sabbatique, mais aussi le propriétaire, sa famille et ses serviteurs. — Les v. 18-22 du même ch. 25 du Lévitique, qui suivent la prescription fondamentale sur le Jubilé et précédent de nouvelles prescriptions de détail sur sa célébration, étaient applicables au Jubilé non moins qu’à l’Année sabbatique, et ils indiquent ce qui devait en rendre la réalisation pleinement possible, indépendamment de l’ancienne fertilité naturelle de la Palestine. « Mettez mes lois en pratique, disait l’Éternel, … et vous habiterez en sécurité dans le pays. Le pays donnera ses fruits, vous mangerez à satiété et vous habiterez en sécurité. Si vous dites : Que mangerons-nous la septième année ? … Je vous accorderai ma bénédiction la sixième année et elle vous donnera des fruits pour trois ans. Vous sèmerez la huitième année, et vous mangerez de l’ancienne récolte ; jusqu’à la neuvième année, jusqu’à la nouvelle récolte, vous mangerez de l’ancienne » (Comp. Exode 16.5, 22-29).
Avec le Deutéronome apparaissent deux nouveaux traits de la célébration. Il est dit Deutéronome 15.1 : « Tous les sept ans tu feras relâche. Et voici comment s’observera le relâche. Quand on aura publié le relâche en l’honneur de l’Éternel, tout créancier qui aura fait un prêt à son prochain se relâchera de son droit, il ne pressera pas son prochain et son frère pour le paiement de sa dette. Tu pourras presser l’étranger ; mais tu te relâcheras de ton droit pour ce qui t’appartiendra chez ton frère. » La proclamation du relâche (v. 2) sur laquelle nous n’avons pas d’autres informations, « suppose, selon Dillmann, une proclamation publique annonçant cette année et analogue à celle du Jubilé (Lévitique 25.9), ce qui implique que l’Année sabbatique avait pour le peuple une importance plus étendue que celle d’une suspension de dettes. » Remarquons aussi que la désignation de l’Année sabbatique dans le Deutéronome, comme année de relâche, se rattache à une expression correspondante dans Exode 33.11. Seulement le relâche dont il est ici question, se rapporte à la terre, tandis que dans le Deutéronome il est accordé par le créancier à son débiteur. L’Année sabbatique n’était donc pas seulement marquée par le repos de la terre, elle l’était aussi par une grâce pour les débiteurs. Mais en quoi consistait-elle précisément ? Les rabbins (toutefois avec certaines réserves), la version des Septante, Philon, Josèphe, tout récemment d’Orelli, entendent par là l’acquittement complet ; mais, en fait, il semble que, d’après le texte, on doive reconnaître, avec Calvin, Munk, Œhler, Dillmann, Riehm, qu’il ne s’agissait que d’une suspension de paiement. Il y avait du reste une étroite union entre la défense de travailler la terre dans l’Année sabbatique, et celle d’exiger alors le paiement des dettes. La première devait entraîner la seconde. Le second trait de l’Année sabbatique qui n’apparaît que dans Deutéronome 31.10-13, concerne la lecture de la loi deutéronomique, qui, pendant la fête des Tabernacles, devait être faite devant tout le peuple. Cette solennelle lecture devait, selon Dillmann, se faire à cette fête annuelle, « comme étant la plus fréquentée et la plus longue, et dans l’Année sabbatique, comme déterminant les périodes et offrant une année de repos, qui déjà en elle-même était consacrée à un religieux recueillement. » Œhler dit dans le même sens : « Ce repos que Dieu veut accorder à son peuple chaque septième année, est, dans l’intention de la Loi, aussi peu un repos d’oisiveté que celui du sabbat. La vie des patriarches, dans laquelle l’agriculture n’apparaît que comme une occupation accessoire et subordonnée (Genèse 26.12), était-elle une vie de paresseuse dissipation ? Il y avait dans la lecture publique de la Loi, au commencement de l’année, une exhortation significative à s’occuper de choses spirituelles pendant ce temps ». Pour que l’Année sabbatique pût être fidèlement observée et produire ses bienfaits, il fallait tout au moins que la majorité du peuple d’Israël marchât résolument dans l’obéissance à l’Éternel et dans une pleine confiance en sa paternelle sollicitude. Or, on sait que cela n’eut pas souvent lieu. Moïse lui-même, prévoyant les infidélités du peuple « au cou roide et à l’esprit rebelle » (Deutéronome 31.27) et les châtiments qui devaient en résulter, avait dit au nom de l’Éternel (Lévitique 26.33-35) : « Je vous disperserai parmi les nations … Votre pays sera dévasté et vos villes seront désertes. Alors le pays jouira de ses sabbats tout le temps qu’il sera dévasté et que vous serez dans le pays de vos ennemis ; … il aura le repos qu’il n’avait pas eu dans vos sabbats, tandis que vous l’habitiez. » La même correspondance est établie par l’historien de 2 Chroniques 36.21, entre le nombre des sabbats dont avait été frustrée la terre israélite, et la durée de la Captivité. Si l’on en déduit une donnée générale sur le temps pendant lequel l’Année sabbatique aurait été négligée en Israël, on arrive à une période de plus de quatre siècles.
Après le retour de l’exil, d’après Néhémie 10.31, les Juifs de la restauration s’engagèrent à observer, selon la Loi, le relâche de la septième année, tout au moins en n’exigeant alors aucun paiement de dette. Pour l’époque postérieure, il y a toute une série de témoignages sur l’observation plus ou moins complète de la même année par les Juifs palestiniens. On les voit tantôt, au milieu des vicissitudes de la guerre, pâtir de cette observation, tantôt, à cause d’elle, obtenir d’Alexandre et de Jules-César des exemptions de tributa. Tacite accuse les Juifs de paresse à cause de leur repos du sabbat hebdomadaire et de la septième année (Hist. V, 4).
a – 1Macch.6.49, 3 ; Jos. Antiq. XII, 9, 5. XIII, 8, 1 ; Guerre des Juifs I, 2, 4. — Antiq. XIV, 16, 2 ; XV, 1, 2. — Antiq. XI, 8, 6. — XIV, 10, 6.