Oui, Seigneur, je dois pardonner les injures ; je reconnais que là est le devoir ; là l’exemple de Jésus ; là la paix du monde ; là le sentiment seul digne de toi ; enfin, là le vrai bonheur. Et cependant l’injustice et la haine m’irritent ; j’ai bien peine à contenir mon indignation ; mon premier mouvement est de rendre le mal pour le mal ; il faut que ton Esprit vienne me calmer, même pour me tenir dans le silence et l’inaction ! Il faut qu’il m’exhorte et m’exhorte longtemps, pour transformer ma colère en compassion. Mais, hélas ! je ne lui permets guère d’aller plus loin ! J’avoue que je n’aime pas encore ceux qui me haïssent, je ne souhaite pas toujours du bien à ceux qui me veulent du mal, et si je prie quelquefois en leur faveur, c’est plus par obéissance pour toi que par amour pour eux.
Mon Dieu, viens, viens donc à mon secours ; purifie complètement ce pauvre cœur. Rappelle-moi Jésus priant sur la croix pour ceux qui transpercent ses chairs ! Rappelle-moi ta patience envers les blasphémateurs. Rappelle-moi ta bonté faisant tomber ta rosée et lever ton soleil sur les bons et sur les méchants. Rappelle-moi surtout ta miséricorde envers moi-même, que tu es venu chercher et sauver, alors même que j’étais plongé dans l’iniquité ! Hélas, si tu avais compté avec moi ; si tu avais limité le nombre de mes fautes et de tes pardons ; si j’avais été abandonné par toi dès le jour où j’avais déjà fait cent fois plus de mal envers toi que n’en ont fait les hommes envers moi-même, ne serais-je pas aujourd’hui cent fois perdu, condamné, anéanti ! Oui, Seigneur. Mais, où mes péchés ont abondé, ta grâce a surabondé ; tu m’as pardonné sans mesure ; tu m’as aimé sans motif ; ou plutôt, tu m’as aimé parce que tu es amour ! Eh bien, mon Père donne-moi de devenir ton enfant par la ressemblance comme par l’adoption ; apprends-moi à aimer, de tout mon cœur, ceux-mêmes qui me haïraient de toutes leurs forces. Rends-moi ingénieux pour leur faire du bien, et que je ne m’arrête que lorsque les charbons ardents de ma charité les auront contraints à sentir leur injustice, non envers moi, pauvre créature, mais envers toi, mon Dieu sauveur.