Il y a dans le récit génésiaque un trait qui, quelque interprétation qu’on en donne, atteste que la destination finale de l’homme était supérieure à l’état psychique : c’est la présence de l’arbre de vie, dont les fruits conféraient l’immortalité, soit dans le bien, soit dans le mal (Genèse 3.21). La vie éternelle et impérissable, la vie de l’esprit, la vie du ciel, tel était donc le terme normal de la carrière morale de l’homme. Mais comment ce but devait-il être atteint ? Par l’épreuve victorieusement surmontée. L’épreuve, dont l’issue fut fatale, avait donc dans l’intention de Dieu un but bienfaisant, un rôle nécessaire dans le développement moral de l’homme, celui de l’élever, soit par une crise violente, soit par une série d’actes de fidélité, du degré inférieur et psychique à l’état pneumatique et céleste. La tentation fut un des modes de l’épreuve permis de Dieu, et le succès de l’homme dans sa lutte avec l’adversaire eût été aussi décisif que sa défaite.
L’histoire morale du premier Adam, violemment interrompue par la chute, ne nous permet pas de reconstruire toutes les phases qu’il eût traversées dans l’état de fidélité. Mais cette histoire idéale de l’humanité fidèle nous a pourtant été tracée quelque part ; nous pouvons la lire dans l’histoire du second et dernier Adam, qui, ayant repris l’œuvre du premier dès son début, l’a poursuivie et poussée victorieusement jusqu’à son terme.
Christ, lui aussi, a traversé l’état psychique avant d’atteindre le degré pneumatique, et cette phase n’est point niée par l’apôtre dans le passage précité (1 Corinthiens 15.45). Christ n’a pas commencé par donner, mais par recevoir ; et avant de se vouer à la mort, il s’était formé à la vie.
Durant les trente années passées dans l’obscurité de Nazareth, il a été occupé de rassembler à son usage tous les dons, toutes les forces et toutes les grâces qui composent la nature humaine accomplie. C’est ce qu’a exprimé le troisième évangéliste (Luc 2.52), dans le mot « il croissait ». Il s’instruit de la pensée de son Père céleste dans ses entretiens avec ses parents terrestres, dans la contemplation de la nature, dans la lecture de l’Écriture-Sainte et par la fréquentation régulière du culte (Luc 4.16) ; il travaille dans l’atelier de son père, et il se montre soumis à ses parents. A travers toutes ces épreuves, Jésus-Christ acquiert lentement, mais sûrement, cette science suprême que le premier homme avait tenté de ravir en une fois par un acte de révolte ; et, au lieu de commettre le mal pour le connaître, Jésus-Christ a constamment pratiqué le bien, apprenant sur cette voie de la fidélité à se connaître toujours mieux lui-même comme le saint parfait, et à se distinguer de tous les pécheurs ; et, fidèle dans les petites choses, il se montrait digne et capable d’en entreprendre un jour de plus grandes.
Le terme de cette période de préparation, de jouissance et d’élaboration progressive de toutes les facultés et de toutes les forces de l’homme fut marqué par le baptême. Le baptême fut la consécration à cette tâche nouvelle qui ne renfermait rien de moins que le sacrifice volontaire de tout ce qu’il avait aimé jusqu’alors, l’immolation de toutes ses affections jusques-là légitimes, l’acceptation des maux mêmes qui devaient paraître le plus contre-nature à son âme sainte : la souffrance et la mort, et cela, pour la vivification du monde. Le baptême a marqué par l’immersion la clôture de la période psychique et par la descente du Saint-Esprit l’ouverture de la période spirituelle ou pneumatique, durant laquelle il a pu s’appliquer à lui-même la recommandation qu’il fit à ses disciples : « Celui qui voudra sauver son âme la perdra. »
Dans la conférence de M. Godet sur la vie, nous trouvons la comparaison suivante entre l’état psychique et l’état pneumatique : « Saint Paul a appelé Jésus-Christ le second et le dernier Adam. Il y a de grandes richesses pour la pensée et pour le cœur du croyant dans ces deux épithètes. Comme le premier Adam avait clos ici-bas le développement de la vie physique et ouvert celui de la vie de l’âme, ainsi Jésus-Christ clôt le développement de la vie uniquement psychique et inaugure l’avènement d’une vie supérieure, de la vie spirituelle. Adam était une âme vivante, jetée par la main de Dieu au milieu des convulsions de la nature pour apporter dans la création physique la mesure, l’ordre, l’harmonie et la paix. Jésus-Christ, l’esprit vivifiant, vient du ciel pour apaiser les tempêtes de l’âme humaine ; il apporte la mesure et l’harmonie dans l’exercice de nos facultés, et fait régner dans notre vie individuelle, domestique et sociale la sérénité de l’ordre divinc. »
c – Études bibliques. Ancien Testament.
En reportant à la carrière interrompue du premier Adam les analogies que vient de nous fournir celle du second, nous pouvons affirmer, sans crainte de nous tromper, que l’ère pneumatique aurait commencé à luire pour notre premier père au terme de la période psychique ; le moment serait venu alors pour lui de porter la main au fruit de l’arbre de vie, et, comme le dernier Adam, après avoir été âme vivante, il serait devenu esprit vivifiant. Mais pour devenir un principe de vivification pour d’autres, il eût dû être vivifié d’en-haut lui-même ; on ne peut douter qu’à la suite de l’exercice sain et normal de la liberté de choix, il n’eût eu à attendre une nouvelle création spirituelle au sein de la première, naturelle et psychique. C’eût été la première pentecôte accomplie dans le sein de l’humanité et du premier homme ; et la pentecôte au sein de l’Église, fille elle-même de celle dont fut gratifié Jésus-Christ au jour de son baptême, n’a été qu’un retour partiel à cette étape de la voie normale de l’humanité fidèle. Soit que l’incarnation du Fils eût eu lieu, même sans le péché, comme le pense Dorner, ou qu’elle n’eût pas eu lieu, selon l’opinion de Müller, il y aurait eu nécessairement dans l’histoire de l’humanité un baptême d’en-haut, une effusion surnaturelle de l’Esprit de Dieu dans l’âme demeurée immaculée de l’homme. Le premier Adam par ce fait serait devenu capable d’accomplir dans le Royaume de Dieu et dans l’ordre de l’esprit toute tâche nouvelle qui lui aurait été confiée, tout ministère d’amour, de renoncement, avec ou sans sacrifice, de sacrifice, avec ou sans douleur, dont il eût été revêtu auprès d’autres créatures, soit de sa race, soit d’autres races. C’est ainsi que l’homme psychique et. terrestre se serait transformé dans l’homme céleste ; la chair et le sang, dont sa nature primitive était composée, seraient devenues en lui des organes directs de l’Esprit ; et sans chute, sans mort, sans schisme intime, sa nature se serait élevée, transformée et transfigurée à l’image des choses et des êtres célestes. Liberté, consécration, gloire, telles étaient donc les trois grandes étapes de la carrière de l’homme dans le plan primitif et normal de Dieu.
De quelle manière ce plan a-t-il été renversé par l’homme lui-même ? C’est ce qui nous reste à examiner dans notre troisième section.