Telle est la dernière des périodes sabbatiques instituées par la Loi. Comme il y avait un sabbat de sabbats hebdomadaires : la Pentecôte, il y avait un sabbat d’années sabbatiques : le Jubilé ; et de même que la Pentecôte n’était pas le 49e jour après le second jour des Azymes, mais le 50e, le Jubilé tombait sur la 50e annéeb. Dans les deux cas, la solennité supérieure n’était donc pas la dernière de 7 solennités sabbatiques : elle en était à part et suivait leur accomplissement.
b – Cela semble bien ressortir de Lévitique 25.8-10, et telle était l’opinion de Philon et de Josèphe. C’est aussi celle de Munk (Palest., p. 185), Œhler (Real-Encykl. XIII, p. 207), Delitzsch (lesaia 2, p. 619).
Le nom de Jubilé venait, selon l’opinion la plus répandue et la mieux accréditée, de la solennelle et éclatante annonce qui s’en faisait par le son des trompettes au Jour des expiations, de même que la septième néoménie a été quelquefois appelée le Jour des trompettes, à cause des fanfares qui en marquaient le début. Le son de la trompette préludait donc, soit au mois sabbatique, soit au sabbat des sabbats des années ; mais il devait y avoir plus d’une différence à cet égard. En particulier, c’était seulement pour le Jubilé que la trompette devait retentir dans tout le pays (Lévitique 25.9 ; comp. Lévitique 13.24 ; Nombres 29.1). Le Jubilé fut aussi nommé l’année de la liberté, ou mieux : de la libération, à cause des délivrances sociales qu’il devait apporter. (Ézéchiel 46.17 : שׁנת הדרור. Cp. Lévitique 24.10 : וּקראתם דרור, Jérémie 34.8,15.)
Il n’est expressément traité de sa célébration que dans Lévitique 25.8-55, mais ailleurs le Pentateuque y fait manifestement allusion, ainsi Lévitique 27.16-21 ; Nombres 36.4. Dans cette année, comme dans l’Année sabbatique, la terre devait se reposer en l’honneur de l’Éternel (Lévitique 25.11-12). Mais ce que le Jubilé avait en propre, c’est qu’il devait être sanctifié par une proclamation de liberté pour tous les Israélites. « Vous sanctifierez la cinquantième année, est-il dit Lévitique 25.10, vous publierez la libération dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété et… dans sa famille. » Ainsi, comme l’ensemble des prescriptions l’établit clairement, chaque Israélite qui, par des circonstances de famille ou par sa faute, avait été obligé de vendre son patrimoine foncier ou même de s’engager lui-même comme esclave ou comme mercenaire (v. 39), retrouvait alors gratuitement patrimoine ou liberté. Il est question du premier point et des réserves qui y étaient rattachées v. 13-17, 23-34 ; du second, v. 39-55.
Le droit fondamental de ce double affranchissement venait de ce que le sol et les Israélites eux-mêmes étaient avant tout propriété de l’Éternel (v. 23, 38, 42, 55). Mais, dans certains marchés conclus entre Israélites, on devait naturellement tenir compte et de la distance où l’on était du Jubilé, et de ses conséquences (v. 14-17, 50-52).
Avant le Jubilé, l’esclave israélite avait, du reste, toujours le droit de se racheter ou de l’être par sa famille (Lévitique 25.47-55). Il y a plus. D’après Exode 21.2 et Deutéronome 15.12…, qui reproduit la loi du Livre de l’alliance, mais en la développant (en particulier en mettant la femme sur le même pied que l’homme et en commandant au maître de ne pas libérer son esclave à vide), tout Israélite qui avait dû se mettre au service d’un de ses frères, devait être libéré 7 ans après, à moins toutefois qu’il ne préférât rester chez son maître, auquel cas il demeurait pour toujours à son service. Mais comment accorder ces prescriptions avec celles de Lév. ch. 25 ? On entrevoit certains moyens de conciliation. Les rabbins entendaient le pour toujours dans un sens relatif, jusqu’à l’époque du Jubilé, et telle était encore l’opinion de Munk. Selon Œhler, et déjà Michaëlis, Hengstenberg, pendant les 44 premières années d’une période jubilaire, les esclaves israélites n’arrivaient à leur émancipation gratuite qu’après 7 ans de service, comme le prescrivaient l’Exode et le Deutéronome ; mais ceux dont l’esclavage datait des dernières années de la période, devaient tous être affranchis lors du Jubilé. D’après Dillmann, le Lévitique ne parle que de l’Israélite qui avait été forcé par le dénuement de se vendre à un de ses frères (v. 39) et qui par conséquent n’avait guère à bénéficier de l’émancipation offerte par la 7e année de son esclavage. Le Lévitique stipule que celui-ci ne pouvait pas cependant durer toujours et que le Jubilé devait rendre à l’esclave à la fois liberté et patrimoine.
Si le Jour des expiations où le Jubilé était annoncé, était un jour de grâce où toutes les iniquités d’Israël étaient pardonnées, le Jubilé devait rétablir en fait maint équilibre troublé par ces iniquités, renouveler l’état social, en le replaçant sur ses bases originelles et en assurant pour l’avenir l’aisance et la liberté de chacun. Mais encore ici la condition fondamentale de tous ces bienfaits, d’une vie nationale aussi normale et heureuse qu’elle pouvait l’être, c’était, de la part des Israélites, leur obéissance à la loi de l’Éternel, leur foi vivante et continuelle en sa puissance et sa fidélité. En outre, quelle que fût la rénovation sociale opérée, les moyens dont disposait l’Ancienne Alliance, ne permettaient pas encore que le but poursuivi fût réellement atteint. Aussi le Jubilé devait-il, plus encore que l’Année sabbatique, devenir surtout un type prophétique de ce que devait produire en définitive la Nouvelle Alliance, et il le devint au plus haut degré dans la grande prophétie de Ésaïe 61.1-11, appliquée par Jésus lui-même à son œuvre rédemptrice (Luc 4.16-21).
Bien que dans l’Ancien Testament on ne trouve guère d’indications directes sur l’observation du Jubilé avant l’exil, cependant le judicieux et indépendant Winer n’hésite pas à dire : « On ne saurait pour cela douter de l’origine mosaïque de l’institution. Elle ne pouvait surgir que comme conséquence de l’idée pure de la théocratie, comme conclusion de l’égalité des biens, telle que nous devons la supposer admise par Moïse. Les temps postérieurs, avec leurs relations civiles déjà si compliquées et leur manque de sévérité théocratique, n’auraient pas même pu en produire l’idée. » Ewald, dont l’individualité théologique était si différente de celle de Winer, a dit, de son côté : « Rien n’est plus certain que ceci : d’une part, le Jubilé, quant à son idée, est le dernier anneau d’une grande chaîne, qui n’arrive que par lui à son terme nécessaire ; de l’autre, quant à son histoire, il est, malgré la surprise que cela nous cause au premier abord, réellement entré dans la vie du peuple pendant des siècles. » Dillmann constate que si la loi du Jubilé n’est mentionnée que dans le document Elohiste de la législation, les principes sur lesquels repose cette loi, n’en sont pas moins suffisamment attestés ailleurs, et il ajoute : « On ne peut prouver pour celui qui ne veut pas le croire, que la loi remonte dans ses traits essentiels à Moïse, mais il est certain que, malgré Kuenen et Willhausen, elle ne peut être l’invention d’un écrivain postérieur à l’exil. » Selon Riehm lui-même, qui nous semble taxer trop facilement d’impraticable l’institution de l’Année sabbatique, on ne peut douter que celle du Jubilé n’ait été plus ou moins pratiquée antérieurement à la grande catastrophe.
Nous avons déjà indiqué Lévitique 27.16-21, qui spécifie l’application de la loi du Jubilé pour un champ que son propriétaire aurait consacré à l’Éternel, et Nombres 36.4, où il est question du Jubilé à l’occasion d’un héritage (Comp. Nombres 27.1-11).
Il est probable que, comme le pense Ewald, il faut entendre par les sabbats de la terre, dont il est parlé Lévitique 26.33-35 et 2 Chroniques 36.20-21, non seulement les Années sabbatiques, mais aussi les Jubilés. Selon le même théologien, l’observation du Jubilé aurait décliné surtout depuis Salomon, ce qui coïnciderait avec la conséquence tirée par Œhler et d’Orelli des deux passages qui viennent d’être rappelés. « Quand les prophètes du 9e et du 8e siècle, dit-il, se plaignent de l’accumulation des terres entre les mains d’un petit nombre (Ésaïe 5.8 ; Michée 2.2, 4), la loi du Jubilé devait être à peine pratiquée, bien qu’elle survécût dans le souvenir des meilleurs et que les images qu’elle évoquait, miroitassent très vivement aux yeux des prophètes et des écrivains postérieursc : on apprécia d’autant plus le but pur et divin de cette loi qu’on regrettait son absence dans la vie réelle, où rien de meilleur ne l’avait remplacée.
c – Ewald voit de telles allusions à l’Année sabbatique et au Jubilé dans Ésaïe 37.30 ; Lévitique 26.34 ; au Jubilé, dans Ézéchiel 7.12 ; 46.16-18 ; Jérémie 11.23 ; 23.12 ; 48.44 ; Ésaïe 61.1.
D’après Jérémie 34.8-22, sous le règne de Sédécias, les habitants de Jérusalem, menacés par l’armée babylonienne, s’engagèrent dans le Temple à publier la libération et à affranchir tous leurs esclaves israélites ; mais, le danger passé, ils les reprirent. Aussi Jérémie fut-il chargé d’annoncer les plus terribles châtiments. La loi rappelée par le prophète (v. 14) ne se rapporte ni à l’Année sabbatique, ni au Jubilé, mais à la prescription Exode 21.2 ; Deutéronome 15.2, tombée, elle aussi, en désuétude. Toutefois il est probable que ce passager retour à l’Éternel, se fit, comme le pensent Hitzig et Œhler, à l’occasion d’une Année sabbatique et qu’il s’y mêla aussi, comme Riehm le conjecture, surtout d’après les v. 8 et 15, le souvenir de la loi sur le Jubilé.
Mais les témoignages les plus significatifs et les plus généralement reconnus en faveur de l’ancienneté de la loi du Jubilé se trouvent dans Ésaïe 61.1-3, dont nous avons déjà parlé, et dans Ézéchiel 7.13 ; 46.17. « Le temps vient, est-il dit Ézéchiel 7.12-13, le jour arrive. Que l’acheteur ne se réjouisse point et que le vendeur ne s’afflige point, car le courroux plane sur toute leur multitude. Car le vendeur ne recouvrera point ce qu’il aura vendu, quand même il serait encore en vie … » — « Ce verset, dit la Bible annotée, fait allusion à l’année du Jubilé, dans laquelle les biens vendus faisaient retour à leurs propriétaires primitifs. Cette restitution ne pourra plus avoir lieu, même si ce propriétaire était encore en vie, parce que le reste du peuple aura été transporté en exil. » Il est stipulé dans Ézéchiel 46.17 que d’après la nouvelle constitution d’Israël, un don fait par le prince, sur son héritage, à l’un de ses serviteurs, ne devait lui appartenir que jusqu’à l’année de la libération.
Enfin, comme Œhler, Hitzig, le duc de Manchester, Ebrard, Jos. Kimchi, nous estimons que dans Ézéchiel 1.1 la trentième année, dont il est parlé ex abrupto, sans aucune détermination spéciale, doit être considérée comme la 30e année d’une période jubilaire, et que dans Ézéchiel 40.1, l’année désignée comme la 25e de la captivité et comme postérieure de 14 ans à la prise de Jérusalem, était précisément un Jubilé. Au premier jour de cette année, le dixième jour du mois, c’est-à-dire du 7e mois de l’année religieuse, au Jour des expiations, dans lequel était solennellement annoncé le Jubilé, Ezéchiel eut les visions dont le récit remplit les derniers chapitres du livre et où furent prophétisés : 1° un temple nouveau et le culte qui devait y être célébré (ch. 40 à 46), 2° un torrent d’eaux vives sortant du Temple et répandant partout la fertilité (Ézéchiel 47.1-14), 3° une nouvelle répartition du pays entre les douze tribus restaurées (Ézéchiel 47.15). Quelles visions prophétiques ! Et pour ces visions, quel jour que celui qui, pour les Juifs de l’exil, était le premier anniversaire de l’annonce du Jubilé !
Après la restauration, l’Année sabbatique fut mieux observée qu’avant l’exil ; mais il ne paraît pas en avoir été de même pour le Jubilé, bien qu’on en tint compte soit dans certains articles du droit civil, soit dans le calcul des années, et qu’un ancien ouvrage historique juif, non sans valeur, le Seder Olam, parle d’un édit d’Esdras qui en aurait enjoint la célébration. On comprend du reste qu’il fût plus facile de restaurer l’Année sabbatique que le Jubilé, et les circonstances où se trouvèrent, en général, les Juifs du retour, se prêtaient mal à cette seconde restauration.
Jusqu’ici, nous n’avons parlé du rayonnement de l’idée sabbatique que dans des sphères plus grandes que la semaine et de plus en plus vastes. Mais dans les solennités mosaïques, il se manifeste encore sous d’autres formes qui peuvent être rapidement indiquées.