Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE XXXI

Admirable attachement des Juifs à leurs lois.

(220) S'il ne s'était trouvé que notre peuple fût connu de tous les hommes, que notre obéissance volontaire aux lois fût visible, (221) et si un auteur, ayant composé lui-même une histoire, en donnait lecture aux Grecs, ou leur disait avoir rencontré quelque part, en dehors du monde connu, des hommes qui se font de Dieu une idée si sainte et, pendant de longs siècles, sont restés fidèlement attachés à de telles lois, ce serait, je pense, un étonnement général de leur part à cause de leurs continuels changements[1]. (222) Certainement nous voyons ceux qui ont tenté de rédiger une constitution et des lois analogues, accusés par les Grecs d'avoir imaginé un État chimérique, fondé, d'après eux, sur des bases impossibles. Je laisse de côté les autres philosophes qui se sont occupés de questions semblables dans leurs ouvrages. (223) Mais Platon, admiré en Grèce pour avoir excellé par la dignité de sa vie et pour avoir surpassé tous les autres philosophes par la puissance de son talent et par son éloquence persuasive, Platon ne cesse cependant d'être bafoué et tourné en ridicule[2], ou peu s'en faut, par ceux qui se donnent pour de grands politiques. (224) Cependant si l'on examinait attentivement ses lois, on trouverait qu'elles sont plus faciles que les nôtres et qu'elles se rapprochent davantage des coutumes du plus grand nombre. Platon lui-même avoue qu'il serait imprudent d'introduire la vérité sur Dieu parmi les foules déraisonnables[3]. (225) Mais les œuvres de Platon sont, dans la pensée de quelques-uns, des discours vides, des fantaisies brillantes, et le législateur qu'ils admirent le plus est Lycurgue ; tout le monde entonne les louanges de Sparte parce qu'elle est pendant très longtemps restée attachée aux règles de ce législateur. (226) Qu'on l'avoue donc : l'obéissance aux lois est une preuve de vertu ; mais que les admirateurs des Lacédémoniens comparent la durée de ce peuple[4] aux deux mille ans[5] et plus qu'a duré notre constitution. (227) En outre, qu'ils réfléchissent à ceci : les Lacédémoniens, tant que, maîtres d'eux-mêmes, ils conservèrent la liberté, jugèrent bon d'observer exactement leurs lois, mais lorsque les revers de la fortune les atteignirent, ils les oublièrent toutes ou peu s'en faut. (228) Nous, au contraire, en proie à mille calamités par suite des changements des princes qui régnèrent en Asie, même dans les périls extrêmes nous n'avons pas trahi nos lois ; et ce n'est point par paresse ou par mollesse que nous leur faisons honneur ; mais, si l'on veut y regarder, elles nous imposent des épreuves et des travaux bien plus pénibles que la prétendue fermeté prescrite aux Lacédémoniens. (229) Ceux-ci ne cultivaient point la terre, ne se fatiguaient pas dans des métiers[6], mais, libres de tout travail, brillants de santé, exerçant leur corps en vue de la beauté, ils passaient leur existence dans la ville, (230) se faisaient servir par d'autres pour tous les besoins de la vie, et recevaient d'eux leur nourriture toute prête, résolus à tout faire et à tout supporter pour obtenir ce seul résultat — bien beau et bien humain —, d'être plus forts que tous ceux contre qui ils partiraient en guerre. (231) Et ils n'y réussirent même pas, pour le dire en passant ; car, ce n'est pas seulement un citoyen isolé, mais un grand nombre ensemble qui souvent, au mépris des prescriptions de la loi, se sont rendus avec leurs armes aux ennemis[7].

[1] L'opposition entre les Juifs attachés à la tradition et les Grecs amis des nouveautés a déjà été indiquée II, § 182.

[2] Geffcken (Hermes, 1928, p 101) a rapproché l'expression de Josèphe de celle de l'auteur cité par Athénée 508 b c (suivant toute apparence Hérodicus de Babylone) : Athènes, qui a vu naître Dracon, Solon et Platon, a obéi aux deux premiers, mais n'a eu que risée pour les Lois et la République.

[3] Cette observation, qui n'est guère à sa place, paraît provenir du contexte de la source de § 169. Il est sans doute fait allusion à Timée 28 c, où Platon déclare qu'il est impossible de communiquer à tout le monde la nature véritable du démiurge.

[4] Cicéron, Pro Flacco, 63, admire les Spartiates pour être restés fidèles jusqu'à son temps aux lois reçues sept siècles auparavant. Moins hyperbolique, Plutarque fait valoir comme un exemple exceptionnel de stabilité politique que Sparte a observé pendant cinq siècles la constitution de Lycurgue sans autre changement que l'institution des éphores (Lycurgue, 30).

[5] osèphe a déjà indiqué plus haut I, § 36 que l'intervalle qui sépare son époque de celle de Moïse et d'Aaron est de deux mille ans. Ce chiffre qui excède de 200 environ celui qui résulte des données chronologiques précises disséminées dans les Antiquités et la Guerre, se retrouve chez Philon (Eusèbe, Praep. Ev., VIII, 7, 357 b) et est sans doute emprunté à la source des Hypothetica.

[6] Cf. Nicolas de Damas, fr. 114, 1 ; Elien, Var. Hist., VI, 6, etc.

[7] Allusion notamment à l'affaire de Sphactérie.

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