Nous ne pouvons nous en tenir à ce qui précède. Quel est l’événement tant soit peu important qui ne puisse étonner ceux qui en sont les témoins, qui ne soit une preuve de la puissance divine et qui ne concoure à l’accomplissement des desseins de la Providence ? Et de fait, l’A. T. emploie le mot de miracle dans un sens fort large, l’appliquant par exemple aux phénomènes de l’Océan, à la formation de l’homme, etc. (Psaumes 107.24 ; 139.15) « Je te loue de ce que je suis un étonnant miracle. Merveilleuses sont tes œuvres et mon âme le reconnaît bien ! » Hegel prétend que l’A. T. considère toutes choses à un point de vue prosaïque, qu’il ne voit jamais que les causes et les effets naturels, intelligibles, et qu’il fallait un tel milieu pour produire, par une réaction exagérée, la notion du miracle. « Dans les religions plus antiques que celle de Moïse, dit-il, en Inde, par exemple, il n’y a pas de miracles, car là il n’y a que folie ; dès le principe on y a perdu la tête. L’idée du miracle, c’est-à-dire d’une manifestation particulière de Dieu à un individu, ne pouvait se produire qu’au sein d’un peuple de sens rassis, où l’on parlait continuellement des lois naturelles et de la succession rationnelle des événements. » — Mais où donc Hegel a-t-il vu dans l’A. T. cet enchaînement perpétuel de causes et d’effets naturels ? Ce que j’y vois au contraire à tout propos, c’est bien plutôt la puissance de Dieu, c’est Dieu donnant à toutes choses la vie, envoyant ou retirant son Esprit (Psaumes 104.29-30), renouvelant la face de la terre ou emportant les deux comme un rouleau. Les miracles, dans le sens strict de ce mot, ne sont donc pas qualitativement différents de l’action générale de Dieu dans la nature et dans l’histoire. Non, ce qui distingue les miracles proprement dits des miracles dans le sens le plus large de ce mot, c’est leur but ; ils sont destinés à avancer le règne de Dieu, ce sont des apparitions ou des événements extraordinaires, par lesquels Dieu manifeste avec éclat sa grande puissance et étend son règne sur la terre. — On comprend après cela que les miracles soient considérés dans la Bible comme des manifestations de la sainteté de Dieu. Le Dieu qui est magnifique en sainteté est le Dieu qui fait des merveilles (Exode 15.11 ; Psaumes 78.14-15) : « O Dieu, ta voie est sainteté… Tu es le Dieu qui fait des miracles ! »
Les miracles répondent à leur destination et atteignent leur but par l’impression qu’ils font. « C’est ici le doigt de Dieu s s’écrie Pharaon (Exode 7.19). Mais pour cela ils doivent être annoncés, ou tout au moins accompagnés de déclarations qui montrent bien qu’ils ne sont pas l’effet du hasard. Il y a un miracle qui semble arriver à l’improviste. C’est celui de 1 Samuel 7.10. Mais en y regardant de plus près, on voit qu’au contraire ce violent orage qui éclate sur la tête des Philistins est dans un rapport intime avec la prière de Samuel. Telle est l’importance de la parole, même à côté des miracles, qu’un homme possédant un pouvoir miraculeux ne doit pas pour cela être cru comme un envoyé de Dieu : il faut le juger d’après sa doctrine (Deutéronome 13.2 et sq.). Cette importance majeure donnée à la parole était bien propre à mettre en garde contre la vaine recherche des miracles et des prodiges, et elle nous fait toucher du doigt la différence qu’il y a entre les signes de l’A. T. et les prodiges du paganisme (σήματα, τέρατα, ostenta, portenta), qui, loin d’être rendus intelligibles par des déclarations faites à l’avance, ont bien plutôt besoin des explications que les devins cherchent après coup à en donner. Tandis que les augures sondent les cieux et parcourent la terre entière à la recherche de quelque indication positive de la volonté divine, mais qu’ils ne découvrent rien et qu’ils finissent par désespérer de leur art, Israël, plus heureux, possède un guide infaillible, la Parole révélée (Deutéronome 18.9 et sq.). Interroger les morts et tout autre sorte de divination est une abomination (Lévitique 19.26,31 ; 20.27). L’astrologie est une folie (Ésaïe 47.13 ; Jérémie 10.2 et sq.).