1.[1] De nouveau les Israélites, qui n'avaient pris aucune leçon de sagesse dans leurs premiers malheurs dus à leur négligence à honorer Dieu et à obéir aux lois, avant d'avoir pu respirer un peu depuis que les Moabites les avaient asservis, tombent sous le joug de Yabin(os), roi des Chananéens[2]. Ce dernier, parti de la ville d'Asôr(os), située sur le lac Séméchônitis[3], entretenait une armée de 300.000 hoplites, de 40.000 cavaliers, et il possédait 3.000 chars[4]. Le général de ces troupes, Sisarès[5], qui était au premier rang dans la faveur du roi, fit beaucoup de mal aux Israélites qui se mesurèrent avec lui, si bien qu'il les força à leur payer tribut.
[1] Juges, IV, 1.
[2] Le Laurentianus seul a ici la leçon Iabimos, les autres mss. de Josèphe appellent le roi Abités ou Abitos.
[3] Ou lac Mérom.
[4] Ces chiffres sont à peu près les mêmes et aussi fantaisistes que plus haut (chap. I, 18). L'Écriture dit que l'ennemi possédait 900 chars de guerre.
[5] Hébreu : Sisera.
2.[6] Ils passèrent vingt ans dans cette pénible situation, incapables, quant à eux, de s'assagir dans l'adversité et Dieu voulant logiquement dompter leur insolence à cause de leur ingratitude à son égard, afin qu'à l'avenir, changeant de conduite, ils vinssent à résipiscence, sachant que ces calamités leur arrivaient pour avoir méprisé les lois. Ils supplièrent alors une certaine prophétesse appelée Débora[7] — ce nom signifie abeille dans la langue des Hébreux — de prier Dieu de les prendre en pitié et de ne pas les laisser anéantir par les Chananéens. Dieu leur promit le salut et choisit pour général Barac(os) de la tribu de Nephtali. Barac veut dire éclair dans la langue des Hébreux.
[6] Juges, IV, 3.
[7] Dans l'Écriture, Débora est plus qu'« une certaine prophétesse », elle gouverne Israël (Juges, IV, 4) et lui rend la justice.
3.[8] Débora, ayant mandé Barac, lui ordonna de choisir une troupe de 10.000 jeunes gens, puis de marcher contre les ennemis ; ce chiffre suffisait, Dieu l'avait prescrit et il avait prédit la victoire. Mais comme Barac déclarait qu'il ne conduirait pas ses troupes sans qu'elle les conduisît avec lui, elle s'indigne : « Quoi ! dit-elle, tu fais abandon à une femme de la dignité que Dieu t'accorde : eh bien ! je ne la récuserai pas ! » Alors, ayant rassemblé les 10.000 hommes, ils allèrent camper près du mont Itabyrion (Thabor).
[8] Juges, IV, 6.
4.[9] Sisarès alla à leur rencontre, sur l'ordre du roi, et ils campent non loin de leurs ennemis. Comme les Israélites et Barac, terrifiés de la multitude des ennemis, songeaient à rentrer chez eux, Débora les retint en leur ordonnant de livrer bataille le jour même ; car ils vaincraient et Dieu leur prêterait assistance. Ils en vinrent donc aux mains et pendant la mêlée survient un grand orage[10] avec force pluie et grêle ; le vent chassait la pluie sur le visage des Chananéens, leur obscurcissant la vue, de sorte que leurs arcs et leurs frondes leur devinrent inutiles : et les hoplites, glacés par le froid, ne pouvaient se servir de leurs épées. Quant aux Israélites, ils étaient moins incommodés par l'orage, qui les frappait dans le dos et ils prenaient confiance à la pensée du secours de Dieu ; aussi, se poussant au milieu de leurs ennemis, ils en massacrèrent beaucoup. Les uns pressés par les Israélites, les autres mis en désordre par leur propre cavalerie, tombèrent, de sorte que beaucoup périrent écrasés sous les chars. Mais Sisarès, ayant sauté à bas de son char dès qu'il vit la déroute commencée, prend la fuite et arrive chez une femme des Kénites nommée Yalé[11] : celle-ci accepte de le cacher comme il le désire et Sisarès ayant demandé à boire, elle lui donne du lait déjà corrompu[12]. Ayant bu trop abondamment, il tombe dans le sommeil, et Yalé, tandis qu'il dort, lui enfonce avec un marteau un clou de fer à travers la bouche et la gorge et transperce le plancher ; puis aux gens de Barac venus peu après, elle le montre cloué à terre[13]. C'est ainsi que la victoire resta, selon la prédiction de Débora[14], aux mains d'une femme ; Barac, ayant marché contre Asôr, tua Yabin[15] dans une rencontre, et, une fois le général abattu, après avoir ruiné la ville de fond en comble, il resta général des Israélites pendant quarante ans[16].
[9] Ibid., 13.
[10] La Bible n'en parle pas ; peut-être que cette partie du récit de Josèphe lui est inspirée par un verset du Cantique de Débora (Juges, V, 20) : « Les cieux ont pris part au combat ; les étoiles dans leurs orbites ont combattu avec Sisera ».
[11] Hébreu et LXX : Yaèl.
[12] L'Écriture ne dit pas que le lait fût corrompu.
[13] Dans la Bible, c'est à Barac seul qu'elle le montre (Juges, IV, 22).
[14] Juges, IV, 9.
[15] Ici les mss. de Josèphe portent Ioabinos ou Iabinos (Laurentianus : Iabimos) ; il semble que Josèphe n'ait pas reconnu l'identité de ce nom avec l'Abitos du § 1 de ce chapitre. C'est pourquoi il fait ici de Iabinos le général et non le roi des Chananéens [T. R.]
[16] Juges, V, 31. La Bible dit seulement que le pays fut en repos pendant quarante ans.