L’histoire de la littérature syriaque chrétienne se divise en trois périodes : une première période qui va de l’établissement de l’Église en Mésopotamie (vers 150) jusqu’au concile de Chalcédoine et à la rupture à la fois nestorienne et monophysite en 451 ; une seconde période qui va de cette date à la conquête par les Arabes de la Syrie et de la Babylonie en 636 ; enfin une dernière période qui comprend les temps de la domination arabe jusqu’au xiiie siècle. Nous n’avons, dans ce chapitre, qu’à nous occuper de la première.
Au iie et au iiie siècle, la littérature syriaque, en dehors des traductions bibliques, ne présente que quelques ouvrages originaux dont il a été déjà question : Diatessaron de Tatien, écrits de Bardesane, apocryphes du Nouveau Testament. Mais, au ive siècle, elle prend tout son essor avec Aphraate et saint Éphrem.
On ne sait presque rien de la vie d’Aphraate. Il dut naître vers l’an 275-285 de parents païens (?), se convertit et se fit moine. Puis, il devint évêque d’un siège qui n’est pas sûrement connu (peut-être Mar Mattaï au nord de Mossoul), mais qui se trouvait dans le royaume des Perses, comme l’indique le qualificatif de Sage de la Perse donné à son titulaire. Aphraate semble, à son ordination, avoir pris le nom de Jacques, circonstance qui l’a fait confondre plus tard par quelques écrivains avec Jacques de Nisibe. Sa mort, dont on ignore la date, est, en tout cas, postérieure à l’an 345.
Nous avons d’Aphraate vingt-trois lettres appelées quelquefois Homélies, Discours ou Démonstrations, commençant chacune par une des consonnes de l’alphabet syriaque suivant leur ordre. Les dix premières, réponses à un ami, ont été écrites en 336 et 337 ; les douze suivantes l’ont été en 343-344 ; la dernière est du mois d’août 345. Ce sont des instructions dogmatiques et surtout parénétiques sur la foi, le jeûne, la prière ; sur la résurrection, sur le Christ vrai Fils de Dieu, etc. Ce sont aussi des écrits de polémique préservatrice contre les juifs et leurs pratiques, la circoncision, le sabbat, etc… Ce sont enfin, la dernière surtout, des cris d’angoisse sur le « grand carnage de chrétiens » que faisait alors la persécution de Sapor II. Malgré leur style inexpérimenté et prolixe, leurs obscurités et leurs redites fatigantes, ces lettres sont du plus haut intérêt pour l’histoire intérieure de l’Église et du monachisme perses, aussi bien que pour celle de la théologie.
Le nom de saint Éphrem est le plus grand de ceux qui ont illustré le christianisme orthodoxe syrien. La vie de celui qui l’a porté est cependant peu exactement connue, car elle a été de bonne heure déformée par la légende. Saint Éphrem est né à Nisibe, vers l’an 306, de parents chrétiens probablement, et a été attiré jeune encore vers la vie religieuse et monastique. Estimé et honoré de la confiance de son évêque Jacques († vers 338), il paraît avoir, durant les années 338, 346 et 350 où Nisibe fut assiégée par les armées de Sapor II, rendu à ses concitoyens de notables services, en soutenant leur courage contre l’assaillant. En 363, Nisibe fut cependant, par un traité de paix, cédée au roi de Perse. Avec la masse des chrétiens de la ville, Éphrem se retira alors en territoire romain, à Édesse. C’est là qu’il passa les dix dernières années de sa vie, partagé entre l’instruction des disciples qui venaient à lui, la prédication et la composition de nombreux écrits. Il resta néanmoins toujours simple diacre. Sa mort se place en 373, probablement le 9 juin.
Écrivant surtout pour le peuple et pour les moines, saint Éphrem n’a point visé aux spéculations philosophiques ou théologiques ni creusé très avant dans le dogme. La foi qu’il expose et qu’il défend est simplement la foi de l’Église telle qu’elle l’enseigne au commun des fidèles. Mais il a mis dans ses ouvrages, et surtout dans ses exhortations morales un feu, une vivacité, une ardeur de zèle qui les rendent impressionnants et leur ont valu, dans l’antiquité, la plus grande diffusion. Ame de poète à la façon orientale, Éphrem possède une imagination riche, colorée, abondante à l’excès ; sa composition n’a rien de la régularité logique des écrits de l’Occident ; elle est entraînée par le sentiment plus qu’ordonnée par la raison ; mais, en cela même, elle répondait mieux aux habitudes d’esprit de ceux à qui ses ouvrages étaient destinés. Il n’est pas jusqu’à la prolixité de l’auteur et aux longueurs qu’on lui reproche qui ne fussent pour lui, aux yeux de ses lecteurs immédiats, un titre de gloire et un mérite. Et c’est parce qu’il a ainsi reflété parfaitement le génie syrien avec ses qualités et — nous dirions — ses défauts, que les chrétiens dont il parlait la langue l’ont toujours considéré comme leur plus grand écrivain.
Nous ne possédons pas d’édition complète et exacte des œuvres de saint Éphrem. Beaucoup de ses productions ont péri ; beaucoup d’autres, traduites en grec, en arménien, en copte, en arabe, en éthiopien, ont reçu dans ces traductions des remaniements qui en ont altéré le texte primitif. C’est même dans divers recueils qu’il faut aller chercher les écrits authentiques.
Ces écrits se divisent, au point de vue de la forme, en écrits en prose et écrits en vers ; au point de vue du contenu, en écrits exégétiques, dogmatico-polémiques, moraux et ascétiques.
I. Écrits en prose.
Si l’on met à part quelques rares discours en prose, les œuvres en prose de saint Éphrem coïncident avec ses œuvres exégétiques. Saint Éphrem avait commenté toute la Bible, sauf probablement les livres deutérocanoniques de l’Ancien Testament. De ces commentaires on n’a conservé en entier et en syriaque que ceux de la Genèse et de l’Exode (jusqu’à Exode 32.26). On possède de plus des fragments syriaques tirés de la Chaîne de Sévère d’Édesse (851-861) sur le Pentateuque, Josué, les Juges, les quatre livres des Rois, Job, tous les Prophètes. En traduction arménienne on a d’abord un commentaire sur les Paralipomènes, plus un commentaire sur le Diatessaron de Tatien, et enfin un commentaire sur les épîtres de saint Paul (l’épître à Philémon exceptée). En général, la méthode exégétique de saint Éphrem se rapproche de celle de l’école d’Antioche. Dans les commentaires elle est historique et littérale ; dans les hymnes et les discours, elle devient aisément allégorique
II. Écrits en vers.
Les autres œuvres, dogmatiques ou morales, de saint Éphrem, affectent presque toutes la forme métrique. Le vers syriaque est fondé non sur la valeur, brève ou longue, des syllabes, mais uniquement sur leur nombre. Le vers à peu près exclusivement employé par saint Éphrem est le vers de sept syllabes. Dans les discours ordinaires et les homélies ces vers se suivent simplement ; dans les hymnes proprement dites, ils sont groupés en strophes qui vont de quatre à douze vers, entremêlées parfois de strophes plus courtes qui servent de refrain. Homélies et discours poétiques (Mîmré) et Hymnes (Madrâsché, proprement instructions) peuvent d’ailleurs avoir le même objet spéculatif ou pratique : la forme seule diffère un peu.
1° Parmi les écrits à la fois dogmatiques et polémiques de saint Éphrem, il faut ranger les cinquante-six discours contre les hérésies (ii syr., 437-560), dirigés surtout contre Bardesane, Marcion et Manès ; les quatre-vingts discours Contre les scrutateurs (iii syr., 1-150), c’est-à-dire contre les hérétiques qui s’attaquaient à la Trinité ou à l’incarnation ; les sept sermons Sur la Perle ou Sur la Foi (iii syr., 150-164) et les trois encore Sur la foi (ibid., 164-208) ; le discours contre les juifs (ibid., 209-224) ; le discours De Domino nostro (sur l’incarnation, Lamy, i, 145-274) ; les quatre chants contre Julien l’Apostat et les deux discours (en prose) contre les hérétiques et les juifs (Overbeck, 1 et suiv.).
2° Aux homélies proprement dites on peut rapporter douze sermons exégétiques sur divers passages de l’Ancien Testament (ii syr., 316-395) ; douze discours sur le Paradis (iii syr., 562-598) et dix discours sur Joseph vendu par ses frères (Lamy, iii, 249-640).
3° Les discours sur les mystères de Notre-Seigneur et les panégyriques des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament forment dans l’œuvre de notre auteur une partie importante. On y trouve vingt-deux sermons sur la Nativité de Jésus-Christ (ii syr., 396-436 ; iii syr., 599 ; Lamy, i, 427-516) ; quinze discours sur l’Épipha-nie (Lamy, i, 1-144) ; quarante et un autres sur divers mystères (Lamy, passim) ; vingt discours sur la Sainte Vierge (Lamy, ii, 517-642) et d’autres encore sur les apôtres, les martyrs et les confesseurs.
4° Dans les écrits que nous venons d’énumérer, saint Éphrem n’a jamais négligé de donner aux exhortations pratiques une large place. Mais il a traité aussi exclusivement de matières morales et ascétiques dans bon nombre de discours et de chants dont quelques-uns passent pour ses meilleures compositions. Dans quatre discours, il établit les fondements de la morale en s’occupant du libre arbitre (iii syr., 359-366). Viennent ensuite toute une série de traités ou de sermons relatifs à la vie chrétienne, sacerdotale ou monastique, dans le détail desquels il serait trop long d’entrer. Entre tous il faut signaler les soixante-seize exhortations à la Pénitence (iii syr., 367-561) et les discours sur les Rogations (Lamy, 1-126). Les Carmina nisibena, ainsi nommés parce que beaucoup de ces chants en effet s’occupent de Nisibe et de son histoire, peuvent aussi, dans l’ensemble, être rangés parmi les ouvrages de morale chrétienne (Bickell).
5° Enfin on a de saint Éphrem quatre-vingt-cinq discours ou hymnes funèbres, prononcés ou chantés aux funérailles de chrétiens de tout ordre et de toute condition, évêques, prêtres, moines, simples laïques, pères et mères de famille, etc., intéressants pour la connaissance des mœurs et de la liturgie du temps (iii syr., 225-359).
L’authenticité du Testament de saint Éphrem (ii gr., 395-410) est contestée.