(Juillet et août 1527)
Évêquains et communiaires – Plaintes contre les prêtres – Une jeune fille enlevée par l’évêque – Le peuple l’oblige à la rendre – Le droit de résistance – Rixes des deux partis – Menaces du duc – Craintes de l’évêque – Il se décide à quitter Genève – Sa fuite nocturne – Il arrive à Saint-Claude – Hugues échappe au danger – Le mercenaire abandonne les brebis
Les partis prirent dès lors, dans Genève, une nouvelle forme et de nouveaux noms. Il n’y eut plus simplement, comme autrefois, les hommes de la domination étrangère, de la Savoie ; et ceux de l’indépendance, de la Suisse ; ces derniers se divisèrent. Les uns, ayant Hugues et Balard pour chefs, se déclarèrent pour l’évêque ; les autres, ayant Porral et De la Maison-Neuve à leur tête, se déclarèrent pour le peuple. Ils désiraient non seulement repousser les usurpations de la Savoie, mais aussi voir tomber dans Genève la domination temporelle de l’évêque. « Maintenant, disait Bonivard, que la première partialité (division), celle des mamelouks et des huguenots est presque finie, nous avons la seconde, celle des évêquains et des communiaires. » Ces deux partis avaient leurs hommes de sens et de poids, mais aussi leurs enfants terribles ; du côté des communiaires, de la Thoy par exemple ; et du côté des évêquains, l’homme auquel on eût le moins pensé, Pécolat. Une bizarre conversion s’était opérée dans cet ancien martyr de l’évêque ; le plaisanteur s’était rallié à la bande épiscopale. Etait-ce parce qu’il était au fond catholique et même superstitieux (il avait attribué, on s’en souvient, la guérison de sa langue à l’intervention d’un saint), ou bien parce qu’étant franc parasite, il aimait la table bien fournie des évêquains ? Nous l’ignorons. Ces bruyants compagnons, avant-garde des deux partis, avaient des rixes fréquentes. « On murmurait les uns contre les autres ; on se donnait des brocards ; on se faisait la moue. »
Toutefois cette nouvelle division signalait un pas que faisait alors ce petit peuple. Deux grands dilemmes étaient posés, qui doivent se présenter tôt ou tard dans tous les pays. Le premier était politique, et se résumait ainsi : « Faut-il accepter une domination traditionnelle qui s’est établie en foulant aux pieds des droits légitimes ? » (C’était la domination de l’évêque.) Le second était religieux, et s’exprimait de cette manière : « Que nous faut-il choisir, la papauté où l’Evangile ? » Plusieurs des communiaires, en voyant l’évêque et le duc se disputer Genève, disaient que ces deux personnages se battaient pour un bien qui n’appartenait ni à l’un ni à l’autre ; que Genève n’était qu’aux Genevois. Mais il y avait aussi parmi eux des hommes politiques, la plupart jurisconsultes, qui faisaient reposer leurs prétentions sur une base légale. Les évêques et princes de Genève devaient, selon le droit, nous l’avons vu, être élus à Genève et non à Rome, par des Genevois et non par des Romains. L’issue de la lutte n’était pas douteuse. Comment l’évêque pourrait-il tenir tête aux magistrats, aux citoyens, appuyés sur des droits positifs, et aux puissantes aspirations de liberté qui se réveillaient dans les cœurs ? Comment la doctrine romaine échapperait-elle aux grosses eaux de la Réformation ? Des scandales vinrent précipiter sa fin.
Le 12 juillet, des huguenots se présentèrent au conseil : « Les prêtres de la Madeleine, dirent-ils, tiennent une mauvaise maison, où il y a (nous ne copions pas mot à mot les registres) plusieurs femmes déréglées. » Il y avait alors, parmi les Genevois et surtout parmi les magistrats, des hommes de bon sens, qui avaient la crainte de Dieu et la confiance en Dieu dans leur cœur. Ces laïques respectables (et peut-être quelques prêtres pensaient-ils comme eux) avaient le sentiment intime que l’une des grandes fautes du moyen âge, était d’avoir eu des papes, des évêques, des prêtres, des religieux qui voulaient la religion sans la morale. Le conseil fit droit à ces plaintes en une certaine mesure. Il chassa de Genève des personnes dont le métier était de faciliter les commerces illicites ; il obligea les femmes débauchées à demeurer au lieu qui leur avait été fixé, et il fit aux prêtres de fortes remontrancesa. Le premier souffle de la Réforme dans Genève attaquait l’immoralité. Ce ne fut pourtant pas cette affaire qui porta le coup mortel à l’évêque ; ce fut un scandale donné par lui et dans sa propre maison. « La peine au pied boiteux » allait enfin atteindre le coupable.
a – Registres du Conseil du 18 juillet 1527.
Un jour, un bruit se répandit soudainement et mit toute la ville en émoi. « Une jeune fille de famille honnête, disait-on, vient d’être enlevée par les gens de l’évêque ; nous les avons vus la traîner à l’évêché ! » Ce fut une étincelle électrique qui enflamma toute la population ; les portes de l’évêché s’étaient aussitôt refermées sur la victime, et les gens de l’évêque menaçaient ceux qui la demandaient de les repousser à main forte. « L’évêque s’imagine-t-il, dirent quelques patriotes, que nous endurerons ses coups de bâton aussi facilement que les gens de Saint-Claude ! » Il paraît que La Baume se permettait de telles pratiques chez les Bourguignons, sans qu’ils le trouvassent mauvais. La mère de la jeune fille s’était élancée dans la rue, l’avait suivie d’un pas précipité et ne s’était arrêtée que devant les portes closes du palais épiscopal. Elle allait et venait autour de cette demeure, rugissant comme la lionne à laquelle on a ravi son lionceau. Les citoyens, accourus en foule devant l’évêché, s’écriaient : « Ah ! vous jetez maintenant le masque de sainteté, que vous teniez pour tromper les simples. Dans vos églises, vous baisez les pieds à Dieu, et dans votre vie vous lui crachez fièrement en la face. » Plusieurs citoyens appelaient l’évêque, le sommaient de rendre la fille à sa mère, et frappaient à la porte à coups redoublés.
Le prélat, qui dînait alors, n’entendait pas qu’on le troublât dans cette importante affaire ; embarrassé d’ailleurs sur la conduite qu’il devait suivre, il lui semblait que le mieux était de faire la sourde oreille ; il répondit à ses gens, qui lui demandaient ses ordres : « N’ouvrez pas ; » puis il porta son verre à ses lèvres et continua son repas ; mais son cœur commençait à battre. Les cris redoublaient, et chaque coup donné à la porte retentissait dans l’âme du prêtre coupable. Ses serviteurs, qui regardaient furtivement à travers les fenêtres, lui ayant annoncé que des magistrats étaient arrivés, Pierre de La Baume se leva, plus pâle que la mort, et se mit à la fenêtre. Il se fit alors un grand silence, et les syndics adressèrent à Monseigneur un discours fort pressant, mais fort respectueux. L’évêque, effrayé de la fureur populaire, répondit : « Sans doute, Messieurs, vous aurez cette jeune fille je ne l’ai fait enlever que pour un harpeur, qui me l’a demandée en récompense de ses services. » Monseigneur n’avait pas enlevé cette enfant dans l’emportement de la passion, mais pour payer les services d’un musicien. Ce n’était pas plus coupable, mais c’était plus vil. La porte de l’évêché s’ouvrit, et l’enfant fut rendue à sa mère. Michel Roset ne parle pas du harpeur, et donne à entendre que c’était bien pour lui que l’évêque l’avait prise. Ce rapt scandaleux a été le dernier acte fait dans Genève par les évêques romainsb.
b – Manuscrit de Roset, Chronol., livre II, chap. 15. — Bonivard, Chroniq., II, p. 455.
Dès lors la déchéance de l’évêque fut comme signée dans le cœur de la plupart des citoyens. « Voilà donc, disaient-ils, les actes des prêtres !… des débauches, des violences !… Au lieu de purifier les mœurs du peuple, ils travaillent à les corrompre ! Ah, ah ! Messieurs les évêquains ! belle religion que celle de votre évêque !… »
Dès lors l’opposition à un gouvernement corrompu commençait à leur apparaître un devoir. Le droit de résistance était l’un des principes de cette société du moyen âge, que quelques-uns exaltent comme un modèle de servilité. Dans la grande charte d’Angleterre, le roi ordonnait lui-même à ses sujets, pour le cas où il violerait une de leurs libertés, « de le poursuivre et molester de tout leur pouvoir, par la prise de ses châteaux, terres, possessions, et autrement. » Les vassaux pouvaient, en certains cas, se séparer tout à fait de leur suzerain. Il est vrai que tel vassal allait loin et prétendait décliner l’autorité féodale, toutes les fois, disait-il, qu'il me plaît. La loi lui répondait : « non ; mais s’il y a raisonnables causesc. » En s’affranchissant des princes-évêques, qui avaient si souvent violé les franchises et connivé avec les ennemis de la ville, Genève crut le faire pour très raisonnables causes, et ne pas sortir de la légalité. La ruine des évêques et princes de Genève, déjà préparée par leurs méfaits politiques, fut achevée par leurs débordements.
c – Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, p. 61. — Guizot, Hist. de la Civilisation en France, IV, p. 72.
Mais si les amis de la morale et de la légalité désiraient voir se rompre, par des moyens légitimes, les liens qui les unissaient à l’évêque-prince, d’autres, les plaisants et les tapageurs, aigris contre ses partisans, commencèrent à engager des rixes avec les évêquains. Un jour, les enfants de Genève, revenant d’un tir à l’oiseau, où ils avaient, dit le chroniqueur, tiré fort du pot (c’est-à dire beaucoup bu), résolurent de donner une bonne leçon à deux amis de l’évêque, Pécolat et Robert Vandel ; ce dernier, attaché personnellement alors à Pierre de La Baume, fut plus tard l’un des plus zélés patriotes. « Ils sont à Saint-Victor, dit-on ; allons les y prendre ! » La bande, tambour en tête, arriva au prieuré ; mais Bonivard informa les meneurs que les deux évêquains, l’évêque et d’autres se divertissaient à Plainpalais. Au moment où la bande arrivait, les épiscopaux rentraient en ville ; l’un des enfants de Genève, apercevant Pécolat et Vandel, s’écria : « Monseigneur, vous avez là des traîtres ! » L’évêque piqua sa mule et s’enfuit ; Pécolat mit la main à l’épée ; de la Thoy, son adversaire, fit de même, et l’on commença à charpenter ; la mêlée fut si vive, que la garde alarmée, ferma les portes de la ville ; quelques hommes sensés séparèrent les combattants. Un mouvement plus sérieux s’accomplissait au fond des esprits ; il n’y avait plus que la sécularisation et la réformation qui pussent mettre fin au mécontentement presque universeld.
d – Bonivard, Chroniq., II, p. 464.
Le duc de Savoie voulait une autre solution. Ses conseillers lui représentaient que l’évêque se déconsidérait auprès des nobles et du clergé, en voulant s’allier aux Suisses, et qu’il se perdait auprès des citoyens par sa vie peu édifiante ; que le moment était venu de donner à ces hommes remuants un berger plus fort, qui leur ôterait le goût des libertés religieuses et politiques. En conséquence, le duc fit sommer les Genevois (30 juillet) de reconnaître ses prétentions ; et ses ambassadeurs ajoutèrent que si les citoyens s’y refusaient, Charles III viendrait lui-même en bon ordre, et qu’alors ils eussent à garder leur ville s’ils le pouvaient. » Les Genevois répondirent : « Nous souffrirons plutôt la mort. » Les Bernois, informés des menaces de la Savoie, envoyèrent des ambassadeurs à Chambéry pour admonester le duc. « J’ai malveillance contre la cité, leur dit-il, et encore plus contre l’évêque, lequel j'aurai à ma volonté, qui que ce soit qui veuille me contredire. » « Faites bon guet, dirent à leur retour les ambassadeurs bernois aux syndics, car le duc se prépare à enlever l’évêque et à confisquer les libertés de la ville. » L’évêque et tous les citoyens furent alors fort agités. Hommes, femmes, enfants se mirent en mouvement. On coupait les arbres autour des murs ; on abattait les maisons ; on nivelait les jardins ; quatre bandes travaillaient aux fortifications. « Nous aimons mieux mourir en défendant notre bon droit, disaient les Genevois, que de vivre dans des craintes perpétuellese. »
e – Registres du Conseil des 30 juillet et 25 août 1527. — Journal de Balard, p. 125, 126.
Le duc, en déclarant à la fois la guerre à l’évêque et à la ville, semblait devoir les rapprocher l’un de l’autre, mais l’irritation contre l’évêque et le clergé romain ne faisait que s’accroître. Les citoyens disaient que tous les malheurs de Genève provenaient de ce qu’on y avait pour prince un évêque ; et La Baume voyait dans tout Genevois un conspirateur. Plus d’un évêque, oppresseur des libertés du peuple, était tombé, durant le moyen âge, sous les coups de bourgeois indignés. Le misérable Gaudri, par exemple, évêque de Laon, au douzième siècle, ayant foulé aux pieds les droits des citoyens, avait dû fuir leur colère, et s’était blotti dans un tonneau du cellier épiscopal. Mais il y avait été saisi, on l’avait traîné dans la rue, frappé d’un coup de hache, et couvert de pierres et de bouef. Ah ! si de bons catholiques avaient exercé une telle vengeance sur leur évêque, que feraient des huguenots ?
f – « Quot saxis quot et pulveribus corpus oppressum. » (G. de Novigento, Op., p. 507.)
La Baume avait encore d’autres craintes. Une intrigante, sa cousine, Madame de Besse, appelée ordinairement Madame de la Gruyère, gagnée par le duc, épouvantait l’évêque, en lui insinuant qu’on allait l’enlever, et que cette fois-ci sa mule même ne le sauverait pas. A peine cette dame était-elle sortie de l’évêché, que les Bernois y arrivaient, et disaient au prélat effrayé : « Hâtez-vous de partir ! car M. le duc va venir vous prendre. » Peut-être les Bernois y mettaient-ils quelque malice, voulant débarrasser la ville de son évêque. La Baume n’eut plus un moment de repos. Ses domestiques, menacés par quelques huguenots, se mirent aussi à prendre peur, et augmentèrent ainsi la frayeur de leur maître. Il passait le jour dans l’angoisse, et se réveillait au milieu de la nuit, en poussant des cris de frayeur. Souvent il prêtait l’oreille, comme s’il entendait les pas de ceux qui venaient l’enlever. Il n’hésita pas ; son séjour dans sa ville épiscopale lui était devenu insupportable. Il avait trop d’esprit pour ne pas voir que la cause de sa principauté temporelle était perdue, et pour surcroît de malheur, le seul prince qui pût le défendre se tournait contre lui. A tout prix, il partira. « De quoi l’évêque fut si marri, dit Bonivard, qu’il délibéra de se retirer de Genève, en Bourgogne. » Il se flattait d’être si tranquille au milieu de ses bons vassaux de Saint-Claude, et si heureux près de ses caves d’Arboisg !
g – Bonivard, Chroniq., II, p. 473. — Spon, Hist. de Genève, II, p. 410. — Manuscrit de Gautier.
Toutefois, ce n’était pas chose facile ; il fallait sortir de Genève, traverser le pays de Gex, et franchir la montagne du Jura, remplie de gens d’armes. Sentant le besoin de quelqu’un qui l’aidât, La Baume résolut de s’adresser à Besançon Hugues. Il lui fit demander de se rendre à l’évêché, mais de nuit, de manière à ce que personne ne s’en aperçût. Hugues arriva ; le pauvre et coupable prélat lui serra la main, et lui dit toutes ses angoisses. « Je ne puis plus endurer les torts, violences et tyrannies que Monseigneur le duc me fait, lui dit-il. Il ne pense, je le sais, qu’à m’enlever pour m’enfermer dans l’un de ses monastères. D’un autre côté, je me défie de mes sujets, car ils en veulent à ma vie. Je suis jour et nuit dans des tourments mortels. Vous seul, pouvez me sortir de cette ville, et j’espère que vous besognerez si bien, que en sera parlé… » Besançon Hugues fut touché en voyant agité et tremblant devant lui celui qu’il reconnaissait comme son seigneur- Comment refuserait-il à ce prêtre épouvanté, la faveur qu’il réclamait avec de si vives instances ?… Il quitta l’évêque en lui annonçant qu’il allait tout préparer pour une fuite nocturneh.
h – Savyon, Annales, p. 189. — Bonivard, Chroniq., II, p. 474. — Galiffe, Matériaux pour l’histoire de Genève, p. 427, 428, etc.
Dans la nuit du 1er au 2 août 1527, Hugues se rendit secrètement à l’évêché, accompagné de Michel Guillet, chef mamelouk. Le prélat reçut ses amis comme des anges libérateurs. Ils descendirent tous trois jusque dans les souterrains. La Baume fit ouvrir une porte de derrière qui conduisait dans la rue appelée maintenant de la Fontaine. Il devait descendre la rue et gagner le lac ; mais quelques-uns des terribles huguenots ne l’arrêteraient-ils pas dans sa fuite ? Il sortit furtivement de l’évêché, se plaça déguisé entre ses deux défenseurs, et saisi d’un trouble extraordinaire, il avança sans bruit. Arrivés sur le bord de l’eau, le fugitif et ses deux hommes d’escorte discernèrent, dans les ténèbres, des bateliers que Hugues avait assurés. La Baume et Besançon entrèrent dans le bateau ; Michel Guillet retourna en ville ; les bateliers saisirent leurs avirons, et traversèrent le lac à la place où le Rhône en sort. La Baume regardait tout autour de lui mais il ne voyait rien, n’entendait rien, que le bruit léger des rames. Pourtant le danger était loin d’être passé. Il se pouvait que sur la rive droite se trouvât une bande de ses ennemis… Au moment où le petit bateau atteignit le rivage, La Baume aperçut deux ou trois hommes, avec des chevaux. C’étaient des amis. Hugues et l’évêque, sans perdre un instant, montèrent en selle et partirent au galop dans la direction du Jura. Jamais le prélat n’avait mieux apprécié le bonheur d’être l’un des meilleurs cavaliers de son temps ; croyant parfois entendre derrière lui les pas des chevaux savoyards, il piquait aussitôt sa bête. L’évêque et son compagnon galopèrent ainsi toute la nuit dans dos chemins inconnus, et entourés de grands dangers, car tous les passages étaient gardés par des hommes d’armes. Le jour parut. A mesure qu’on s’éloignait, La Baume respirait plus librement. Enfin, après vingt-quatre heures de transes cruelles les voyageurs arrivèrent à Saint-Claude. Pierre de La Baume fut au comble du bonheuri.
i – Journal de Balard, p. 126. — Bonivard, Chroniq., II, 474. — Mém. d'Archéologie, II, p. 12.
Le lendemain du départ, la nouvelle de la fuite de l’évêque s’étant tout à coup répandue dans Genève, y excita une grande émotion. « Hélas ! disait-on dans les cloîtres, Monseigneur voyant les tribulations prochaines, s’est robé (dérobé) furtivement par-dessus le lac. » Les patriotes, au contraire, se réunissant en groupe sur la place publique, se réjouissaient de se voir délivrés d’un seul coup de leur évêque et de leur prince. En même temps, les soldats savoyards, réunis autour de Genève, étaient dans une grande colère ; ils y étaient restés au guet nuit et jour, et l’évêque leur avait passé comme entre les doigts. Pour se venger, ils jurèrent d’arrêter Besançon Hugues à son retour. Celui-ci, ne s’étant pas arrêté à Saint-Claude, reparut le surlendemain au point du jour, dans le pays de Gex, et s’aperçut bientôt que gentilshommes et gens d’armes allaient se mettre à la chasse après lui. En effet, on sonnait les cloches dans les villages, on ameutait les paysans, et on criait : « Sus ! sus ! au traître Besançon !… » Il semblait impossible qu’il échappât. Ayant descendu la montagne, il suivait des chemins détournés de la plaine, quand tout à coup quelques hommes armés fondent sur lui. Hugues avait un grand courage, une forte épée et un bon cheval ; passant à gué les cours d’eau, franchissant les collines, il se sauva miraculeusement, dit son ami Balardj.
j – Journal de Balard, p. 187. — Registres du Conseil du 6 août 1527. — La sœur de Tussie, p. 4.
Les Genevois étaient dans de grandes inquiétudes, car tous l’aimaient. Le tambour battit ; les compagnies se formèrent sous leurs dizeniers, et tous allaient sortir en armes pour le protéger, quand il arriva haletant, brisé, blessé. On eût voulu lui parler, surtout l’entendre ; mais Hugues, donnant à peine une poignée de main à ses amis, alla droit à sa maison, et se mit au lit ; il était anéanti. Les syndics se transportèrent dans sa chambre pour s’informer des faits dont il avait à se plaindre. Mais bientôt cet homme courageux se remit de ses fatigues, et toute la cité fut dans la joie. La fuite de l’évêque augmentait encore l’allégresse : elle rompait des liens dont on était fatigué. Le mercenaire, disait-on, abandonne les brebis, et s’enfuit quand il voit venir le loupk. » Il n’est donc pas le berger, ajoutait-on, et ce n’est pas à lui que les brebis appartiennent.
k – Jean 10.12.