… On sent aujourd’hui les tendances universalistes s’infiltrer de toutes parts, sous des formes tantôt arrêtées et positives, tantôt vagues, et indéterminées ; les principes de la théologie dominante, qui élève sur l’amour divin le christianisme théorique et pratique, en laissant la justice sur le second plan, portent les esprits dans cette direction. Mais on sent aussi, ce me semble, qu’en amortissant les terreurs de l’éternité, ces idées amortissent à proportion les terreurs du péché. Sans nier ni l’existence future, ni la loi de rétribution, comme on l’a fait un moment sous l’empire de la philosophie de l’absolu, on prolonge l’épreuve, à des titres et à des degrés divers, on fait de l’autre monde quelque chose de semblable à ce monde-ci, on s’y figure le même mélange de bien et de mal, avec cette différence que le mal y sera plus sûrement surmonté par le bien. Et l’on s’endort là-dessus ; l’espérance bannit la crainte et engendre la sécurité. Disposition fatale, qui se trompe ou s’ignore elle-même, mais contre laquelle il importe d’armer la vigilance chrétienne…
Nous ne pouvons pas plus savoir a priori ce que sera le monde futur que nous n’aurions pu savoir ce qu’est le monde actuel. Nous aurions certainement banni de ce monde-ci le mal physique et le mal moral si, avant la création, nous eussions été appelés à juger l’œuvre du Dieu saint et bon.
Nous ne connaissons réellement des mystères du Royaume des Cieux que ce qu’il a plu à Dieu de nous en révéler. Vouloir aller au-delà, c’est nous exposer à mêler à la vérité divine, non seulement de vaines conjectures, mais de graves et pernicieuses erreurs. Tenons-nous donc simplement à ce qui est écrit, et, dans ce qui est écrit, aux grands faits sur lesquels tout se concentre : la seconde venue de Jésus-Christ, la résurrection, le jugement, les rétributions éternelles. Voilà ce qui domine l’Eschatologie biblique, ce qui a été l’objet constant de la foi, ce qui se rencontre partout au fond comme à la surface de l’enseignement sacré, ce qui doit être tenu pour certain par le croyant, quoiqu’il y reste bien des obscurités, parce que nous ne voyons qu’en partie, à travers le symbolisme prophétique. Mais quant aux faits eux-mêmes, on ne saurait les arracher de l’Écriture que par des procédés arbitraires que réprouve la science aussi bien que la piété. La théologie et la prédication doivent les maintenir fermement à la place que leur font les Livres saints…
Si l’Évangile est la Parole de Dieu, nous devons recevoir docilement ce qu’il nous révèle du plan de la justice comme de celui de la miséricorde, de l’œuvre de la rétribution comme de celle de la rédemption… Quant à ces redoutables suites du jugement qu’il tient sans cesse en perspective, souvenons-nous que le Juge, c’est le Rédempteur. Fions-nous à l’équité parfaite qui présidera à ces grandes Assises de l’Univers, et qui tiendra compte même d’un verre d’eau froide, donné dans un vrai sentiment de piété et de charité.