On nous oppose que les anges députés par le Créateur auprès d’Abraham et de Loth, se sont présentés à eux sous les apparences d’une chair fantastique, et, malgré cette illusion, n’ont pas laissé de parler, de manger, et d’exécuter les ordres qu’ils avaient reçus, comme s’ils eussent été des hommes réels.
A cela, que répondre ? D’abord nous défendons à Marcion de citer pour la défense de son dieu les exemples d’un Dieu qu’il diffame. Plus il exalte la bonté et la perfection de son idole, moins il lui conviendra de ressembler au Créateur, sur lequel elle ne peut avoir l’avantage de la perfection et de la bonté, sans se montrer complètement différente. Qu’il le sache bien ensuite. Nous sommes loin de lui accorder que les anges aient eu une chaire illusoire ; leur substance était aussi entière et aussi réelle que la nôtre. En effet, s’il ne fut pas plus difficile au Christ d’adapter à une chair illusoire des sens et des actes réels, il lui en coûta bien moins encore de donner à des affections et à des actes véritables, une substance et des organes qui le fussent aussi, d’autant plus qu’il en était le véritable auteur. Que ton Dieu, inhabile à produire la réalité, s’en dédommage par des fantômes, je le comprends. Il n’a jamais produit de chair. Mais mon Dieu qui pétrit la boue, et la convertit eu cette substance sans l’union conjugale, boue devenue chair vivante, a pu bâtir pour ses anges une maison de chair, n’importe la matière dont il la façonna. N’est-ce pas lui qui créa de rien et d’un seul mot, ce monde, avec ses milliers de corps si merveilleux et si divers ?
D’ailleurs, si ton Dieu promet aux hommes de les revêtir un jour de la véritable substance angélique : « Et ils seront comme les anges dans le ciel ; » pourquoi le mien n’aura-t-il pas la faculté de communiquer à des anges la réalité de la substance humaine ? Où l’a-t-il prise ? La question n’est pas là. M’expliqueras-tu d’où vient dans ton système la substance angélique ? Il me suffit donc d’établir ici la réalité d’une substance qu’il a soumise à la déposition de trois témoins, la vue, l’ouïe, le toucher. Il est plus difficile à Dieu de nous tromper que d’organiser une chair véritable par tel ou tel moyen, même en dehors des voies ordinaires de la naissance.
— « Pour que la substance des anges fût véritablement humaine, ajoutent d’autres hérétiques, elle aurait dû provenir de la chair. »
Ici, nous distinguons à bon droit. Véritablement humaine, oui ! Transmise pas la naissance ! non. Véritablement humaine ! Ainsi le veut la vérité d’un Dieu inaccessible à la supercherie et au mensonge. En second lieu, les anges pouvaient-ils être traités en hommes, par des hommes, à moins d’avoir la substance humaine ? Non transmise par la naissance ! Au Christ seul il appartenait de s’incarner par la chair, afin de réformer notre naissance par la sienne, de briser notre mort par sa mort, en ressuscitant dans une chair où il avait voulu naître, afin de pouvoir mourir. Aussi apparut-il alors avec les anges chez Abraham, dans la réalité de sa chair, il est vrai, mais d’une chair qui n’était point encore née, parce qu’elle n’avait point encore à mourir, mais qui faisait l’essai de la vie humaine. Voilà pourquoi, n’étant pas destinés à mourir pour nous, les anges n’avaient pas besoin de demander à la naissance l’usage passager d’une chair qu’ils ne devaient pas déposer par la mort. Mais quelle que fût la manière dont ils revêtaient ou dépouillaient, cette substance, elle ne fut chez eux ni une illusion, ni un mensonge. « Si les messagers du Créateur sont des esprits, et ses ministres une flamme ardente, » esprits réels, flamme réelle, le même Créateur ne pourra-t-il pas leur façonner à son gré une chair véritable, afin que nous confondions en ce moment l’hérésie, en lui rappelant que la puissance qui promet aux hommes de les transformer un jour en anges, est la même qui revêtit autrefois les anges de la substance humaine ?