1. Les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens ne représentent nullement un deutéro-paulinisme, selon le terme employé à cette heure, par lequel les disciples de l’apôtre auraient, après sa mort, cherché à compléter son enseignement et à l’adapter aux nouveaux besoins de l’Église. Elles ne constituent pas non plus un progrès de sa pensée, en vertu duquel il aurait lui-même tenté de couronner par un essai de métaphysique chrétienne la simple prédication du salut qui l’avait seule préoccupé jusqu’à ce moment. Les enseignements que contiennent ces lettres mettent en lumière un côté essentiel et nécessaire du salut divin qu’il avait reçu d’En-haut la mission de prêcher au monde.
L’apôtre avait parlé lui-même dans ses lettres précédentes d’une viande spirituelle, destinée aux hommes faits seulement, et que par cette raison il avait dû renoncer à présenter aux Corinthiens à cause de l’état d’enfance dont ils n’étaient pas encore sortis. Il n’avait pu leur offrir que le lait de la Parole. Il désigne par ce terme (1 Corinthiens 2.2) la prédication du Christ et du Christ comme crucifié, du Christ qui n’a point connu le péché et qui a été fait péché pour nous, du Christ dans la mort duquel nous trouvons par la foi la justice devant Dieu dont nous sommes privés, et la pleine réconciliation avec lui. C’était là le lait dont il avait nourri la foi naissante des Corinthiens : qu’entendait-il par la viande qu’il leur aurait donnée plus tard, si leur croissance se fût opérée d’une manière normale ? Les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens nous l’apprennent. Après que le croyant a trouvé la justification par la foi au Christ, crucifié pour lui, et que le fondement du salut personnel a été ainsi posé chez lui, une nouvelle œuvre divine doit commencer, complément de la première et sans laquelle celle-ci avorterait bientôt comme une plante qui n’a pas réalisé son développement normal.
Cette œuvre nouvelle, qui seule accomplit et assure le salut, c’est la substitution de la sainte vie de Christ à la nôtre corrompue. C’est ici un côté du salut que ceux qui se nomment chrétiens oublient fréquemment. Il a été en quelque mesure méconnu par le Réveil qui, dans la première partie de ce siècle, a opéré un si bienfaisant renouvellement dans l’Église. On se figure que la sanctification doit suivre, comme d’elle-même, la justification, qu’il suffit pour cela du sentiment de reconnaissance du fidèle pour la grâce du pardon qu’il a reçue. Paul met en relief dans nos deux épîtres la vraie pensée de Dieu à cet égard. Christ, le Christ vivant, glorifié, celui en qui habite la plénitude de la divinité, c’est lui qui doit venir habiter dans notre cœur justifié, faire par là habiter en nous la plénitude de Dieu et opérer ainsi l’œuvre de notre sanctification. Il est, dit Paul lui-même 1 Corinthiens 1.30, notre sainteté aussi bien que notre justice. Et ce qu’il fait pour l’individu, il le fait par là même pour le corps entier.
Ce n’est pas là une conclusion de la logique humaine tirée par Paul en suivant le fil de sa propre spéculation ; c’est la pensée de Dieu lui-même prédécrétant avant les siècles, comme dit saint Paul, le plan du salut pour notre gloire (1 Corinthiens 2.7). Sans ce couronnement (l’œuvre de Christ en nous), le salut divin ressemblerait à cette tour commencée et restée inachevée, dont Jésus a une fois parlé à ses disciples. Qu’on relise Romains 5.9-10, où la participation à la vie du Christ est expressément indiquée comme devant compléter l’imputation de sa mort pour nous mettre à l’abri de la colère, et Galates 2.20, où l’apôtre parle du Christ vivant dont la vie a remplacé la sienne propre, et l’on comprendra qu’en écrivant nos deux épîtres l’apôtre n’obéissait pas à une fantaisie de son esprit spéculatif, mais qu’il présentait aux églises d’Asie un élément intégrant du salut, dont leurs besoins spirituels appelaient en ce moment la consignation écrite et développée.
2. Je n’ai pas cru nécessaire, dans le cours de cette étude, de m’arrêter à une circonstance à laquelle on a attaché quelque importance dans ces derniers temps, l’emploi de certaines expressions qui paraissent faire allusion aux mystères helléniques (μυστήριον, τέλειοι, φωτίζειν etc). Je ne vois pas en vérité pourquoi l’apôtre Paul n’aurait pas connu l’existence de ces rites antiques qui jouaient un si grand rôle dans la vie grecque, et je ne comprends pas pourquoi l’on ne pourrait pas admettre qu’il a voulu montrer par ces allusions, ainsi qu’il l’a fait à Athènes, dans son appel au Dieu inconnu, que l’Évangile possède en réalité tout ce dont le monde n’a que des pressentiments ou des caricatures.
3. J’ai fait remarquer la relation qui existe entre les grandes épîtres du troisième voyage, relation nullement intentionnelle, mais qui en fait une espèce de trilogie. Une relation analogue nous frappe entre les trois épîtres que nous venons d’étudier. Le rapport entre les deux plus grandes saute aux yeux : la divine souveraineté de la tête, la sublime beauté du corps, voilà deux thèmes corrélatifs, qui font des deux écrits dans lesquels ils sont traités une paire inséparable. Et quant à la troisième lettre, plus petite, ne prend-elle pas, comme accidentellement, place à côté des deux premières, en faisant ressortir la noblesse de chacun des membres du corps, fût-il même le moindre d’entre eux ?
Ces trois épîtres sont comme le déploiement sous toutes ses faces de la richesse renfermée dans ce mot de Jésus : Moi, le cep ; vous, les sarments.