(Août 1527 à février 1528)
Le duc veut gagner l’évêque – L’État de Genève se constitue – Les armes ducales tombent à Genève – Excommunication contre Genève – Genève interdit toute bulle du pape – Convoi funèbre de la papauté – Plaintes des prêtres – On veut enlever Saint-Victor à Bonivard – Bonivard sur l’excommunication – Le duc réclame autorité dans la foi – Réponse décidée des Genevois – Verte réprimande du duc aux chanoines – Intention de Charles
Le loup c’était le duc de Savoie. Quand il apprit la fuite de l’évêque, son dépit dépassa tout ce qu’on peut imaginer. Ce prince avait dit aux Bernois : « J’aurai Monsieur de Genève à ma volontél, » et voilà que le rusé prélat lui échappait une seconde fois. Charles III ne fut pas d’abord maître de lui-même ! Je m’en vais, dit-il, le faire transporter de là les monts (à Turin) la corde au cou ! » Puis il lui écrivit : « Je vous ferai le prêtre le plus pauvre de Savoie, » et voulant satisfaire sa rage il s’empara des abbayes de Suze et de Pignerol, qui appartenaient à La Baume. Peu à peu ses accès de violence diminuèrent ; les conseillers du duc connaissant l’esprit irrésolu et timide du prélat dirent à leur maître : « Il est d’un esprit si changeantm, qu’il sera facile de le remettre du côté savoyard. » Le prince se rendit à ces conseils, et envoya à l’évêque le châtelain de l’Ile, Ducis, pour le gagner. Il semblait aux conseillers ducaux que Pierre de La Baume s’étant enfui de Genève, ne pourrait jamais y revenir, et n’en aurait même aucune envie ; que le moment était venu où une négociation, favorable du reste au prélat, pourrait mettre le duc en possession d’une ville, dont il voulait à tout prix interdire l’entrée à l’hérésie et à la liberté.
l – « Que qui en volisse contredire, » avait-il ajouté. (Journal de Balard, p. 124.)
m – Hist. de Genève, manuscrit du dix-septième siècle. — Bibliothèque de Berne, Hist. helvét., V, p. 12.
L’évêque, alors fort abattu, fut louché de ces avances ; il envoya au prince un agent, et la paix parut sur le point de se conclure. Mais Charles avait prononcé un mot qui sonnait mal aux oreilles du prélat. Le duc, écrivait La Baume à Hugues, veut que je me signe son sujet… Je pense à quelle fin… C’est pour, puis après, m’empoigner au collet. » Toutefois, le duc parut se modérer. « Je vous rends tous vos bénéfices, dit-il à l’évêque, si vous faites casser l’alliance de Genève avec les Suisses. » La Baume consentit à tout pour obtenir la main levée de ses abbayes, dont la confiscation faisait une large brèche à ses revenus. Il ne se souciait guère de résider à Genève ; mais il voulait être à son aise en Bourgogne. Dans ce moment, où le duc et les Genevois le laissaient tranquille, il jouissait délicieusement de son repos. Au lieu de se trouver sans cesse en présence des huguenots, des mamelouks, il se promenait tranquillement dans son jardin, au milieu des œillets et des giroflées. Il se faisait préparer pour l’hiver de belles fourrures, doublées de satin noir ; il faisait bonne chère, et s’écriait : « Je suis ici beaucoup mieux garni de bons vins, que nous ne le sommes à Genèven. »
n – Galiffe, Matériaux pour l’histoire de Genève, II, p. 424 à 475. — Mém. d'Archéologie, II, p. 14, 15.
L’évêque, s’étant enfui de son évêché, comme un mercenaire ; le prince, s’étant sauvé de sa principauté, comme un conspirateur, les citoyens résolurent de pourvoir à l’ordre dans l’État, et de rendre sa constitution à la fois plus indépendante et plus forte. Le conseil général délégua aux trois conseils des Vingt-Cinq, des Soixante et des Deux-Cents le droit de prendre les résolutions nécessaires, sauf dans les affaires capitales qui demanderaient la convocation du peuple. On établit de plus un conseil secret, composé des quatre syndics et de six des plus dévoués huguenots. Un historien distingué dit que la constitution genevoise fut alors rendue démocratiqueo ; un autre écrivain affirme au contraire que l’on affaiblit le pouvoir du peuplep. Nous ne pensons pas comme eux. A mesure que Genève repoussait les usurpations étrangères, il devait se fortifier dans sa constitution intérieure. Sans doute, ce petit peuple voulait être libre, et la Réformation devait conserver ses libertés ; il y a une démocratie dans la Réforme. La philosophie, qui se contente d’un petit nombre de disciples, n’a jamais formé qu’une aristocratie intellectuelle ; mais le christianisme évangélique, qui s’adresse à toutes les classes et aux petits en particulier, développe les intelligences, réveille les consciences, sanctifie les cœurs de ceux qui le reçoivent, répand ainsi partout la lumière, l’ordre, la paix, et forme sur la terre une vraie démocratie, bien différente de celle qui se passe de Christ et de Dieu. Mais Genève, entouré alors d’ennemis implacables, avait besoin pour vivre, non seulement de liberté, mais d’ordre, de force, et par conséquent d’autorité.
o – Mignet, Réforme à Genève, p. 34.
p – James Fazy, Hist. de la République de Genève, p. 158.
A peine l’évêque avait-il disparu de Genève, que les symboles de la puissance ducale en disparaissaient pareillement. Huit ans auparavant, Charles III avait fait placer sur le château de l’Ile la croix blanche de Savoie, gravée sur une pierre de marbre, « ce dont les amateurs de liberté avaient été fort tristes. » « J’ai placé mes armes au milieu de la ville en signe de souveraineté, disait-il fièrement, et je les ai fait graver sur pierre dure ; qu’ils les effacent s’ils le peuvent ! » Le 6 août au matin (cinq jours après la fuite du prélat), des gens qui passaient près du château s’aperçoivent, à leur grand étonnement, que les armes ducales sont tombées… Il se forme de nombreux attroupements ; de vifs débats se soulèvent. Qui l’a fait ? dit-on. « Oh ! répondaient quelques-uns, la pierre est tombée d’elle-même dans le fleuve ; » mais quoique l’eau fût très limpide, nul ne pouvait l’y découvrir. « C’est vous, disaient aux huguenots les ducaux, et vous l’avez cachée quelque part. » Bonivard, pensif au milieu des groupes, rompit le silence et dit : « Je connais le coupable. — Qui est-ce ! s’écria-t-on. — Monsieur saint Pierre, répondit-il. Étant patron de Genève, il ne veut pas qu’un prince séculier ait marque de règne en sa cité ! » Cet accident, dont on ne connut jamais les auteurs, faisait une grande impression, et les plus sérieux s’écriaient : « Certes, c’est un signe visible, qui nous annonce une décision secrète et mystérieuse du Très-Haut. Ce que la main de Dieu a renversé, qu’aucune main d’homme ne le relèveq ! »
q – Journal de Balard, p. 127. — Manuscrit de Roset, Chronol., livre II, chap. 20. — Bonivard, Chroniq., II, p. 448. — Manuscrit de Gautier.
Les Genevois ne voulaient pas du duc, ne voulaient pas de l’évêque ; ils allaient plus loin encore ; et tracassés par la cour de Rome, ils allaient montrer qu’ils ne se souciaient pas du pape. Ils s’entretenaient encore de la fuite de La Baume et de l’écusson de Savoie, quand ils apprirent une nouvelle étrange. Le bruit se répandit que l’excommunication et l’interdit avaient été prononcés contre eux, à la requête des mamelouks. Ceci émut fort les citoyens encore attachés aux rites du catholicisme. « Quoi ! disaient-ils, les prêtres seront suspendus de leurs fonctions, le peuple sera privé de l’usage des sacrements, du service divin, de la sépulture ecclésiastique… les coupables et les innocents seront enveloppés dans une même misère… » Mais l’énergie des huguenots, que de longs combats avaient trempés comme l’acier, ne devait pas être affaiblie par cette nouvelle attaque. Les plus décidés résolurent de faire tourner contre Rome la mesure complotée contre Genève. Le conseil voulant empêcher que l’excommunication ne fut affichée dans les ruesr, ordonna « qu’on fît grand guet au pont d’Arve, vers Saint-Victor, vers Saint-Léger, qu’on fermât de bonne heure les portes et qu’on les ouvrît tard. » Ce n’était pas assez. Cinq jours après (29 décembre 1527), le peuple, légitimement assemblé, se fit lire à haute voix la Bulle d'or, laquelle portait qu’outre l’Empereur et l’évêque, il n’y avait aucune autorité dans Genève. Puis une proposition hardie fut faite au conseil général, savoir « que non seulement des lettres métropolitaines, mais encore aucune lettre apostolique (c’est-à-dire aucune ordonnance émanée de la cour des papes), ne fussent jamais exécutées par aucun prêtre, ni par aucun citoyen. — Oui ! » s’écria-t-on de toutes parts. Il paraît que la votation fut presque unanime. Ainsi l’évêque des bords du Tibre trouvait sur les rives ignorées du Léman des hommes prêts à lui résister.
r – Registres du Conseil des 24 et 29 décembre 1527. — Bonivard, Chroniq., II, p. 473, 474. — Manuscrit de Gautier. — Journal de Balard, p. 140.
Ce vote alarmait quelques esprits d’une tendance traditionnelle, quelques âmes timides. Les hommes du statu quo conjuraient les hommes d’initiative de s’arrêter. Mais ceux-ci n’en avaient nulle envie. Ils répondaient que la Réformation triomphait chez les Suisses ; que Zwingle, Œcolampade, Haller prêchaient avec toujours plus de succès à Zurich, à Bâle, à Berne ; que le 7 janvier 1528, la fameuse dispute avait commencé dans cette dernière ville et que la victoire était restée à la sainte Écriture ; que les autels et les images, « le populaire le voulant, » avaient été jetés bas ; qu’un culte spirituel leur avait été substitué et que tous, jusqu’aux, enfants de quatorze ans, avaient juré d’observer « la loi luthérienne. » Les huguenots pensaient que si l’excommunication leur venait de Rome, l’absolution leur viendrait de Berne… ou plutôt du ciel.
Les plus gais d’entre eux firent plus. L’Église romaine avait, depuis des siècles, formé ses adhérents à unir les mascarades aux souvenirs les plus sacrés. Il y avait eu, dans quelques cantons, de grandes réjouissances pour l’abolition de la messe. Un tel feu ne pouvait être allumé en Suisse sans jeter sur Genève quelques étincelles. Baudichon de la Maison-Neuve, grand ennemi de la superstition, homme vif, turbulent même, hardi à tout entreprendre, résolut d’organiser le convoi funèbre de la papauté. Il attaquera Rome avec les armes que le carnaval romain lui fournit ; il arrangera une grande procession. Tandis que les hommes sérieux lisaient la lettre de Dieu (l’Évangile), qui les absolvait de l’excommunication de son prétendu vicaire, les étourdis étaient dans une grande agitation ; ils s’accoutraient dans les maisons de la plus étrange manière ; ils se déguisaient qui en prêtre, qui en chanoine, qui en religieux ; ils sortaient, s’assemblaient, s’alignaient, et bientôt ils défilaient dans les rues de la cité. Il y avait des moines blancs, des moines gris, des moines noirs ; de gras chanoines, de maigres chapelains. L’un mendiait, l’autre chantait ; celui-ci se donnait la discipline, celui-là se prélassait ; un tel tenait un cilice à la main, et tel autre une bouteille. Quelques-uns se livraient à des actes d’une bouffonnerie outrée ; il y en eut même qui, pour imiter plus complètement les moines, allèrent jusqu’à prendre quelques libertés avec les femmes rangées en haie pour les voir, et quand un gros religieux faisait ainsi quelque mouvement burlesque, les applaudissements éclataient et la foule s’écriait : « Ils en font bien d’autres, vraiment ! » En effet, la réalité était encore plus coupable que la parodie. En voyant cette procession tumultueuse, en entendant des chants lugubres, mêlés de bruyants éclats de rire, chacun se disait que la papauté s’en allait, et chantait son De profundis.
Les prêtres prirent cette affaire en fort mauvaise part, et à peine la procession était-elle finie que, rouges de colère, ils coururent se plaindre aux syndics de « la division faite contre eux par Baudichon et par d’autres. » Les syndics renvoyèrent la plainte au conseil épiscopal, et celui-ci fit une sévère remontrance aux coupables. Mais De la Maison-Neuve et ses amis se retirèrent, bien convaincus que les prêtres avaient tort, et que c’était à eux que la victoire demeureraits.
s – Registres du Conseil des 15 et 17 janvier 1528. — Journal de Balard, p. 146. — Manuscrit de Gautier.
On commençait donc, dans Genève, à estimer à sa juste valeur une excommunication cléricale. Personne n’en savait plus sur ce sujet que Bonivard, et il catéchisait sur ce texte difficile ses meilleurs amis. De leur nombre était François Favre, caractère ardent, esprit prompt, de mœurs un peu mondaines, mais bon citoyen et huguenot décidé. Favre devait un jour, dans une occasion (célèbre, être à la tête des libérateurs de Bonivard. Il venait quelquefois au prieuré, y trouvait d’ordinaire Robert Vandel, homme moins décidé que ses deux amis et qui ménageait encore l’évêque, mais qui était au fond l’un des esprits les plus indépendants, et que Bonivard avait fait châtelain des terres de Saint-Victor.
Ces Genevois et d’autres continuaient les conversations que Bonivard avait eues jadis, dans la même chambre, à la même table, avec Berthelier. Ils parlaient de Berne, de Genève, de la Suisse, de la Réformation, de l’excommunication. Bonivard trouva bientôt une occasion spéciale d’éclairer ses amis sur les actes du sacerdoce romain.
Il n’y avait personne dans Genève que le parti papal détestât plus que lui. Les ultramontains comprenaient encore que des légistes, des citoyens s’opposassent au clergé ; mais un prieur !… Ses ennemis formèrent donc le projet de s’emparer des terres de Saint-Victor et de chasser Bonivard du monastère. Les huguenots l’ayant appris, épousèrent vivement sa cause, et le conseil même lui donna, pour se défendre, le 20 janvier 1528, six arquebuses avec six livres de poudre. C’étaient des armes peu monastiques ; mais le bouillant Favre, qui était accouru, offrait son cœur et son bras ; et, à dire vrai, Bonivard, au besoin, aurait fort bien su bander l’arquebuse et mettre feu. Il eut recours pourtant à d’autres défenseurs ; il résolut d’aller plaider sa cause auprès des Ligues. Mais ceci même n’était pas sans danger, car les agents ducaux pouvaient l’enlever en route ; il en fit lui-même l’expérience. Favre, toujours prompt à aller où il y avait quelque danger à courir, offrit d’aller à Berne. Vandel devrait s’y rendre en sa qualité de châtelain de Saint-Victor ; ils partirent. Arrivés dans un village dit pays de Vaud, les trois huguenots descendirent de cheval et se mirent à se promener tandis que leurs coursiers mangeaient l’avoine. Bonivard, du haut de son cheval, avait remarqué de grandes affiches sur les portes des églises ; curieux de savoir ce que c’était, il s’approcha. Aussitôt il appela ses amis : « Venez, leur dit-il, ce sont des pièces curieuses, des lettres d’excommunication. » Il se mit en devoir de les lire. Mais l’un de ses deux compagnons s’écria : « Arrêtez ! car dès que vous les aurez lues, vous vous trouverez par là même excommunié ! » Ce bon huguenot s’imaginait que le mieux était de ne pas prendre connaissance de tels anathèmes et d’agir alors comme si l’excommunication n’existait pas ; ce qu’on ne pouvait faire si on l’avait lue. Bonivard, homme de grand sens, profita de l’occasion pour faire comprendre à ses amis ce que vaut l’excommunication des hommes. « Si vous avez fait ce qui est mal, leur dit-il, Dieu lui-même vous excommunie ; mais si vous avez agi justement, l’excommunication des prêtres ne peut vous faire aucun tort. Il n’y a qu’un tribunal duquel la conscience relève, celui du ciel. Le pape et le diable ne nuisent qu’à ceux qui les craignent. Faites donc ce qui est bon, et ne craignez rien. Les foudres qu’ils lanceront contre vous se perdront dans les airs. » Puis il ajouta en souriant : « Si le pape ou le métropolitain de Vienne vous excommunient, le pape Berthold de Berne vous absoudrat. » On répétait dans Genève les propos de Bonivard, et les excommunications papales y perdaient chaque jour leur crédit.
t – « Hominum anathemata a Bertholdo papa facile solvenda. » (Spanheim, Geneva restituta, p. 35.)
Ceci devenait alarmant ; les officiers épiscopaux en informèrent l’évêque ; mais le prélat, qui faisait bonne chère dans ses bénéfices de Bourgogne, écartait tout ce qui pouvait troubler ses repas et son repos. Il n’en fut pas de même du duc et de ses ministres. Ce prince ne se contentait plus d’ambitionner la puissance temporelle du prélat ; le regardant déjà comme déchu de ses droits, il se faisait évêque à sa place, presque pape. Le cabinet de Turin se disait que si aux principes de liberté politique venaient se joindre ceux de liberté religieuse, Genève tenterait de réformer la Savoie, par des conversations, des lettres, des livres, des missionnaires. Charles envoya donc au conseil un message qui fut lu dans les Deux-Cents, le 7 février. « J’apprends, disait ce prince, que la secte des luthériens se répand parmi vous… Hâtez-vous de prévenir les ravages de cette peste, et pour cela, envoyez-moi le 17 février deux hommes chargés par vous de ouïr des choses fort nécessaires, concernant mon autorité pour la foi. »
Que répondraient les Genevois ? Si un évêque se fait prince, pourquoi un prince ne se ferait-il pas évêque ? La confusion des deux sociétés est une source de continuelles perturbations. Le christianisme ne peut tolérer ni des césars qui soient papes, ni des papes qui soient césars. Et pourtant l’ambition pousse toujours à cette union de ces inconciliables pouvoirs. Le duc ne prétendait pas abolir définitivement le pouvoir épiscopal et s’en emparer ; mais il voulait profiter de la fuite de l’évêque pour acquérir une influence qu’il saurait bien conserver, quand la dignité épiscopale aurait été restaurée. Il parlait donc, comme un pontife romain… de son autorité pour la foi.
« Vraiment, dit le conseil, nous avons assez et trop d’un pape, et ne nous soucions pas d’en avoir deux, — un à Rome et l’autre à nos portes ! » — Les citoyens étaient si irrités de cette étrange prétention de Charles, qu’on ne mit point à la réponse les formes voulues. « On n’écrira point au duc, dirent les syndics, on ne lui députera personne, attendu que nous ne sommes pas ses sujets… mais on dira seulement au porteur de la lettre que nous nous conduisons très bien, et que le duc n’ayant pas charge de nous corriger, doit se mêler de ses affaires. » Tel est l’arrêté que porte le registre de ce jour. Quant à La Baume, le pauvre prélat qui ne s’occupait beaucoup ni du pape ni du luthéranisme, écrivit le même jour aux Genevois qu’il leur permettait de « manger du laitage au carême prochain. » Cette permission culinaire rentrait dans sa sphère, et ce fut la plus importante missive de l’évêque en ce temps-làu.
u – Registres du Conseil du 7 février 1528. — Journal de Balard, p 147.
Le conseil épiscopal ayant appris la réponse des syndics, fut dans un grand émoi. Il la trouvait rude, inconvenante ; il tremblait que Charles ne le confondît avec ces bourgeois arrogants. Il députa donc au duc, pour l’apaiser, l’un des plus notables d’entre les chanoines, M. de Veigy. Le révérend père partit ; pendant le chemin, tantôt il craignait la colère de Charles…, tantôt il jouissait à l’avance des politesses que la cour ducale ne pouvait manquer de lui faire. Mais à peine étant introduit auprès du duc, avait-il fait une profonde révérence, que l’évêque de Belley, placé à gauche de Son Altesse, et chargé d’être l’interprète de ses sentiments, l’apostropha brusquement, l’appela traître, huguenot…, l’outragea comme De la Thoy eût pu le faire. Mais ces injures n’étaient rien en comparaison de la colère de Charles ; il ne put se contenir, prit la parole, annonça les terribles projets qu’il avait formés contre Genève, déclara vouloir réduire en cendres cette ville indomptable, et finit en disant : « Si vous n’en sortez, vous serez brûlé dedans avec tous les autres… » Le pauvre chanoine s’efforça d’apaiser Son Altesse : « Ah ! Monseigneur, lui dit-il, je n’y resterai pas ; moi et tous les chanoines qui sommes encore dans la ville, nous allons l’évacuer ! » Pourtant, de Veigy aimait le séjour de Genève et pensait que celui d’Annecy devait être d’un ennui mortel. Aussi, de retour dans la ville, oublia-t-il ses terreurs et ses promesses. Alors il reçut de Charles III ce court message : « Commandement, sous peine de la vie, de sortir de Genève dans six jours. » — Il en sortit le 3e de mars, et à gros regrets, » ajoute Balard. Charles, avant de brûler la ville, voulait mettre les chanoines en sûretév.
v – Registres du Conseil du 7 février et du 3 mars 1528. — Journal de Balard, p. 147, 149.