Homilétique

2.2 Pureté, correction, propriété, précision.

Ces différentes qualités, et plus évidemment les deux dernières que les deux premières, sont les succursales de la clarté. C’est par leur rapport à la clarté du style que la pureté et la correction sont surtout, recommandables.

La correction n’est qu’une branche de la pureté. Toutes deux consistent dans un respect rigoureux pour les conventions du langage, [l’une en ce qui concerne les mots, l’autre en ce qui concerne les formes.]

La langue est une convention qui, pareille en cela à la société dont elle est l’instrument et la base, lie tout le monde à la fois, consentant ou non-consentant. La langue est sacrée comme la société. Elle n’est pas immuable, elle ne peut pas l’être, mais elle ne souffre aucun changement arbitraire et capricieux, aucune violence gratuite, aucune modification purement individuelle. Il n’est pas de convention plus respectée, quoique le législateur n’ait pas dit : Tel mot signifiera telle chose, ou telle chose sera désignée par tel mot. Cependant les actes mêmes des tribunaux sont basés sur cette convention qui n’est écrite nulle part. – Les mots sont les signes représentatifs des valeurs intellectuelles. Les écrivains sans pureté ou sans correction sont comme des faux monnayeurs qui introduisent de la perturbation dans les transactions intellectuelles et diminuent le crédit de la parole. – Le respect de la langue est presque de la morale. [Il y aurait sans doute exagération et injustice à taxer d’immoralité un homme qui parle mal ; mais on peut bien dire du moins que la corruption générale du langage est une marque de la décadence des mœurs.]

Ajoutons que le mauvais langage décrédite le prédicateur auprès de ceux qui sont en état d’en juger.

Quelques-uns de ces défauts, ceux qui indiqueraient de l’affectation ou un trop grand engagement dans le monde de la mode, sont contraires à la gravité de la chaireh.

h – En certains pays, en certains temps, on a pu être obligé d’abaisser son langage au niveau de celui de la multitude, et de le corrompre pour être compris : ce n’est pas le cas chez nous ; – nous n’avons rien entre le français et le patois, et nous n’avons plus même de patois. – Rien, par exemple, ne nous oblige de dire :
• vite pour • tôt
• se rappeler de quelque chose, pour • se rappeler quelque chose
• nous avons convenu, pour • nous sommes convenus
• aimer lire, pour • aimer à lire
• distraitent, pour • distraient
• observer à, pour • faire observer à
• il craignait que je ne l’eus perdu
• ses alentours, pour • ses entours
• la maison que j’ai faite bâtir
• un mésentendu pour • un malentendu
je me suis en allé
• l’endroit où la forêt est la plus épaisse
• recouvert, pour • recouvré
• empêcher à 
• malgré que
etc.
C’est de nous que la majeure partie du public apprend le français. Nous sommes à la fois les gardiens des bonnes maximes et du bon langage.

La propriété ou justesse consiste à n’employer que des termes qui conviennent exclusivement à chacune des idées qu’on veut exprimer. Il ne peut y avoir de synonymes parfaits, [car toute langue est pauvre en comparaison du nombre des idées à exprimer.] Deux formes ne peuvent être appliquées à la même idée : ce sont dès lors deux idées. Il n’y a pour chaque idée qu’un mot ; tout autre ne la rend pas. [Quand une langue s’enrichit, ce n’est pas qu’elle gagne du superflu : l’expression prise dans ce sens est impropre. Aucune langue du monde ne peut renfermer de superfluité. Un mot à peine trouvé va remplir une niche vide et nommer l’idée solitaire qui attendait une existence visible, ou qui n’en aurait eu qu’au moyen d’une périphrase. Ce n’est pas que dans certains cas on ne puisse, sans inconvénient sensible, remplacer un mot par un autre, surtout quand c’est l’idée générale qu’on a en vue. Quand on définit, par exemple, l’indigence (manque du nécessaire) et la pauvreté (manque de tout superflu), il faut bien marquer la distinction ; mais quand on parlerait dans un sermon de l’idée générale de bienfaisance, il serait égal de recommander de porter secours à l’indigence ou à la pauvreté.] La Bruyère dit sur ce sujet :

Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n’y en a qu’une qui soit la bonne : on ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant. Il est vrai néanmoins qu’elle existe, que tout ce qui ne l’est point est faible, et ne satisfait point un homme d’esprit qui veut se faire entendre.

La Bruyère indique ici deux inconvénients de l’impropriété : l’obscurité et la faiblesse, et deux avantages de la propriété : la clarté et la force.

Les expressions impropres ne rendent pas le style totalement obscur, mais trouble ; c’est une moindre clarté. Cependant, à force d’impropriété, le style devient décidément obscur. – Quant à la force, elle est toujours proportionnée à la clarté ; on peut ajouter de la force à la clarté ; mais jamais sans être clair on ne sera fort ; la force n’est qu’un plus haut degré de vérité.

La loi de la propriété condamne non seulement les expressions sans justesse (ce n’en est que le premier degré), mais les expressions qui ne serrent pas d’assez près l’idée, ou qui laissent un intervalle entre elles et l’idée. Il y aurait donc impropriété dans le dernier de ces vers de Boileau sur Juvénal :

Soit que sur un écrit arrivé de Caprée,
Il brise de Séjan la statue adorée,
Soit qu’il fasse au conseil courir les sénateurs,
D’un tyran soupçonneux pâles adulateurs,

Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeuxi.

i – Boileau, L’art poétique, Chant II.

La propriété peut être portée à un tel point qu’elle n’est plus purement négative, mais positive, saisissante ; elle devient une vertu du stylej. Nous comprenons que d’Alembert ait dit :

Chez les auteurs médiocres, l’expression est, pour ainsi dire, toujours à côté de l’idée ; leur lecture fait aux bons esprits le même genre de peine que ferait à des oreilles délicates un chanteur dont la voix serait entre le faux et le juste. La propriété des termes est au contraire le caractère distinctif des grands écrivains ; c’est par là que leur style est toujours au niveau de leur sujet ; c’est à cette qualité qu’on reconnaît le vrai talent d’écrire, et non à l’art futile de déguiser par un vain coloris des idées communes.k.

j – Ici Buffon est surtout remarquable. Voyez, entre autres, sa Description de l’Arabie.

k – D’Alembert, Mélanges, Tome II, Réflexions sur l’élocution ortoire.

Il n’est pas besoin, pour que le défaut de propriété porte coup, que vous soyez surpris par le lecteur en flagrant délit d’impropriété ; l’effet négatif suffit: c’est-à-dire, il suffit que l’exact rapport du terme à l’idée ne soit pas senti. Et comment est-il senti ? C’est qu’un exercice plus ou moins répété a fini par donner à la plupart des lecteurs ou des auditeurs un sentiment juste de la valeur du mot ; il est impossible que, conformément au but de sa création, il n’ait pas été employé assez souvent dans son vrai sens pour se graver dans l’esprit des gens les moins capables d’ailleurs de le définir : en sorte que, s’ils ne reconnaissent pas distinctement que le terme dont nous faisons usage est impropre, du moins ils ne reçoivent pas de ce mot l’impression, le coup, pour ainsi dire, qu’ils auraient dû en recevoir, le marteau a frappé à côté du clou, ou de côté sur le clou.

Il peut d’ailleurs y avoir une affectation de propriété, comme il y a une affectation de pureté. Il ne faut pas qu’on sente le travail pénible des distinctions et de l’analyse.

Les soins donnés à la propriété de l’expression contribueraient non seulement à la clarté et à la force du discours, mais à la richesse et à la variété du langage. – À quoi tient la pauvreté de notre vocabulaire ? Est-ce que nous ne connaissons pas notre langue ? Non, mais nous ne sommes pas accoutumés à distinguer entre les mots d’une signification semblable, c’est-à-dire exprimant, sous une nuance particulière, une même idée générale. Faute de bien se rendre compte des nuances, on emploie, pour chacune d’elles, ou le terme générique qui les embrasse toutes, ou l’un des termes spéciaux pris au hasard. Ce mot, plutôt que les autres, revient presque toujours, les autres demeurent sans emploi, le vocabulaire se restreint, le langage s’appauvrit. Il y a des esprits heureux, favorisés en outre par l’éducation, à qui la langue livre à tout moment toutes ses richesses en expressions et en tours. On dit d’eux qu’ils la connaissent bien ; mais qu’est-ce à dire ? Les autres la connaissent-ils moins, aucun des termes dont elle se compose ne leur étant étranger ou nouveau ? Les premiers la connaissent mieux en ce sens qu’ayant reçu de chacun de ces mots une impression plus distincte et plus vive, le mot, mieux vu, mieux senti, et avec lequel ils ont eu une relation plus intime, est plus instantanément suscité par leur pensée. On peut, jusqu’à un certain point, s’approprier cet avantage par l’étude, j’entends surtout l’étude réfléchie des bons auteurs ; – ce serait aussi un travail utile que d’aller aux informations quand on est incertain sur la valeur d’un terme ou sur le choix à faire entre deux mots, c’est-à-dire de recourir aux travaux les plus appréciés sur la synonymie. On peut recommander enfin, sous ce rapport, l’exercice de la traduction.

La propriété, dans l’expression des idées morales est difficile et rare ; mais elle ne leur est point naturellement étrangère. Car, quoiqu’il n’y ait guère d’état ou de fait moral parfaitement simple, in concreto, nous arrivons à distinguer nettement les éléments qui se combinent dans chacun de ces états ou de ces faits : je n’en veux d’autre preuve que les noms que nous leur avons trouvés.

Précision. – Ces deux qualités, la propriété et la précision, ne sont assurément point sans rapport ; le besoin de l’une suppose le besoin de l’autre, et l’on ne verra guère un écrivain cultiver l’une et négliger l’autre. Toutefois elles sont distinctes et doivent être étudiées séparément.

Le mot précision semble désigner un langage qui ne fait entendre ni plus ni moins que ce qu’on veut dire, et c’est bien dans ce sens qu’on le prend souvent ; mais les rhétoriques et l’Académie définissent la précision : « Exactitude dans le discours, par laquelle on se renferme tellement dans le sujet dont on parle, qu’on ne dit rien de superflu ». L’Académie ajoute « qu’il se dit aussi pour justesse, régularité. » Nous dirons, nous, que tandis que la propriété ne s’enquiert que de la justesse des signes, la précision s’enquiert de leur nombre, qu’elle s’efforce de réduire au nécessaire. Mais si elle ne veut rien dire de trop, elle veut aussi tout dire.

La précision, dit M. Lémontey, consiste à bannir du discours tout le superflu, et à n’y rien omettre du nécessaire. Il faut la distinguer d’une de ses branches, qu’on appelle la concision, et qui s’attache à l’épargne des mots et au resserrement de la phrase plutôt qu’à la mesure rigoureuse de l’expression avec la pensée. La concision prête indifféremment son secours à la fausseté comme à la vérité, tandis que la précision ne se conçoit pas sans justesse et sans clarté ; la concision peut n’être aussi qu’une affectation de l’esprit, au lieu que la précision se forme surtout de la vigueur combinée du jugement et du caractère. Elle est dans l’homme l’attribut de la force et de la raison dans l’ordre social, le langage de la loi qui prescrit et du pouvoir qui commande ; dans les sciences, le but et la perfection des méthodes et des nomenclatures.

La précision, néanmoins, tend vers la concision, puisque, ainsi que son nom l’indique, elle retranche, elle coupe à l’entour. La concision ne s’en distingue que par une économie de mots plus grande que le but de la précision ne l’exige ; car la précision ne supprime que ce qui est décidément de trop, et tend à épargner à l’esprit une fatigue, celle qui naît de la nécessité où l’auteur nous met de résumer la pensée ou de la ramener à un petit nombre d’éléments. La concision, se réduisant quelque peu en deçà du nécessaire, veut bien donner à l’esprit, non de la fatigue sans doute, mais du travail, et elle rentre ainsi dans le genre de ces procédés ou de ces figures dont nous avons parlé plus haut. C’est une ellipse, non de mots, mais de pensées. À la prendre comme figure, ou du moins comme force particulière du style, elle ne peut guère constituer la forme de tout un écrit, et surtout pas d’un sermon. Elle engendre trop aisément l’obscuritél ; elle est bien près de l’affectation et du style épigrammatique. Elle n’est souvent que le faux semblant de la précision, et rien n’est plus facile que d’avoir à la fois beaucoup de concision et très peu de précision. Car on peut être à la fois parcimonieux et prodigue, et ne laisser, après cette affectation de rigueur, que des idées vagues dans l’esprit du lecteur.

l – Voyez Rollin, Traité des études, liv. V, ch. II, art. I.

La précision nous interdit les répétitions, les épithètes oiseuses, les pléonasmes, les chevillesm : elle va plus loin, et, devenant une véritable vertu du style, elle nous fournit les tours les plus prompts sans brusquerie, et nous suggère la concentration de plusieurs mots en un seul, lorsque ce mot, en effet, contient la substance de plusieurs. Elle prétend épargner au lecteur la peine de faire la somme des idées qu’on aurait pu lui faire embrasser d’un coup d’œil. Cependant la redondance et un certain entassement de circonstances et de mots peut être à proposn.

m – Voyez Boileau critiqué par Condillac, Art d’écrire.

n – Voyez Pélisson, Discours au roi pour M. Fouquet. (Chrestomathie française, tome II. – Voyez aussi 1 Corinthiens 15.53-54.

La nécessité de la précision est inégale d’un genre de composition à un autre. La prolixité serait partout rebutante ; mais une certaine abondance est nécessaire quand, au lieu d’écrire, on parle, et surtout quand on parle à un auditoire très diverso ; et quelque diffusion convient aux effusions du cœur. Un cœur ému a besoin de multiplier la pensée qui l’agite et de la mettre au large par le nombre des mots et des images. On n’émeut guère aussi les autres par un langage très serré, à moins qu’il ne suive et ne résume des pensées plus abondamment développées.

o – La précision, étrangère aux protestations de l’amour, aux confidences de l’amitié, à la liberté du style épistolaire et aux ténèbres de la diplomatie, rencontre des obstacles légitimes dans l’éloquence, dans la poésie et dans l’art dramatique. Toutes les fois qu’on parle simultanément à plusieurs hommes, il faut se proportionner à l’attention des plus frivoles, à l’intelligence des plus simples, à la paresse des plus lents. Toutes les fois qu’il s’agit de convaincre des esprits divers, quelle variété de tons et d’images, quelles attaques redoublées ne sont elles pas nécessaires, contre des dispositions dont la malveillance connaît plusieurs degrés, contre des préjugés dont les racines ne sont pas les mêmes ! Ainsi la chaire sacrée, la tribune politique, essayent des routes différentes, et tour à tour s’arment de véhémence, d’autorité, d’onction, d’imagination et d’arguments…. (Lémontey.)

Dans le même discours, il peut se trouver des degrés différents de précision. Mais on ne va guère de plus de précision à plus d’abondance. L’onde semble peu à peu se resserrer pour jaillir avec plus de force.

L’art oratoire, dit Lémontey, ne semble prodiguer de somptueux développements que pour préparer à ses harangues un résumé plus pressant, et finir comme Démosthène ce qu’il a commencé comme Isocrate.p

p – Ce qui cause ordinairement l’obscurité du discours, c’est de vouloir toujours s’expliquer avec brièveté. Il vaut mieux pécher par trop d’étendue que par trop peu. Un style qui serait partout vif et concis, tel par exemple que celui de Salluste, ou tel que celui de Tertullien, peut convenir à des ouvrages qui, n’étant pas faits pour être prononcés, laissent au lecteur le loisir et la liberté de revenir sur ses pas ; mais non une prédication qui, par sa rapidité, échapperait à l’auditeur le plus attentif. Il ne faut pas même supposer qu’il le soit toujours, et la clarté du discours doit être telle qu’elle puisse porter la lumière dans les esprits les plus inappliqués, comme le soleil frappe nos yeux sans que nous y songions, et presque malgré nous. L’effet souverain de celle qualité n’est pas qu’on puisse entendre ce que nous disons, mais qu’on ne puisse pas ne point l’entendre. (Rollin, Traité des études, livre V, chap. II, art. 1er, La manière dont un prédicateur doit parler.

La précision n’est pas seulement une qualité de la phrase isolée. Il peut y avoir des phrases de trop dans le paragraphe comme des mots de trop dans la phrase ; et le tissu général du style peut être lâche comme celui d’une période. Une des règles que nous avons données pour l’ensemble du discours doit s’appliquer ici : il faut que tout se hâte vers le dénouement. Il ne faut pas faire deux phrases où une seule suffit. Il ne faut pas s’attarder quand le lecteur veut avancer. Il ne faut pas aller moins vite que son esprit. Il peut sans doute se laisser amuser en chemin par des spectacles de pensée et des divertissements d’imagination ; mais le plaisir qu’il y trouve n’excuse pas l’orateur, dont l’affaire n’est pas d’amuser l’auditeur, mais de l’entraîner vers un but déterminé. Tout doit en rapprocher, même les ornements du style ; le discours oratoire n’admet que des beautés utiles. Que dirons-nous donc des détours et des diversions qui n’ont pas même le mérite d’amuser, de ces phrases oiseuses qui ne font que retarder, d’un tissu lâche dont les éraillures ne sont pas même dissimulées par la broderie ? Faisons-nous cette règle générale : que rien ne sépare les idées qui se complètent l’une l’autre, et entre lesquelles l’esprit ne demande point à faire une pause. Si quelque chose se trouve entre deux idées, il faut que ce soit une idée propre à rendre le passage de l’une à l’autre plus doux, comme ces écluses qui épargnent à un bateau une descente trop brusque et trop forte. Sans ces intermédiaires, j’avoue que le tissu du style en serait serré jusqu’à en être dur et inflexible. Mais lorsqu’ils sont superflus, le style est lâche et traînant. L’orateur est un voyageur ; l’auditeur voyage avec lui :

De leur robe traînante ils relèvent les plis.

Il ne faut jamais, et c’est par là que je finis, permettre à la précision de rendre le style abstrait et aride. En cherchant habituellement les tours dans lesquels la pensée se réduit et se condense, on rencontre sans doute des traits vifs, on arrive à l’élégance, qui est si voisine de la précision, on devient ingénieux, mais l’ensemble manque de moelleux et de couleurq.

q – Substitution du substantif au verbe. – Réponse des enfants à la question : Qu’est-ce qu’une chose ? – C’est quand on…

La précision, appliquée au tissu général de la diction, devient rapidité. Celle-ci n’est pas seulement une forme, mais une qualité du style. Le style est à la composition générale ce que l’homme est au monde, un microcosme ; l’homme est un monde en petit, et le style le discours en petit avec toutes ses lois et tous ses caractères. Rapidité n’est pas précipitation, mais l’épargne du temps et de l’espace.] Il y a deux formes de style : l’une qui concentre les éléments de chaque idée, l’autre qui procède par amplification. [La phrase de Bossuet est le paragraphe de Massillon, et nous ne pouvons blâmer ni l’un ni l’autre. Bossuet est quelquefois trop rapide et Massillon trop long, mais souvent aussi ils sont l’un bref, l’autre long à propos. La marche de Bossuet est plus majestueuse, plus saisissante ; la phrase de Massillon, toute fleurie qu’elle est, traîne quelquefois. Le Petit Carême, qui est regardé comme le plus exquis de ses ouvrages, n’en est pourtant pas le plus éloquent. Il développe souvent et développe parfaitement, bien ; mais il amplifie aussi, exprimant une même idée sous deux ou trois formes différentes. Il y a une différence, puisque les mots diffèrent, mais elle n’est presque rien, et ne valait pas la peine d’être employée. Cette forme fatigue un peu en se reproduisant dans tout un volume. Sans doute Bossuet a souvent tort d’aller trop vite. En résumé, il faut développer en temps convenable ; mais il faut aussi savoir retrancherr.

r – Nous opposons Bossuet et Massillon, dans un morceau tiré de chacun d’eux. – Voyez Bossuet, Oraison funèbre de Michel Le Tellier, – et Massillon, tome VII, page 128, édition Maquignon. « Nous n’avons de grand… » Les alinéa de Massillon sont autant de couplets. Cela manque de liberté et de variété.

[Ceci nous amène à parler de la proportion, qui consiste à donner à chaque idée la place et le degré de développement qui lui appartient dans le dessein du discours.] C’est par la proportion que Bossuet pèche assez souvent dans ses sermons, [et c’est pourquoi nous le plaçons, comme prédicateur, après Bourdaloue et Massillon, quoiqu’il ait plus de génie qu’eux. Si tout le monde lit Massillon et beaucoup Bourdaloue, Bossuet est peu lu, quoique plein d’éclairs, parce qu’il manque de proportion. Ce défaut fait tort à des morceaux très bons du restes.]

s – Voyez, à ce sujet, le sermon de Massillon sur l’Oubli des injures, et celui du P. de La Rue, sur le Pécheur mourant.

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