« Cet empressement des dieux à se débarrasser des liens de la nécessité où les mettent les invocations et les enchantements, nous est clairement manifesté par les oracles :
« Rendez donc enfin la liberté à votre roi : un mortel ne peut contenir si longtemps un dieu dans son sein. »
Puis celui-ci :
« Pourquoi fatiguer si longtemps un mortel par vos prières. »
Ou bien tel autre :
« Va, et prends la fuite aussitôt que tu l’auras sauvé. »
L’oracle enseigne aussi la manière de délivrer les dieux de cette fatale nécessité.
« Plus de discours mystérieux, dit-il, cesse de tourmenter un mortel. Arrache cette image blanche de dessus ces arbrisseaux, et d’une main vigoureuse enlève cette robe fatale qui retient mes membres. »
Voici maintenant les paroles qui mettent le dieu en liberté :
« Lève d’ici tes pieds. Cesse de faire entendre des oracles du fond de l’antre mystérieux »,
et autres semblables. Mais ces paroles de délivrance se font trop attendre, le dieu ajoute :
« Déchirez la tunique, dissipez le nuage épais qui m’enveloppe. »
Voici encore une autre formule par laquelle il réclame sa délivrance :
« Naïades ! nymphes des fontaines et vous Muses, délivrez Apollon : chantez Phébus qui lance au loin des flèches. »
Ou bien encore celle-ci :
« Déliez ces bandelettes, arrosez mes pieds d’une onde pure : effacez ces lignes, que je m’en aille ; arrachez de ma main droite ce rameau de laurier ; frottez mes deux yeux et mes narines ; puis élevez-moi de terre, mes amis. »
« Il demande », dit notre auteur, après avoir rapporté cet oracle, « il demande que les lignes soient effacées pour qu’il soit libre ; parce que ce sont elles qui lui imposent un joug insurmontable, aussi bien que tout l’ensemble des vêtements, parce que ces vêtements sont chargés des images du dieu que l’on invoque. »
Il n’en faut pas davantage, ce me semble, pour démontrer avec la dernière évidence qu’il n’y avait vraiment rien de digne de la divinité, rien de grand, rien de divin, dans des êtres abaissés à ce point de dégradation, qu’ils fussent le vain jouet d’hommes méprisables, qu’ils se laissassent arracher du ciel par ces hommes, non point parce qu’ils excellaient par leur vertu et leur sagesse, mais seulement parce qu’ils savaient mettre en œuvre de vains prestiges. Non, il n’avait donc point raison Pythagore de Rhodes, pas plus que celui qui lui rend ce témoignage, pas plus quiconque croira devoir donner à de tels êtres le nom de dieux : car ils ne sauraient être même de bons démons, ces esprits qui obéissent ainsi contre leur gré, par nécessité et par violence, à des mortels, (et encore quels mortels ?) à de misérables jongleurs, ces esprits enfin qui n’ont pas même le pouvoir de se dégager de ces honteux liens. En effet si la nature divine est à l’abri de la violence et de la nécessité, à cause de sa souveraine perfection, et parce qu’elle est essentiellement libre et impassible comment peut-on faire des dieux, de misérables êtres qui subissent malgré eux l’influence magique d’un vêtement, d’une ligne, d’une image, d’une couronne, d’une fleur des champs, d’un son insignifiant, de paroles barbares. Quoi ! ils seraient des dieux, ceux qui consentent à devenir le jouet d’hommes méprisables, qui se laissent enchaîner comme des esclaves, et qui ne conservent pas même assez de puissance et de liberté pour se débarrasser eux-mêmes de leurs chaînes ! Comment leur donner même le titre de bons démons, quand on les voit céder malgré eux à une nécessité et à une violence étrangère ? Pourquoi faut-il qu’ils soient contraints par la force, pour faire du bien a ceux qui réclament leur assistance ? Pourquoi ne s’y portent-ils pas d’eux-mêmes ? Car enfin s’ils sont bons par nature, comme on le dit, et si c’est pour leur procurer du bien qu’ils se manifestent aux hommes, si leur inclination les porte à se rendre utiles à l’humanité, ils devraient saisir eux-mêmes avec empressement l’occasion d’être utiles ; leurs bienfaits devraient prévenir les prières des hommes, au lieu d’être extorqués par la force. Mais si l’honnête et l’utile ne sont jamais l’effet de leurs apparitions, et que pour celle raison, ils ne cèdent jamais qu’à la contrainte, comment donner le titre de dieux à des êtres qui concourent, même sans le vouloir, à des actions opposées à l’honnêteté ou au bien-être des hommes ? Ne sont-ils pas bien dignes en effet de notre vénération et de nos hommages ceux qui se font les esclaves d’hommes perdus de mœurs, qui sont contraints de concourir malgré eux des œuvres mauvaises et sans utilité, qui enfin se laissent conduire et subjuguer, non point en considération de la sagesse ou de la vertu de ceux qui les invoquent, ni dans l’intérêt de la vraie philosophie ; mais qui cèdent uniquement aux détestables manœuvres de quelques charlatans ? Or ces honteuses manœuvres, le même Porphyre nous les expose dans sa lettre à l’Égyptien dont nous avons déjà parlé. Comme c’était un devin, il traite avec lui ces questions mystérieuses, et le conjure de lui dévoiler les moyens qu’il emploie pour exécuter ses divinations. Voici comment il lui propose ses difficultés et ses doutes.