L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
32 Qu’il faut renoncer à soi-même et à toutes sortes de convoitises
Cherche la liberté comme un bonheur suprême ; Mais souviens-toi, mon fils, de cette vérité, Qu’il te faut renoncer tout à fait à toi-même, Ou tu n’obtiendras point d’entière liberté.
Ceux qui pensent ici posséder quelque chose La possèdent bien moins qu’ils n’en sont possédés, Et ceux dont l’amour-propre en leur faveur dispose Sont autant de captifs par eux-mêmes gardés.
Les appétits des sens ne font que des esclaves ; La curiosité comme eux a ses liens, Et les plus grands coureurs ne courent qu’aux entraves Que jettent sous leurs pas les charmes des faux biens.
Ils recherchent partout les douceurs passagères Plus que ce qui conduit jusqu’à l’éternité ; Et souvent pour tout but ils se font des chimères Qui n’ont pour fondement que l’instabilité.
Hors ce qui vient de moi, tout passe, tout s’envole ; Tout en son vrai néant aussitôt se résout ; Et, pour te dire tout d’une seule parole, Quitte tout, mon enfant, et tu trouveras tout.
Tu trouveras la paix, quittant la convoitise ; C’est ce que fortement il te faut concevoir ; Du ciel en ces deux mots la science est comprise : Qui les pratique entend tout ce qu’il faut savoir.
Oui, leur pratique est ma félicité ; Mais Seigneur, d’un seul jour elle n’est pas l’ouvrage, Ni de ces jeux dont la facilité Amuse des enfants l’esprit faible et volage, Et suit leur imbécillité.
De ces deux mots le précieux effet Demande bien du temps, bien des soins, bien des veilles ; Et ces deux traits forment le grand portrait De tout ce que le cloître enfante de merveilles Dans son état le plus parfait.
Il est vrai, des parfaits c’est la sublime voie ; Mais quand je te la montre en dois-tu perdre cœur ? Ne dois-tu pas plutôt t’y porter avec joie, Ou du moins soupirer après un tel bonheur ?
Ah ! si je te voyais en venir à ce terme, Que l’amour-propre en toi fut bien déraciné, Que sous mes volontés tu demeurasses ferme, Et sous celles du Père à qui je t’ai donné !
Alors tu me plairais, et le cours de ta vie Serait d’autant plus doux que tu serais soumis ; De mille vrais plaisirs tu la verrais suivie, Et s’écouler en paix entre mille ennemis.
Mais il te reste encore à quitter bien des choses, Que si tu ne me peux résigner tout à fait, Tu n’acquerras jamais ce que tu te proposes, Jamais de tes désirs tu n’obtiendras l’effet.
Veux-tu mettre en ta main la solide richesse ? Achète de la mienne un or tout enflammé ; Je veux dire, mon fils, la céleste sagesse, Qui foule aux pieds ces biens dont le monde est charmé.
Préfère ses trésors à l’humaine prudence, A tout ce qu’elle prend pour son plus digne emploi, A tout ce que sur terre il est de complaisance, A tout ce que toi-même en peux avoir pour toi.
Préfère, encore un coup, ce qu’on méprise au monde A tout ce que son choix a le plus ennobli, Puisque cette sagesse en vrais biens si féconde Y traîne dans l’opprobre, et presque dans l’oubli.
Elle ne s’enfle point aussi de ces pensées Que la vanité pousse en sa propre faveur, Et voit avec dédain ces ardeurs empressées Dont la soif des honneurs entretient la ferveur.
Beaucoup en font sonner l’estime ambitieuse, Qui montrent par leur vie en faire peu d’état ; Et tu la peux nommer la perle précieuse Qui cache à beaucoup d’yeux son véritable éclat.