« Une chose que je n’ai jamais pu m’expliquer à moi-même, c’est que ceux que nous invoquons, comme les premiers des êtres, ne sont pas moins que les derniers, soumis à toute sorte de nécessités ou bien que voulant voir la justice dans ceux qui les honorent, ils ne rougissent pas de s’assujettir eux-mêmes, jusqu’à commettre toutes les injustices qu’on exige d’eux ; ou bien encore qu’ils repoussent la prière de toute âme qui n’est pas pure des jouissances grossières des sens, et que cependant ils n’ont pas honte de porter tous les hommes aux plus infâmes plaisirs de la volupté. Ils veulent que leurs ministres s’abstiennent de l’usage de la chair des animaux, de peur que l’odeur qui s’en exhale ne les souille, et eux-mêmes se laissent prendre à l’odeur des victimes offertes en sacrifice. Ils ne permettent pas à leur inspecteur des sacrifices de toucher un cadavre, et cependant la plupart des évocations de dieux s’opèrent par l’immolation des animaux. Mais une chose plus inconcevable encore, c’est que le premier venu puisse, par des menaces, effrayer, non pas seulement les démons ordinaires ou l’âme d’un mort, mais le soleil lui-même, le prince des astres, la lune et les autres dieux célestes, et que par cette terreur vaine et mensongère, il puisse les forcer à dire la vérité. En effet, dire qu’il ébranlera le ciel, qu’il révélera les secrets d’Isis, les mystères d’Abydos, qu’il arrêtera le navire égyptien, qu’il dispersera les membres d’Osiris en faveur de Typhon, n’est-ce pas là le dernier terme de la folie de la part du devin, dont les menaces contiennent des choses qui ne sont ni à sa connaissance ni en son pouvoir, comme c’est le dernier excès de dégradation chez ces divinités, qui se laissent ainsi emporter comme des enfants timides à une vaine et ridicule frayeur ? Tels sont cependant les moyens que le scribe sacré, Chérémon, nous donne comme étant d’un usage extrêmement commun chez les Égyptiens, qui leur attribuent, comme à beaucoup d’autres du même genre, la faculté d’exercer la plus merveilleuse influence sur la volonté des dieux. Et les invocations, quelle en est la substance ? On y voit que le soleil sort de la fange d’un marais, qu’il est assis sur une fleur du lotus, qu’il navigue sur un vaisseau, qu’il prend une nouvelle forme selon les divers signes du zodiaque. C’est ainsi que les devins égyptiens prétendent que le soleil nous apparaît, et ils ne voient pas que ce sont autant d’accidents qu’ils lui font subir, et qui n’ont de réalité que dans leur imagination. Et qu’ils ne disent pas que ce sont là des expressions symboliques, pour signifier les diverses propriétés de cet astre : car nous leur demanderons alors l’interprétation de tous ces symboles. Il est clair en effet que si le soleil subissait réellement ces divers accidents, ils seraient sensibles, comme dans les éclipses, à tous ceux qui fixeraient sur lui leurs regards. Puis à quoi bon encore tous ces noms insignifiants, toutes ces dénominations barbares qu’on préfère aux vrais noms des choses ? En effet, si la divinité, lorsqu’elle prête l’oreille à leurs paroles, fait uniquement attention au sens qu’elles expriment, tant que ce sens sera le même, il importe peu de quelles expressions on se serve pour le rendre : car le dieu que l’on invoque n’est pas plutôt Égyptien que d’une autre nation : et quant il serait Égyptien, il n’en parle point l’idiome, pas plus que tout outre idiome humain. Il faut donc avouer ou que toutes ces invocations sont des inventions du charlatanisme ou des symboles des différents accidents auxquels nous sommes soumis et que les devins attribuent à Dieu ou bien que nous avons de fausses idées sur la Divinité. »
Puis il continue ainsi à exprimer ses doutes à l’Égyptien :
« S’il y a des dieux impassibles, et d’autres qui soient susceptibles de passions, et c’est à ceux-ci qu’on attribue les fictions honteuses et obscènes, il faut donc avouer qu’il n’y a que pure vanité dans ces invocations et ces supplications, dans ces expiations par lesquelles on prétend fléchir le courroux des dieux, et surtout dans cette prétendue fatalité a laquelle on les croit soumis ; car on ne fléchit pas, on ne contraint pas, on n’assujettit pas à la nécessité un être qui, de sa nature, est impassible. »
Puis il ajouta :
« C’est en vain qu’on cultive la sagesse et qu’on fatigue les dieux, soit pour retrouver un esclave fugitif, soit pour acheter un champ, contrarier un mariage, conclure un marché ; car sur tout le reste, ils donnent des réponses très exactes ; mais lorsqu’il s’agit du bonheur de la vie, ils ne savent rien dire de certain sur lequel on puisse compter. »
Ils n’étaient donc ni des dieux ni même de bons démons, et par conséquent lui-même n’est qu’un imposteur. Mais nous nous contenterons présentement de cet extrait de l’ouvrage de Porphyre ; il suffit pour prouver que ce sont les démons eux-mêmes ces merveilleuses divinités, qui ont donné ces abominables leçons de jonglerie. Comment en effet les hommes eussent-ils jamais pénétré ces mystères si les démons ne les leur eussent révélés, et s’ils ne leur eussent appris par quels moyens son pouvait les enchaîner ? nous allons le faire voir ; mais ici encore nous ne parlerons pas nous-mêmes ; car nous confessons que nous ne connaissons ni ne voulons rien de ces dieux. C’est donc uniquement pour confondre leurs sectateurs et donner la raison de notre défection de leur culte, que nous allons encore invoquer le témoignage d’un homme dont le zèle éclairé n’est point suspect aux siens, et qui a exposé avec une parfaite connaissance de cause tous les dogmes de sa religion. Voici donc ce que dit Porphyre dans son Recueil des oracles.