1.[1] Après la mort de Samson, les Israélites eurent à leur tête Éli le grand-prêtre. Sous lui[2], leur pays étant éprouvé par une famine, Elimélech(os) de Bethléem, ville de la tribu de Juda, ne pouvant supporter ce fléau, emmène sa femme Noémi (Naamin) et les fils qu'il avait d'elle, Chelliôn et Mallôn, et émigre en Moabitide. Comme ses affaires prospéraient à souhait, il fait épouser à ses fils des femmes moabites, à Chelliôn Orpha, et Ruth (Routhé) à Mallôn. Dix ans s'étant écoulés, Elimélech et, peu après, ses fils meurent. Noémi, très affligée de ses malheurs et ne supportant pas la perspective de la solitude à laquelle la condamnait la perte des êtres bien-aimés pour lesquels elle s'était expatriée[3], songea à retourner dans son pays, car elle avait appris que tout maintenant y allait bien. Mais ses brus n'avaient pas le courage de se séparer d'elle et Noémi avait beau les détourner de vouloir partir avec elle, elle ne pouvait les convaincre ; comme elles la pressaient, elle leur souhaite de faire un mariage plus heureux que l'union décevante qu'elles avaient contractée avec ses fils et d'acquérir toutes sortes de biens ; elle leur représente la situation où elle se trouvait et les conjure de demeurer où elles étaient et de ne pas désirer partager sa fortune incertaine en quittant leur pays natal. Alors, convaincue, Orpha demeure, mais comme Ruth ne l'était point, Noémi l'emmena, l'associant ainsi à tout ce qui lui adviendrait.
[1] Ruth, I, 1.
[2] La Bible ne précise pas à quel époque se place l'épisode de Ruth ; elle dit simplement (Ruth, I, 1) « du temps des Juges ». Josèphe a fixé la date d'après le compte des générations entre Boaz et David. [T. R.]
[3] Nous traduisons par à peu près : le texte paraît corrompu.
2.[4] Quand Ruth arrive avec sa belle-mère dans la ville de Bethléem, Boaz(os), en qualité de parent d'Elimélech, lui fait un accueil hospitalier[5]. Et Noémi, quand on lui donnait ce nom, disait : « Appelez-moi plutôt Mara ». En effet, dans la langue des Hébreux, Noémi signifie félicité, et Mara douleur. Le temps de la moisson étant venu, Ruth sortit avec la permission de sa belle-mère pour aller glaner de quoi leur procurer de la nourriture, et elle arriva par hasard sur la terre de Boaz. Boaz, étant venu peu après et ayant aperçu la jeune femme, s'informa d'elle auprès de son fermier. Celui-ci, qui venait justement de tout apprendre d'elle-même, le révéla à son maître. Et lui, autant par amitié pour la belle-mère qu'en souvenir du fils de celle-ci, auquel Ruth avait été unie, salue la jeune femme et lui souhaite de goûter à la prospérité ; il ne voulut pas qu'elle glanât, mais lui permit de prendre tout ce qu’elle pourrait cueillir, après avoir donné l'ordre au fermier de ne l'entraver en rien et de lui offrir à manger et à boire quand il apporterait le repas des moissonneurs. Ruth[6], ayant reçu de lui de la bouillie d'orge, en garda pour sa belle-mère et elle revint au soir la lui apporter avec des épis. Noémi, de son côté, lui avait conservé sa part de quelques aliments dont l'avaient gratifiée les voisins. Ruth alors lui raconta ce que Boaz lui avait dit, et quand Noémi lui eut révélé qu'il était leur parent et que, peut-être, par pitié, il prendrait soin d'elles, elle sortit de nouveau les jours suivants pour cueillir des épis avec les servantes de Boaz.
[4] Ruth, I, 19.
[5] Ce détail n'est pas dans la Bible et ne s'accorde pas avec la suite du récit.
[6] Ruth, II, 2.
3.[7] Boaz, étant venu lui-même quelques jours après, quand on avait déjà vanné l'orge, s'endormit dans la grange. L'ayant appris, Noémi imagina d'aller faire reposer Ruth près de lui, espérant que Boaz leur témoignerait de la bienveillance une fois qu'il aurait eu commerce avec la jeune femme, et elle l'envoie dormir à ses pieds[8]. Celle-ci, qui se faisait un devoir de ne rien opposer aux ordres de sa belle-mère, s'y rend, et, sur le moment, demeure inaperçue de Boaz, qui dormait profondément, mais, réveillé vers le milieu de la nuit et sentant une femme couchée près de lui, il demanda qui c'était. Elle ayant dit son nom et l'ayant prié de lui pardonner comme à sa servante, il garda momentanément le silence, mais à l'aube, avant que ses serviteurs ne commencent à se mettre à l'ouvrage, il la réveille et lui ordonne, après avoir pris autant d'orge qu'elle pourrait en emporter, d'aller chez sa belle-mère avant qu'on ait pu s'apercevoir qu'elle avait dormi là : car il était sage de se mettre en garde contre la calomnie dans un incident de ce genre, d'autant plus qu'il ne s'était rien passé. « Somme toute, dit-il, voici ce qu'il faudra faire : demander à celui qui t'est le plus proche parent s’il veut de toi pour femme ; s'il dit oui, tu le suivras ; s'il renonce, je t'emmènerai au nom de la loi pour vivre avec moi. »
[7] Ruth, III, 1.
[8] Josèphe souligne brutalement ce qui est très discrètement indiqué dans l'Écriture, à supposer même que l'idée d'un commerce charnel soit impliquée dans les paroles de Noémi (Ruth, III, 4). Le mot grec employé par Josèphe ne comporte pas ici une interprétation platonique. [T. R.]
4.[9] Quand elle eut raconté cet entretien à sa belle-mère, elles éprouvèrent un grand contentement, espérant désormais que Boaz prendrait soin d'elles. Et ce dernier[10], étant descendu vers midi dans la ville, réunit les Anciens et, ayant mandé Ruth, il appela aussi le parent ; quand celui-ci arriva, il lui dit : « Ne possèdes-tu pas les héritages d'Elimélech et de ses fils[11] ? » Comme il l'avouait, ajoutant qu'il s'en était emparé en vertu des lois et de sa parenté : « Eh bien ! dit Boaz, il ne faut pas se souvenir des lois à moitié, mais s'y conformer complètement. La femme de Mallôn vient ici ; si tu veux être propriétaire de ses champs, il faut que tu l'épouses selon les lois ». Mais lui céda l'héritage et la femme à Boaz, qui était également parent des défunts, en alléguant qu'il avait déjà femme et enfants. Boaz donc, ayant pris les Anciens à témoin, ordonna à la femme de défaire le soulier de cet homme en s'approchant conformément à la loi et de lui cracher à la face. Cela fait, Boaz épouse Ruth, et il leur naît un enfant mâle un an après. Noémi, qui le nourrit, sur le conseil des femmes l'appela Obéd(ès), parce qu'il devait être élevé pour prendre soin de sa vieillesse. Car ôbèd dans la langue des Hébreux signifie qui sert. D'Obèd naquit Jessé(os)[12], et de ce dernier David(ès), qui fut roi et laissa le pouvoir à ses fils jusqu'à la vingt et unième génération. Toute cette histoire de Ruth, j'ai été obligé de la rapporter, voulant montrer la puissance de Dieu et comme il lui est facile d'élever à un rang illustre les plus humbles, ainsi qu'il l'a fait pour David dont voilà l'origine.
[9] Ruth, III, 16.
[10] Ruth, IV, 1.
[11] La Bible n'en dit rien.
[12] Hébreu : Yischaï.