Le principal défenseur de l’orthodoxie nicéenne en Occident est saint Hilaire.
Hilaire est né probablement à Poitiers même vers l’an 315, d’une famille riche et païenne. Peu avant 350, étant déjà marié, il se convertit en étudiant l’Ancien et le Nouveau Testament, et ne tarda pas à être porté, par le suffrage populaire, sur le siège épiscopal de sa ville natale. L’année 355 le mit en plein relief. Constance s’efforçait alors d’amener les évêques gaulois à souscrire à des formules ariennes. Quelques-uns avaient déjà signé au concile de Milan de 355. Saturnin d’Arles, l’homme de l’empereur, se flatta de gagner les autres à un concile de Béziers, tenu en 356. Hilaire résista et encouragea la résistance : il fut banni en Phrygie. Au fond, cet exil lui fut avantageux. Dans ses loisirs forcés, il apprend le grec, s’initie à toute la controverse arienne qu’il ne connaissait que superficiellement, compose le De trinitate et le De synodis, et offre à ses adversaires de discuter avec eux devant l’empereur. Sous prétexte qu’il trouble l’Orient, on le renvoie en Gaule. Il s’y emploie immédiatement à ramener les égarés et à réconcilier ceux qui, plus par faiblesse que par conviction, avaient souscrit aux formules hétérodoxes. De concert avec Eusèbe de Verceil, il entreprend, de 362 à l’automne de 364, la même œuvre en Italie. Il rentre alors à Poitiers, où il meurt le 13 janvier 367 ou 368.
On a appelé saint Hilaire l’Athanase de l’Occident. Et il est vrai qu’il ressemble à Athanase par la fermeté du caractère, la noblesse des vues, l’art de manier les esprits, par le rôle aussi qu’il a joué dans les débats doctrinaux du temps. Mais ce rôle a été moins important et moins décisif que celui de l’évêque d’Alexandrie, d’abord parce que l’Occident n’avait pas été troublé autant que l’Orient par la nouvelle hérésie, puis parce qu’Hilaire n’a consacré que dix ans à peine de sa vie à la combattre.
Mais si Hilaire est inférieur à Athanase comme homme d’action, s’il a même moins écrit que lui, il lui est supérieur comme homme de spéculation et d’étude. Il pénètre plus avant que lui dans les questions, et sa pensée a quelque chose de plus original et de plus fort. Il devait certainement beaucoup aux Grecs en théologie et surtout en exégèse. Néanmoins saint Jérôme a singulièrement exagéré en le présentant comme un simple plagiaire ou traducteur d’Origène. Hilaire était capable de pensée personnelle, et il a su, quand il le fallait, s’écarter des opinions d’Origène. Son style a beaucoup occupé la critique. Saint Jérôme le trouvait noble, élevé, mais trop savant et peu compréhensible pour le commun des lecteurs : Hilaire avait chaussé le cothurne gaulois (Epist lviii, 10). Ce jugement a du vrai : on croit généralement que l’évêque de Poitiers avait pris Quintilien pour modèle (saint Jérôme, Ep. lxx, 5). En tout cas, il soignait de près son style et croyait devoir ce soin à la majesté des mystères dont il traitait. Il y a donc dans sa composition de l’effort, et parfois de l’obscurité et de l’embarras : mais il faut dire, à la décharge de l’auteur, qu’il était à peu près le premier auteur gaulois écrivant en latin sur des matières théologiques, et qu’il a dû pour cela, un peu comme Tertullien, créer une langue nouvelle. Celle qu’il a parlée est, en somme, remarquablement expressive et forte.
L’œuvre littéraire de saint Hilaire comprend des commentaires bibliques, des traités dogmatiques, des mémoires historico-polémiques, des lettres et des hymnes.
I. Exégèse.
On a de saint Hilaire un Commentaire sur saint Matthieu à peu près complet, écrit entre les années 353-355. Sans négliger le côté historique, l’auteur y vise surtout à l’édification. Un Commentaire sur les Psaumes, qui date de 365 environ et qui s’étendait à tous les psaumes, n’est conservé actuellement que pour les psaumes 1, 2, 9, 13-14, 51-69, 91, 118-150. Le texte expliqué est celui des Septante, et l’auteur s’y est largement inspiré d’Origène. Un tractatus ou même des homélies sur Job n’ont laissé que peu de traces ; mais on peut rapporter à l’exégèse le Liber mysteriorum, en deux sections, attesté par saint Jérôme (Vir. ill., 100) et retrouvé pour une bonne partie par Gamurrini. Cet ouvrage, en effet, n’est pas, comme on le pourrait croire, un traité liturgique : c’est une explication des figures que contient l’Ancien Testament par rapport au Nouveau. Il est postérieur à l’an 360.
II. Dogme.
Le principal écrit dogmatique de saint Hilaire est le traité De la Trinité en douze livres, composé entre les années 356-359, et qui a pour objet, non d’exposer toute la doctrine trinitaire, mais de traiter à fond de la divinité pleine et entière du Fils. C’est une des œuvres les plus solides qu’ait produites la théologie nicéenne. Les manuscrits y joignent assez souvent, comme livre xiii le De synodis seu De fide Orientalium, qui comprend lui-même deux parties très distinctes. La première (10-63), surtout historique, est une sorte de mémoire adressé aux évêques de Germanie, de Gaule et de Bretagne pour les renseigner sur les vicissitudes de la controverse arienne en Orient depuis le concile de Nicée. La seconde (66-91) est un appel aux semi-ariens du groupe de Basile d’Ancyre pour leur faire accepter l’homoousios, et obtenir d’eux qu’ils s’unissent avec les nicéens contre les anoméens et les partisans d’Acace. Cette attitude conciliante d’Hilaire fut plus tard critiquée par certains orthodoxes : il répondit à ces critiques par son petit écrit Apologetica ad reprehensores libri De synodis responsa (P. L., x, 545-548).
III. Histoire et polémique.
Saint Hilaire a laissé des Fragmenta ex opere historico très importants pour l’histoire, mais dont la provenance est difficile à déterminer. D’après les plus récents travaux, ces fragments seraient des extraits d’un grand ouvrage (Opus historicum) obtenu lui -même par la réunion de trois autres ouvrages moins considérables, à savoir : le Livre I à l’empereur Constance (P. L., x, 557-504, abrégé d’un écrit plus étendu postérieur au synode de Béziers) ; un second ouvrage sur l’histoire des conciles de Rimini et de Séleucie, composé en 359-360 ; et enfin un troisième ouvrage auquel a appartenu l’Epistula Germinii ad Rufianum (fragment 15), et qui était postérieur à l’an 366.
Le deuxième livre d’Hilaire à Constance (Liber II ad Constantium Augustum, P. L., x, 563-572), écrit en janvier 360, demandait à l’empereur une confrontation de son auteur avec Saturnin d’Arles. Cette audience lui ayant été refusée, Hilaire, pour qui la mauvaise foi de Constance ne faisait plus de doute, écrivit le Contra Constantium imperatorem (printemps de 360), pamphlet qui ne vit le jour qu’après la mort de l’empereur (3 novembre 361). — Au séjour de l’évêque de Poitiers en Italie se rapporte le traité Contre les ariens ou Contre Auxence de Milan, qui raconte le ministère d’Hilaire dans la péninsule, et invite les évêques à se retirer de la communion d’Auxence. Un petit écrit Contre le médecin Dioscore, signalé par saint Jérôme (Vir. ill., 100), est perdu.
IV. Lettres et hymnes.
On sait que saint Hilaire avait écrit de nombreuses lettres. Toutes ont disparu, même la lettre à sa fille Abra, dont la Patrologie latine (x, 549-552) donne un texte de fabrication postérieure. L’évêque de Poitiers était également l’auteur d’un Liber hymnorum ; mais entre les hymnes qui lui sont attribuées, trois seulement, découvertes par Gamurrini, sont sûrement authentiques. Elles sont d’ailleurs de contexture savante et peu faites pour le chant populaire.