En traitant des vocables προφητεύω et μαντεύομαι (§ 6), j’ai fait remarquer la régularité avec laquelle, dans certains cas, la ligne de démarcation entre ce qui est sacré et ce qui est profane, entre la vraie religion et la fausse, se maintient dans l’emploi des mots, chacun de ces mots conservant l’application qui lui est propre.
Voici un autre exemple de celle précision. Le N. T. se sert toujours de θυσιαστήριον (le mot y est employé plus de vingt fois) pour marquer l’autel du vrai Dieu, tandis que, dans le seul cas où il ait été nécessaire de désigner un autel païen (Actes 17.23), le N. T. substitue βωμός à θυσιαστήριον. Cette distinction est, à vrai dire, commune à toute la littérature grecque sacrée et ecclésiastique, à celle qui précède comme à celle qui suit les écrits de la Nouvelle Alliance. Ainsi les auteurs de la version des Septante étaient si bien décidés à marquer la différence entre les autels du vrai Dieu et ceux sur lesquels on offrait des choses abominables, qu’il y a tout lieu de croire qu’ils inventèrent le mot θυσιαστήριον dans le dessein de maintenir cette distinction, se montrant en ce point plus scrupuleux que les écrivains de l’A. T. eux-mêmes, qui se servent de מִזְבֵחַ pour l’un comme pour l’autre cas (Lévitique 1.9 ; Ésaïe 17.8). J’ai à peine besoin de dire que θυσιαστήριον, qui est proprement le neutre de θυσιαστήριος, comme ἱλαστήριον (Exode 25.17 ; Hébreux 9.5) l’est de ἱλαστήριος, ne trouve place nulle part dans le grec classique ; et c’est ce fait, qu’il est de la fabrication des Septante, que Philon, nous devons le supposer, a en vue quand il affirme que Moïse inventa le mot (De Vit. Mos. 3.10). Les Apocryphes de l’A. T. n’observent pas invariablement cette distinction. C’est ainsi qu’il y a trois endroits, un dans le second livre des Maccabées (2 Maccabées 13.8), et deux dans l’Ecclésiastique (Siracide 50.12, 14), ou βωμός désigne un autel du vrai Dieu ; ces deux écrits, il faut s’en souvenir, hellénisent beaucoup. Βωμός est aussi employé de la même manière de temps à autre par Philon ; ainsi De Vit. Mos. 3.29. D’autre part θυσιαστήριον représente quelquefois un autel d’idoles ; voyez Juges 2.2 ; 6.25 ; 2 Rois 16.10, etc. Ces cas sont cependant tout à fait rares, car l’antagonisme entre les mots se produit quelquefois de la manière la plus vive. Par exemple, dans 1 Maccabées 1.62, où l’historien raconte comment les serviteurs d’Antiochus offrirent des sacrifices à Jupiter Olympien sur un autel qui avait été élevé au dessus de l’autel du Dieu d Israël : θυσιάζοντες ἐπὶ τὸν βωμόν ὃς ἦν ἐπὶ τοῦ θυσιαστηρίου. Le latin possède également deux mots pour βωμός et θυσιαστήριον ; car, à une époque très reculée, l’Église adopta « altare » pour désigner son autel à elle, et assigna « ara » exclusivement aux usages païens. Ainsi Cyprien (Ep. 63) manifeste son étonnement de la hardiesse profane de l’un des « thurificati » (ou ceux qui, en temps de persécution, consentaient à sauver leur vie en brûlant de l’encens sur l’autel d’une idole païenne) — qui avait osé, sans l’absolution de l’Église, continuer son ministère — « quasi post aras diaboli accedere ad altare Dei fas sit ». Nous avons dit que la distinction entre nos deux vocables, établie premièrement par les Septante et reconnue par le N. T., fut dans la suite observée par les écrivains ecclésiastiques ; en effet, l’Église conserva sa θυσία αἰνέσεως (Hébreux 13.15) et ce qui est à la fois sa θυσία ἀναμνήσως et son ἀνάμνησις θυσίας et, par conséquent, son θυσιαστήριον. C’est ce qui se voit par le passage suivant de Chrysostôme (in 1Ep. ad Cor., Hom. 24), où ce père fait parler Christ ainsi : ὥστε εἰ αἵματος ἐπιθυμεῖς μὴ τὸν τῶν εἰδώλων βωμὸν τῷ τῶν ἀλόγων φόνῳ ἀλλὰ τὸ θυσιαστήριον τὸ ἐμὸν τῷ ἐμῷ φοίνισσε αἵματι. Comparez Mede, Works, 1672, p. 391 ; et Augusti, Handbuch der Christl. Archæol., vol. 1, p. 412.