L’homme, comme tous les êtres animés, est le produit de deux éléments : la terre ou la poudre, et l’Esprit divin (Genèse 2.7 ; Psaumes 104.20, 30 ; 146.4). Quand l’Esprit créateur s’unit à la matière terrestre en général, il en résulte une âme. Quand Dieu souffle son esprit de vie dans un morceau de terre auquel il vient de donner la forme d’un corps d’homme, alors il en résulte une âme humaine dans un corps humain. Mais si les animaux et les hommes ont ainsi l’Esprit divin pour commune source de vie, ce n’est pas à dire pourtant qu’ils aient une origine absolument pareille. D’après Genèse 1.24, les animaux sortent de la terre comme les plantes, ensuite d’un ordre divin ; ce qui anime les bêtes, c’est donc l’Esprit créateur qui, dès Genèse 1.2, est entré dans la matière et l’a pénétrée ; les animaux sont bien en l’apport avec l’Esprit de Dieu, mais avant d’arriver à eux, cet Esprit a commencé par accomplir le grand acte de la création générale. — L’âme humaine, au lieu de sortir de la terre, est le produit d’un acte tout particulier de Dieu (Genèse 2.2, comparé à Genèse 1.26). Le corps de l’homme est formé avec de la terre, à part de son âme et avant elle. Indépendamment donc de la vie que lui communiquera son âme quand elle lui sera insufflée, il a déjà en soi toutes les forces vitales que la matière possède depuis Genèse 1.2. Toutefois ces forces vitales ne font pas encore du corps inanimé de l’homme un corps vivant ; ce n’est que lorsque Dieu lui-même soufflera directement un esprit de vie dans ce corps, qu’il se trouvera en possession d’une âme humaine. On a pensé que c’est à cause de cette différence spécifique qu’il y a entre l’âme des animaux et l’âme humaine, que Genèse 2.7, emploie en parlant de l’âme de l’homme l’expression : נשמה au lieu du mot ordinaire qui est נפשe. Mais dans le récit du déluge (Genèse 7.22), quand il est dit que toute âme (נשמה) mourut, il est peu naturel de ne voir ici que les hommes à l’exclusion des bêtes, puisque, avant et après, il est parlé de la destruction absolue de tout être vivant. Il est vrai que dans Deutéronome 20.16 ; Josué 10.40 ; 11.11-14, le mot de נשמה ne désigne que des hommes, mais dans ces passages-là le contraste ne permet pas de s’y méprendre. Voyez pour Deutéronome 20.16, le v. 18 ; et, pour les deux citations de Josué, lisez Josué 8.2, verset en vertu duquel le bétail a été dès ce moment exempté de l’interdit. Autrement on pourrait aussi bien inférer de Josué 11.11, où le mot נפש s’applique uniquement à des hommes, que c’en est l’unique sens. — Disons plutôt que נשמה n’est jamais employé pour désigner exclusivement l’espèce de vie que les animaux possèdent aussi bien que l’homme. Voyez Ésaïe 42.5 ; Proverbes 20.27 ; Job 32.8 ; Psaumes 150.6.
e – Beck, Hahn et beaucoup de rabbins. Il y a même eu des rabbins qui ont rapproché נשמה, âme humaine, de שמים, cieux.
Ainsi l’Esprit de vie venant s’unir à la matière, voilà, non pas ce qui anime, ainsi qu’on a parfois compris Genèse 2.7, l’âme qui aurait déjà existé auparavant dans le corps, — mais la substance même de l’âme humaine. Dans la poudre comme telle, il n’y a point encore d’âme, pas même à l’état latent. L’âme ne se trouve que dans la chair. Or la poudre ne devient chair que quand l’Esprit s’est uni à elle (Genèse 6.17 ; 7.15 ; Job 12.10 ; 34.14-15). On a opposé à ceci que, dans certains passages (Lévitique 21.11 ; Nombres 6.6), des corps morts, des corps que leur âme a quittés (voyez Genèse 35.18)f, sont appelés des âmes mortes. Mais nous croyons que c’est là un euphémisme : nous parlons bien d’une personne morte, sans que pour cela nous fassions résider la personnalité dans le corps. Ou bien peut-être cette manière de parler provient-elle de cette impression qu’on éprouve auprès d’une personne qui vient de mourir et dont l’âme semble ne s’être pas encore complètement dégagée des liens du corps.
f – Littéralement : Il arriva comme son âme rue sortait…
Delitzsch, dans sa Psychologie biblique, 2e édition, p. 447, s’exprime ainsi à cet égard. « Tout ce que l’homme vivant avait dans son intérieur, on peut, en regardant son cadavre, le voir pour ainsi dire exposé aux yeux de chacun ; on peut plonger ses regards dans les profondeurs de la paix ou des angoisses qui ont accompagné les instants suprêmes. L’âme plane encore sur le moule qu’elle vient à peine de quitter : elle l’anime d’un reflet de gloire ou de terreur. C’est pour cela que les cadavres font une impression si étrange et que l’A. T. les appelle des âmes. »
Mais de même que l’âme est un produit de l’Esprit qui est ainsi la base de son existence, — de même elle ne vit et ne subsiste que par l’Esprit. Pour continuer de vivre, il faut qu’elle reste en rapport avec la source de toute vie. « L’esprit de Dieu m’a fait, lisons-nous en Job 33.4, et le souffle du Tout Puissant m’anime » (ce dernier verbe est à l’imparfait de durée). La première partie de ce verset parle de la production, la seconde de la conservation de l’âme. Quand l’Esprit se retire, l’âme s’affaiblit et meurt (§ 78) ; quand au contraire l’Esprit lui est abondamment communiqué, elle jouit d’une énergie vitale toute nouvelle.
Nous sommes à même de comprendre maintenant pourquoi l’A. T. emploie dans certains cas le mot d’âme et dans certains autres le mot d’esprit. C’est dans l’âme que réside l’individualité, la personnalité de l’homme, son moi. L’homme n’est pas esprit ; il a l’esprit ; mais il est âme. Mon âme, ton âme, peut donc se dire pour : moi-même, toi-même. Mais mon Esprit n’a pas ce sensg. C’est pour cela que l’âme est souvent mentionnée en lieu et place de la personne tout entière (Genèse 12.5 ; 17.14 ; Ezéchiel 18.4 et sq.). Job épuisé par la maladie, s’écrie : Job 17.1 : « Mon esprit est ruiné ! » Son âme ne fait plus que de végéter encore un moment. L’Egyptien que les gens de David ont trouvé mourant de faim, mange et revient à lui : « Son esprit revient » (1 Samuel 30.12. Comparez Juges 15.19). Mais quand quelqu’un vient à mourir, il est dit que son âme s’en va, qu’elle sort, qu’elle est reprise (Genèse 35.18 ; 1 Rois.19.4 ; Jonas 4.3). Un mort revient-il à la vie, c’est son âme qui revient (1 Rois 17.22). Jacob retrouve le fils qu’il a longtemps cru perdu ; la joie ranime ses forces depuis longtemps amoindries ; « son esprit revient », dit Genèse 45.27. En revanche, c’est l’âme qui vit quand il est question d’un homme qui échappe à un péril et qui conserve la vie (Jérémie 38.17,20). Voyez aussi Psaumes 30.4 : « Tu as ramené mon âme du Schéol ; » Psaumes 16.10 : « Tu ne tiendras pas mon âme au Schéol. » Quand un homme réfléchit, il le fait grâce à l’esprit qui l’anime (Job 32.8 ; Proverbes 20.27). Quand la reine de Scéba, emportée par la vivacité de son admiration, est parvenue au bout de ses pensées, il est dit qu’il n’y avait plus d’esprit en elle. Mais la personne qui réfléchit, le sujet qui pense, c’est l’âme (§ 71). C’est l’esprit qui pousse à l’action et qui donne l’impulsion (Exode 35.21) ; aussi l’homme qui sait se maîtriser est-il appelé le « dominateur de son esprit » (Proverbes 16.32) ; mais le sujet qui fait l’action n’est pas l’esprit, c’est l’âme. C’est l’âme qui pèche (Ezéchiel 18.4). Aimer est l’affaire de l’âme (Genèse 34.3,8 ; Cantique des cantiques 5.6)h.
g – En Arabe il en est autrement.
h – Ces mots : Mon âme sortit ne doivent point s’entendre d’une sorte d’évanouissement, comme de Wette le fait encore. Il semble à la Sulamite qu’elle sort d’elle-même pour suivre son bien-aimé.
Dans certains cas ces deux mots semblent être employés indifféremment l’un pour l’autre ; c’est lorsqu’une seule et même manière d’être peut être considérée en elle-même ou bien quant à son principe. Ainsi on peut dire : « D’où vient que ton esprit est si triste ? » (1 Rois 21.5) et « Pourquoi t’abas-tu, mon âme ? » (Psaumes 42.11). Etre impatient, c’est avoir l’âme courte (Nombres 21.4), ou avoir l’esprit court (Exode 6.9 ; Job 21.4) ; la tristesse est appelée une amertume d’esprit (Genèse 26.35) et une amertume de l’âme (Job 27.2). Voyez encore Genèse 41.8 ; Psaumes 6.4, ainsi que la gradation Ésaïe 26.9 : « En mon âme je te désire ; oui, en mon esprit, avec toute la force de ma vie intérieure, je te cherche. »
Il résulte de ce qui précède que l’A. T. ne considère point le corps, l’âme et l’esprit comme coordonnés et existant l’un à côté de l’autre à des titres égaux. Nous dirions plutôt que ce qui constitue l’homme c’est l’âme et la chair, qui sont le produit de l’union de l’esprit avec la matière, (Psaumes 84.3 ; Ésaïe 10.18 ; Psaumes 16.9). L’Esprit, c’est d’une part la substance de l’âme, en sorte qu’on peut dire qu’il s’individualise en formant une âme ; c’est d’autre part, quand une fois l’âme est formée, la source de toute force pour cette âme, la source de toutes ses facultés, — facultés qui lui sont accordées et qui peuvent lui être retirées.
On a de tout temps voulu conclure de quelques passages de l’A. T. qu’il enseigne la préexistence des âmes dans le Schéol, dans l’empire des morts. On cite surtout Psaumes 139.15 ; Job 1.21. Mais ce seraient là des passages uniques en leur genre. Quant au premier, il renferme évidemment une comparaison abrégée : « Quand je fus formé dans les profondeurs de la terre », cela signifie, sans que la chose présente la moindre difficulté : … dans un lieu aussi caché, aussi obscur que le sein de la terre, c’est-à-dire dans le sein de ma mère. — Quant au second passage : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, nu j’y rentrerai », on prétend que, dans le premier membre de la phrase, il est question du sein de la terre, puisque tel est le sens du second membre de la phrase. Mais il y a ici une sorte de zeugme. Le sein maternel dans le sens propre répond au sein maternel dans le sens figuré, le sein de la terre. Car il y a de grands rapports entre l’état qui précède la naissance et celui qui suit la mort. — En revanche, nous accordons qu’il y a dans la Sapience, Sagesse 8.20, un écho de certaines idées platoniques.