C’est une assertion assez fréquente de nos anciens théologiens que μετάνοια et μεταμέλεια, ainsi que leurs verbes respectifs, s’emploient : μεταμέλεια, quand on veut simplement exprimer le désir que ce qui a été fait n’ait pas été fait, désir mêlé de regrets et même de remords, mais suivi d’aucun changement réel du cœur ; μετάνοια, quand il s’agit d’un vrai changement du cœur à l’égard de Dieu. Ce fut Th. de Bèze, je crois, qui le premier établit cette règle. Plus d’un exégète la suivit ; voyez Spanheim, Dub. Evang., vol. 3, dub. 9 ; et Chillingworth (Sermons before Charles I, p. 11) : « Il vaut la peine de faire remarquer que lorsque l’Écriture parle de cette repentance qui n’est que la tristesse d’avoir commis quelque faute qu’on voudrait n’avoir pas commise, elle emploie constamment μεταμέλεια, repentance à laquelle le pardon des péchés n’est nulle part promis. Ainsi il est écrit de Judas, le fils de perdition, Matthieu 27.3 : μεταμεληθεὶς ἀπέτρεψε, « il se repentit et alla se pendre ; » il en est sans cesse de même dans d’autres passages. Mais la repentance à laquelle le pardon des péchés et le salut sont promis est toujours rendue par le mot μετάνοια, qui indique un changement radical du cœur et de l’âme, de la vie et des œuvres. »
Qu’il me soit permis, avant d’aller plus loin, de rectifier une légère erreur qui s’est glissée dans la citation. Μεταμέλεια ne se trouve nulle part dans le N. T. ; on le rencontre une fois seulement dans l’Ancien (Osée 11.8), si nous pouvons nous fier à Trommius. En traitant des synonymes du N. T., c’est proprement entre les verbes seuls que l’on peut établir des comparaisons ou chercher à faire des distinctions, quoiqu’à vrai dire, ce qu’on peut affirmer des verbes, on peut l’affirmer de leurs substantifs. L’assertion de Chillingworth aura également besoin, comme on le verra bientôt, d’une certaine limitation. Jeremy Taylor nous accorde ce point. Ses paroles, que nous lisons dans son grand traité : On the doctrine and practice of Repentance, ch. 2, 1, 2, sont comme suit : « Les Grecs font usage de deux mots pour caractériser ce devoir : μεταμέλεια et μετάνοια. Μεταμέλεια vient de μεταμελεῖσθαι post factum angi et cruciari, être affligé en son esprit, être troublé de telle action mauvaise qu’on a faite ; la μεταμέλεια est une δυσαρέστησις ἐπὶ πεπραγμένοις, dit Phavorinus, un mécontentement de ce qu’on a fait ; le mot est généralement usité pour désigner toute espèce de repentance ; mais plus rigoureusement pour signifier ou le commencement d’une bonne repentance ou l’état entier d’une repentance sans effets. St. Matthieu emploie le mot dans le premier sens : ὑμεῖς δὲ ἰδόντες οὐ μετεμελήθητε ὕστερον τοῦ πιστεῦσαι αὐτῷ, « et vous, voyant cela, ne vous êtes point repentis pour croire en Lui ». Judas nous fournit un exemple du mot dans le second sens : μεταμελήθεις ἀπέστρεψε, il « se repentit » aussi, mais la fin de cette repentance fut qu’il mourut dans l’angoisse et le désespoir. Il y a dans cette repentance une tristesse par rapport à ce qui s’est fait, un dégoût de la faute et de ses effets ; jusque-là ce n’est qu’un changement de disposition. Mais ce changement qui n’affecte que l’esprit, aboutit uniquement à lui causer du trouble, du chagrin, et ne tire pas davantage à conséquence. Pour indiquer quelque chose de mieux, on employait μετάνοια. Une différence établie, μετάνοια fut le mot préféré. Ce vocable ne veut pas dire proprement la tristesse d’avoir mal fait, mais quelque chose de plus noble que cela, quelque chose qui entre par la porte de la douleur ; car ἡ κατὰ Θεὸν λύπη, la tristesse selon Dieu, la μεταμέλεια, ou le premier commencement de la repentance, μετάνοιαν κατεργάζεται, produit la repentance définitive, μετάνοιαν ἀμεταμέλητον et εἰς σωτηρίαν ». Telle est l’assertion de Jeremy Taylor. Bientôt cependant il admet que, « quoique les grammairiens distinguent entre ces mots, ils s’échangent indifféremment », et qu’il est impossible de tirer entr’eux une ligne de démarcation aussi précise que quelques-uns ont essayé de le faire. Affirmation en très grande partie fondée, mais non tellement qu’on ne puisse prouver très clairement que l’un et l’autre terme se meuvent dans une sphère particulière.
Μετανοεῖν c’est proprement connaître après, comme προνοεῖν, c’est connaître avant : μετάνοια, c’est la post-connaissance, comme πρόνοια, c’est la pré-connaissance ; distinction que fait bien ressortir Clément d’Alexandrie (Strom. 2.6) : εἰ ἐφ᾽ οἷς ἥμαρτεν μετενόησεν εἰ σύνεσιν ἔλαβεν ἐφ᾽ οἷς ἔπταισεν καὶ μετέγνω ὅπερ ἐστὶ μετὰ ταῦτα ἔγνω. βραδεῖα γὰρ γνῶσις μετάνοια. Puis μετάνοια signifie le changement d’esprit, résultat de cette arrière-connaissance ; ainsi Tertullien (Adv. Marcion. 2, 24) : « In græco sermone pœnitentiæ nomen non ex delicti confessione, sed ex animi demutatione, compositum est. » Ensuite, μετάνοια exprime le regret d’avoir suivi tel cours ; c’est le résultat du changement d’esprit produit par cette connaissance après coup ; « passio quædam animi quæ veniat de offensa sententiæ prioris », ce qui, comme l’affirme Tertullien (De pœnit. 1), était tout ce que les païens comprenaient de la repentance. A cette phase de son développement, on trouve μετάνοια uni à δηγμός (Plutarch., Quom. Am. ab Adul. 12) ; à αἰσχύνη (De Virt. Mot. 12) ; à πόθος (Pericles 10). Enfin μετάνοια signifie changement de conduite à l’avenir, conséquence de tout ce qui précède. — En même temps ce revirement d’idée et de conduite peut être tout aussi bien pour le pire que pour le mieux ; il n’est pas nécessaire qu’il soit une « resipiscentia ». Ainsi Plutarque (Sept. Sap. Conv. 21) nous parle de deux meurtriers, qui, après avoir épargné un enfant, « se repentirent » (μετενόησαν) et cherchèrent à le tuer ; Plutarque se sert de μεταμέλεια dans le même sens que s’il s’agissait d’une repentance d’une bonne actiona (De Ser. Num. Vin. 11) ; en sorte qu’ici encore Tertullien avait le droit d’exprimer cette plainte : (De Pœnit. 1) : « Quam autem in pœnitentiae actu irrationaliter deversentur (ethnici), vel uno isto satis erit expedire, cum illam in etiam in bonis actis suis adhibent. Pœnitet fidei, amoris, simplicitatis, patientiœ, misericordiæ, prout quid in ingratiam ceci-dit. » Le regret peut être, et il l’est souvent, tout à fait en dehors du sentiment de quelque mal commis, de la violation de quelque loi morale : ainsi Plutarque définit : (De Lib. Ed. 14 ; Sept. Sap. Conv. 12 ; De Soler. Anim. 3) : λύπη δι᾽ ἀλγηδόνος ἣν μετάνοιαν ὀνομάζομεν, « mécontentement de soi-même, provenant de la douleur que nous appelons repentance » (Holland). Personne ne niera, sans doute, que ce mot, quoique rarement, n’ait ou quelquefois un sens moral. C’est le sens que Plutarque (De Serin. Num. Vin. 6) lui prête encore dans un passage qui offre un rapport remarquable avec Romains 2.4.
a – La repentance est le regret qu’on a de ses péchés. « Ému d’une humble repentance. » Boileau. Le repentir n’est que le regret d’avoir fait ou de n’avoir pas fait une chose. Voir le discours de Vinet : Le Repentir et la Repentance, Discours sur quelques sujets religieux, p. 379. Trad.
Ce n’est qu’après que la μετάνοια eut été élevée à la hauteur de l’idée scripturaire ou des écrivains qui se sont inspirés des Écritures, qu’elle en vint à signifier surtout un changement de l’âme, un examen du passé à un point de vue plus sage, συναίσθησις ψυχῆς ἐφ᾽ οἷς ἔπραξεν ἀτόποις (Phavorinus), un regret du mal qu’on fait, et une transformation de la vie pour le mieux. Mais tout cela est d’importation étrangère ; ni étymologiquement ni primitivement la μετάνοια ne renferme rien de semblable. Peu fréquent chez les Septante (voy. Jérémie 8.6 ; et aussi Siracide 44.15 ; Sagesse 11.24 ; 12.10, 19 ; μετάνοια se rencontre souvent dans Philon, qui l’associe à βελτίωσις ; (De Abrah. 3), et l’explique par πρὸς τὸ βέλτιον ἡ μεταβολή (ibid. et De Pœn. 2) ; tandis que, dans le N. T., μετανοεῖν et μετάνοια ne sont jamais employés que dans un sens moral. Chose étrange ! il est rare qu’on les trouve dans les écrits de saint Paul : μετανοεῖν n’y est qu’une seule fois, et μετάνοια, pas plus de quatre fois ; à moins que nous ne tenions compte des trois fois que l’épître aux Hébreux peut produire.
Mais, tandis que μετανοεῖν et μετάνοια gagnaient graduellement en profondeur de sens jusqu’à devenir les termes fixés et reconnus pour représenter ce grand changement dans l’esprit, le cœur, la vie, opéré par l’Esprit de Dieu, « changement de l’âme et de la volonté tellement salutaire qu’il en engendre un non moins efficace dans la vie et la pratique » (Kettlewell), le même honneur n’était accordé que d’une manière bien imparfaite à μεταμέλεια et à μεταμέλεσθαι. Le premier de ces vocables, que Plutarque définit : ἡ ἐπὶ ταῖς ἡδοναῖς ὅσαι παράνομοι καὶ ἀκρατεῖς αἰσχύνη (De Gen. Soc, 22), qu’il associe à βαρυθυμία (An Vit. ad Inf. 2) et Platon à ταραχή (Rep. 9.577, e), a été noté comme ne paraissant jamais dans le N. T. ; le second, seulement cinq fois, et une de ces fois, pour désigner la tristesse de ce monde qui produit la mort, celle de Judas Iscariot (Matthieu 27.3) ; une autre, pour exprimer, non la repentance de l’homme, mais celle de Dieu (Hébreux 7.21) ; et cela, tandis qu’on compte quelque vingt-cinq μετάνοια et quelque trente-cinq μετανοεῖν. Ceux qui se refusent à admettre soit dans le grec profane, soit dans le grec sacré une différence quelconque entre les mots pourront mettre le doigt sur des passages dans le grec profane ou μεταμέλεια est appliqué dans tous les sens que nous venons de réclamer ici pour μετάνοια, et d’autres passages ou les deux mots sont employés comme termes convertibles, et tous les deux exprimant le remords (Plutarch., De Tranq. Anim. 19). Dans le grec sacré, les mêmes adversaires peuvent indiquer des passages du N. T. ou μεταμέλεσθαι implique tout ce que μετανοεῖν aurait impliqué (Matthieu 21.29, 32) ; mais, admettant tout cela sans peine, qu’il s’agisse des auteurs sacrés ou des auteurs profanes, μετάνοια aura une préférence très marquée comme étant l’expression d’une repentance plus noble. Nous aurions pu nous attendre à cette conclusion, d’après la force relative de l’étymologie des mots. Celui qui a changé d’impression par rapport au passé, peut n’éprouver qu’une terreur égoïste à l’endroit des conséquences de son action ; en sorte que notre longue discussion sur la relation de ces mots l’un à l’autre peut se résumer dans ces paroles de Bengel, qui me paraissent l’exacte vérité, car elles accordent une différence sans la pousser trop loin (Gnomon N. T. ; 2 Corinthiens 7.10) : « D’après son sens étymologique, μετάνοια se rattache à la pensée, μεταμελεία à la volonté ; la première repentance indique le changement de vision, la seconde le changement de préoccupation ou de but. Mais parce que la pensée et la volonté sont étroitement liées les deux repentances vont ensemble et sont utilisés de manière indifférenciée par les philosophes, que la repentance soit relative à une bonne ou mauvaise action. Μεταμέλεια est utilisé généralement comme un terme intermédiaire (μέσον) à propos d’une action isolée. Tandis que μετάνοια a un sens positif dans le N. T. et désigne une repentance qui s’applique à la vie entière, procurant de saintes émotions au souvenir du mal commis, et portant par la suite des fruits. Ainsi μετανοεῖν est souvent mis à l’impératif, μεταμελεῖσθαι jamais. Partout où on lit μετάνοια, μεταμέλειαν pourrait lui être substitué, mais la réciproque n’est pas vraieb. »
b – Trench cite Bengel à latin, nous substituons ici une libre traduction. (ThéoTEX)