Venons « à la puissance de Damas, aux dépouilles de Samarie et au roi Assur. » Ici encore tu te laisses tromper par les mots, en t’opiniâtrant à y voir le présage d’un Christ conquérant, sans faire attention aux déclarations qui précèdent. « Avant que l’enfant sache nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas, et portera en triomphe les dépouilles de Samarie en face du roi des Assyriens. » L’énonciation de l’âge n’est point indifférente dans cette conjoncture. Si la faiblesse de cet enfant ne comporte point encore un rôle d’homme, à plus forte raison ne comporte-t-elle pas le rôle d’un général. En vérité, c’est par les vagissements de son berceau que le nouveau-né appellera ses peuples aux armes. Il donnera le signal du combat non avec la trompette mais avec son hochet. Que lui parlez-vous de char, de cheval ou de rempart pour découvrir l’ennemi ? C’est du sein de l’esclave qui le porte, c’est des bras ou des épaules de sa nourrice qu’il l’observe, et au lieu de mamelles, c’est Damas et Samarie qu’il s’assujettira. Que les nouveau-nés des hordes barbares qui habitent le Pont s’élancent au combat, athlètes, séchant d’abord au soleil leurs membres frottés d’huile, puis armés de langes, et payés avec du beurre, je n’ai plus rien à dire. Ils savent lancer le javelot avant de tourmenter le sein qui les allaite. Parlons sérieusement : si, d’après les lois de la nature, l’apprentissage de la vie précède partout celui de la milice, s’il est indispensable de connaître le nom de son père et de sa mère avant d’abattre l’orgueil de Damas, il faudra conclure de ces expressions, qu’elles sont figurées.
— « L’enfantement d’une vierge ne contredit pas moins la nature, et cependant vous croyez le prophète. » – Oui, et avec justice. Il a préparé ma foi à une chose incroyable en me donnant pour motif qu’elle servirait de signe. « C’est pourquoi le Seigneur vous le donnera comme un signe. Voilà qu’une vierge concevra et enfantera un fils. » Si ce n’eût pas été quelque nouveauté prodigieuse, le signe eût semblé peu digne de Dieu. En effet, les Juifs ont beau alléguer, pour renverser notre foi, que les livres saints n’ont point entendu parler ici d’une vierge, mais d’une jeune fille. Mensonge absurde qui se réfute par lui-même ! Un événement aussi commun que la conception et la maternité chez une jeune fille pouvait-il être signalé comme un prodige ? Mais une vierge mère ! voilà un signe auquel j’ai raison de croire. Il n’en va pas de même d’un conquérant nouveau-né. J’y chercherais vainement la raison du signe.
Après cette naissance, toute miraculeuse, arrive un ordre moins élevé. « . L’enfant mangera le miel et le beurre. » Qu’est-ce à dire ? il fermera son cœur à la malice. Là, point de prodige. Car l’innocence et la simplicité sont l’apanage de l’enfance ; mais « la puissance de Damas qu’il doit renverser, les dépouilles de Samarie qui l’attendent en face du roi Assur, » cachent un sens plus mystérieux. Ne perdons pas de vue l’âge du nouveau-né, et cherchons l’interprétation de la prophétie. Fais mieux ! Restitue à l’Evangile de la vérité son intégrité altérée entre les mains de qui est venu le second. Alors s’évanouissent les obscurités de la prédiction aussi bien que l’ incertitude de son accomplissement. Alors apparaissent du fond de l’Orient, les mages déposant aux pieds de l’Enfant-Dieu, l’hommage de l’or, de l’encens ; et le Christ, à son berceau, sans armes, sans combats, enlève les dépouilles de Samarie. Outre que la richesse principale de l’Orient réside dans son or et ses parfums, comme personne ne l’ignore, c’est le Créateur qui affermit la force et la puissance de chaque nation, suivant Zacharie : « Juda s’unira à Jérusalem pour les vaincre, et ils amasseront les richesses des nations, l’or, l’argent et les étoffes précieuses en grand nombre. » David entrevoyait déjà l’honneur rendu à son Dieu, quand il s’écriait : « L’or de l’Arabie lui sera donné ; » et ailleurs : « Les rois d’Arabie et de Saba mettront à ses pieds leurs offrandes. » L’Orient, en effet, fut presque toujours gouverné par des mages, et Damas était autrefois comptée comme une dépendance de l’Arabie, avant que la distinction des deux Syries l’incorporât à la Syrophénicie, Le Christ, en recevant l’hommage de son or et de ses parfums, opulence de Damas, conquit donc spirituellement sa puissance.
Par les dépouilles de Samarie, il faut entendre lus mages eux-mêmes qui, après avoir connu le Christ ; après être venus le chercher sur la foi de son étoile, leur témoin et leur guide ; après l’avoir adoré humblement comme leur monarque et leur Dieu, représentaient par leur foi nouvelle dans le Christ les dépouilles de Samarie, c’est-à-dire de l’idolâtrie vaincue. En effet, au lieu de l’idolâtrie, le prophète a nommé allégoriquement Samarie, diffamée par ses superstitions et sa révolte contre Dieu sous Jéroboam. Est-ce la première fois que le Créateur emploie une transposition de termes pour désigner des crimes semblables ? Ainsi il appelle les magistrats qui gouvernent son peuple des magistrats de Sodome ; sa nation elle-même n’est plus pour lui que la nation de Gomorrhe. « Votre père était Amorrhéen, et votre mère Céthéenne, » dit-il à ces mêmes enfants qu’il avait « autrefois engendrés et nourris, » parce qu’ils avaient imité les dérèglements de ces populations. Ainsi encore l’Égypte signifie souvent dans son langage la flétrissure attachée au monde de l’idolâtrie et de la malédiction. Ainsi encore Babylone, sous la plume de notre évangéliste, représente la grande cité romaine, immense, orgueilleuse de sa domination, et se baignant dans le sang des martyrs. Tel est aussi le sens du nom de Samaritains donné aux mages ; dépouillés, ajoute-t-il, parce qu’ils avaient participé aux superstitions idolâtriques de Samarie.
— Mais le roi d’Assyrie ?
C’est Hérode que les Mages trompèrent en ne venant pas lui annoncer ce qui regardait l’enfant miraculeux qu’il cherchait à surprendre.