Si nous avons placé à Rome, plutôt qu’à Césarée, la composition des trois lettres précédentes, à plus forte raison y placerons-nous aussi, avec la presque totalité des critiques, celle de l’épître aux Philippiens. Thiersch et Macpherson font seuls exception, si je ne me trompe. La manière dont Paul parle de la conduite des chrétiens qui l’entourent, suppose une église bien plus considérable que celle de Césarée. et les espérances de libération qu’il énonce paraissent plus rapprochées que celles qu’il pouvait concevoir à Césarée.
Mais surtout le terme de prétoire tout court (1.13) ne peut, sans faire violence à son sens naturel, être appliqué au palais ou prétoire d’Hérode à Césarée (Actes 23.35) ; et celui de maison de César (4.22) peut encore bien moins désigner la maison du gouverneur Félix, en tant qu’affranchi de César.
Pour l’époque de la composition, dans la supposition de l’authenticité, la question est uniquement de savoir si notre lettre a précédé ou suivi les trois précédentes. Bleek penche pour la première opinion ; M. Farrar se prononce positivement dans ce sens. Il insiste sur les analogies entre cette épître et celle aux Romains ; mais il y en a de semblables entre toutes les lettres de Paul, et de Soden en a démontré de bien plus frappantes avec l’épître aux Colossiens. M. Farrar allègue encore l’absence de toute controverse avec le judaïsme semi-gnostique combattu dans l’épître aux Colossiens ; il pense qu’il est contraire à toute psychologie d’admettre qu’on ne trouvât aucune trace de cette polémique dans notre lettre, si elle avait suivi celle aux Colossiens. Mais « cette philosophie hybride » des faux docteurs, comme il s’exprime, pouvait n’avoir point encore pénétré en Grèce, et la circonstance qu’il n’y est pas même fait allusion dans l’épître aux Éphésiens, écrite en même temps que celle aux Colossiens et pour des églises voisines, montre à quel point le mal était encore localisé.
Le temps qui s’était écoulé depuis l’arrivée de Paul à Rome jusqu’à la composition de notre épître doit avoir été assez considérable. Paul rapporte dans le ch. 1 des effets nombreux de son séjour dans cette ville, dont on ne voit pas la moindre trace dans les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens. Puis, on avait appris à Philippes sa position difficile et l’on avait eu le temps d’y porter remède. La nouvelle de la maladie d’Épaphrodite était arrivée à Philippes et Paul avait appris à son tour l’inquiétude des Philippiens à l’ouïe de cette nouvelle. Tout cela avait réclamé bien du temps.
Enfin Luc et Aristarque, qui étaient arrivés avec Paul à Rome, n’y étaient plus à cette heure ; car il n’y a pas de salutations de leur part dans cette lettre, tandis qu’elles ne manquent point dans les lettres aux Colossiens et à Philémon. Il est plus simple d’admettre qu’après un certain temps passé avec l’apôtre, ils s’étaient éloignés pour quelque mission, que de supposer qu’ils s’étaient d’abord éloignés et qu’ils étaient ensuite revenus.
La date de l’épître aux Philippiens est donc certainement : Rome, vers la fin de 63 ou le commencement de 64. D’autres dates plus tardives supposent l’inauthenticité de l’épître.
La situation qui a donné lieu à cette lettre n’a été discutée qu’à un seul point de vue. Quelques critiques, comme Eichhorn et surtout Rheinwald, ont pensé que l’église était profondément divisée entre les deux partis paulinien et judéo-chrétien et que c’est à leur réunion qu’a voulu travailler l’apôtre. D’autres, tels que Néander et Schinz, ont absolument nié l’existence de cette division et rapporté les exhortations à l’union à de simples divisions et rivalités personnelles entre certains membres de l’église. Baur et en dernier lieu Holsten ont repris l’opinion d’Eichhorn. En étudiant l’épître, nous n’y avons rencontré la trace d’aucune division intérieure portant sur la conception de l’Evangile. Paul, en s’adressant à l’église, appuie même avec une insistance particulière sur le pronom tous (1.4,7). S’il fait allusion (ch. 3) aux docteurs judéo-chrétiens, c’est comme à des gens qui sont à distance et dont il faut surveiller les approches ; comparez les trois βλέπετε, ayez les yeux sur (3.2). Les rivalités auxquelles il fait allusion sont de nature purement personnelle.
Les exhortations de l’apôtre prouvent que l’état de l’église était en général satisfaisant. Mais la communauté chrétienne qui marche le mieux a toujours besoin de trois avertissements : Jouissez avec reconnaissance de l’amour divin dont vous êtes les objets ; c’est le ton de toute l’épître. Restez unis, en ne permettant pas à des questions d’amour-propre ou d’intérêt de semer la division entre vos cœurs (ch. 2). Ne vous arrêtez pas sur le chemin de la sanctification, en vous contentant de l’état auquel vous êtes parvenus, mais aspirez constamment à une plus haute spiritualité (ch.3). Voilà aussi tout ce que recommande l’apôtre aux Philippiens dans notre lettre. Il n’avait outre cela que des nouvelles à leur donner et qu’à les remercier. Rien de plus simple que cette situation et de plus naturel que la lettre qui en est résultée.