Il y a deux choses à considérer dans l’âme de l’homme : l’anima et l’animus. L’anima, en hébreu ou נפש הבשר ou âme de la chair, réside dans le sang. Elle transmet la vie au corps par le sang ; de là le principe posé dans Lévitique 17.11 : l’âme de la chair (nous dirions plutôt l’âme animale) est dans le sangi. Ailleurs, la chose est exprimée encore plus carrément : « Le sang, c’est l’âme, » lisons-nous dans dans Genèse 9.4 ; Lévitique 17.14 ; Deutéronome 12.23. Cela n’empêche pas, il va sans dire, que l’âme animale ne soit aussi dans la respiration et dans la nutrition ; נפש ne signifie-t-il pas étymologiquement le souffle, Job 41.13 ? Esaïe parle bien de l’âme qui s’écoule avec le sang (Ésaïe 53.12), mais Jérémie 15.9 parle tout aussi bien d’une âme qui s’exhale. Voyez encore Job 31.39. — Mais l’âme n’est pas seulement le principe de la vie sensible ; elle est aussi l’animus, le sujet qui agit, qui connaît, qui sent, qui veut, et qui même entre en rapport avec Dieu (Deutéronome 4.29 ; 6.5 ; Ésaïe 61.10 ; Psaumes 19.8 ; 42.2-3). [Rien de plus intéressant que de comparer l’anthropologie d’Homère avec celle de l’A. T. Elles présentent, quant au point spécial qui nous occupe, une curieuse différence. Chez Homère, l’âme est impersonnelle, elle n’est que le principe de la vie sensible. C’est dans les φρένες que résident les éléments spirituels que l’A. T. place dans l’âme.
i – Voyez § 127 la théorie du sacrifice.
L’âme animale et l’âme spirituelle ont toutes deux pour centre le cœur, לב.ֻב, לב. [Le mot כרב, poitrine, la poitrine tout entière avec ce qu’elle renferme, est parfois employé à la place de Lev, לב, ou de Lévav, לב.ֻב. Psaumes 39.4 ; 109.22 ; 1 Sam.25.37. — La relation du cœur avec l’âme est l’un des points les plus délicats de la psychologie biblique.] Organe central de la circulation du sang, il peut être considéré comme le foyer de la vie corporelle (Ecclésiaste 12.8). Aussi Abraham offre-t-il du pain à ses hôtes afin de fortifier leur cœur (Genèse 18.5. Voyez encore Juges 19.5 ; Psaumes 104.15), et quand les forces physiques viennent à lui manquer, le Psalmiste dit-il que son cœur est flétri, desséché, fondu (Psaumes 102.5 ; 22.15). Mais le cœur est aussi le centre de toutes les fonctions spirituelles ; toute la vie intellectuelle, toute la vie morale, toute tristesse et toute joie viennent aboutir au cœur et en repartent après y avoir été vivement perçues par la personne. Tous les mouvements de l’âme partent du cœur et y retournent. Du cœur procèdent les sources de la vie (Proverbes 4.23). Le cœur, — les profondeurs de l’intérieur, selon l’expression de Proverbes 20.27, — est la partie de notre être où nous arrivons à avoir conscience de nous-mêmes, où l’âme se sent le plus chez ellej ; c’est l’organe de la conscience (Job 27.6). En général, que l’homme rentre en soi-même, qu’il forme quelque entreprise, ou qu’il cherche à pénétrer quelque mystère, c’est son cœur qui est en cause.
j – In corde actiones animæ humanæ ad ipsam redeunt, dit parfaitement Roos.
[Roos dit encore : Dura ipsa anima sibi aliquid ostendit ac proponit, ad cor suum loqui dicitur. Dum suarum actionum sibi conscia est et illarum innocentiam vel turpitudinem ipsa sentit, id ad cor refertur. Anima humana ut ψυχή suavia appetit, ut spiritus scrutatur. Sed quatenus cor habet, ipsa novit, se hoc agere, et ideas reflexas habet. Ainsi donc, quand l’âme forme quelque dessein, quand elle réfléchit, ou qu’elle se représente quelque chose, il est dit qu’elle parle avec son cœur. Quand elle apprécie la valeur morale de ses actions, c’est au cœur qu’est attribué ce jugement. Comme âme animale, elle recherche ce qui est agréable ; en tant qu’âme spirituelle, elle regarde avant tout à ce qui est permis. L’âme n’a conscience de ce qu’elle fait, que pour autant qu’elle a un cœur.]
De là les expressions suivantes : Savoir avec son cœur (Deutéronome 8.5), rentrer en son cœur (Ésaïe 44.19), dire en son cœur ; voyez Genèse 8.21, où cette expression est appliquée à Dieu lui-même, ainsi que Psaumes 73.7 ; Proverbes 16.1. La connaissance, la compréhension, l’appropriation des choses extérieures par l’âme est tout particulièrement une fonction du cœur, aussi cœur est-il quelquefois absolument synonyme d’intelligence (Job 34.10 ; 36.5 ; Jérémie 5.21 ; Proverbes 17.16 ; 1 Rois.5.9).
[C’est d’après ceci qu’il faut expliquer Psaumes 119.32 ; 2 Rois 5.26. Aussi les Septante traduisent-ils souvent cœur par νοῦς (Exode 7.23 ; Ésaïe 10.7). Voyez sur le rapport intime qu’il y a entre le cœur et l’intelligence, Beck, Lehrwissenschaft I, 233. — Mais naturellement il se trouve aussi des cas, comme Psaumes 139.14 ; Proverbes 19.2, où c’est l’âme, et non pas le cœur, qui comprend et qui saisit les choses. Comp. aussi Lamentations 3.20,24 ; 1Sam.20.4 : Esther 4.13 ; Psaumes 13.3. Mais ce sont là des exceptions, et dans le dernier passage cité, la mention de l’âme ne paraît devoir être attribuée qu’à l’exigence du parallélisme. (Lisez ces passages dans le texte hébreu ou dans la traduction de Perret-Gentil.)]
Le cœur étant le foyer de la vie personnelle, le lieu secret où l’âme s’approprie tout ce qui est d’une nature spirituelle, il est par là même le siège de la moralité et de la religion. Il n’y a que ce qui est entré dans le cœur qui constitue une propriété morale, et il n’y a également que ce qui sort du cœur qui ait une valeur morale. En vertu du rapport inévitable qu’il y a entre le centre et la périphérie, la direction générale comme les plus petits détails de la vie de l’individu, reçoivent du cœur leur caractère moral. [C’est à cause de cela que, pour faire comprendre que Dieu juge d’après ce qu’on est et non pas d’après ce qu’on paraît être, l’Écriture dit que Dieu regarde au cœur (1 Samuel 16.7 ; Jérémie 20.12), qu’il sonde les cœurs (1 Rois 8.39 ; Proverbes 17.3 ; Psaumes 7.10 ; 17.3 ; Jérémie 11.20). Même en parlant de Dieu et pour distinguer entre ce que Dieu est en réalité et ce qu’on pourrait croire qu’il est, il est dit que ce n’est pas d’après son cœur qu’il afflige les hommes (Lamentations 3.33).] Le cœur peut donc servir de baromètre pour juger de la température morale d’un chacun. Un tel a un cœur sage (1 Rois 5.12 ; Proverbes 10.8) ; tel autre, un cœur pur (Psaumes 51.12), droit (Genèse 20.5), pervers (Psaumes 101.4), mauvais (Jérémie 3.17), orgueilleux (Ezéchiel 28.2). [Tout autant de passages où l’on ne pourrait pas aisément substituer âme à cœur. Les Septante ne sont point aussi stricts dans leur traduction que ne l’est le texte hébreu. A cet égard, la Sapience use d’une grande liberté. Elle parle d’âmes saintes (Sagesse 7.27) comme aussi d’âmes artificieuses, dans lesquelles la sagesse ne peut pas pénétrer ; d’âmes droites Sagesse 9.3, etc. Ceci est en rapport avec la théorie exprimée Sagesse 8.19 : J’avais à ma naissance reçu une âme pure et bonne.] Quant à ceux qui pensent que l’homme est un être moralement indifférent, qui peut à chaque instant se décider librement pour le bien ou pour le mal, la Bible, dès ses premières pages leur oppose les mauvaises inspirations du cœur humain (Genèse 8.21) ; elle leur présente ainsi le péché comme une puissance qui est allée se loger dans la capitale, et qui de là exerce ses ravages dans le pays tout entierk ; elle leur parle du cœur humain comme d’un cœur retors par dessus toute chose (directement le contraire de droit) et malade à la mort (Jérémie 17.9), tellement que Dieu seul peut mesurer parfaitement la profondeur de sa méchanceté (Proverbes 15.11). c’est ce sentiment qui inspire à David cette prière : Sonde-moi, considère mon cœur ! (Psaumes 139.23).
k – Nous reviendrons là-dessus aux paragraphes 75 et 76 où nous parlerons du péché.
C’est pour cela que toutes les révélations s’adressent au cœur de l’homme, à commencer par la loi, qui veut que l’homme aime Dieu de tout son cœur et, à partir de ce point central, de toute son âme (Deutéronome 6.6 ; 11.18). Etre insensible à toutes les révélations divines, c’est avoir un cœur incirconcis (Lévitique 26.41 ; Deutéronome 10.16 ; Ezéchiel 44.9). S’endurcir, s’enfoncer toujours plus dans le péché, c’est avoir le cœur endurci (Exode 4.21). Le but de la révélation est de renouveler l’homme en commençant par son cœur, de circoncire les cœurs (Deutéronome 30.6), de graver la loi de Dieu dans les cœurs (Jérémie 31.33). Ce qu’il y a d’humain dans l’œuvre du salut commence également par le cœur. La foi, par laquelle la vie personnelle prend une direction toute nouvelle depuis ses profondeurs les plus cachées, est une affaire du cœur. Elle est représentée comme un affermissement du cœur (tel est le sens étymologique du mot foi en hébreu) ; elle rend le cœur plus fort (Psaumes 27.14 ; 31.24) ; elle lui sert de solide appui (Psaumes 112.7-8), et c’est Dieu lui-même qui est le rocher du cœur (Psaumes 73.26)l. Tel est bien aussi le rôle que le N. T. attribue au cœur (Romains 10.9-10 ; Actes 8.37).
l – D’après Delitzsch, ce passage prouverait que la foi est l’œuvre de la personne elle-même, du moi tout seul, indépendant du corps, de l’âme et de l’esprit, dont il peut se distinguer. « Sa personne elle-même continue de croire en Dieu quand même le corps et le cœur défaillent. » Il me semble plus naturel, dans le premier hémistiche, de donner un sens matériel au mot cœur, qui se trouve du reste à côté du mot corps : « Mon cœur peut défaillir (je puis mourir) ; Dieu n’en demeure pas moins le rocher de mon cœur ! (de ma vie cachée).
En revanche, les affections et les sentiments concernent l’âme tout, aussi bien que le cœur. S’ils agissent sur la personnalité tout entière, ils sont rapportés à l’âme. Si on les considère plutôt comme partant d’un point central pour exercer leur action tout à l’entour, ils sont rapportés an cœur. Le chagrin, les soucis, la crainte et la terreur, la joie, la confiance, la paix et le contentement sont aussi bien, suivant les cas, l’affaire du cœur que celle l’âme. Dans Deutéronome 28.65, les deux expressions sont réunies. Dans Proverbes 12.25 ; Ecclésiaste 12.2 ; Jérémie 15.16 ; 1 Samuel 2.1 ; Psaumes 28.7, c’est au cœur ; dans Exode 33.9 ; Psaumes 6.4 ; 42.6-7 ; Ésaïe 61.10 ; Psaumes 62.2 ; 131.2 ; 116.7, c’est à l’âme que sont rapportées ces diverses impressions. Chose assez curieuse et qu’on ne saurait guères expliquer que par un caprice du langage, la tristesse, מר.ֻר est presque toujours attribuée à l’âme, et la joie, שמח au cœur. Proverbes 14.10, est intéressant à ce point de vue : « Le cœur connaît le chagrin de son âme et autrui ne saurait entrer en part de sa joie. »
C’est l’âme qui est attirée, réveillée par divers objets. Dans Jérémie 4.19, l’âme entend le bruit de la bataille et le cœur en est saisi de douleur. Ame, nous l’avons vu, signifie souffle. Voyez un enfant qui désire vivement un objet quelconque ; comme il respire et comme il aspirem ! Il est vrai que l’impulsion à laquelle l’homme obéit (Exode 35.5,22,29), la direction de sa volonté, ses desseins, ses passions, sont l’affaire du cœur (Ezéchiel 11.21 ; 20.16 ; 33.31 ; Deutéronome 11.16 ; Job 31.7,9,27 ; Psaumes 66.18 ; Proverbes 6.25) ; mais aussitôt que le désir se manifeste d’une manière sensible, l’âme entre en jeu. Le verbe désirer אוה et ses dérivés ne sont jamais employés qu’avec le mot נפש. Psaumes 21.3, est l’unique exception à cette règle. — Il y a plus : נפש se dit quelquefois de la convoitise elle-même, ainsi dans Ecclésiaste 6.7,9 ; Proverbes 13.2.
m – Amos 2.7. Les riches sont tout haletants d’impatience de voir de la poussière sur la tête des pauvres.
[Ceci explique les expressions suivantes Ésaïe 5.14 ; Habakuk 2.5 : Le sépulcre élargit son âme ; Proverbes 28.25 : Ame enflée, vivant, dans une fausse sécurité. Dans Psaumes 101.5 ; Proverbes 21.4, la même épithète est appliquée au cœur. — Nous devrions encore examiner la relation qu’il y a entre le cœur en tant que foyer de la vie spirituelle, et le cœur en tant que foyer de la vie physique ; mais cela nécessiterait une étude beaucoup plus étendue, celle du rapport de l’âme avec le corps. Quelques remarques seulement. Dans la Bible il y a entre l’âme et le corps plus qu’un simple parallélisme ; ce qui se passe dans le second n’est pas un simple symbole de ce qui se passe dans la première. Non ! l’âme en qui réside la personnalité étant la même que celle qui a son siège dans le sang et dans la respiration, les différents organes du corps prennent une part réelle aux fonctions supérieures de l’âme. Chacun a fait l’expérience que des impressions vives affectent les entrailles, qu’une émotion profonde accélère les battements du cœur. Ainsi donc quand le psalmiste s’écrie : « Mon cœur s’échauffe au-dedans de moi » (Psaumes 29.4, lisez encore Jérémie 20.9 ; 4.19 ; 23.9), personne n’a le droit de ne voir là qu’une simple figure. — Deux points me frappent surtout dans l’anthropologie biblique : 1° le rapport particulier dans lequel la Bible met certaines parties du corps fort précises avec certains sentiments bien déterminés (entrailles, miséricorde ; reins, pensées secrètes) ; puis 2° combien la tête, le cerveau sont laissés dans l’ombre. Ce n’est que dans Daniel que nous trouvons « les visions de la tête. ». Hormis ce passage, c’est toujours le cœur qui connaît, qui comprend, qui veut. Au reste toute l’antiquité est ici d’accord avec la Bible. Qu’on songe par exemple au rôle du κῆρ et du κραδίν dans Homère ; aux mots latins : vir cordatus, re-cordari, vecors, excors (Cicéron, Tusculanes I, 9,18 ; Platon, Phædon, 45). Cette immense importance donnée au cœur au point de vue spirituel ne peut pas provenir uniquement de ce qu’il est le centre de la circulation du sang. Delitzsch a fait à cet égard un usage fort heureux des phénomènes du somnambulisme, dans sa Psychologie biblique, 2e édition, p. 260, etc.]