L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
35 Que durant cette vie on n’est jamais en sûreté contre les tentations
La vie est un torrent d’éternelles disgrâces ; Jamais la sûreté n’accompagne son cours ; Entre mille ennemis il faut que tu la passes ; A la gauche, à la droite, il en renaît toujours. Ce sont guerres continuelles, Qui portent dans ton sein chaque jour mille morts, Si tu n’es bien muni d’armes spirituelles Pour en repousser les efforts.
De leur succès douteux la juste défiance Demande à ta vertu de vigoureux apprêts ; Mais il te faut surtout l’écu de patience Qui te dérobe entier aux pointes de leurs traits. Que de tous côtés il te couvre, Sans que par art ni force il puisse être enfoncé ; Autrement tiens-toi sûr que, pour peu qu’il s’entr’ouvre, Tu te verras soudain percé.
A moins qu’à mes bontés ton âme abandonnée Embrasse aveuglément ce que j’aurai voulu, Et qu’une volonté ferme et déterminée A tout souffrir pour moi te tienne résolu, Ne te promets point cette gloire De pouvoir soutenir l’ardeur d’un tel combat, Et d’emporter enfin cette pleine victoire, Qui de mes saints fait tout l’éclat.
Tu dois donc, ô mon fils ! franchir avec courage Les plus affreux périls qui t’osent menacer, Et d’une main puissante arracher l’avantage Aux plus fiers escadrons qui te veuillent forcer Je vois d’en haut tout comme père, Prêt à donner la manne au généreux vainqueur ; Mais je réserve aussi misère sur misère, A quiconque manque de cœur.
Si durant une vie où rien n’est perdurable, Tu te rends amoureux de la tranquillité, Oseras-tu prétendre à ce calme ineffable Que gardent les trésors de mon éternité ? Quitte ces folles espérances, Préfère à ces désirs les désirs d’endurer, Et sache que ce n’est qu’à de longues souffrances Que ton cœur se doit préparer.
La véritable paix a des douceurs bien pures ; Mais en vain sur la terre on pense l’obtenir, Il n’est aucuns mortels, aucunes créatures, Dont les secours unis y fassent parvenir : C’est moi, c’est moi seul qui la donne, Ne la cherche qu’au ciel, ne l’attends que de moi ; Mais apprends qu’il t’en faut acheter la couronne Par les épreuves de ta foi.
Les travaux, les douleurs, les ennuis, les injures, La pauvreté, le trouble et les anxiétés, Souffrir la réprimande, endurer les murmures, Ne se point rebuter de mille infirmités, Accepter pour moi les rudesses, L’humiliation, les affronts, les mépris, Prendre tout de ma main comme autant de caresses, C’en est le véritable prix.
C’est par de tels sentiers qu’enfin la patience A la haute vertu guide un nouveau soldat ; C’est par cette fâcheuse et rude expérience Qu’il trouve un diadème au sortir du combat : Ainsi d’une peine légère La longue récompense est un repos divin, Et pour quelques moments de honte passagère, Je rends une gloire sans fin.
Cependant tu te plains sitôt que sans tendresse Je laisse un peu durer les tribulations ; Comme si ma bonté, soumise à ta faiblesse, Devait à point nommé ses consolations ! Tous mes saints ne les ont pas eues, Alors que sur la terre ils vivaient exilés, Et dans leurs plus grands maux mes faveurs suspendues Souvent les laissaient désolés.
Mais dans ces mêmes maux qui semblaient sans limites, Armés de patience, ils souffraient jusqu’au bout, Et s’assuraient bien moins en leurs propres mérites Qu’en la bonté d’un Dieu dont ils espéraient tout ; Ils savaient bien, ces vrais fidèles, De quel immense prix était l’éternité, Et que pour l’obtenir les gênes temporelles N’avaient point de condignité.
As-tu droit de vouloir dès les moindres alarmes, Toi qui n’es en effet qu’ordure et que péché, Ce qu’en un siècle entier de travaux et de larmes Tant et tant de parfaits m’ont à peine arraché ? Attends que l’heure en soit venue, Cette heure où tu seras visité du Seigneur ; Travaille en l’attendant, commence, et continue Avec grand amour et grand cœur.
Ne relâche jamais, jamais ne te défie, Quelques tristes succès qui suivent tes efforts, Redouble ta constance, expose et sacrifie Pour ma plus grande gloire et ton âme et ton corps ; Je rendrai tout avec usure ; Je suis dans le combat sans cesse à tes côtés, Et je reconnaîtrai ce que ton cœur endure Par de pleines félicités.