Comme le premier dessein d’un imposteur est de cacher la tromperie qu’il prétend faire, il est assez facile de remarquer son intention et son adresse dans le choix des circonstances qu’il rapporte.
S’il invente un fait, il feindra qu’il y a longtemps, qu’il est arrivé, ou que c’est dans un pays éloigné que la chose s’est passée, ou qu’elle n’a été vue que de peu de personnes, ou que ceux qui en ont été les témoins sont morts, ou que c’est un fait unique et singulier qui n’a pas eu de suite, et dont on ne saurait plus donner une preuve sensible. Enfin, quelque chose qu’on invente, on se réserve des voies pour se tirer d’embarras, en cas qu’on fût trop pressé par des gens qui pourraient s’intéresser dans le fait qui est rapporté.
Or, ici nous remarquons d’un côté, que les faits qui sont rapportés par les apôtres intéressent très particulièrement les hommes, et intéressent tous les hommes. Les Juifs, qu’on veut faire passer pour des parricides exécrables, ne sauraient les considérer avec indifférence. Les chrétiens, que la vérité de ces faits engage à souffrir le martyre, doivent les examiner avec attention. Les païens, dont ces faits une fois reconnus vont ruiner de fond en comble les mystères, ont un très grand intérêt à ne consentir point à leur supposition. Les pontifes, jaloux de leur autorité ; les magistrats, ennemis des nouvelles sectes ; et le peuple, esclave des préjugés et de la superstition, sont dans une tout autre disposition que dans celle de recevoir ces faits sans examen.
Nous remarquons, d’un autre côté, que ces hommes qui les annoncent, non seulement ne se ménagent point dans le choix des circonstances qu’ils rapportent, mais qu’ils en marquent de si expresses, en si grand nombre, et qui devaient être si connues, qu’il faut qu’ils soient d’abord démentis, ou que nous acquiescions à ce qu’ils nous disent.
Car, 1° si vous demandez où est-ce qu’on a rendu témoignage à la vérité de ces faits, on vous répondra que c’est sur les lieux mêmes où les choses se sont passées, dans la Judée, à Jérusalem ; et afin que vous n’en doutiez point, on vous fera voir par le témoignage de toute l’antiquité, que les apôtres établirent par leur prédication une Église à Jérusalem.
2° Si vous vous informez du temps, c’est dans l’espace de trois ans que les miracles de Jésus-Christ, sa mort, sa résurrection et son ascension doivent être arrivés ; et c’est quelques semaines après ce dernier événement, que les apôtres commencèrent de prêcher publiquement à Jérusalem.
3° Si vous voulez savoir quels sont ces témoins qui déposent que ces faits sont véritables, on en produit un très grand nombre qui vivent, et qui ont conversé avec Jésus-Christ.
4° Si vous êtes en peine de savoir quelle espèce de faits ont atteste ici, on vous montre que ce sont des faits sensibles et éclatants ; des malades guéris, les orages de la mer apaisés, les morts relevés du tombeau, un homme qu’on a mis à mort, conversant avec ses disciples, et montant au ciel, etc.
5° Si vous regardez au nombre, on vous fait voir que toute la vie de Jésus-Christ n’a été qu’une suite continuelle de miracles.
6° Et si vous demandez enfin quelles sont les preuves sensibles qu’on peut vous en donner, les apôtres se vantent d’avoir reçu eux-mêmes les dons miraculeux ; et nous verrons dans la suite que c’est à juste titre qu’ils s’en vantent.
Unissez maintenant toutes ces circonstances, et voyez si vous pouvez résister à l’évidence qui naît de leur union. Comment les apôtres auraient-ils persuadé tant de personnes intéressées, tant de personnes qui avaient vu et connu Jésus-Christ ? Comment ne leur aurait-on pas ôté d’abord toute créance, en allant sur les lieux, et recherchant si ce qu’ils disaient était véritable ? Ou plutôt comment, osant publier ces choses dans les lieux où il fallait qu’elles se fussent passées, les Juifs n’auraient-ils pas arrêté le progrès de l’Évangile, en découvrant une imposture si visible et si manifeste ? Car enfin, les apôtres n’annonçaient pas un seul fait de cette nature. Ils disaient que leur maître avait ressuscité Lazare, le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïrus ; qu’il avait guéri un nombre presque infini de démoniaques ; que sa renommée s’était répandue dans toute la Syrie.
Les apôtres ne se contentent pas de prêcher toutes ces choses, ils les écrivent, et leurs écrits sont portés en tous lieux. Ils ne se cachent donc pas. Ils veulent que tout le monde connaisse la vérité des choses qu’ils témoignent, et qu’on examine tant qu’on voudra les faits qu’ils rapportent. Ils les donnent et les produisent de toutes les manières. Je veux qu’on ait composé ces livres quarante, cinquante, soixante ans après la mort de Jésus-Christ ; toujours est-il évident qu’avant ce temps il y avait une Église à Jérusalem, qui avait été fondée par la prédication des apôtres ; et il est certain que les apôtres avaient annoncé de vive voix les miracles et la résurrection de Jésus-Christ, c’est-à-dire les faits essentiels qui sont contenus dans cette Écriture.
Car le moyen, sans cela, de faire adorer un crucifié ? Comment persuader, sans cela, que Jésus-Christ était le vraie Messie ? Comment les chrétiens auraient-ils regardé comme divine une Écriture qui aurait supposé que les apôtres leur avaient annoncé ce qu’ils ne leur avaient jamais annoncé en effet ? Par quel accord quatre personnes qui écrivent en des lieux et en des temps différents, et qui ne se copient point les uns les autres, comme il est impossible qu’on ne s’en aperçoive, lorsqu’on les lit avec tant soit peu d’application, et que l’on considère leur différente manière de rapporter les mêmes choses, s’accorderaient-ils à nous apprendre les mêmes faits, si les apôtres ne s’étaient premièrement accordés à les prêcher partout ? Comment les apôtres auraient-ils fait des chrétiens, s’ils n’eussent annoncé les miracles, la résurrection et l’ascension de Jésus-Christ, puisqu’il n’y a plus de christianisme si ces faits ne subsistent plus ? Mais voyons, les imposteurs ont beau se déguiser, ils se découvrent, quoi qu’ils fassent.