Saint Ambroise naquit probablement à Trêves, en 333, d’un préfet des Gaules du même nom, et reçut à Rome une éducation chrétienne. Après avoir fait son droit et plaidé avec succès, il fut nommé, jeune encore (vers 370), gouverneur consulaire de l’Emilie et de la Ligurie avec Milan pour capitale. Il administrait au gré de tous, quand la mort de l’évêque arien de Milan, Auxence, vint donner à sa vie une autre direction. Réclamé pour évêque par le peuple dans les circonstances que l’on sait, Ambroise dut consentir à son ordination. Elle eut lieu probablement le 7 décembre 374.
Dès lors, tout son temps fut partagé entre l’étude des sciences sacrées, où il avait tout à apprendre, le gouvernement de son Église et le soin des affaires de son peuple, qui le consultait incessamment et sur tout, et le soin même des intérêts des princes et de l’Empire dont il fut le conseiller et le soutien. Saint Ambroise, en effet, est le premier de ces évêques politiques, qui se sont efforcés d’unir étroitement l’Église à l’Etat, et dont la sollicitude s’est étendue à la prospérité de l’une et de l’autre. Le jeune Gratien (375-383) le révérait comme un père. Trois fois il entreprit, pour Valentinien II, le voyage des Gaules. Il fut l’ami de Théodose, et prononça, le 25 février 395, son oraison funèbre. En même temps, il s’opposait au rétablissement de l’autel de la Victoire, se maintenait, contre l’impératrice Justine, en possession de la basilique porcienne, invitait Théodose à la pénitence publique, s’occupait de la conversion d’Augustin, présidait des conciles, introduisait dans l’Église le chant des hymnes et étendait bien au delà de ses limites naturelles l’influence de son siège. Cette influence persévéra même après sa mort, survenue le 4 avril 397.
Ambroise a dû l’extraordinaire considération dont il a joui à son inlassable dévouement pour son troupeau, à la dignité de son caractère et à la hauteur de ses vues, mais aussi à ses rares aptitudes administratives et au don de gouvernement qu’il possédait au suprême degré. Il apporta dans l’exercice de l’épiscopat les idées nettes, la fermeté, l’esprit pratique, la juste mesure dont il avait fait preuve dans sa magistrature civile. Au point de vue intellectuel, il offre un remarquable exemple de la réaction que l’esprit peut exercer sur les idées dont on le nourrit. Possédant bien ses classiques grecs et latins, il dut improviser en quelque sorte sa formation théologique, et c’est chez les grecs qu’il en chercha les éléments. Philon et Origène furent ses maîtres en exégèse ; Athanase, Basile, Cyrille de Jérusalem, Didyme, Grégoire de Nazianze ses maîtres de dogme et de morale. Entre les occidentaux, il n’utilisa guère que saint Hippolyte, le plus grec de tous. Et malgré cela, saint Ambroise est resté un écrivain bien occidental et bien latin, dont l’enseignement est avant tout catéchistique, positif, pratique. Écrivain, il n’avait guère d’ailleurs le temps de l’être. La plupart de ses œuvres ne sont que des discours qu’il a revus et dont il a fait des traités. Dans ces compositions hâtives il est naturel que l’on trouve de la diffusion et de la négligence. Saint Ambroise n’a ni la profondeur originale de saint Augustin, ni la verve et la langue incisive de saint Jérôme : « c’est un littérateur de second ordre » (de Labriolle). Mais il règne dans son style une certaine force tempérée, une douceur et une harmonie facile qui charmaient saint Augustin et rendent agréable la lecture de ses œuvres. Une légère teinte mystique, fruit de son commerce avec les grecs et de sa piété personnelle, y relève ce qu’aurait eu de terne et de froid la parole officielle du magistrat romain.
L’œuvre littéraire de saint Ambroise comprend des ouvrages d’exégèse, de morale, de dogme, des discours, des lettres et des hymnes.
I. Exégèse.
Nous avons dit que saint Ambroise avait suivi en exégèse Philon et Origène. C’est dire qu’il allégorise souvent et qu’il voit volontiers, sous les personnages ou les événements historiques dont il est question dans le texte, d’autres personnages ou d’autres événements dont les premiers sont la figure. Il y est conduit d’ailleurs par son désir d’être utile aux âmes, et de dégager avant tout de la lettre de l’Écriture la leçon morale qu’elle contient. Il ne nie pas pour autant la réalité du sens historique.
C’est dans cet esprit que sont écrits : les Six livres sur l’hexaemeron (après 389), dont le fond est emprunté à l’ouvrage analogue de saint Basile ; les traités Sur le paradis (375) ; Sur Caïn et Abel (vers 375) ; Sur Noé et l’Arche (378-386 suivant les auteurs) ; Sur Abraham, en deux livres (387) : le premier livre, série d’homélies à des catéchumènes ; le second, série d’homélies à des fidèles baptisés ; Sur Isaac et l’âme (vers 388) ; Sur Jacob et la vie heureuse, en deux livres (vers 388) ; Sur le patriarche Joseph (vers 389) ; Sur les bénédictions des patriarches (vers 389) ; Sur Hélie et le jeûne, composé de sermons donnés au carême de 387, 389 ou 391 ; Sur Naboth de Jesrahel (394) ; Sur Tobie (antérieur à 380) ; Sur la question de Job et de David (De interpellatione Job et David), quatre sermons sur le problème du mal et de la prospérité des méchants (vers 383) ; Apologie du prophète David à Théodose auguste, sur la pénitence de David (383-389) ; Enarrationes in XII psalmos davidicos, c’est-à-dire sur les psaumes 1, 35-40, 43, 45, 47-48, 61, recueil d’homélies prononcées à diverses époques ; Expositio in psalmum cxviii, divisée en vingt-deux « sermons », suivant le nombre des lettres de l’alphabet hébreu ; et enfin une Explication du prophète Esaïe, antérieure à 389, et dont il s’est conservé quelques citations. — Sur le Nouveau Testament, nous n’avons qu’un seul commentaire de saint Ambroise, mais le plus long de ses ouvrages, l’Exposé de l’évangile selon saint Luc, en dix livres, recueil d’homélies fait en 389, sauf le livre iii qui est un remaniement des Questions évangéliques d’Eusèbe de Césarée. L’auteur s’y préoccupe de l’harmonie des évangiles et de l’accord des textes, mais la note morale reste toujours dominante.
II. Morale et ascétisme.
Le plus important écrit de morale de saint Ambroise est le De officiis ministrorum, la première synthèse de morale chrétienne qu’ait possédée l’Occident. L’ouvrage, divisé en trois livres, est une transposition du De officiis de Cicéron : le premier livre traite de l’honnête, le second de l’utile, le troisième des conflits qui peuvent se produire entre l’honnête et l’utile. Mais saint Ambroise a partout christianisé son modèle, fait rentrer la morale naturelle dans la morale surnaturelle, remplacé les exemples païens par des exemples bibliques. Avec cela cependant l’ouvrage a bien des défauts. L’auteur s’adressant aux clercs, on ne voit pas toujours si c’est de morale simplement chrétienne qu’il s’agit ou de règles propres au clergé. La marche du traité, incertaine déjà chez Cicéron, l’est encore davantage chez son imitateur. Des éléments étrangers y ont été introduits qui en gâtent la structure générale. En somme, l’écrit vaut plus par les détails que par l’ensemble. On le date de 391.
Les deux opuscules De bono mortis et De fuga saeculi sont deux recueils de discours démarqués, que l’on met respectivement en 388 et 390.
Sur la virginité — un sujet que l’évêque de Milan traitait volontiers, trop souvent et trop bien au gré de quelques-uns —, nous avons quatre écrits de saint Ambroise : 1° Trois livres sur les vierges à sa sœur Marcelline, composés en 377 à la prière de sa sœur qui, dès 353, avait reçu du pape Libère le voile des vierges ; 2° Sur les vierges (vers 378), réponse aux reproches qu’on lui faisait de pousser trop les jeunes filles au célibat ; 3° De institutione virginis et sanctæ Mariæ virginitate perpetua ad Eusebium, discours de prise de voile de la vierge Ambrosia (391-392) ; 4° Exhortatio virginitatis, remaniement d’un discours prononcé en 393. — Des traités sur la virginité on peut rapprocher le traité Sur les veuves (377-378), qui recommande l’état de viduité de préférence aux secondes noces.
III. Dogme.
Saint Ambroise n’était point par tempérament, comme on l’a remarqué, un dogmaticien ni un spéculatif. Son but, dans ses traités doctrinaux, est, ou bien d’instruire simplement les fidèles de ce qu’ils ont à croire, ou bien de combattre certaines erreurs menaçantes pour la foi. De ces traités on possède les suivants : 1° Cinq livres à Gratien sur la foi, c’est-à-dire sur la Trinité. Les deux premiers livres, traitant de la divinité du Fils, sont antérieurs au mois d’août 378 ; les livres iii-v ajoutés après coup sont de 379-380. 2° Du Saint-Esprit, à l’empereur Gratien, complément de l’ouvrage précédent, paru vers Pâques 381. Le fond en est emprunté au traité analogue de Didyme l’Aveugle ; mais l’auteur a utilisé également les lettres de saint Athanase à Sérapion et le traité de saint Basile. 3° Du mystère de l’incarnation du Seigneur (De incarnationis dominicae sacramento), discours contre les ariens (381-382). 4° Sur les mystères (De mysteriis, 387), ouvrage des plus cités, et qui est probablement composé de catéchèses faites aux catéchumènes, analogues à celles de saint Cyrille de Jérusalem. Ambroise y traite du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie. 5° De la pénitence, en deux livres (384-390), contre les novatiens. L’auteur y revendique pour l’Église le pouvoir de remettre tous les péchés et indique les conditions mises à ce pardon. — Outre cela, on sait que saint Ambroise avait composé un Exposé de la foi mentionné par Théodoret, et un De sacramento regenerationis sive de Philosophia que saint Augustin a cité. — Quant au De sacramentis édité parmi ses œuvres, on est à peu près d’accord pour lui en refuser la paternité. L’auteur inconnu de cet ouvrage a sans doute suivi et imité de très près le De mysteriis, mais il s’en est écarté cependant par le style et dans certains détails. On met son œuvre au ive ou au ve siècle.
IV. Discours et lettres.
Nous avons dit que la plupart des écrits de saint Ambroise ne sont que des discours retouchés pour être publiés en commentaires ou en traités. Il reste cependant de lui, dans leur forme primitive, quelques discours dont quatre sont des oraisons funèbres. Ce sont les premières que l’on trouve dans la littérature ecclésiastique de l’Occident et, tout en suivant, comme celles de Grégoire de Nazianze, les règles classiques du genre, elles sont plus chrétiennes d’allure que les siennes. Ambroise en prononça deux à l’occasion de la mort de son frère Satyre, en 377 ou 378 (De excessu fratris sui Satyri libri duo) : la première, qui est un long cri de douleur, est pleine de beautés. Puis, au mois de juillet ou d’août 392, il fit l’éloge funèbre de Valentinien II, assassiné le 15 mai à l’âge de vingt ans (De obitu Valentiniani consolatio). Trois ans après, le 25 février 395, l’évêque de Milan célébrait la mémoire de Théodose le Grand, mort le 17 janvier (De obitu Theodosii oratio). En dehors de là, on possède un Sermon contre Auxence sur la livraison des basiliques, prononcé en 386 dans la basilique porcienne, et quelques autres discours qu’il a reproduits dans ses lettres xxii et xli.
Les lettres conservées de saint Ambroise, au nombre de quatre-vingt-onze, sont généralement des lettres d’affaires et d’administration ou des réponses à des questions sur la théologie et l’Écriture. Elles sont utiles pour l’histoire. Il en est peu d’intimes et de personnelles. Tout au plus peut-on signaler parmi ces dernières ses lettres à sa sœur Marcelline, xx, xxii, xli, et ses lettres à l’évêque Sabinus de Plaisance, xlvii, xlviii.
V. Hymnes.
On a vu que saint Hilaire avait écrit quelques hymnes sur des sujets théologiques, mais que ces hymnes, trop savantes et trop longues, auraient pu difficilement être introduites dans le service divin. Le véritable créateur de l’hymne liturgique en Occident est saint Ambroise. Ses hymnes sont toutes composées en vers dimètres iambiques acatalectiques : quatre iambes (ou spondées aux mètres 1 et 3), avec quatre vers à la strophe. C’était une forme populaire et aisée à retenir. Le mètre y est basé sur la quantité classique ou réelle, non sur l’accent tonique. Chaque pièce compte huit strophes et est rédigée en un style extrêmement simple et nu. Le succès de ces hymnes fut énorme, et l’on donna depuis le nom d’ambrosiennes à toutes celles qui furent écrites sur leur modèle. Mais il ne reste guère actuellement qu’une douzaine de pièces qui puissent légitimement prétendre à être l’œuvre de l’évêque de Milan. — En dehors de ces hymnes, saint Ambroise avait composé des inscriptions métriques : nous en avons quelques-unes.
Il existe, parmi les œuvres de saint Ambroise, un commentaire des treize épîtres de saint Paul — l’épître aux Hébreux exclue — clair, pénétrant, original et qui dénote en son auteur un sens assez affiné de l’histoire. Cet auteur, qui a dû écrire vers l’an 370, n’est pas saint Ambroise ; mais, comme le livre a passé longtemps pour être de l’évêque de Milan, on en a nommé l’auteur Ambrosiaster. C’est un nom évidemment qui ne dit rien. Saint Augustin attribuait l’ouvrage à saint Hilaire de Poitiers. Depuis 1899, on l’attribuait assez généralement à un certain Isaac, juif converti, puis relaps, auteur d’une Fides Isaatis ex judaeo (P. G., xxxm, 1541-1546) sur la Trinité et l’incarnation. Plus récemment, D. Morin a mis en avant le nom d’un ancien proconsul d’Afrique, devenu préfet de Rome en 408, Decimius Hilarianus Hilarius. Une chose reste certaine, c’est que l’auteur du commentaire sur les épîtres de saint Paul est le même que celui des Quaestiones veteris et novi Testamenti (P. L., xxxv, 2213-2416).
Entre les correspondants de saint Ambroise, on peut nommer Simplicianus, qui lui succéda en 397 ; Vigile de Trente, qui mourut martyr en 405, et surtout Chromatius d’Aquilée (388-407) qui a laissé dix-huit homélies remarquables par la correction et l’agrément du style (P. L., xx, 323-368).
Niceta de Remesiana n’a pas été le correspondant de saint Ambroise ; mais il a été son contemporain, et l’ami de saint Paulin de Nole par qui surtout nous le connaissons (voir ses poèmes xvii et xxvii). Il dut naître vers 335-338, et devint, à une époque que nous ignorons, évêque de Remesiana (la Bêla Palanka actuelle) dans la Dacie méditerranéenne. Sa vie fut celle d’un missionnaire et d’un apôtre entièrement dévoué à son peuple et se dépensant pour lui sans mesure. Bien qu’habitant une contrée placée sur les confins des deux civilisations grecque et latine, et où les deux langues devaient se parler, Niceta fut résolument latin et n’écrivit qu’en latin. Son style manque d’élégance, mais il est net, clair et convenablement ajusté à la pensée.
L’œuvre principale de Niceta comprend six livres d’instructions aux catéchumènes qui, peut-être, ont eu d’abord chacun une existence indépendante. Des deux premiers on ne possède que quelques fragments ; le troisième subsiste entier en deux parties, De ratione fidei ; De Spiritus sancti potentia ; le quatrième et le sixième sont perdus ; mais nous avons le cinquième, De symbolo, une des plus anciennes explications du symbole romain. Les livres iii et v sont probablement postérieurs de peu à l’an 380.
A cet ouvrage important de Niceta il faut ajouter d’abord deux sermons, l’un sur les Vigiles, l’autre sur les avantages de la Psalmodie ; puis un écrit Ad lapsam virginem, que l’on identifie généralement avec le De lapsu virginis consecratae qui se trouve parmi les œuvres de saint Ambroise ; et enfin un petit traité De diversis appellationibus, sur les divers noms donnés à Jésus-Christ. On sait aussi que Niceta avait composé des hymnes. Toutes ont péri, sauf le Te Deum, que beaucoup de critiques, en se basant sur les manuscrits, s’accordent à lui attribuer.