L’obligation originelle de la nature humaine renfermait le progrès continu et non interrompu de l’innocence à la sainteté, de la vie psychique à la vie pneumatique. La première chute eût pu anéantir à jamais les privilèges et les perspectives glorieuses de l’homme, et le jeter dans le mal absolu, dans la vie immortelle des êtres qui ont péché en pleine connaissance de cause, dans la mort seconde. C’est ce que Dieu a voulu éviter en expulsant l’homme des abords de l’arbre de vie, dont les fruits ne lui eussent plus communiqué que l’immortalité de l’être physique dans le dérèglement de l’être moral. La destruction du corps devenait ainsi pour l’homme moralement déchu la condition de son relèvement et de son salut (Genèse 3.22). La mort physique, au terme d’une vie terrestre de labeur et de souffrance, lui fut donc infligée non pas à titre de jugement, au nom de la justice punissante, mais de châtiment, au nom de la miséricorde qui fait grâce et qui sauve encore. Aussi la formule de l’obligation originelle de l’homme, destiné à s’élever de joie en joie, de gloire en gloire, de vie en vie, est remplacée désormais par celle de l’obligation de l’homme déchu, mais susceptible encore de rédemption, et qui porte : par la souffrance à la joie, par l’opprobre à la gloire, par la mort à la vie. Cette formule régit l’ordre entier du monde actuel, tant physique que moral, et aucun être ne saurait s’y soustraire sans se priver par là-même de la dernière chance de restauration qui lui reste. L’ordre physique, avons-nous dit d’abord ; car tous les êtres de la création, assujettis à la vanité et à la corruption à cause de celui qui les y a assujettis, souffrent et meurent ; et la mort de l’individu est même devenue la condition indispensable de la perpétuation de l’espèce. Le grain de semence pourrit pour se multiplier (1 Corinthiens 15.56 ; Jean 12.24) ; la chenille se momifie en chrysalide pour reparaître en papillon. Le monde actuel n’arrive qu’à travers la vanité, la souffrance et la mort au terme final et glorieux de la rédemption (Romains 8.22-23).
Mais cette loi naturelle n’est qu’un type imparfait d’une loi morale plus élevée, énoncée à diverses reprises par Jésus-Christ, qui l’applique tout d’abord à lui-même et ensuite à quiconque veut être de ses disciples, joignant, dans le passage cité plus haut, d’une façon immédiate l’antitype (Jean 12.25) au type (v. 24). Mourir pour revivre ; perdre sa vie pour la retrouver ; se donner pour s’enrichir, s’abaisser pour être élevé ; passer par l’ignominie pour arriver à la gloire ; souffrir pour régner : voilà la formule chrétienne de cette loi universelle du monde déchu, mais appelé à la rédemption.
C’est la loi que nous devons tous accepter volontairement pour nous-mêmes, si, pécheurs et perdus dans la solidarité du premier Adam, nous voulons être justifiés et sauvés dans la solidarité du second. C’est là la condition indispensable de toute restauration morale pour l’humanité et pour chacun des individus qui la composent : et ceci nous amène à notre troisième partie.